flux Ecologie

Pousser les cadres à la résistance dans le monde professionnel. Crée des passerelles vers les archipels de résistances écologiques et sociales.

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08.04.2024 à 16:28
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Par des camarades agros qui désertent

« Cette brochure est un recueil, zine-annuaire rempli de témoignages d’ancien.nes étudiant.es
d’AgroParisTech et d’ailleurs sorti.es de la voie toute tracée par leur école pour exercer des activités
qui répondent à nos besoins de subsistance ou/et d’émancipation.

Si la paysannerie est probablement la voie la plus courante, on y retrouve une diversité de chemins,
de l’artisanat aux luttes écologiques et sociales en passant par le soin, l’art ou encore l’éducation.
On y retrouve aussi des témoignages à différents stades de la désertion : du chercheur engagé à la
maraîchère installée, en passant par le wwoofeur qui se cherche et la militante à temps plein.

L’objet de cette brochure est de valoriser des pistes qui sont rarement connues des étudiant.es en
école pour ouvrir le champ de vision. Elle cherche à mettre en lumière des voies qui permettent
peut-être d’échapper, voire de renverser la place d’élite réservée aux ingénieur.es.

Ce qui suit n’est qu’un aperçu, bien évidemment non-exhaustif, de la multitude de perspectives
joyeuses et subversives qui s’offrent à nous. Elle s’adresse à toutes celles et ceux qui doutent et en
espérant qu’elle vous donnera envie d’explorer d’autres voies.

L’initiative de cette brochure vient de trois des étudiantes ayant porté le discours lors de la remise
de diplômes d’AgroParisTech, à vous de vous en emparer, la faire circuler, la compléter ! »

L’article « De quelle vie voulons-nous ? » est apparu en premier sur Vous n'êtes pas seuls.

24.03.2024 à 23:01
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À la Martinique, le mouvement rastafari est longtemps resté à l’ombre de ses dreadlocks et fumées de ganja. Pourtant, tout autant que sous un cocotier, c’est aussi au sein d’un jardin autonome en fruits et légumes sains que le mouvement vise à s’émanciper d’un système oppressif. Paysannes, artisans, artistes, certains travaillent la calebasse quand d’autres tressent le bakoua, taillent leurs propres vêtements, et cherchent à vivre d’échanges, de spiritualité et d’autonomie, dans une approche profondément respectueuse du vivant.

L’autosuffisance : alimentaire, matérielle, et spirituelle donc ; le plus loin possible des sirènes et des chaînes de Babylone. Or il n’y a nulle part où fuir ce système et ses déjections. Empoisonnement de l’air et des cours d’eau, marée de sargasses, de bétons et de bananes, le modèle industriel nous rend captifs. Il entrave notre émancipation collective. Brûle, Brûle, Babylone brûle🔥

L’article ERA#12 : L’autosuffisance est apparu en premier sur Vous n'êtes pas seuls.

31.01.2024 à 11:49
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Vous ne les attendiez plus et pourtant les revoilà ! Vos naturiens préférés sont là où vous les aviez laissé, dans la forêt tropicale martiniquaise, à expérimenter différentes techniques de permaculture et d’auto-construction autour du bambou. Vous les retrouvez dans ce nouvel épisode, entourés d’ami·es cultivateurs professionnels ou amateurs, s’aventurant dans la pratique d’entraide martiniquaise appelée koudmen. Autrement dit, c’est le système d’échange non monétarisé, basé sur le don et le contre-don. Face à la main mise de l’agrobusiness sur notre système alimentaire, qui non content d’empoisonner le vivant, soumet nos derniers paysans et paysannes, et les détruit à petit feu, le retour à ces savoir faire solidaires sont plus que jamais d’actualité !

L’article ERA#11 : Le koudmen est apparu en premier sur Vous n'êtes pas seuls.

05.12.2023 à 12:51
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Moins de 25% des français-es considère aujourd’hui la « valeur travail » comme centrale dans leur vie. Ils étaient 60% en 1990 (Sondage Ifop, 2022).

En cette période de post-confinement et de réforme des retraites, assiste-t-on à un changement de paradigme ? De la désaffection de la valeur travail à un vrai changement de vie, certain-es ont franchi le pas.

Quitter le monde du travail de manière temporaire ou définitive, penser des alternatives, qui a fait ce choix, pourquoi et surtout comment ? À travers 6 témoignages, Taf Punk part à leur rencontre en proposant un regard critique et inédit sur ce thème.

L’article TAF PUNK : le podcast qui déconstruit le travail est apparu en premier sur Vous n'êtes pas seuls.

17.10.2023 à 11:25
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Xavier a démissionné de la société Suisse Bechtle, où il travaillait comme ingénieur en cybersécurité pour le groupe TotalEnergies. Dans cet entretien, il revient sur les raisons de sa démission qu’il souhaite inscrire dans un geste de résistance contre EACOP et la major pétrolière. Des limites du changement de l’intérieur au déni de la direction, des efforts risibles pour convaincre en interne au malaise qui gagne les salariés, Xavier nous fait pénétrer dans les rouages idéologiques et matériels de cette organisation qu’il a connu de près, depuis les bureaux de la branche trading Gaz&Power, à Genève.

L’article « Il vaut mieux déserter Total que le vivant ! » est apparu en premier sur Vous n'êtes pas seuls.

14.10.2023 à 17:36
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Texte intégral (5510 mots)

Après trois ans de formation en alternance en conduite de travaux sur des chantiers de restauration des monuments historiques, Tom est depuis six mois conducteur de travaux chez Riversen et actuellement en mission chez Eiffage, sur un projet d’écoquartier neuf. Face à l’absurdité et à l’inertie de tout un secteur où règne l’exploitation de travailleurs précaires et un cynisme assumé quant au rôle de la construction dans le ravage écologique, il décide aujourd’hui de prendre la parole.

Bonjour Tom, peux-tu revenir sur ta formation ? Le métier de conducteur de travaux ?

Poussé par ma famille et mes enseignants, j’ai pris le chemin classique de l’ingénieur : prépa (physique et sciences de l’ingénieur), puis une école d’ingénieur en BTP (Bâtiment et travaux publics). J’aime les sciences, mais il me manquait une ouverture sur d’autres domaine. J’ai trouvé une école en alternance qui me permettais de faire 3  ans entre les cours et l’entreprise. 

Les enseignements y sont généraux pour donner une culture des métiers du BTP moderne : électricité, voirie, génie civil, administration de chantier, droit de la construction, etc… En tout cas, bien peu de choses pour comprendre les méthodes de construction employées dans les monuments historiques où je faisais mon alternance. 

Un conducteur de travaux est typiquement une personne de terrain qui fait le lien entre l’architecte, le propriétaire (ou exploitant) et les compagnons. C’est un métier de relations humaines avec son lot d’administratif, de technique et d’organisation. Au quotidien, on devient aussi les représentants de l’entreprise, de sa politique et sa vision du monde face à toutes les personnes qu’on cotoie, c’est-à-dire qu’on choisit soigneusement ses mots ou qu’on ment par omission aux architectes ou aux compagnons par exemple.

Comment as-tu vécu ton expérience en conduite de travaux dans la restauration des monuments historiques ?

Je pense que j’ai eu de la chance de commencer par là. Il y a quelque chose de passionnant à comprendre les méthodes de construction des monuments historiques. J’aime bien dire que c’est un métier à l’intersection entre l’art, l’histoire et la technique.

J’y ai vu l’intelligence des compagnons mise à profit du chantier, j’ai vu des gestes et des techniques qui ont permis d’édifier des châteaux et des cathédrales. 

Là où certains voient la gloire de l’histoire française, moi, je me suis fasciné pour le savoir pratique et par ces petits gestes apparemment simples qui ont montré leur durabilité. (Attention au biais qui voudrait que les monuments historiques soient parfaits ! Ils ont plein de défauts et beaucoup se sont effondrés sur eux-mêmes… mais disons que ceux qui restent fonctionnent encore assez bien). La construction était historiquement pensée pour durer plusieurs générations, ou à défaut, pouvoir les adapter aux nouvelles éxigeances comme l’ont fait les chateaux. Pour durer dans le temps, il est nécessaire de pouvoir réparer ce qui s’abîme, et ça impliquait que chacun ait un socle de compétences pour entretenir son habitation. Ainsi, remplacer des briques, une pierre ou une poutre sera toujours plus accessible que le remplacement d’une dalle de sol ou un mur en béton armé.

A titre de comparaison, dès la conception de nos bâtiments modernes, les dimensionnements des structures envisagent une durée de vie 50 ans pour les constructions courantes et de 100 ans pour les constructions stratégiques et monumentaux. C’est-à-dire qu’on imagine que la structure se sera utile que pendant 50 ou 100 ans avant de devoir détruire… à moins de faire un lourd diagnostic parce que le béton ne sera plus garanti. Ces mesures initialement pensées comme des mesure de sécurité empêchent complètement de se projeter vers un système plus pérenne de bâtiment multi-usage. Un jour immeuble de bureau, demain résidentiel, et dans 3 générations serre verticale.

Tu entres ensuite chez Riversen, une société de conseil en ingénierie spécialisée dans les métiers de la construction. Comment expliques-tu que des ingénieurs formés à l’opérationnelle se retrouvent dans des sociétés de conseils ?

Les entreprises de conseil ont de bons arguments pour les jeunes ingénieurs. À la différence de l’intérim, elles proposent des CDI. Et puis ça permet de voir le fonctionnement de plusieurs entreprises, de se faire un réseau et théoriquement, de faire évoluer les carrières, missions par missions vers l’objectif de l’ingénieur-conseiller lui-même. 

Il faut préciser que le terme de consultant est trompeur dans le BTP : ils jouent souvent le rôle d’un conducteur de travaux lambda et évitent à l’entreprise cliente de passer par une embauche… On peut voir ça comme un poste d’ingénieur-mouchoir. On l’utilise à fond pour une courte durée, on le teste éventuellement et si ça ne marche pas, on le jette. Et dans tout ce processus, le recours aux consultants bloque la montée en hiérarchie des chefs de chantier (puis en conséquence, des chefs d’équipe et des compagnons).

J’ajoute que dans d’autres pays comme en Allemagne, il est obligatoire d’avoir au minimum 2 ans d’expérience de terrain avant de prétendre à un poste de conducteur de travaux. ça me semble plus sain que la méthode française qui tend à donner aux ingénieurs le sentiment que leur diplôme prévaut sur l’avis des compagnons les plus expérimentés. Il faut valoriser les compétences acquises sur le terrain, sortir les compagnons du paternalisme qui les renferme et leur donner accès des postes à responsabilité dans leur carrière.

Finalement, tu es placé en tant que conducteur de travaux sur un projet pas très exotique mené par d’une des quatre majors de la construction. Quelles grandes différences avec ton expérience dans la restauration des monuments historiques ?

Par rapport aux chantiers de restauration, j’ai constaté beaucoup plus de violences dans la construction neuve. D’abord parce qu’on m’a rapidement demandé d’imposer les exigences de l’entreprise par les menaces et puis parce qu’il existe toute une série d’outils pour mettre les menaces en application.

Ce sont des chantiers où les majors du BTP sont obligés de passer par des plus petites entreprises pour trouver la main d’œuvre, et celles-ci sont obligées de se soumettre financièrement et juridiquement. Alors que j’étais pourtant habitué à la paperasse et à la documentation au vu des exigences d’archives pour les monuments historiques, j’ai été submergé par l’omniprésence de la bureaucratie comme outil de pouvoir. Chaque mail est un outil pour mettre en faute les sous-traitants ou les autres entreprises du chantier. C’est l’illustration de la violence de la technocratie.

L’autre différence c’est le discours sur l’écologie. Paradoxalement, c’est bien un thème discuté alors qu’il est totalement absent des chantiers de restauration… et en même temps, les décisions les moins polluantes d’un chantier moderne seront nettement plus impactantes que les opérations les plus polluantes des chantiers de restauration. En MH, on ne discuterait pas de créer des jardinières de 3m³ en béton pour 3 pauvres plantes trop sérrées, mais l’élévation d’une nouevelle charpente avec un camion grue sera à la fois plus utile et moins polluant.

Les exigences de planning et de rentabilité des promoteurs crée des situations absurdes qui forcent les entreprises à précipiter certains travaux, qui sont ensuite refusés pour des défauts. Les promoteurs ont ainsi exigé de refaire intégralement un parvis déjà en béton (donc très polluant) avec près de 100m³ de béton… alors que des alternatives moins esthétiques mais moins polluantes existent.

Eiffage Construction, c’est 4 milliards d’euros de CA en 2021, un petit empire en somme. Comment cela se passe au quotidien sur les chantiers ? Quelles conditions de travail pour les ouvriers du bâtiment ?

On retrouve une structure hiérarchique commune dans les entreprises du bâtiment : compagnons (spécialisés selon leurs compétences), chefs d’équipes, chef de chantier, conducteur de travaux, directeur de travaux, directeur régional. L’ensemble est quasiment exclusivement masculin, la majorité des femmes dans le BTP étant souvent cantonnées à des fonctions de support, plus rarement à des postes d’ingénieures ou d’architectes. 

Au sein de l’entreprise, une vie sociale est organisée parmi les cadres (à partir des conducteurs de travaux) et ça crée un véritable sentiment de déclassement, notamment lors des évènements de fin d’année qui séparent explicitement les métiers. Il y a heureusement une forte activité syndicale et les représentants du personnel sont écoutés et respectés, même si des tensions apparaissent.

Les choses deviennent nettement plus alarmantes quand on s’intéresse aux intérimaires et aux sous-traitants. Les intérimaires sont les variables d’ajustement des chantiers. Si beaucoup de personnes acceptent de travailler en intérim, c’est souvent une question de salaire, mais qui se compense par une précarité qui fait peur à voir. Du jour au lendemain, il est possible de ne plus lui confier de travail sans lui laisser le temps de chercher une prochaine mission (qu’il doit bien souvent trouver par lui-même). J’ai vu des intérimaires qui demandent d’eux-même à travailler sur l’heure de pause malgré l’interdiction par manque d’argent et parce qu’ils n’ont même pas de quoi se payer le sandwich. 

Quant aux sous-traitants, on commence par pointer du doigt le moindre petit défaut sur leur travail, les compter, matraquer de mails pour rappeler les échéances de planning et en faire de la paperasse qui pourra être utilisée pour ne pas les payer !

Ces dernières années, petites et grandes communes ont vu fleurir une myriade de projet de construction neuve baptisés « écoquartiers ». Peux-tu nous dire ce qui caractérise un écoquartier ? Selon toi, cela participe-t-il à maintenir le même cap ?

Je vais directement citer la définition du site gouvernemental du ministère de la Transition Ecologique : « Un ÉcoQuartier est un projet d’aménagement durable multifacettes, qui intègre les enjeux et les principes du développement durable à l’échelle de la ville ou du territoire. » Étonnamment (ou pas), il n’y a aucune définition légale de l’EcoQuartier dans la loi. Il y a cependant des axes pour l’aménagement des villes et des territoires mais qui doivent être appliqué dans tous les nouveaux projets, EcoQuartier ou non !

On apprend sur le site qu’il y a 20 critères dévaluation qualitatifs et quantitatifs pour obtenir le label . Mais à cela, 2 remarques qui font grincer des dents : on peut qualifier un projet d' »EcoQuartier » sans même chercher à obtenir le label et les critères qualitatifs n’imposent aucun seuil de réussite ! Il suffit d’avoir fait le calcul.

Je reproche donc l’abus de ce mot qui permet aux promoteurs de s’acheter une bonne conscience. Même si on peut se réjouir d’une prise de conscience que l’aménagement urbain tient un rôle majeur pour la transition écologique, on ne peut pas se contenter de construire toujours plus sans transformer ce qui existe déjà. Le quartier le plus écologique, c’est celui qu’on ne construit pas. On peut se tourner vers la rénovation et le renouvellement des quartiers existants. En raison des travaux, ça sera évidemment polluant mais nettement moins que de faire sortir de terre un quartier complet surtout lorsque qu’on considère la disparition des ressources et la gestion des déchets. /rehabilitation_vs_construction_neuve.pdfhttps://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/part-des-logements-vacants

Pour être tout à fait honnête, je ne vois qu’un seul avantage à cette publicité pour les écoquartiers : c’est de les rendre plus attractifs que les quartiers pavillonnaires. Ces derniers prennent énormément de place sur le territoire pour loger quelques familles loin des centres urbains en maisons individuelles avec petit jardin, créant une dépendance à la voiture, amplifiant l’artificialisation des sols, impactant les surfaces agricoles et naturelles, et en supprimant toute mixité économique et sociale dans la ville.

Selon toi, les cadres des entreprises de construction ont-ils conscience des conséquences mortifères de leur secteur d’activité ? Comment expliquer le décalage entre des changements de vocabulaires avec des mots comme « écoquartiers » et l’inertie dans la pratique et notamment la construction de neuf ?

Je pense qu’il y a une conscience écologique émergente mais peu plébiscitée dans le BTP. Les solutions évoquées sont encore trop souvent portée sur la technologie comme seul levier d’action avec des matériaux recyclés mais sans remise en question de la construction elle-même.  Dans le milieu professionnel et en formation, aucun salarié ou futur salarié n’est invité à penser les alternatives à la construction neuve. Personne n’entend parler d’auteurs critiques comme Anselm Jappe.

Les cadres ont souvent conscience que la réhabilitation de l’existant est utile, mais la croyance populaire qu’il faut construire plus pour résoudre les problèmes de logement continue de financer la construction de quartiers complets. Donc la réhabilitation est déjà un secteur bien couvert par les majors du BTP mais tant qu’il y aura une politique de construction neuve, le secteur se cachera derrière le terme d’écoquartier pour se justifier.

Il y a pourtant des ressources en logements très mal exploitées. La France est le numéro 1 mondial en pourcentage de résidence secondaire (10% des logements), dont les 2/3 appartiennent à des personnes de plus de 60 ans. Même si ces résidences secondaires sont mal situées, loin des centres économiques ou en zones rurales, ça veut dire qu’il y a autant de logements principaux qui pourraient profiter à des personnes en recherche d’un « logement-tout-court ».

On peut rappeler que tout les espoirs financiers des promoteurs immobiliers dépendent de cet attrait pour le neuf. Les nouveaux logements sont revendus aux ménages déjà les plus aisés qui accumulent toujours plus de biens et laissant s’aggraver la situation inflationniste en faisant croire que les personnalités publiques auraient pourtant fait tout ce qui était en leur pouvoir. Malgré la politique constructionniste de nos gouvernement successifs depuis les années 60, la Cour Européenne des Droits de l’Homme condamne en 2015 la France pour non respect du droit au logement.

Quelle marge de manœuvre sur un projet pour un conducteur de travaux ? Faut-il déserter l’industrie du bâtiment ? Si on imaginait un petit manuel Comment saboter un projet de construction neuf, aurais-tu des pistes ?

 A l’échelle du conducteur de travaux, je suis adepte de la bonne entente sur le chantier, peu importe la culture d’entreprise et l’esprit de concurrence. C’est déjà un niveau important puisque c’est un lieu de travail pénible où il y a de fortes frictions entre les métiers, mêlé à du racisme ordinaire et du sexisme. ça me semble essentiel d’humaniser les compagnons, de les informer de leurs droits et les protéger quitte à ce que ça coûte cher au chantier. L’inspection du travail est joignable par un simple appel téléphonique et peut lourdement pénaliser le chantier en cas d’irrégularité.

Je souhaite aussi que les jeunes étudiants puissent prendre la parole et normaliser leur refus de travailler pour les majors du BTP comme l’ont fait les étudiants d’Agro ParisTech dans leur secteur ou à Polytechnique .Ce discours n’est pas encore audible dans toutes les écoles d’ingénieurs.

Pour le sabotage, ça me semble être un exercice périlleux risquant de polluer davantage, de générer des tensions entre les compagnons ou de faire perdre confiance à sa hiérarchie en contrepartie. C’est pour cela que les enjeux de sécurité sont particulièrement importants car on peut facilement y mêler une dimension écologique tout en impactant fortement les plannings qui sont le nerfs de la guerre… On peut donc user du pouvoir rapide et très imposant de l’inspection du travail de son côté en restant irréprochable. Bon à savoir, on peut demander à l’inspection du travail de nous garder anonyme et les tenir informés de la situation sur le chantier.

Une autre stratégie d’action directe pourrait considérer le blocage des fournisseurs de matériaux de construction. L’exemple spectaculaire de l’usine Lafarge illustre à la fois la dépendance du secteur du BTP à cette usine et l’importance du capitalisme de maintenir le système tel qu’il est. Il n’existe pas d’alternative. S’il n’a fallu qu’une poignée de jour pour remettre l’usine à flot, les conséquences sont sans doute nombreuses pour plusieurs dizaines de chantiers dans la région.

En fait, les débits de bois de constructions, les ports d’approvisionnement en sables, les centres logistiques de barres d’acier sont autant de points sensibles qui ont l’avantage de ne pas impacter les travailleurs en première ligne. En effet, les répercutions financières ne pourront être imputées aux petites entreprises sous-traitantes et resteront des enjeux d’assurances et de contrats entre les majors de la construction et de leurs fournisseurs.

Que t’inspire la répression anti-terroriste des militants qui tentent de mettre hors d’état de nuire une usine de Lafarge ?

Ca me glace le sang. Je ne comprend pas que cette action militante puisse être mise sur un pied d’égalité avec le terrorisme qui s’attaque aux personnes. Une dégradation matérielle ciblée ne devrait pas être comparée au terrorisme d’extrême droite quand celui-ci tabasse les personnes LGBT ou au terrorisme islamiste avec ses attaques armées.

Je pourrai comprendre une accusation de vandalisme de la part d’un gouvernement capitaliste. Mais quand on sait que Lafarge a plaidé coupable pour sa complicité avec l’Etat Islamiste et Al-Quaida depuis sa filiale syrienne, c’est franchement cynique comme réaction.

A l’inverse, je trouve que s’en prendre à l’usine est une stratégie écologiquement très pertinente en empêchant la pollution directe émise pour la fabrication du ciment, mais en plus socialement responsable puisque les salariés de l’usine n’ont pas perdu leur salaire, ni les compagnons sur la chantiers qui n’ont pas reçu la marchandise.

Dans un futur probable, imaginons que l’usine ferme quelques jours en raison d’un rationnement d’énergie. Sur qui lancerons-nous les brigades anti-terroristes ?

Par quels moyens, quelles actions, et à quel niveau faut-il agir pour sortir de l’impasse entre l’attente de décisions fortes émanant de l’État – qui ne peut se permettre de contrarier les intérêts industriels et financiers – et celle de l’écologie des petits gestes ?

En tant que citoyen.nes, on a accès à des niveaux intermédiaires pour limiter la nuisance des nouveaux projets. Dans son voisinage et dans un délais de 2 mois, on peut s’adresser à un tribunal administratif si le projet vous porte préjudice ou contrevient aux règles d’urbanisme. Si le projet met en péril l’environnement ou le paysage, c’est le tribunal judiciaire. Il faut donc rester vigilent aux nouveaux panneaux de chantiers qui annoncent le type de travaux prévu dans son voisinage.

Plus rarement, les mairies peuvent lancer des consultations publiques souvent annoncés sur leur site web ou sur quelques panneaux d’information. La consultation peut prendre la forme de questionnaires, de réunions publiques ou de conférences. A cette occasion, il est possible de mobiliser une forte contestation mais cela implique d’avoir un œil sur la communication de la mairie, en comptant sur sa bonne volonté et sa sensibilité politique.

Enfin, nécessitant plus d’organisation, il est possible d’agir dès la phase de consultation des entreprises. Pour tout chantier organisé par une autorité publique (état, région, département, mairie ou établissement), on ouvre un appel d’offre sur une des plateformes dédiées pour mettre les entreprises en concurrences.

L’architecte et le propriétaire (ou gestionnaire) doivent fournir publiquement un Dossier de Consultation des Entreprises (DCE) qui explicite les travaux prévus et leur méthode. Dans ce DCE, on trouve toutes les règles pour postuler au marché sans condition d’expérience, il sera par contre toujours demandé :

  • un mémoire technique (qui témoigne de vos compétence)
  • une Décomposition de Prix Global et Forfaitaire (DPGF) : une trame issue du DCE à remplir pour chaque tâche à réaliser
  • une lettre de motivation,
  • une déclaration sur l’honneur,
  • votre Kbis
  • autres attestations légales et fiscales

Après soumission de votre candidature, tous les dossier devront être lus par l’architecte et le propriétaire. Les dossiers non recevables n’auront évidemment pas le chantier… mais si une pluie de dossiers d’apparence pertinents révèlaient une contestation organisée contre le projet ? Et si les candidats sérieux étaient noyés sous les fausses candidatures ?

Et coup de chance, il y a plétore de tutoriels pour soumettre une bonne candidature, soit tout autant pour soumettre des parodies https://www.obat.fr/blog/appels-d-offres-batiment/

La quasi totalité des programmes politiques, à gauche comme à droite, suggèrent de construire toujours plus de logements neufs. Entre 2012 et 2022 le nombre de personnes sans abri a doublé en France. Comment se fait-il qu’on ait ce besoin de construire toujours plus et en quoi est-ce problématique ?

Construire plus semble être une réponse efficace en théorie. La réalité, c’est que les nouveaux logements ne bénéficient pas à ceux qui en ont besoin : résidences secondaires, logements trop chers, ou situés sur des terrains pas chers et loin des emplois.

En fait, construire plus, c’est un jeu capitaliste qui continue à financer ceux qui ont déjà de l’argent et ne rend vraiment pas service aux personnes sans abri, ou vivant dans des conditions insalubres ou en surpopulation. La part des logements sociaux dans les constructions neuves diminue malgré cette augmentation de personnes sans abri que tu rappelles. Et parmi les logements privés, il est de plus en plus attendu d’avoir le soutien financier de ses parents pour les caution, surtout à Paris.

Et pendant qu’on construit plus, on accepte que les centre-villes deviennent un terrain de jeux pour l’investissement entre les propriétaires. Il me semble qu’on ne devrait pas laisser personne jouer leur enrichissement sur la question du droit au logement des plus pauvres. On a besoin d’autres rêves et de meilleurs récits pour imaginer notre « chez soi ».

Du fait de la forte dépendance au marché de l’immobilier et a fortiori de l’industrie mortifère de la construction pour avoir un toit sur la tête, se loger est la première raison qui force les humains vers le travail comme marchandise, responsable de l’aliénation des individus et de la destruction des conditions de vie sur terre. Comment sortir de cette double impasse écologique et sociale ?

Ce qui est construit a déjà pollué, c’est fait. Les solutions de recyclages du béton n’est pas viable parce qu’il nécessite une portion de nouvelles matières premières (maximum 62% actuellement en France) : on ne peut donc pas recycler entièrement les bâtiments, et même si on y arrivait, on pollue encore dans le processus par la destruction, le nouveau mélange, le chantier et le transport.

La solution, c’est donc d’entretenir et d’adapter intelligemment ce qu’on a. On peut assouplir les conditions de passage des bureaux en logements, mettre fin à l’héritage des biens immobiliers si on en possède déjà un, faire la chasse aux logements vacants, offrir une stabilité ou une formation dans des métiers durables aux professions du BTP. On peut aussi valoriser la résilience, s’éduquer sur les méthodes de construction locales qui ont permis de loger tant de générations avant l’arrivée du béton, mettre en valeur le patrimoine local et faire réver nos enfants et les jeunes qui cherchent leur orientation.

Pour apprendre sereinement à utiliser ces mains et à se faire confiance :

Il existe aussi des MOOC pour se former chez soi aux techniques de construction durable, et pour tous les niveaux, de la simple curiosité à l’expertise professionnelle : https://www.mooc-batiment-durable.fr/

Malgré les avis très contradictoires de notre époque sur nos constructions, il ne fait aucun doute que nous les lèguerons aux prochaines générations… et quitte à transmettre l’état existant de nos villes, autant apprendre à s’en saisir, se les réapproprier et à les modifier.

Artificialisation de sols vivants, utilisation de matériaux extrêmement polluants, surconcentration en zones urbaines sont autant de conséquences de la façon qu’a la société industrielle de construire et d’habiter la terre. Quelles formes d’habitats et de construction pour des existences plus libres et durables ?

Tout n’est pas à jeter dans la ville. Le concept d’immeuble (qu’il soit en béton ou non) permet de réduire l’occupation et l’artificialisation du sol. Il permet aussi une économie de matériaux et d’énergie par rapport à un mode de vie en maison individuelle (cf les insulae, immeubles de l’antiquité romaine). En revanche, je crois qu’il faut réinventer ces lieux pour qu’ils soient encore meilleurs dans ce qu’ils sont : inventer des lieux de vie commune sur le pallier, le partage des machines, des outils et moyens de déplacement. Il s’agit enfait de se réapproprier tous les avantages des immeubles qui ont été dévoyés pour servir de séparateur social et largement accompagné par le plan Haussmann de Paris (de haut en bas commerce/stockage/bourgeois avec balcon/puis les classes de plus en plus pauvres jusqu’aux chambres de bonnes dans les combles).

Pour encourager une dynamique optimiste et collective, on peut imaginer l’interdiction des plus-value à la revente d’un bien. On peut normaliser le déménagement dans des logements plus petits quand les enfants quittent le domicile familial. Là où certaines familles vivent entassés, d’autres occupent des espaces gigantesques qu’ils ne quittent pas par fierté. Je porte cet idéal d’immeubles intergénérationnels et avec plusieurs niveaux sociaux où on peut faire famille avec des amis. On a besoin de répartir dans tout le pays et toutes les rues les logements qui serviront aux étudiants, aux personnes âgées, aux familles et aux couples en séparation.

Combien de personnes ont la même caisse à outil dans votre immeuble ? Est-ce que chacun a besoin d’une machine à laver qui ne tourne qu’une à deux fois par semaine chez soi ? Et si vous connaissiez assez bien votre voisine à la retraite pour lui laisser votre enfant le temps d’aller au cinéma ? C’est une vision de la coloc XXL, mature et socialement responsable.

On ne peut pas se contenter de progresser par petit pas, on a besoin de sauts de géants et de créer collectivement des espaces de vie qui donnent envie.

Quels sont tes projets ? Comment envisages-tu la suite, à court et moyen terme ?

Depuis cette expérience dans le consulting, j’ai déménagé en Allemagne et changé de métier. Je suis devenu restaurateur en maçonnerie pour les monuments historiques. J’avais à cœur de découvrir un autre patrimoine et d’autres manières de construire. Et puis c’était important pour moi d’exercer un métier manuel, de prendre de comprendre les contraintes et le savoir-faire.

Dans un monde où tout on a besoin de renoncer largement à notre confort moderne, ne serait-ce que pour des question de subsistance et d’égalité sur un territoire, il sera important de savoir comment on entretient ce qu’on a déjà sous la main. On ne sait jamais !

 A moyen terme, je projette de monter un projet sous forme de coopérative et de financer mon rêve d’immeuble collectif.

Quel conseil ou quel message aimerais-tu faire passer à des étudiants ou des salariés du BTP qui se posent des questions ?

Si vous avez choisi le BTP, c’est certainement pour l’impact que vous avez sur ce qui se passe autour de vous. Choisissez donc attentivement où vous placez votre énergie et vos compétences.

Les grosses entreprises auront du mal à vous offrir une qualité de vie que vous cherchez. Les horaires resteront très exigeants (je faisais 55 h/semaine) et si en plus votre travail va à l’encontre de vos valeurs, alors cherchez mieux. C’est d’autant plus épuisant de travailler dans un milieu avec lequel vous êtes en désaccord.

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05.10.2023 à 10:11
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Texte intégral (559 mots)

Des centaines d’organisations travaillent depuis des années pour mettre fin à EACOP. Ce méga-projet pétrolier, sur le point d’être construit en plein cœur de l’Afrique par TotalEnergies (ci-après « Total »), est une arme de destruction massive du climat, du vivant et des peuples, notamment Ougandais et Tanzaniens.

Dans la continuité des luttes engagées contre cette catastrophe, le collectif VNPS, soutien de la coalition StopEACOP, lance une campagne à l’attention des salarié.es de Total, mais aussi des autres parties prenantes clefs du projet : Crédit Agricole, sa filiale Amundi, BlackRock (parmi les premiers actionnaires de Total); Standard Bank, ICBC (principaux conseillers financiers sur EACOP) ; Agricultural Bank of China, Goldman Sachs, Bank of America, Lloyd’s of London (banques et assureurs n’ayant pas confirmé leur retrait d’EACOP) ; Daqing Oilfield Company, Worley, Bolloré Logistics (principaux prestataires de construction d’EACOP); et tant d’autres.

Si vous travaillez pour l’une de ces entreprises (ou l’un de leurs sous-traitants) et que l’idée de participer, même indirectement, à ce crime vous révulse ; si vous voulez diffuser des informations capables de contrecarrer ce projet ; si vous souhaitez transformer votre démission en un acte politique, écologiste et entrer en résistance contre ce monde : vous n’êtes pas seul.es. Contactez-nous !


Notre entretien Mr Mondialisation sur les enjeux de la campagne DESERT’EACOP

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24.09.2023 à 11:54
VNPS
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Entre les pénuries, les guerres, l’inflation, et les désastres écologiques en chaîne, la reprise en main de ses conditions de vie matérielles (se nourrir, se chauffer, etc.) n’a jamais été aussi urgente. Répondre soi-même à ses besoins énergétiques, en cuisinant de façon autonome, sobre, avec un impact limité sur sa santé et son environnement, c’est à ce besoin que notre ami Arjuna a répondu.

Comment s’y prendre ? Par où commencer ? Arjuna a développé une formation qui prend la forme d’un atelier pratique, dont les techniques présentées sont faciles à mettre en œuvre et à la portée de tout le monde. Matériaux, outils et méthode de fabrication : il s’agit de faire par soi-même, ensemble, retrouver des gestes simples, le partage, le respect des ressources, et in fine, retrouver plus de liberté. Entourés de nos camarades de luttes et amis, c’est en une journée que nous avons finalisé la construction de ce superbe réchaud. Encore merci à elles et eux.

Une documentation gratuite et en accès libre est disponible sur notre site afin d’encourager l’autoconstruction de réchaud en argile dans tous les jardins de Martinique, et partout ailleurs où l’on a soif d’autonomie.

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04.09.2023 à 17:50
VNPS
Texte intégral (7055 mots)

Face à la production d’une industrie mondiale qui a tout intérêt à recouvrir toute parcelle disponible de centrales solaires, il y a eu le rêve de l’énergie solaire, artisanale et individuelle. Finalement, une dépendance accrue à l’ordre électrique centralisé ? Et à une production presque 100% chinoise ? 

Pour moi la technologie photovoltaïque en elle-même peut trouver des usages pertinents, notamment à l’échelle artisanale et individuelle (bâtiments isolés, autoconsommation etc) mais il est clair que le photovoltaïque n’est qu’une illusion d’indépendance dans la mesure où ce n’est pas une technologie appropriable par chacun, qu’il n’y a pas de possibilité « low-tech » comme en éolien par exemple. Effectivement aujourd’hui la production de panneaux est surtout asiatique, mais si on réduisait drastiquement les volumes demandés on pourrait peut-être faire du petit PV individuel fabriqué en France ? A voir à quel prix… 

CEA, EDF, TotalEnergies.. Les mastodontes du pétrole et du nucléaire se sont emparés du changement climatique pour rendre presque désirable ces champs photovoltaïques. La filière s’organise d’ailleurs depuis des années. C’est ça, ce qu’on appelle la transition énergétique ? 

Ma traduction du concept de transition énergétique, c’est comment produire toujours plus d’énergie (et d’argent pour les actionnaires) sans remettre en cause le modèle capitaliste et la croissance, tout en offrant une alternative aux énergies fossiles qui soit plus attractive et donne bonne conscience. Pour moi c’est un terme fumeux, tout comme « développement durable » ou « énergie propre ». C’est les mêmes entreprises qui ont dominé par le pétrole qui aujourd’hui établissent aussi leur domination par l’électricité soi-disant renouvelable, en en profitant pour redorer leur blason.  

Il y a un autre phénomène en parallèle, celui des giga-méthaniseurs. Des agriculteurs vont être incités, à produire par exemple, comme c’est le cas en Allemagne, de grande quantités de seigle pour pouvoir les alimenter. Sans parler vaste gâchis énergétique et de l’absurdité d’un tel procédé, il semble que les paysans, devenus agriculteurs puis exploitants agricoles, soient en passe de devenir des agro-énergéticiens. Leur spectre de dépendance à l’industrie (chimique, mécanique, énergétique, numérique) s’accroît sans cesse. Qu’est-ce que ça dit de notre subsistance ? De notre rapport au vivant ? 

On va vers toujours plus de non-sens, d’aliénation et d’asservissement à un système qui nous dépasse et qui nous enlève petit à petit la possibilité de tout autre choix de vie. Le vivant, que ce soit les humains, les végétaux ou les animaux, ne sont plus qu’outils de production ou matière première. L’agrivoltaisme c’est un pas de plus parmi tant d’autres déjà franchis dans la négation du vivant au profit des logiques technocrates et financières. Aujourd’hui, ce sont des gens qui ne sont même pas agriculteurs qui s’occupent de faire des projets soi-disant agricoles, à grands coup de panneaux photovoltaïques, de câbles et de pieux en acier.  Comment peut-on laisser des gens qui n’ont aucun lien avec la terre faire ce genre de projet en toute légitimité ? Je suis toujours estomaquée qu’autant de personnes ne voient aucun problème là-dedans.  

Le doux nom d’agrivoltaïsme semble être celui d’un cheval de Troie s’engouffrant à toute allure dans ce qui échappe encore un peu au système technologique. Start-up, sociétés d’économie mixte, collectivités… La filière recrute à tour de bras. Une formidable accélération avant que le vent ne tourne. Comment riposter ? Comment aider les paysan.ne.s à ne pas tomber dans le panneau ? 

Donner le plus largement accès à un contre-discours afin que les élus et agriculteurs se rendent bien compte de toutes les implications qui leur sont cachées par les développeurs, ou tout simplement aux conséquences auxquelles ils ne pensent pas. Mais honnêtement, vu le fort intérêt financier que les élus et agriculteurs ont dans ces projets, c’est rêver que d’espérer qu’ils s’y opposent massivement. Ce qu’il faudrait, c’est une réglementation qui interdit ces projets. Or aujourd’hui c’est tout l’inverse qui se passe. J’avoue que je me sens très triste et démunie face à l’adhésion des élus à ce genre de projet, ce n’est pas ce que j’attends des personnes qui sont sensées protéger les intérêts du territoire. Est-ce qu’on peut vraiment lutter quand les lois, les intérêts financiers, et le discours médiatique dominant sont contre nous ? Bien sûr il ne faut pas baisser les bras, mais c’est tout de même inquiétant.  

S’il fallait la mettre hors d’état de nuire, quels sont les points névralgiques de l’industrie ?  

Trouver des failles dans la réalisation des études d’impact et de l’enquête publique, réussir à mobiliser les élus, agriculteurs et habitants contre ce projet. Ce qui est difficile, c’est que l’opposition à ces projets est surtout basée sur des arguments environnementaux, sociaux, éthiques, et peu techniques ou financier. Du coup ça coince quand il s’agit d’opposer entre eux des arguments de nature si différente, et il revient aux auditeurs de choisir en leur conscience s’ils préfèrent donner la priorité à la préservation du foncier agricole par exemple, ou bien au fait de ramener plus d’argent à la commune. Et surtout, c’est une bataille contre le système autant que contre les projets individuellement. On entre dans des considérations plus larges que juste les projets en eux-mêmes, avec ses retombées très immédiates et terre à terre, et du coup notre discours peut sembler trop lointain pour beaucoup de monde. Comment expliquer à une personne qui n’est pas du milieu agricole tous les enjeux liés à l’agrivoltaisme ? Il faut revenir sur l’histoire de l’agriculture, ses différentes « révolutions », expliquer la mainmise des industries, les conséquences sur le foncier agricole, expliquer ce qu’est la PAC, comprendre les enjeux de la transmission de ferme… bref ça demande beaucoup de temps et d’énergie d’expliquer et de comprendre tout ça, il faut créer les espaces (médiatique et autre) et trouver des personnes pour pouvoir répandre suffisamment ces connaissances-là. Bref je penses que tous les moyens de lutte sont complémentaires et qu’il faut jouer sur tous les tableaux : contre-lobbyisme, attaques en justice, manifestations, actions directes, etc.  

On entend parler de décroissance jusque dans les amphi de HEC. En même temps, Macron annonce la relance du nucléaire, les terres agricoles sont colonisées par les développeurs de centrales solaires, TotalEnergies s’apprête à construire le plus gros oléoduc chauffé du monde. Comment, au milieu de ce spectacle macabre, sortir des gesticulations stériles ? 

C’est un peu déjà ce que j’ai dit dans la réponse précédente. Je rajouterais qu’il faut mieux s’organiser politiquement et collectivement (c’est ce qui est en train de se passer avec la formation d’une coordination nationale contre l’agrivoltaïsme), être inventifs, essayer plein de choses et voir ce qui marche ou pas. Autoriser d’autres imaginaires que ceux vendus par l’idéologie dominante. Permettre une convergence des luttes, car derrière le combat contre l’agrivoltaïsme on retrouve en fait la jonction des combats pour les forêts, l’eau, l’agriculture paysanne, pour une vraie démocratie, pour la sobriété énergétique…  

Il faut aussi faire en sorte qu’un réel contre-discours puisse avoir sa place face au discours pro-agrivoltaïsme, que ce soit dans les médias, dans les réunions publiques, dans instituts de recherche, dans les écoles, dans les entreprises, etc. Pour que les gens n’aient pas que le discours dominant comme matière de réflexion et puissent agir en connaissance de cause, et ayant pesé les arguments de chacun. Aujourd’hui ce contre-discours n’a pas la place qu’il mérite pour permettre une véritable liberté de penser.  

Face au dualisme stéril entre écologie autoritaire (il faut un état fort, dirigiste, une dictature verte) et écologie libérale (des éco-gestes pour orienter la demande), quelle autre option ? Sur quelles structures matérielles faut-il agir pour être efficace dans nos luttes ? 

Réussir à établir une véritable politique sociale et environnementale, qui pratique une écologie décentralisée plus proche des problématiques des territoires et qui prend en compte les autres luttes sociales, car il n’y a pas d’écologie sans justice sociale. Ca passe aussi par répercuter les coûts sur les vrais responsables, ceux qui tirent leur richesse du désastre qu’ils ont instaurés. Et exiger d’eux les plus gros efforts. Sur quelles structures matérielles se reposer ? Déjà rétablir une véritable démocratie en France et redonner plus de pouvoirs et de moyens aux échelles régionales, départementales et communales. Mettre fin à l’élitisme dans les institutions, en bannir les conflits d’intérêts pour les rendre objectives et indépendantes et leur donner les moyens matériels et financiers de remplir leur mission d’intérêt général. Rétablir un vrai rapport de force contre les industriels et les politiques néo-libéraux en renforçant le pouvoir des syndicats et des associations. Rendre sa liberté et son indépendance à la presse.

Transcription Radio Zinzine (31/08/2023)

RZ : Bonjour Valentine, est-ce que tu peux nous présenter ton parcours ?

Je suis issue d’une école d’ingénieur, formation génie énergétique et environnement. J’ai atterri dans cette entreprise pour mon stage de fin d’études. Je n’étais pas encore très engagée à cette époque. Les énergies renouvelables collaient a priori à ce que j’imaginais d’un métier d’ingénieure pas trop dégueu. Quand je suis arrivée dans cette entreprise, je travaillais sur des projets photovoltaïques sur ce qu’on appelle des terrains dégradés : anciennes décharges, anciennes carrières, réhabilitations de friches industrielles, etc. Ca m’allait plutôt bien, donc j’ai été embauchée à la suite de mon stage.

Puis il y a une une énorme bascule autour de l’année 2022, où en quelques mois, on m’a demandé de pratiquement convertir toute ma prospection des terrains dégradés vers les terres agricoles, qui sont beaucoup faciles à installer en photovoltaïques pour les développeurs de projets et beaucoup plus rentables. On m’a également demandé à ce que la surface minimale que je prospecte soit multipliée par 5 en quelques mois. Je me rendais de plus en plus compte de toutes les dérives, de toutes les limites, de toutes les atteintes à l’environnement et aux personnes que ces projets auxquels je participais avaient.

Dans un premier temps, j’ai essayé ce truc dont on nous parle beaucoup en école d’ingénieur : changer les choses de l’intérieur. C’est-à-dire qu’il faut occuper ce genre de postes pour sensibiliser sa hierarchie, ses collègues, donner au projet l’orientation qu’on souhaite. Ainsi, malgré le fait que je n’étais plus en accord avec ces activités depuis un moment, je suis encore restée quelques mois, sans résultat. J’ai donc fini par partir et maintenant je préfère m’engager vraiment en parler de ce que j’ai vu depuis l’intérieur de ces entreprises.

RZ : Quelle définition donnes-tu de l’agrivoltaïsme ? Il y avait le photovoltaïque au sol, et maintenant il y a quelque chose d’assez flou visant à donner un argumentaire de complémentarité entre production d’électricité et production agricole.

La définition d’agrivoltaïsme n’est pas encore très claire. Elle est laissée volontairement floue pour laisser aux industriels et à l’État les marges de manoeuvres possibles. La définitions que les développeurs utilisent c’est « synergie entre production d’électricité et production agricole », ou des « projets photovoltaïques au sein desquels le projet agricol reste viable et significatif. Ce qui est entendu par là, c’est l’installation d’une centrale photovoltaïque sur des terres agricoles, tout en faisant des adaptations nécessaires pour que l’activité agricole puisse perdurer en dessous. Souvent, cela va être du pâturage ovin, ou bovin. Parfois, il y a des centrales un peu plus innnovantes comme ils disent, qui vont s’essayer à du maraîchage, de l’arboriculture, de la vigne ou de la culture de céréales. Quand j’ai quitté le secteur il y a quelques mois, c’était encore principalement du pâturage. Les adaptations agricoles par lesquelles cela passe, en général c’est : espacer plus les rangées de panneaux et surélever les panneaux pour que les animaux soient plus à l’aise et que le passage des machines agricoles soit plus aisé.

RZ : On parle de quelle hauteur ?

Franchement, cela dépend. Pour les moutons, la hauteur du panneau peut être entre 80cm et 1m20. Pour les bovins, on va rechercher en moyenne 2m de haut pour le bas du panneau. Mais il va y avoir aussi des panneaux fixes ou des panneaux mobiles, des panneaux inclinés ou des panneaux verticaux. Le photvoltaïque est une technologie très adaptable, très modulable. On pourrait faire beaucoup de choses en termes d’adaptations agricoles. Le problème c’est que ces adaptations coûtent de l’argent aux développeurs et donc ces derniers essaient quand même de limiter les adaptations pour que le projet reste très rentable. Pour revenir sur l’historique, le photovoltaïque existe depuis longtemps. Le photovoltaïque au sol depuis longtemps aussi. Cela s’est d’abord développé principalement sur ce qu’on appelle les terrains dégradés. Mais comme ces terrains dégradés concentrent une énorme pression concurentielle parce qu’ils étaient visés par tous les développeurs, et qu’ils appartiennent souvent à des propriétaires difficiles à atteindre et à intéresser financièrement, les développeurs ont petit à petit détourner leur regard vers les espaces agricoles, qui sont plus grands, plus plats, plus dégagés, plus loin des habitations et qui appartiennent à des propriétaires et à des agriculteurs qui sont plus faciles à intéresser financièrement que des gros industriels qui détiennent des carrières par exemple.

RZ : Pourrais-tu nous parler un peu des méthodes, de la posture de ces entreprises lorsqu’elles approchent les agriculteurs, des paysans ?

Pour bien situer, ma poste était vraiment consacré à la prospection foncière. J’étais dans une entreprise où le prospecteur n’est pas celui qui, ensuite, développe le projet avec toutes les études environnementales, etc. Mon rôlé était de trouver les terrains, identifier et contacter les propriétaires et éventuels locataires (agriculteurs ou non) et ensuite mener les négociations jusqu’à la signature des premiers pré-contrats. C’est donc un travail d’enquête dans un premier temps : de cartographie pour trouver les terrains qui nous intéressent, et ensuite d’enquête. Car une fois que l’on a trouvé les parcelles qui nous intéressent, il faut réussir à joindre les propriétaires, les avoir au téléphone suffisamment longtemps sans qu’ils nous raccrochent au nez pour les convaincre d’un rendez-vous en présentiel. Une fois qu’on réussit à les avoir en face-à-face, c’est là qu’on peut déployer tout notre argumentaire malhonnête pour calmer toutes leurs craintes, les persuader que c’est un bon projet. Cela se fait rarement dès le premier rendez-vous, il en faut souvent plusieurs. On fait souvent en parallèle les rendez-vous avec les élus communaux pour s’assurer que la commune ou la communauté de communes ne fera par barrage au projet. On essaie de jouer sur plusieurs plans à la fois, avec des semi-vérités, des mensonges par omission, voire parfois même des mensonges tout court ou la transformation de la vérité pour atteindre notre but en fait. C’est vraiment un milieu de requins.

RZ : Tu avais vécu le déploiement de l’agrivoltaïsme de l’intérieur. Désormais tu es sortie, tu connais pas mal de gens qui y sont opposés. Comment sens-tu les choses compte tenu la vitesse la brutalité impressionnantes avec laquelle cela se déploie ?

Brutalité, c’est tout-à-fait le mot, même presque dans les méthodes employées par les développeurs. Ce que je ne supportais pas, c’était de presser les gens à signer. Le but était de ne pas laisser aux gens le temps de réfléchir. Il y a assez peu de respect pour l’humain, pour les agriculteurs, pour les propriétaires, avec des procédés souvent fallacieux voire même violents de menaces un peu dissimulés pour forcer des agriculteurs à renoncer à leur bail rural par exemple, et ainsi pouvoir implanter des champs dits « agrivoltaïques » sur les parcelles qu’ils exploitent. Violent aussi pour l’environnement, avec tout un tas de méthodes pour contourner d’éventuels soucis environnementaux. Par exemple obtenir des dérogations pour s’implanter en des endroits où il y a des espèces protégées, ou s’implanter dans des ZNIEFF (zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique) ou des zones Natura 2000. Ou faire passer sous le radar des propriétaires de terrain peu scrupuleux qui passent le terrain au bulldozers pour que les bureaux d’études trouvent moins d’enjeux environnementaux. Et que le projet ait le plus de possibilités d’être autorisé. Et au-dessus de tout cela, la violence d’État qui cherche vraiment à accélérer le plus possible le développement de cette énergie dans un objectif capitaliste. D’autant plus qu’ils savent que le temps est compté. Ils ont vu ce que cela donnait avec l’éolien : au bout de quelques années, une opposition très forte s’est levée contre les projets éoliens. Ils savent que même phénomène aura lieu avec les projets photovoltaïques et agrivoltaïques de grande ampleur. Ils essaient donc d’accélérer le plus possible pour implanter un maximum de parcs avant que les oppositions ne soient trop fortes.

RZ : Quand ce phénomène a-t-il débuté ? On parle beauoup de Sun’Agri, mais est-ce qu’au début il y a des grosses entreprises derrière ces projets ?

Il y a vraiment une multitude d’entreprises, je ne saurais dire combien, et un peu de toutes les tailles. L’électricité, aujourd’hui, c’est de l’or. Il y a beaucoup de start-up qui se montent pour faire du photovoltaïque au sol, sur toitures, de l’éolien, de la méthanisation, etc. Les énergies renouvelables sont vraiment une mine d’or. Cela existe depuis longtemps et les plus vieilles entreprises ont désormais une taille considérable, font partie de grands groupes, sont côtées au CAC40. Même des entreprises qui à l’origine ne sont pas dans le domaine de la production d’énergie créent leur filiale d’énergie renouvelables parce qu’elles possèdent beaucoup de foncier et qu’elles cherchent à le valoriser au maximum. Elles se disent que typiquement, les centrales photovoltaïques sont un bon moyen de le faire. Je pense par exemple au groupe Casino, qui a créé sa filiale GreenYellow, pour développer du photovoltaïque, notamment sur toutes ses toitures, mais aussi sur de la réserve foncière au sol. Ou encore le groupe de transports Malherbe, qui a créé sa filiale Samsolar, dans l’optique de développer le transport à l’hydrogène et que pour en produire, il faut de l’électricité. Il y a vraiment une ruée vers l’or photovoltaïque.

RZ : Il y a des prévisions d’augmentation considérable des prix de l’électricité sur les prochaines années. C’est aussi pour cela que c’est une mine d’or ?

Oui, selon les modèles que l’on avait en interne, le prix de l’électricité est prévue à la hausse pour les 15-20 prochaines années au moins. Et donc que les projets seront d’autant plus rentables. Il faut savoir aussi que sur les centrales photovoltaïques, il y a un énorme effet d’économie d’échelle. Plus une centrale est grande, plus l’on peut faire des économies sur les travaux, les matériaux, etc. Ce qui permet d’avoir une centrale d’autant plus rentable. Il y a vraiment une course à l’aggrandissement, au gigantisme de ces projets. Quand on voit les prix de l’électricité, c’est d’autant plus vrai, même si officiellement ils chouinent sur le fait qu’avec l’inflation, le prix des métaux a augmenté, le prix des travaux aussi avec le prix des carburants… Mais le prix de l’électricité compense bien largement l’augmentation de ces frais.

RZ : Sun’Agri, importante entreprise du secteur, a été racheté par une entreprise de BTP. Il y a maintenant France Agrivoltaïsme qui réunit des partenaires du secteur.

France Agrivoltaïsme est le principal syndicat et lobby pour les énergies renouvelables. A sa tête, il y a quelqu’un qui vient de la FNSEA, il me semble. C’est toute une constellation qui s’est établie pour renforcer ce système. Avec le soutiens des industriels, des lobbys, de la FNSEA, de l’État. C’est un phénomène déjà très important et qui va prendre de plus en plus d’ampleur. L’année 2022 a vraiment été charnière avec des lois qui facilitent de plus en plus ces projets, l’avénement de ces projets, la validation dans le discours des politiques, notamment de Macron. Et là on va passer au stade supérieur. Il faut savoir aussi qu’un projet photoltaïque, sa première étape est de signer le foncier, et ensuite seulement on fait les études environementales, études d’impact et demande de permis de construire. La plupart des projets qu’on voit naître aujourd’hui sont nés depuis 5 ans. Ce qui veut dire que les projets qui sont signés en ce moment partout sur le territoire, on les verra se faire d’ici 5 ans. Cela se produit de manière vraiment insidieuse, parce que lorsqu’on prend connaissance du projet, cela fait en général bien longtemps qu’il a été négocié.

RZ : Cela veut dire qu’il n’y a aucune consultation publique ? Ce sont des projets qui vont avoir des conséquences considérables, et les populations découvrent trop tard qu’il y a des projets en cours ?

On découvre les projets bien après la signature du projet avec les propriétaires et l’acceptation par la mairie. Il y a une enquête publique pendant l’instruction du dossier de demande de permis de construire. C’est à ce niveau-là que la plupart des collectifs peuvent espérer bloquer le projet. Mais en amont, cela fait souvent plusieurs années que le projet est en train d’être potassé dans l’ombre par le développeur, peaufiné grâce aux retours des bureaux d’études pour savoir comment, en ayant conscience des enjeux environnementaux et sociaux, réussir à mieux les contourner et à faire accepter le projet quand même. Qu’il y a un travail politique au niveau des élus, des participants à la CDPENAF (Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers), qui donne son avis sur projet. Et même jusqu’au niveau du préfet, il y a un travail de lobbying de l’entreprise pour faire passer le projet. C’est donc difficile de les démonter du fait qu’ils sont travaillés depuis bien plus longtemps.

RZ : Total, le CEA, AgriParisTech, l’INRAE… De très grandes entreprises et la recherche se mobilisent sur ce filon ?

Aujourd’hui, il y a très peu voire pas du tout de recherche indépendante sur le long terme (plusieurs années) et avec des données scientifiques complètes. Ce que l’on voit le plus et ce qui est utilisé par les prospecteurs, ce sont des études internes – souvent récentes, peu complètes ou avec des protocoles pas du tout validés scientifiquement – ou alors des études menées par des instituts comme l’INRAE. On peut donc fortement douter des résultats de ces études, de leur indépendance, de leur honnêteté. Elles sont en faveur de l’agrivoltaïsme, ce qui n’a rien de suprenant quand on voit les conflits d’intérêt. Et ce sont ces études que j’ai été amenée à utiliser en tant que prospectrice pour convaincre l’audience que j’avais en face de moi. Et même si ces études étaient a priori favorables à l’agrivoltaïsme, on ne sélectionnait dans celles-ci que les arguments qui allaient dans notre sens.

RZ : Tu parles entre autres des études sur les conséquences possibles, voire prévisibles de l’implantation de ces parcs : hausse de température au-dessus des panneaux, problèmes pour les oiseaux migrateurs mais aussi pour les insectes, la question de l’eau. Est-ce que tu peux nous citer un peu les questions qu’il serait important d’étudier avant de lancer ces projets gigantesques ?

C’est du bon sens de se dire que ce genre de projets, qui peuvent faire 5, 10, 50 ,150, 700 hectares, ne peuvent pas ne pas avoir de conséquences sur les écosystèmes qu’ils touchent. Comme la recherche n’existe pas ou peu, les développeurs peuvent dire que les impacts ne sont pas encore prouvés ou carrément qu’il n’y en a pas. Il y a quand même des suspicion d’impact écologique. Par exemple, vu de haut, les champs de panneaux photovoltaïques forment de grandes surfaces bleutées et réfléchissantes. Certaines études commencent à montrer que des oiseaux migrateurs ou des insectes confondent ces espaces avec des plans d’eau et peuvent être déroutés. Les insectes peuvent également être amenés à s’approcher trop près de la surface des panneaux, qui monte jusqu’à 80°C, et donc mourir brûlés. Tout un tas de phénomènes qui ne sont pas assez étudiés, par exemple l’ombrage des panneaux sur les prairies. Est-ce que le micro-climat créé sous les panneaux, à long-terme est amené à changer les espèces végétales de la prairie, et donc d’insectes et de reptiles qui en dépendent ? Les effets aussi sur la faune, notamment les rapaces, qui perdent avec ces surfaces métalliques de grands espaces de leur territoire de chasse, induisant de potentielles prolifération de leurs proies, de rongeurs au niveau des champs. Je n’ai pas vu d’étude là-dessus. Pour des raisons de sécurité et d’assurance, une centrale photovoltaïque est entièrement clôturée, avec seulement de petits trous pour la petite faune (lapins, rongeurs, renards, fouines). Toute la grande faune (chevreuils, sangliers, etc.) sont empêchés de passés. Souvent les études sont réalisées à l’échelle d’un projet spécifique d’une entreprise, en oubliant que lorsqu’un territoire à un bon potentiel, ce n’est en général pas une centrale qui s’y installe mais plusieurs, ce qui crée un véritablement morcellement du territoire. Ce qui est parfois utilisé comme un argument pour convaincre les agriculteurs et les élus dans les régions où la problématique du loup est de plus en plus présente. L’agriculteur mettant son troupeau sous des panneaux le verra protégé des attaques du loup et pourra de plus le surveiller à distance grâce aux caméras de surveillance déployées par l’entreprise. Je ne parle ici que des centrales au sol, mais il y a aussi les centrales qui se font sur des forêts. Comment calculer l’effet long terme de remplacer un bois par une centrale photovoltaïque, comme c’est l’idée dans les landes au niveau des forêts qui ont brûlé en 2022 ou d’autres forêts malades qu’il conviendrait de raser ? Il y a aussi les centrales flottanes qui se développent de plus en plus, sur des lacs artificiels ou naturels, et bientôt peut-être sur les méga-bassines. Les milieux aquatiques sont fragiles. La vitesse, la température, l’oxygénation de l’eau peuvent être fortement modifidée par la présence de panneaux flottants, qui peuvent avoir des impacts sur la sédimentation, la prolifération d’algues, les population de poissons, etc. Rien de tout ça n’a été étudié. L’industrie ne respecte aucun principe de précaution et n’admet pas qu’elle ne sait pas quels seront les effets de ce développement massif dans tout le pays et dans le monde de centrales photovoltaïque. Cette industrie profite des difficultés du secteur de l’agriculture, qu’elles soient financières, liées aux loups ou à la sécheresse, qui exploitent ces faiblesses pour justifier des projets en cachant à quel point ils peuvent être délétères.

RZ : C’est très lié à toute la numérisation : caméras, capteurs d’humidité, de température, et outils de gestion à distance, sur lesquels l’agriculteur n’a souvent aucune prise et doit solliciter l’entreprise en cas de problème.

C’est un secteur très concurrentiel, où les entreprises essaient d’innover pour se démarquer les unes des autres. Il y en a qui, en effet, mettent en place des panneaux mobiles bourrés de capteurs pour la luminosité, l’humidité, la température. Ces panneaux sont pilotables à distances depuis des centres de contrôle afin de pouvoir modifier leur inclinaison et ainsi favoriser la production d’électricité et mettre à l’ombre les cultures, ou au contraire laisser passer la pluie. Cette cette robotisation de l’agriculture représentent une consommation incroyable de matériaux, de données, d’infrastructures numériques. Et dans de nombreux cas, l’agriculteur n’a pas directement la main sur le pilotage des installations mais doit faire la demande au centre de contrôle, à des centaines de kilomètres. C’est vraiment retirer encore un peu plus à l’agriculteur le pouvoir de maîtriser sa culture.

RZ : Pour Aurélien Berlan (Terres et Liberté), il s’agit d’une prolongation d’une transformation sociale, de l’agriculture, du système de production qui existe depuis fort longtemps. Cela prolonge et renforce l’aliénation par rapport à un travail qu’on pourrait dire plus paysan, proches des écosystèmes, de la biodiversité, d’une connaissance d’une région.

En effet, c’est tout à fait dans la continuité de ce que nos dirigeants veulent faire des terres agricoles, c’est-à-dire des zones de productions. Jusqu’à présent il s’agissait de production d’alimentation, de semences, mais aussi déjà de minerai. Désormais on y associe la production d’énergie. C’est véritablement dans la continuité de cette philosophie que les terres agricoles sont au service de la production de diverses ressources liées à la terre, au soleil et au vent, sans plus aucune considération pour la culture de la terre, sa préservation. Il ne s’agit plus de travailler avec la terre en la préennisant pour les générations futures mais contre elle pour en tirer tout ce qu’on peut. Dans la continuité de l’agrandissement et de l’ultra-mécanisation des fermes, on assite désormais aux phénomènes de numérisation et de robotisation de l’agriculture, qui s’accompagnent inévitablement de pesticides, d’intrants, d’OGM.

RZ : Il y a une sorte de paradoxe. On entend que ces entreprises profitent de la précarité des paysans, notamment ceux proches de la retraite et qui savent qu’ils n’auront presque rien. Mais finalement ce sont plutôt les gros agriculteurs, avec de grandes surfaces, plus industrialisées, intensives, qui intéressent ces entreprises.

J’ai identifiée deux types de propriétaires et d’agriculteurs auxquels j’avais à faire lors de ma prospection. D’abord les hommes d’affaires, les gros propriétaires, qui exploitent eux-mêmes les terres ou qui les louent. Il s’agit pour eux de faire de l’argent, de diminuer progressivement leur cheptel pour à terme pourquoi pas ne vivre que du photovoltaïque. Ce sont des gens qui ont par exemple 900 hectares, ou cinq bergeries réparties sur trois départements différents et vont chercher le fourrage sur encore deux autres départements. L’autre catégorie, ce sont de plus petits agriculteurs mais avec tout même une surface assez grande pour nous intéresser, entre 30 et 100 hectares, et qui sont très fortement endettés. J’ai eu affaire par exemple à un agriculteur endetté à hauteur de 800 000 euros. Ces derniers cherchent un moyen de sortir la tête de l’eau, d’alléger un peu le poids de cette endettement, grâce à la promesse d’un investissement photovoltaïque. Ce qu’on ne leur disait pas, c’est que notre but était de signer le plus de projets possibles, mais que sur la quantité de projets signés et promis, un ou deux sur dix seulement arriveraient à terme. C’est les faire espérer pendant cinq ans et à la fin leur faire subir une grosse déception, alors que parfois le projet a été abandonné depuis deux ans et qu’on a jamais donné de nouvelles. C’est comme ça qu’on se retrouve à déployer de grands projets photovoltaïques allant dans le sens de l’agriculture industrielle. Ce complément de revenu promu par les développeurs va souvent aux gros agriculteurs, qui ne sont pas les plus en difficulté. Les paysannes et paysans qui en auraient réellement besoin, même s’ils n’ont pas très envie de faire du photovoltaïques mais seraient prêts à faire cette concession pour sortir la tête de l’eau, on les met à la porte parce que leurs surfaces sont trop petites. Le seul modèle compatible avec l’agrivoltaïsme, c’est l’agriculture industrielle et numérique.

RZ : Tu expliques aussi que c’est un compromis que ces entreprises doivent trouver, l’agrivoltaïsme devant être complémentaire avec l’agriculture. Elles doivent montrer que c’est bon pour l’agriculture, mais en même temps elles veulent maximiser les profits et donc le nombre de panneaux par hectare. Tu as parlé de pression sur les agriculteurs ?

Quand on parle de projets agrivoltaïques, on parle souvent d' »adaptation agricole ». Les développeurs disent qu’ils vont s’adapter à l’exploitation, en discutant avec l’agriculteur de ses besoins. Sauf qu’en pratique, pour le développeur, adaptation agricole rime toujours avec des investissments supplémentaires et mettre moins de panneaux, aménager des zones sans panneaux, mettre des panneaux plus hauts donc avec des structure plus coûteuses, etc. Donc une moins de puissance installée sur une même surface et une rentablie amoindrie. Tout le jeu des développeurs consiste à faire un projet avec des adaptations agricoles suffisantes pour convaincre l’agriculteur, les élus, la chambre d’agriculture, mais en faire le moins possible pour que le projet soit très rentable. On pourrait faire de très bons projets agrivoltaïque pour peu qu’on ne soit pas regadant sur les dépenses. Le solaire est une technologique très adaptable si on veut bien faire des concessions et limiter la puissance installée, ce qui n’est absolument pas le cas.

RZ : La promotion commence aussi dans les lycées agricoles, ils essaient de bâtir un discours tout en sachant qu’ils n’ont pas énormément de temps avant que peut-être le vent tourne.

Le but est vraiment d’obtenir tous les soutiens possibles. Une autre partie de mon travail consistait à contacter les chambres d’agriculture pour faire du lobby, contacter les lycées agricoles, essayer d’organiser un rendez-vous avec le préfet… Vraiment essayer de gagner tout le monde à la cause, que cela rentre dans la culture et les moeurds des agriculteurs, que ce soit quelque chose auxquels ils pensent pour leur future installation et le développement de leur exploitation. C’est vraiment quelque chose de très dangereux.

RZ : Est-ce tu as l’impression que tu as l’impression d’être une des rares personnes à déserter ce genre d’entreprises ? Est-ce que tu as senti que des collègues se posent des questions ?

Le sentiment que j’ai eu dans mon entreprise et dans mon école au sein de laquelle j’ai essayé de partager mon expérience, c’est qu’il n’y a pas chez les ingénieurs, de diplômés d’école de commerce ou de master en aménagement du territoire, la volonté de creuser les conséquences sociales et environnementales de leur activité. Par leur formation, ces personnes ont en général une vision technocratique de la situation. Elles croient ou ont envie de croire en cette croissance verte. Elles viennent pour la majorité d’un milieu social qui a peu d’intérêt à remettre en cause l’ordre établi, du fait qu’elles en tirent leurs privilèges. Je voyais vraiment l’incompréhension dans le regard de mes collègues quand j’essayais de creuser la question de l’impact de nos projets sur l’agriculture paysan et l’autonomie des agriculteurs. C’est quelque chose qui ne les touche pas et qu’ils ont visiblement beaucoup de mal à comprendre. Cela pose la question de la légitimité des ces projets et de ces entreprises, qui viennent recouvrir des millers d’hectare de terres agricoles, alors qu’ils ne connaissent rien à ce milieu, à ses difficultés, à ses enjeux. Certes, ils se vantent d’avoir des ingénieurs agronomes en interne, mais ceux-ci restent des ingénieurs agronomes, pas des agriculteurs. En témoigne le discours des diplomés d’AgroParisTech, ils ont davantage une culture de croissance économique et de développement capitaliste que de préservation des terres et de luttes paysannes. En d’autres termes, des gens qui n’ont rien à voir avec ce milieu, qui n’y connaissent rien,  viennent saccager les territoires en étant convaincus qu’ils font le bien. Est très répandue chez les ingénieurs le schéma simpliste selon lequel les énergies renouvelables c’est le bien, les énergies fossiles c’est le mal. Les ingénieurs qui travaillent dans les renouvelables ont l’impression d’être dans le haut du panier, ils sont satisfaits d’eux-mêmes, pensent oeuvre pour le bien de la planète, pour la transition énergétique, ce qui les invitent d’autant moins à se remettre en question.

RZ : Un mot de la fin ? Tu vas continuer d’alerter sur ce que représente tout ce phénomène ?

Je vais essayer de continuer à participer à d’autres manifestations comme les Résistantes, les Rencontres paysannes et rurales à Bure. Je réponds à des sollicitations médiatiques et essaie d’intervenir auprès des étudiants de mon école, même si ce n’est pas simple d’obtenir un créneau et l’attention pour ça dans ces institutions. Je suis en reconversion professionnelle et je vais commencer un BPREA en agriculture paysanne. Il va donc falloir que je fasse la part entre mon envie de militantisme et le gros travail que j’ai à faire pour ma reconversion.

Pour conclure, on a parfois l’impression que la lutte contre l’industrie des renouvelables est déconnectée des autres, mais c’est tout le contraire. Typiquement, pour faire le lien avec les luttes de l’eau, les zones de captage d’eau potable font partie des cibles des développeurs, parce que agriculteurs ne peuvent pas y faire grand chose d’autre que de l’élevage, et donc autant y mettre des panneaux. On sera d’autant plus puissants que les luttes pourront se mailler entre elles et s’entraider. 

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