humanite.fr - Mar. 28 déc. 2021
Manuel Cervera-Marzal
Manuel Cervera-Marzal est sociologue Ă lâuniversitĂ© de LiĂšge. Dans « le Populisme de gauche, sociologie de la France insoumise » (Ăd. la DĂ©couverte), il dĂ©crit et explique la percĂ©e fulgurante puis le dĂ©clin tout aussi brutal de mouvements tels que la France insoumise ou Podemos. Mais un rebond reste selon lui possible⊠Entretien.
Le populisme nâest-il pas contre-nature ou «âaccidentelâ» en ce qui concerne la gaucheâ?
M.C-M : Lâhistoire des gauches est composĂ©e de plusieurs traditions. Le populisme est clairement lâune dâentre elles. Lâoxymore, câest quand on parle de «âpopulisme de droiteâ». Le RN en France ou Vox en Espagne ne sont pas populistes de droite mais dâextrĂȘme droite. Quand on fait lâhistoire des gauches, on a un peu tendance Ă oublier cette tradition populiste. Personne parmi les historiens nâa remis en question le fait que le Peopleâs Party aux Ătats-Unis ou les Narodniki en Russie Ă©taient de gauche. Leur projet de transformation de la sociĂ©tĂ© Ă©tait clairement de gauche. Personne en France jusquâaux annĂ©es 1990 ne considĂ©rait que le populisme ne puisse pas ĂȘtre de gauche. Ce sont des historiens entrepreneurs comme Pierre-AndrĂ© Taguieff qui ont commencĂ© Ă Ă©crire des articles pour expliquer que le FN nâĂ©tait plus dâextrĂȘme droite mais nationalÂ-populiste, puis populiste tout court. Du coup, aujourdâhui, tout est brouillĂ©. Des chercheurs qui travaillent sur lâextrĂȘme droite disent travailler sur le populisme.
Vous soulignez que cette stratĂ©gie, avec le score de Jean-Luc MĂ©lenchon en 2017, a fait ses preuves. Pourtant, dans votre livre, vous considĂ©rez que ce cycle sâachĂšve avec la FI.
M.C-M : Quand on regarde ce quâil sâest passĂ© pour Podemos, Syriza, Jeremy Corbyn, on constate que cette stratĂ©gie a permis des percĂ©es Ă©lectorales fulgurantes mais Ă©phĂ©mĂšres. Ce sont des forces politiques qui semblent surgir de nulle part en trois ou quatre ans. Mais, Ă moyen terme, la dĂ©gringolade est aussi brutale. Ces forces se sont souvent dotĂ©es de mouvements plutĂŽt que de partis. Au moment de leur progression Ă©lectorale, elles ont fait lâimpasse sur la constitution dâun outil et dâun appareil militant. Elles ont pensĂ© quâavoir un leader charismatique et une base Ă©lectorale ça suffisait. Or, câest lâappareil militant qui permet de tenir sur la durĂ©e. Sinon, au moindre revers Ă©lectoral ou Ă la moindre affaire touchant le leader, les populistes de gauche sont touchĂ©s en plein cĆur. Pourquoi le PCF et le PS existent toujours malgrĂ© les revers Ă©lectorauxâ? Câest grĂące Ă leur appareil militant.
Quel est le bilan de ce cycle Âpopuliste pour les gauchesâ?
M.C-M: En dehors du discours, les mouvements populistes ont cherchĂ© Ă sâĂ©manciper de la forme parti, considĂ©rĂ©e comme obsolĂšte. Le populisme est aussi du mouvementisme. Ces mouvements se sont crĂ©Ă©s sur une promesse de diffĂ©rence et de dĂ©mocratisation des organisations politiques, qui nâa pas Ă©tĂ© tenue. En dehors des Ă©chĂ©ances Ă©lectorales, ce sont des coquilles vides. Quand on dissipe le cĂŽtĂ© «âgazeuxâ», lâorganisation est trĂšs verticale. Sâil y a un bilan Ă tirer, câest celui-ci. La forme parti sâĂ©puise, mais le remĂšde proposĂ© sâest peut-ĂȘtre avĂ©rĂ© encore pire que le problĂšme quâil Ă©tait censĂ© rĂ©gler. Ce quâil faut regarder avec intĂ©rĂȘt en revanche, câest la situation du Parti du travail de Belgique. Il existe depuis 1979, et il est passĂ© de 0,5 % des voix au dĂ©but des annĂ©es 2000 Ă 15 % Ă Bruxelles et en Wallonie. Dans le mĂȘme temps, ils sont passĂ©s de 800 Ă 20â000 militants. Le PTB est peut-ĂȘtre en train de montrer une voie. Il a conservĂ© ses structures de parti, son orthodoxie marxiste, tout en sâouvrant sur la sociĂ©tĂ©, les Ă©tudiants, les plus prĂ©caires, et en choisissant un discours plus populiste. En France, ni les socialistes ni les communistes nâont pu reprendre le leadership Ă gauche. Pour lâinstant, câest toujours Jean-Luc ÂMĂ©lenchon qui le tient et qui reste le seul en mesure dâaccĂ©der au second tour.
Ce nâest pas contradictoire avec votre thĂ©orie sur la fin du cycle populisteâ?
M.C-M : En 2019, quel que soit le pays, la gauche populiste a subi revers sur revers. En 2022, jâobserve toujours la dĂ©crue. Mais je ne sais pas non plus ce quâil va se passer dans les prochains mois et les prochaines annĂ©es. On est dans des conjonctures politiques trĂšs ouvertes. Les grands partis de gouvernement de droite comme de gauche sont fragilisĂ©s dans la plupart des pays europĂ©ens. La FI comme dâautres mouvements ailleurs peuvent rebondir Ă nouveau trĂšs fortement.