Roberto Saviano, " En mer, pas de taxis"https://blogs.mediapart.fr/frederic-lhelgoualch/blog/080521/en-mer-pas-de-taxis-de-roberto-saviano-quand-l-europe-se-renie
Le Club de Mediapart - Frédéric L'Helgouach
« Ceux qui quittent le Congo le font car aucun investissement nâest possible dans un pays en pleine guerre civile. Un dĂ©tail : nous importons du cobalt du Congo, mais nous ne voulons pas de ses ressortissants. Quant Ă lâEthiopie, Madagascar, la Somalie et le Burundi, on en part principalement Ă cause de la sĂ©cheresse. On part du Soudan du Sud et de la RĂ©publique centrafricaine parce quâil nâest pas possible dâenvisager un avenir dans des rĂ©gions touchĂ©es par une guerre civile permanente. Pour les mĂȘmes raisons, on part du Cameroun, du Nigeria, de lâOuganda, du Kenya.
« Maiduguri, Nigeria, le 23 mars 2016. Gbenga a Ă©tĂ© enlevĂ© par Boko Haram dans son village natal de Kirenowa, au nord-est du Nigeria, avec son cousin Mohammed. Pendant huit mois, il a Ă©tĂ© obligĂ© dâassister Ă des dĂ©capitations de masse, dâĂ©tudier le Coran et de travailler dans leur camp. Gbenga vit maintenant avec son frĂšre Ă Maiduguri, tandis que leurs parents sont toujours portĂ©s disparus. La situation Ă Kirenowa reste instable, ce qui lâempĂȘche de rentrer chez lui. » © Andy Spyra - âEn mer, pas de taxis'
Et tandis que nous abandonnons les gens en mer, que nous acceptons quâen Libye plus dâun demi-million de personnes soient dĂ©tenues illĂ©galement et rĂ©duites en esclavage pour notre compte, que nous exportons des armes vers lâAfrique et contribuons Ă son instabilitĂ© politique, il y a tant dâAfrique dans notre vie quotidienne, mĂȘme si aucun chef dâEtat ou de gouvernement nâaura lâhonnĂȘtetĂ© de lâadmettre. Dans les goĂ»ters que nous mangeons, il y a du cacao africain, du coltan dans nos smartphones; nos parquets sont en iroko, le bois des forĂȘts africaines; les plantes italiennes poussent grĂące aux engrais importĂ©s dâAfrique; la bauxite qui sert Ă construire les avions dans lesquels nous voyageons et les canettes dans lesquelles nous buvons est Ă 100% africaine. Les biens qui nous permettent de vivre peuvent circuler : pourquoi les personnes ne pourraient-elles pas en faire autant ? Et le court-circuit se produit lorsque, avec un simple tĂ©lĂ©phone portable, un jeune LibĂ©rien du Togo ou du BĂ©nin se rend compte quâailleurs dans le monde, il nây a pas simplement plus de possibilitĂ©s, mais les seules possibilitĂ©s. Que faire alors de la seule vie quâil a ? Que feriez-vous Ă sa place ? »
En mer, pas de taxis, Roberto Saviano, Gallimard, 2021