Quotidien Shaarli
January 4, 2022

humanite.fr - Mar. 28 déc. 2021
Manuel Cervera-Marzal
Manuel Cervera-Marzal est sociologue à l’université de Liège. Dans « le Populisme de gauche, sociologie de la France insoumise » (Éd. la Découverte), il décrit et explique la percée fulgurante puis le déclin tout aussi brutal de mouvements tels que la France insoumise ou Podemos. Mais un rebond reste selon lui possible… Entretien.
Le populisme n’est-il pas contre-nature ou « accidentel » en ce qui concerne la gauche ?
M.C-M : L’histoire des gauches est composĂ©e de plusieurs traditions. Le populisme est clairement l’une d’entre elles. L’oxymore, c’est quand on parle de « populisme de droite ». Le RN en France ou Vox en Espagne ne sont pas populistes de droite mais d’extrĂŞme droite. Quand on fait l’histoire des gauches, on a un peu tendance Ă oublier cette tradition populiste. Personne parmi les historiens n’a remis en question le fait que le People’s Party aux États-Unis ou les Narodniki en Russie Ă©taient de gauche. Leur projet de transformation de la sociĂ©tĂ© Ă©tait clairement de gauche. Personne en France jusqu’aux annĂ©es 1990 ne considĂ©rait que le populisme ne puisse pas ĂŞtre de gauche. Ce sont des historiens entrepreneurs comme Pierre-AndrĂ© Taguieff qui ont commencĂ© Ă Ă©crire des articles pour expliquer que le FN n’était plus d’extrĂŞme droite mais nationalÂ-populiste, puis populiste tout court. Du coup, aujourd’hui, tout est brouillĂ©. Des chercheurs qui travaillent sur l’extrĂŞme droite disent travailler sur le populisme.
Vous soulignez que cette stratégie, avec le score de Jean-Luc Mélenchon en 2017, a fait ses preuves. Pourtant, dans votre livre, vous considérez que ce cycle s’achève avec la FI.
M.C-M : Quand on regarde ce qu’il s’est passé pour Podemos, Syriza, Jeremy Corbyn, on constate que cette stratégie a permis des percées électorales fulgurantes mais éphémères. Ce sont des forces politiques qui semblent surgir de nulle part en trois ou quatre ans. Mais, à moyen terme, la dégringolade est aussi brutale. Ces forces se sont souvent dotées de mouvements plutôt que de partis. Au moment de leur progression électorale, elles ont fait l’impasse sur la constitution d’un outil et d’un appareil militant. Elles ont pensé qu’avoir un leader charismatique et une base électorale ça suffisait. Or, c’est l’appareil militant qui permet de tenir sur la durée. Sinon, au moindre revers électoral ou à la moindre affaire touchant le leader, les populistes de gauche sont touchés en plein cœur. Pourquoi le PCF et le PS existent toujours malgré les revers électoraux ? C’est grâce à leur appareil militant.
Quel est le bilan de ce cycle Âpopuliste pour les gauches ?
M.C-M: En dehors du discours, les mouvements populistes ont cherchĂ© Ă s’émanciper de la forme parti, considĂ©rĂ©e comme obsolète. Le populisme est aussi du mouvementisme. Ces mouvements se sont créés sur une promesse de diffĂ©rence et de dĂ©mocratisation des organisations politiques, qui n’a pas Ă©tĂ© tenue. En dehors des Ă©chĂ©ances Ă©lectorales, ce sont des coquilles vides. Quand on dissipe le cĂ´tĂ© « gazeux », l’organisation est très verticale. S’il y a un bilan Ă tirer, c’est celui-ci. La forme parti s’épuise, mais le remède proposĂ© s’est peut-ĂŞtre avĂ©rĂ© encore pire que le problème qu’il Ă©tait censĂ© rĂ©gler. Ce qu’il faut regarder avec intĂ©rĂŞt en revanche, c’est la situation du Parti du travail de Belgique. Il existe depuis 1979, et il est passĂ© de 0,5 % des voix au dĂ©but des annĂ©es 2000 Ă 15 % Ă Bruxelles et en Wallonie. Dans le mĂŞme temps, ils sont passĂ©s de 800 Ă 20 000 militants. Le PTB est peut-ĂŞtre en train de montrer une voie. Il a conservĂ© ses structures de parti, son orthodoxie marxiste, tout en s’ouvrant sur la sociĂ©tĂ©, les Ă©tudiants, les plus prĂ©caires, et en choisissant un discours plus populiste. En France, ni les socialistes ni les communistes n’ont pu reprendre le leadership Ă gauche. Pour l’instant, c’est toujours Jean-Luc ÂMĂ©lenchon qui le tient et qui reste le seul en mesure d’accĂ©der au second tour.
Ce n’est pas contradictoire avec votre théorie sur la fin du cycle populiste ?
M.C-M : En 2019, quel que soit le pays, la gauche populiste a subi revers sur revers. En 2022, j’observe toujours la décrue. Mais je ne sais pas non plus ce qu’il va se passer dans les prochains mois et les prochaines années. On est dans des conjonctures politiques très ouvertes. Les grands partis de gouvernement de droite comme de gauche sont fragilisés dans la plupart des pays européens. La FI comme d’autres mouvements ailleurs peuvent rebondir à nouveau très fortement.