21.03.2025 à 06:00
Leyane Ajaka Dib Awada
Le documentaire La Force du coquelicot de la journaliste libanaise Mona Hammoud, sorti en 2024, est une immersion dans la scène du stand-up au Liban, où l'humour est devenu une forme de résistance face aux crises économiques, sociales et politiques et à la guerre qui ravagent le pays. En 2024, le Liban est bien mal en point. Depuis 4 ans, le pays est en proie à une crise économique sans précédent, à laquelle s'ajoutent les traumatismes d'une explosion équivalente à la bombe atomique en (…)
- Lu, vu, entendu / Liban, Humour , Documentaire, Arts du spectacleLe documentaire La Force du coquelicot de la journaliste libanaise Mona Hammoud, sorti en 2024, est une immersion dans la scène du stand-up au Liban, où l'humour est devenu une forme de résistance face aux crises économiques, sociales et politiques et à la guerre qui ravagent le pays.
En 2024, le Liban est bien mal en point. Depuis 4 ans, le pays est en proie à une crise économique sans précédent, à laquelle s'ajoutent les traumatismes d'une explosion équivalente à la bombe atomique en août 2020, et d'une guerre avec Israël qui s'exporte peu à peu de la frontière sud aux portes de la capitale. L'espoir semble être devenu une denrée rare : le bilan mitigé des élections législatives de 2022 a calmé les ardeurs révolutionnaires nées du mouvement social d'octobre 2019, et le risque d'effondrement psychologique est désormais plus élevé que jamais. Entre deux clichés d'une vie urbaine et champêtre apparemment anodine, c'est un Liban usé par les crises et ébranlé par la violence qui apparaît dans le documentaire La force du coquelicot de Mona Hammoud. La réalisatrice choisit d'y donner la parole à 5 comédien nes de stand-up libanais es qui commentent la situation du Liban à partir de leurs spectacles, nous permettant de considérer l'évolution d'un pays soumis à des bouleversements vastes et multiples.
John Achkar, l'un des humoristes interrogé
es par Mona Hammoud, considère que le succès de la scène libanaise d'humour est « un résultat de la thawra » (révolution). Il se réfère au mouvement social qui avait réuni les Libanais es à partir d'octobre 2019 pour critiquer la corruption du pouvoir, attribuée à la nature confessionnelle du régime libanais. « Aujourd'hui, quand on fait le bilan de la révolution, on oublie à quel point nos propos ont changé. On oublie à quel point c'est devenu facile d'insulter après la révolution », affirme-t-il. D'autres renchérissent sur l'importance d'utiliser une forme de spectacle comme le stand-up : Chaker Abou Abdallah affirme que « la comédie [lui permet] de continuer la lutte contre le système ». On voit ces propos directement mis en pratique dans les extraits de passage sur scène de Mohamad Baalbaki, originaire de Tripoli, qui tourne en ridicule les autorités religieuses, souvent dotées d'une grande influence politique, et ciblées par le mouvement en 2019.Les humoristes considèrent ainsi que la thawra a libéré la parole, et que la critique du statu quo est aujourd'hui plus libre. La popularité actuelle du stand-up libanais tend à leur donner raison : alors que les plateformes comme YouTube et Instagram ont retiré à la télévision le quasi-monopole qu'elle avait sur les sketchs, ce format particulier d'humour qu'est le stand-up, avec une seule personne faisant rire le public de son expérience personnelle, est devenu très populaire. Dans cet esprit, Le comedy club awk.word réunit beaucoup d'humoristes ayant trouvé la notoriété sur Internet et organise aujourd'hui des spectacles non seulement au Liban, mais aussi dans le Golfe et en Europe, où se concentre une partie des émigré
es qui ont quitté le Liban par contrainte économique ces dernières années.Le stand-up a bénéficié de la révolte libanaise de 2019, mais celle-ci n'a pas abouti aux réformes qu'elle exigeait. Les humoristes ne cachent pas leur amertume, ni la difficulté que certain
es rencontrent à demeurer dans un pays corrompu dont l'état se dégrade considérablement depuis 5 ans. L'humour est pour eux et elles une forme de résistance à un ordre politique toujours en place, dont les artistes souffrent autant que les autres Libanais es. Il faut donc reconnaître que si le succès du stand-up libanais est le résultat de la thawra, il est aussi l'enfant de son échec, et de la douleur qui a suivi. L'explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 est particulièrement marquante en ce qu'elle a précipité la fin du mouvement social, achevé à la rentrée 2020 dans un sentiment collectif de profonde impuissance qu'évoquent les humoristes.D'abord espace de contestation politique, le stand-up apparaît alors comme un exutoire, une manière non seulement de contourner le statu quo, mais aussi d'évacuer les frustrations qu'il fait naître. John Achkar raconte ainsi que l'humour lui a permis de survivre au harcèlement dont il avait fait l'objet enfant et se plaint de son divorce sur scène, tandis que Stéphanie Ghalbouni, la seule femme interrogée dans ce documentaire, parle de la difficulté à jurer et faire rire quand on est une femme. Mêlant griefs politiques et personnels, l'humoriste confie la fatigue qu'elle ressent, un effet de son métier, mais aussi l'une des raisons pour lesquelles elle l'exerce.
À l'instar des femmes dans le cas de Ghalbouni, la scène de stand-up au Liban accueille la parole des opprimé
es, et les humoristes évoqueront à plusieurs reprises l'importance de parler de la Palestine sur scène. Il s'agit non seulement de dire son opposition au génocide, mais aussi sa solidarité avec le peuple palestinien. Contrairement à la France et à l'Allemagne, le Liban ne censure pas l'expression de la solidarité avec la Palestine, mais la scène des comedy clubs ne se limite pas à un espace contestataire : il s'y exprime, par le rire collectif, une compassion pour toutes les expériences humaines, du harcèlement scolaire au génocide, du divorce à la misogynie. Une empathie née de l'adversité qui transparaît tout au long du documentaire.Le documentaire insiste dès son titre sur la « résilience » du coquelicot, une métaphore vaguement mobilisée à l'écran dans un symbolisme qui rappelle d'autres malheureux usages du printemps et du jasmin pour désigner des réalités politiques arabes. Cependant, sa présentation aux relents orientalistes ne rend pas justice à l'importance des propos tenus dans le film, et à la démarche salutairement originale de sa réalisatrice. En interrogeant des humoristes, Hammoud fait surgir un récit nuancé, qui permet de penser l'état d'une société récemment soumise à des crises de très grande ampleur, dont les conséquences à long terme demeurent incommensurables.
Alors qu'il est aujourd'hui difficile de rendre compte de l'expérience collective d'une population malmenée sur les plans politique, économique et psychologique, le choix du stand-up comme sujet de documentaire donne la parole à des artistes qui en rendent compte à partir de leur vécu personnel. Ainsi, le film de Mona Hammoud parvient à raconter des réalités qui nous dépassent, en replaçant l'expérience humaine individuelle au centre de leur compréhension.
La Force du coquelicot
Film documentaire
Mona Hammoud, 2024
40 minutes
Prix du meilleur documentaire au Dublin International Comedy Film Festival ; sélection au Beirut International Women Film Festival en mai 2025 et au Respect Human Rights Film Festival en mars 2025. Prochaines projections :
➞ le 21 mars à 20 h au cinéma Luxy à Ivry-sur-Seine ;
➞ le 3 avril à 19h au Centre arabe de recherches et d'études politiques (CAREP) à Paris ;
➞ le 18 avril à 20 h 45 au Pré de Chez Vous au Pré-Saint-Gervais ;
➞ le 22 avril à 19 h à la Maison de la Conversation à Paris.
20.03.2025 à 06:00
Sarra Grira, Sophie Bessis
Horizons XXI est une carte blanche laissée aux rédactions d'Orient XXI et Afrique XXI qui revient sur l'actualité ou l'histoire de l'Afrique et des mondes arabe et musulman à travers des entretiens. À retrouver une fois par mois sur le média indépendant Au Poste. Pour cette première de Horizons XXI sur Au Poste, Sarra Grira, rédactrice en chef d'Orient XXI, est aux manettes et accueille l'historienne et ancienne journaliste tuniso-française Sophie Bessis, à l'occasion de la sortie de son (…)
- Magazine / Israël, Proche-Orient, Europe, Entretien, Vidéo, Histoire, Sionisme, Déclaration Balfour, États-Unis, Christianisme, Judaïsme, ColonisationHorizons XXI est une carte blanche laissée aux rédactions d'Orient XXI et Afrique XXI qui revient sur l'actualité ou l'histoire de l'Afrique et des mondes arabe et musulman à travers des entretiens. À retrouver une fois par mois sur le média indépendant Au Poste.
Pour cette première de Horizons XXI sur Au Poste, Sarra Grira, rédactrice en chef d'Orient XXI, est aux manettes et accueille l'historienne et ancienne journaliste tuniso-française Sophie Bessis, à l'occasion de la sortie de son dernier livre La Civilisation judéo-chrétienne : anatomie d'une imposture, aux éditions Les Liens qui libèrent (12 mars 2025).
Dans la rhétorique du choc des civilisations qui servait hier à justifier la mal nommée « guerre contre le terrorisme » et aujourd'hui la guerre génocidaire à Gaza, un concept se trouve depuis une quarantaine d'années mobilisé : celui de la « civilisation judéo-chrétienne ». Ce contresens historique est porté aujourd'hui en étendard par les droites extrêmes et les extrêmes droites occidentales, de Bruno Retailleau jusqu'à Benyamin Nétanyahou.
À quoi renvoie au juste ce concept ? Que signifie cette appropriation récente par la culture européenne et nord-américaine de la judéité, après une histoire pluriséculaire de pogroms anti-juifs sur le Vieux continent ? Quels en sont les mécanismes ? Et contre quels nouveaux ennemis de l'Occident ce doublon est-il mobilisé ?
19.03.2025 à 06:00
Thomas Pierret
Tout au long de son parcours, le chef de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) et actuel président syrien par intérim a finement joué sur les forces en présence et les nominations pour atteindre le sommet d'un pouvoir personnel, qu'il entend bien désormais garder. Le 13 mars 2025, la Syrie s'est dotée d'une déclaration constitutionnelle instaurant, pour une période transitoire de cinq ans, un système présidentialiste en vertu duquel le président Ahmad Al-Charaa devient à la fois le chef de l'État et (…)
- Magazine / Syrie, Al-Qaida, Démocratie, Autoritarisme, Transition politique, Organisation de l'État islamique (OEI), Hayat Tahrir al-Cham (HTC)Tout au long de son parcours, le chef de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) et actuel président syrien par intérim a finement joué sur les forces en présence et les nominations pour atteindre le sommet d'un pouvoir personnel, qu'il entend bien désormais garder.
Le 13 mars 2025, la Syrie s'est dotée d'une déclaration constitutionnelle instaurant, pour une période transitoire de cinq ans, un système présidentialiste en vertu duquel le président Ahmad Al-Charaa devient à la fois le chef de l'État et celui du gouvernement, la fonction de Premier ministre ayant été supprimée. La veille, un décret présidentiel avait établi un Conseil de sécurité nationale qui, outre le président, ne compte qu'un seul militaire, le ministre de la défense, lequel siégera aux côtés des ministres des affaires étrangères et de l'intérieur ainsi que du directeur des services de renseignements. À titre de comparaison, le Conseil de sécurité nationale turc inclut pas moins de quatre généraux (chef d'état-major et commandants des forces terrestre, navale et aérienne).
Ces deux décisions témoignent d'une conception très personnelle de l'exercice du pouvoir pour Al-Charaa, ainsi que d'un souci ancien de contrebalancer l'influence de l'institution militaire ; souci qui procède lui-même d'une hantise d'être renversé par ses propres frères d'armes.
Depuis les premiers jours du groupe djihadiste Jabhat Al-Nosra (Front du soutien), qu'il avait fondé en 2012, celui que l'on ne connaissait alors que sous le nom de guerre d'Abou Mohamed Al-Joulani a patiemment œuvré à affermir son pouvoir personnel sur l'organisation. Pour former sa garde rapprochée, il ne recrute pas des vétérans du djihad transnational, alors nombreux parmi les insurgés syriens, mais des hommes nés, comme lui, dans les années 1980, et dont l'expérience de la lutte armée est limitée. C'est le cas d'Anas Khattab, dont une rumeur affirme qu'il a été « l'émir des frontières » de l'Organisation de l'État islamique (OEI) en Irak. Plus vraisemblablement, Khattab n'a joué qu'un rôle mineur dans une organisation qu'il n'a rejointe qu'en 2008 à l'âge de 22 ans. Décrit dès 2013 comme « l'ombre d'Al-Joulani », il était initialement responsable de sa sécurité personnelle et dirige aujourd'hui les renseignements généraux. Assad Hassan Al-Chibani, actuel ministre des affaires étrangères, n'avait aucun état de services djihadistes lorsqu'il est devenu le communicant-en-chef de Jabhat Al-Nosra. Un troisième homme de confiance, Abdel Rahim Atoun, est plus âgé. Lui non plus n'est sorti de l'obscurité que lorsqu'Al-Joulani en a fait le principal idéologue de Jabhat Al-Nosra.
Avec l'aide des précités, Al-Joulani construit d'emblée son charisme en s'attribuant, alors qu'il n'est encore que le leader inconnu d'un groupuscule, le titre grandiloquent de fatih (conquérant). Si le mystère qui l'entoure répond en partie à des considérations sécuritaires, sa dissipation progressive, savamment orchestrée, viendra conforter son aura d'homme providentiel : en 2013, il accorde, masqué, un premier entretien télévisé à Al-Jazira. Trois ans plus tard, il révèle son visage lors d'un discours annoncé à grand renfort de teasers par la propagande de son organisation. Il faudra encore attendre 2024 et la chute de Damas pour qu'Abou Mohamed Al-Joulani se présente officiellement sous le nom d'Ahmed Al-Charaa, son nom civil révélé par des fuites dès 2016.
Entre-temps, le chef de ce qui, en 2017, est devenu Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), s'est débarrassé de quiconque pouvait lui faire de l'ombre au sein de l'organisation. Les radicaux, opposés au divorce annoncé en 2016 avec Al-Qaida, rompent d'eux-mêmes pour former une faction rivale, Hourras Al-Din (les Gardiens de la religion), bientôt décimée par les drones états-uniens. D'autres éléments doctrinaires, dont des clercs égyptiens, sont exclus et même, pour l'un d'entre eux, enlevé après s'être réfugié chez les factions rivales de l'Armée nationale syrienne (ANS) parrainée par la Turquie.
Plus encombrants sont les puissants commandants régionaux qui dominent la hiérarchie militaire du mouvement. L'émir du Qalamoun (frontière libanaise est) Abou Malek Al-Telli, qui s'est constitué un important trésor de guerre grâce à la contrebande et la prise d'otages, voit ses principaux lieutenants mutés à l'extérieur de son unité, avant de quitter HTC et de finir sous les verrous en 2020. Son arrestation est menée par Abou Maria Al-Qahtani, chef de file des combattants originaires de la province orientale de Deir ez-Zor. Al-Qahtani est lui-même incarcéré en 2023 dans le cadre d'une vaste purge ciblant 700 membres de HTC, accusés d'espionnage au profit de pays occidentaux. Il sera assassiné, selon la version officielle, par un membre de l'OEI.
D'autres cadres importants sont écartés de la hiérarchie militaire par le biais de promotions dans l'administration civile d'Idlib, notamment la gestion des postes-frontière. C'est le cas des frères Qoutayba et Houdhayfa Badawi, qui administrent aujourd'hui les douanes syriennes. D'autres ont été nommés à la tête d'entreprises monopolistiques opérant dans l'enclave rebelle, à l'instar de l'émir d'Alep Abdel Rahmane Salamé, qui devient ainsi un magnat du BTP. En 2020, les « armées » régionales qui structuraient HTC sont remplacées par 16 brigades numérotées, tandis que Mourhaf Abou Qasra, une figure affable mais sans envergure, est nommé chef militaire de l'organisation. Il deviendra, après la victoire, ministre de la défense. On se souvient que, durant son règne, l'ancien président Hafez Al-Assad avait confié ce même portefeuille à Moustapha Tlass, un personnage aussi enjôleur que son influence réelle au sein de l'armée — et donc sa capacité à organiser un coup d'État — étaient réduites.
Notons la présence d'étrangers à des grades élevés au sein de la nouvelle armée : trois des six premiers généraux de brigade nommés début 2025 sont respectivement jordanien, turc et ouïghour. Cela peut également être interprété à la lumière de la méfiance d'Al-Charaa envers les menaces intérieures. Cette hypothèse est renforcée par le fait que deux de ces généraux étrangers auraient été placés à la tête d'unités cruciales pour la protection du nouveau régime, à savoir la Garde républicaine et la Division de Damas. Dépourvus d'ancrage social en Syrie et persona non grata dans leurs pays respectifs, les étrangers sont largement dépendants, pour leur survie, du bon vouloir des autorités syriennes et donc d'Al-Charaa. Ils pourraient, à cet égard, constituer un équivalent contemporain de la garde caucasienne (circassienne et tchétchène) dont la monarchie voisine de Jordanie s'est attaché les services depuis sa fondation.
Pareillement, la décision de confier des divisions (Idlib, Deraa, Badiya, c'est-à-dire le désert central), gouvernorats (Alep, Damas-campagne) et fonctions sécuritaires dans des régions sensibles (comme la côte de l'ouest du pays) à des commandants issus de factions jadis ennemies, comme Ahrar Al-Cham, Soukour Al-Cham ou le Front du Levant, semble destinée à éviter une concentration excessive des responsabilités entre les mains des commandants d'HTC.
Alors que, sous l'ancien régime, les services de l'armée (renseignements militaires et de l'armée de l'air) étaient lourdement investis dans les missions de répression intérieure, même en temps de paix, Al-Charaa s'est attelé, bien avant la prise de Damas, à bâtir une institution sécuritaire « civile », au sens où sa structure de commandement est nettement distincte de la branche militaire de HTC. La Sûreté générale voit ainsi le jour en 2020 sous l'égide du précité Anas Khattab. En mars 2024, elle est officiellement détachée de HTC pour devenir une agence du Gouvernement de salut syrien, l'exécutif civil chargé d'administrer la poche rebelle d'Idlib. Reconnaissables à leurs uniformes noirs, ses membres sont, depuis décembre 2024, les principaux responsables du maintien de l'ordre dans les régions nouvellement conquises.
La manière dont Al-Charaa s'est hissé à la tête de son organisation puis de l'État syrien suggère qu'il est moins préoccupé par la promotion d'une idéologie ou d'une organisation que par la consolidation de son pouvoir personnel, sur un mode que l'on pourrait presque qualifier de monarchique ou, plus exactement, de « bonapartiste » puisque, post-révolutionnaire plutôt que contre-révolutionnaire. Il affirme vouloir mettre un terme à la révolution au nom même des acquis de cette dernière. Sa conception de la représentation politique est à l'avenant : le Conseil consultatif qu'il avait établi à Idlib n'avait pas vocation à représenter des mouvements politiques (pas même le sien) mais des experts et notables (commerçants, chefs tribaux) parlant au nom des communautés locales dont ils sont issus. Pareillement, depuis qu'il s'est établi dans le palais présidentiel de Damas, Al-Charaa a obstinément refusé de recevoir des leaders de partis politiques, réservant ses entretiens aux commandants de factions, chefs religieux de diverses confessions, hommes d'affaires et, bien sûr, délégations étrangères.
Sans être impossible, une future radicalisation idéologique du régime n'est pas le scénario le plus probable. La trajectoire politique de l'actuel président montre qu'il a souvent identifié l'aile doctrinaire de son organisation comme une menace dont il devait se prémunir. En revanche, sa conception très personnelle du pouvoir est vraisemblablement une mauvaise nouvelle pour les Syriens qui aspirent d'abord à voir leur pays sortir de l'autoritarisme.