11.10.2025 à 00:30
« Tradwives » : elles lavent leur linge sale en public
Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Alors qu'on pensait le mouvement tradwife en pleine expansion, certaines anciennes adeptes prennent la parole sur Tiktok ou Instagram pour alerter sur cette forme réchauffée d'exploitation. « Être une épouse traditionnelle est un piège ». Enitza, alias @emergingmotherhood sur Instagram, a embrassé le mode de vie tradwife il y a une (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Céleste Maurel, Capture d'écranTexte intégral (697 mots)
Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Alors qu'on pensait le mouvement tradwife en pleine expansion, certaines anciennes adeptes prennent la parole sur Tiktok ou Instagram pour alerter sur cette forme réchauffée d'exploitation.
« Être une épouse traditionnelle est un piège ». Enitza, alias @emergingmotherhood sur Instagram, a embrassé le mode de vie tradwife il y a une décennie. Cette mère de quatre enfants raconte ses difficultés et a lancé un podcast afin d'aider d'autres femmes à sortir de relations d'emprise ou de mariage traditionnel. Et elle n'est pas la seule.
Ces dernières années, le mouvement tradwife, venu des États-Unis a déferlé sur les réseaux sociaux. La recette du succès ? Des vidéos à l'esthétique léchée, vantant un quotidien digne d'une pub des années 1950 : après une journée passée à gérer enfants, ménage et cuisine, les épouses se montrent dans des robes impeccables, prêtes à accueillir leur mari avec le sourire. Cet imaginaire, tout droit sorti de l'univers réactionnaire et conservateur de l'extrême droite, promet aux femmes une vie plus douce et simple que celle offerte par le capitalisme libéral. Sur Instagram ou TikTok, les plus connues s'appellent @EstéecWilliams, @Ballerinafarm ou @naraaziza. Mais derrière cette vie « de rêve » se cachent d'autres réalités : précarité, isolement, emprise, violences conjugales… Depuis quelques mois, d'ex-tradwives déconstruisent le vernis pastel de leurs anciennes consœurs et exposent l'envers du décor.
Car après une séparation, beaucoup se retrouvent sans diplôme ni expérience professionnelle, avec plusieurs enfants à charge. « Quand tu as été une tradwife pendant dix ans, que tu as un énorme trou dans ton CV et que tu deviens maman solo de quatre enfants…Tu n'as aucune idée par où commencer pour chercher un travail ! » résume Enitza sur son compte Instagram. Après dix ans passés sans carte bleue, sans amis, coupée du monde, la mère de famille a décidé de divorcer : « Une fois que vous aurez quitté votre mari colérique et dominateur, vous vous sentirez progressivement mieux à oublier à quoi ressemblait cette vie. »
Beaucoup de témoignages pointent les difficultés financières traversées après la séparation. À 25 ans, @Mickay_Mouse11 s'est retrouvée seule avec quatre enfants à élever, sans diplôme ni expérience : « Je n'avais rien ». Même parcours pour @joannadahlseidofficial : « J'ai été tradwife. Et j'ai aussi été sans domicile pendant un moment. Malgré ma formation, j'ai travaillé chez Starbucks pour 9 dollars de l'heure à 31 ans. »
Morale de l'histoire : la tradwife, loin d'être une alternative au capitalisme, n'est qu'un produit marketing de plus. Ménagère docile ou girlboss épuisée se révèlent être les deux facettes d'une même pièce : celle de l'exploitation patriarcale des femmes au service de la production.
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11.10.2025 à 00:30
Circulez, y'a rien à voir !
Fin août, le ministère de l'Intérieur publie en catimini un nouveau texte pour donner un cadre à l'intervention des forces de l'ordre lors de « violences urbaines ». Problème : la protection des journalistes est remise en cause. Récit d'une nouvelle tentative de censure de la liberté de la presse. De nouvelles entraves au travail des journalistes Alors qu'à la fin de l'été plane une atmosphère de mobilisation sociale dans tout le pays, le gouvernement mijote lui aussi un mauvais tour. (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Le dossierTexte intégral (915 mots)
Fin août, le ministère de l'Intérieur publie en catimini un nouveau texte pour donner un cadre à l'intervention des forces de l'ordre lors de « violences urbaines ». Problème : la protection des journalistes est remise en cause. Récit d'une nouvelle tentative de censure de la liberté de la presse.
Alors qu'à la fin de l'été plane une atmosphère de mobilisation sociale dans tout le pays, le gouvernement mijote lui aussi un mauvais tour. Le ministère de l'Intérieur et la police nationale publient le 31 juillet dernier un Schéma national des violences urbaines (SNVU), sans aucune concertation préalable. Censé fournir un cadre d'intervention aux forces de l'ordre en contexte de « violences urbaines », le document, au statut juridique flou, contient une disposition qui fait sauter au plafond les syndicats de journalistes et les organisations de défense de la liberté de la presse. Il indique que « la prise en compte du statut des journalistes telle que consacrée par le schéma national du maintien de l'ordre ne trouve pas à s'appliquer dans un contexte de violences urbaines ».
« La prise en compte du statut des journalistes ne trouve pas à s'appliquer dans un contexte de violences urbaines »
Le texte « pose problème autant sur la forme que sur le fond, explique Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières (RSF). Cette phrase revient à considérer les journalistes professionnels, mandatés pour couvrir les évènements, comme de simples manifestants, voire comme des émeutiers parmi d'autres. C'est extrêmement dangereux, car cela les expose directement aux violences et entrave leur travail ».
Une première manœuvre contre nos droits fondamentaux ? Que nenni, ils n'en sont pas à leur coup d'essai. La loi « Sécurité globale », en 2021, qui « contenait plusieurs dispositions allant dans le sens de restreindre la visibilité des interventions policières plutôt que de protéger les journalistes sur le terrain », rappelle Thibaut Bruttin. Objet des crispations, le très conversé article 24 de la loi visait à punir la « provocation à l'identification » des forces de l'ordre. En d'autres termes, à empêcher les journalistes de diffuser des images d'interventions policières.
Quelques mois auparavant, en septembre 2020, un travail collectif engagé entre les syndicats, les ONG et la police avait pourtant abouti à la publication du Schéma national du maintien de l'ordre (SNMO). « Le SNMO nous a apporté quelques garanties », observe Thibaut Bruttin. On y trouve par exemple la reconnaissance de la nécessaire protection du « droit d'informer », ou encore la mise en place de mécanismes comme la désignation d'un « officier référent » chargé d'assurer la liaison avec les journalistes dans les manifestations. La loi « Sécurité globale », adoptée définitivement en mai 2021, marquera une nouvelle tentative de passage en force.
Devant le tollé que provoque la situation, le gouvernement rétropédale le matin même où le jugement doit être prononcé
Dans ce contexte, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et d'autres organisations comme RSF, ne se sont pas faites attendre pour déposer devant le Conseil d'État un référé-liberté à l'annonce de la sortie du SNVU. Cette procédure d'urgence permet de demander au juge de prendre des mesures pour préserver une liberté fondamentale. Devant le tollé que provoque la situation, le gouvernement rétropédale le matin même où le jugement doit être prononcé, le 11 septembre, et décide de republier le document sous le nouveau petit nom de Guide opérationnel des violences urbaines (GOVU) – comme si on était dupes – en supprimant la disposition litigieuse. Pas complètement satisfaits, les syndicats ont également saisi le Conseil d'État sur le fond de l'affaire.
Contacté à ce sujet, le SNJ explique demander à la juridiction de se prononcer sur la dimension attentatoire à la liberté de la presse du document. L'objectif : que le texte « puisse garantir explicitement la protection des journalistes, quel que soit le contexte, afin qu'ils puissent exercer leur mission d'informer ». Pour lui, comme pour les autres organisations de journalistes, l'intention initiale reste problématique et implique de rester vigilants face à ce glissement toujours plus autoritaire. Une façon polie de dire que nous ne laisserons rien passer.
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>>> La marmite sous les directions syndicales
04.10.2025 à 00:30
Au sommaire du n°245 (en kiosque)
Ce numéro d'octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d'actions. Le sociologue Nicolas Framont et l'homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Marina Margarina, SommaireTexte intégral (2020 mots)

Ce numéro d'octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d'actions. Le sociologue Nicolas Framont et l'homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.
Quelques articles seront mis en ligne au cours du mois. Les autres seront archivés sur notre site progressivement, après la parution du prochain numéro. Ce qui vous laisse tout le temps d'aller saluer votre marchand de journaux ou de vous abonner...
En couverture : « Si nous tirons tous, il tombera » par Marina Margarina
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Dossier « Si nous tirons tous, il tombera »
– Se rendre ingérables – L'intro du dossier signé par la rédac.
– Au péage de Lançon-de‑Provence, pas de pitié pour Vinci – Dimanche 7 septembre, une centaine de joyeux lurons bariolés s'est retrouvée au péage de Lançon-de-Provence pour une action « péage gratuit ». Pendant une heure, ils ont maintenu les barrières ouvertes, distribué des tracts et récolté des deniers pour soutenir la mobilisation du 10 à venir.
– Bloc parti – Pour transformer le doux fantasme du blocage général en une réalité palpable, quatre points de rendez-vous avaient été fixés à Marseille. La prise d'initiative et l'audace remarquable n'ont pourtant pas suffi à paralyser la ville.
– Eurolinks : un grain dans la machine militaire – Des centaines de personnes se sont relayées tout au long de la journée pour bloquer l'usine Eurolinks, mettant ainsi à l'arrêt la production de l'entreprise exportatrice de maillons de munitions en Israël. Récit d'une action réussie.
– Une kermesse comme quartier général – À Marseille, le 10 septembre n'a pas seulement vu des tentatives – plus ou moins abouties – de blocages, sabotages et autres réjouissances. En centre-ville, une kermesse militante s'est tenue pour la journée, véritable base arrière. Petit tour de cette initiative festive.
– La marmite sous les directions syndicales – Ça devient une habitude : cette rentrée, alors qu'enfin la mobilisation reprend, l'intersyndicale la discrédite, avant de s'empresser de calmer le jeu. Alors oui, elle parvient encore à entraver les secteurs qui se reposent sur elle. Mais dans ses bases, les grévistes ont des revendications de plus en plus politiques. Avec risque de débordement.
– Nationaliser l'énergie – Quand on fait grève, en général, on ne se repose pas. À courir de manif en piquet, de réunion en AG, le cerveau est dopé et ne s'arrête plus de tourner. Le 17 septembre dernier, on débattait avec les grévistes de la CGT Mines et Énergie de la nationalisation de leurs outils de production.
– Convergences en divergences – Le jeudi 18 septembre, les militant·es qui bloquaient l'usine Eurolinks ont rejoint par hasard le piquet de grève des salariés sous-traitants en charge du nettoyage des métros et bus marseillais de la RTM, la Régie des transports métropolitains. Une rencontre entre deux univers de lutte.
– Circulez, y'a rien à voir ! – Fin août, le ministère de l'Intérieur publie en catimini un nouveau texte pour donner un cadre à l'intervention des forces de l'ordre lors de « violences urbaines ». Problème : la protection des journalistes est remise en cause. Récit d'une nouvelle tentative de censure de la liberté de la presse.
– Nicolas Framont : « Quand la peur change de camp, le rapport de force devient favorable » – Dans son dernier ouvrage Saint Luigi, Nicolas Framont repose la question de la violence en politique à partir d'une réflexion sur l'affaire Luigi Mangione aux États-Unis. Pas d'appel à tuer des PDG ni à manger des riches, mais une invitation au débordement, par la base, de nos orgas mortifères.
– Olivier Besancenot : « En prenant un bain d'anarchisme, le marxisme d'aujourd'hui peut sortir régénéré » – Dans leur dernier livre Marxistes et libertaires : affinités révolutionnaires, Olivier Besancenot et Michael Löwy retracent l'histoire des alliances et solidarités entre ces deux courants, avec l'espoir de voir advenir un futur rouge et noir. Entretien.
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Actualités d'ici & d'ailleurs
– « Rembourser la dette comme on fait pénitence » – En juillet 2025, Bayrou proposait une année blanche, la suppression de deux jours fériés et tout un tas de mesures austéritaires pour échapper à la « malédiction de la dette ». Rien que ça. On débunke ce discours mystico-religieux avec Maxime Menuet, économiste et professeur à l'Université Côte d'Azur.
– Solidarité à la française – « Nous avons, aujourd'hui, un taux de chômage qui est le plus bas depuis quinze ans », fanfaronnait Emmanuel Macron quelques mois avant sa réélection. Sa solution : réduire la durée d'indemnisation et allonger celle nécessaire pour ouvrir des droits. Résultat : des demandeurs d'emploi sous pression, contraints d'accepter un job « quoi qu'il en coûte ».
– « Créer de la vie au milieu de la mort » – On avait eu le bonheur de le croiser à Vienne, au printemps, en marge d'un concert de soutien aux victimes du génocide de Gaza. Membre du groupe de shamstep 47SOUL et auteur d'une œuvre en solo aussi prolifique que bouleversante, le chanteur palestinien en exil El Far3i, Tareq Abu Kwaik de son vrai nom, est de ces artistes qui raniment la flammèche de l'humanité au cœur des temps obscurs. ***
Côté chroniques
– Lu dans... | La Vuelta gagnée par le mouvement pro-Palestine en Espagne - Le 14 septembre, 100 000 manifestants ont occupé le centre de Madrid et arrêté avec succès la dernière étape de la Vuelta, course cycliste nationale espagnole. Le journal Viento Sur revient sur les leçons politiques de l'évènement1.
– Sur la Sellette : L'intérêt des allocataires – En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.
– Échec scolaire | Le fantôme du retour du serpent de mer de la grève générale – Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Ce mois-ci il nous emmène dans les AG du secteur de l'éduc' qui peinent à construire une grêve reconductible.
– « Tradwives » : elles lavent leur linge sale en public – Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Alors qu'on pensait le mouvement tradwife en pleine expansion, certaines anciennes adeptes prennent la parole sur Tiktok ou Instagram pour alerter sur cette forme réchauffée d'exploitation.
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Côté culture
– Alcool ou pas cool ? – Alors que les drogues non légalisées sont stigmatisées, l'alcool est plutôt encouragé tant qu'il ne déborde pas. Et il est rarement interrogé avec finesse. Les rapports que l'on entretient avec lui sont pourtant éminemment pluriels, de même que les ressorts de l'addiction. C'est ce que souligne Fracasse, fanzine collaboratif évitant l'écueil de la culpabilisation.
– De l'annexion au génocide – Le recueil de textes Gaza, génocide annoncé, présente des décennies de réflexions du chercheur Gilbert Achcar à propos de la Palestine. Un ouvrage dense, mais cohérent : le génocide à Gaza n'est pas le fruit du hasard, il est latent depuis la fondation de l'État d'Israël.
– Frénésie de dissolutions - Contre-pouvoir essentiel en régime démocratique, les associations politiquement engagées subissent les assauts de l'État et de collectivités territoriales bien décidés à les faire taire. Antonio Delfini et Julien Talpin recensent et dénoncent ce bâillonnement croissant dans L'État contre les associations – Anatomie d'un tournant autoritaire.
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Et aussi...
– L'édito – La tatane entre les dents !
– Ça brûle ! – Mettez-nous le feu !
– L'animal du mois – Espiègle fouisseur
– Abonnement - (par ici)
1 « Situación y lecciones de una victoria política que abre camino más allá del gobernismo », Viento Sur (17/09/2025).
04.10.2025 à 00:30
Se rendre ingérables
Alors qu'il pensait passer ses réformes budgétaires en douce pendant les vacances, François Bayrou a soufflé sur le brasier de la colère. Durant l'été, le mouvement Bloquons tout a fait les choux gras dans les médias qui ont tenté de le définir alors qu'il n'avait pas commencé... Retour sur ce mois de septembre agité. On ne va pas se mentir, au début, on y croyait moyen. Décidé par on ne sait qui, au creux d'un été chaud et somnolent, ça paraissait un peu loin. Bayrou venait d'annoncer les (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Le dossier, Benoit GuillaumeTexte intégral (1049 mots)

Alors qu'il pensait passer ses réformes budgétaires en douce pendant les vacances, François Bayrou a soufflé sur le brasier de la colère. Durant l'été, le mouvement Bloquons tout a fait les choux gras dans les médias qui ont tenté de le définir alors qu'il n'avait pas commencé... Retour sur ce mois de septembre agité.
On ne va pas se mentir, au début, on y croyait moyen. Décidé par on ne sait qui, au creux d'un été chaud et somnolent, ça paraissait un peu loin. Bayrou venait d'annoncer les premières mesures de la casse sociale qu'il comptait mettre en œuvre pour échapper à la « malédiction » de la banqueroute nationale et nous, nous partions (pour les plus veinard·es) sur nos lieux de villégiature préférés, la mine déconfite. Mais c'était sans compter sur les Françaises et les Français, toujours prompt·es à conspirer contre leur gouvernement. Ça a commencé par pépier en AG. D'abord à 30, puis à 50, puis à 300. Des mots d'ordre grattés sur des tracts semés aux quatre vents se sont mis à circuler, tandis que les murs se tapissaient de « on ne veut plus » et « bloquons tout ». Plus on avançait, plus le message tournait qu'une grève dans le monde du travail serait la bienvenue. Dans le même temps, des boucles Signal en veux-tu en voilà ourdissaient des plans secrets pour paralyser voies, villes et flux. Au sommet, le Premier ministre apparaissait toujours plus seul avec son budget honni sur les bras. Deux jours avant la date fatidique, alors que rien de vraiment concret n'avait encore commencé, boum : il est forcé de démissionner… Puis, le 10 septembre a eu lieu.
À Marseille : 80 000 personnes sont descendues dans la rue ce jour-là selon la CGT, 8 000 selon la préfecture. Classique. Partout en France, 197 000 selon le ministère de l'Intérieur, 250 000 selon la CGT. Un beau score pour une mobilisation spontanée. Plus encore si l'on mesure la timidité de la position prise par l'intersyndicale qui, sentant le vent du 10 septembre souffler de plus en plus fort, s'était réunie en catastrophe le 29 août, pour finalement n'appeler qu'à une journée de mobilisation nationale le 18 septembre1. De son côté, le jour J, Retailleau a quasiment vidé Beauvau de ses flics : 80 000 forces de l'ordre casquées et harnachées ont été déployées dans toute la France2. Mais, imperturbable, la journée s'est déroulée, joyeuse et déter. À Lyon, les grévistes de la raffinerie Total de Feyzin ont été rejoint·es par des manifestant·es sur leur piquet. À Saint-Hilaire-Bonneval, en Haute-Vienne, des agriculteur·ices ont barré l'autoroute avec leurs tracteurs. À Strasbourg, une « vélorution » (un cortège de cyclistes bloquant) a filé sur les routes et ronds-points. À Paris, les portes de Bagnolet, de Clignancourt, d'Aubervilliers, ont été prises d'assaut au petit matin, pendant que les élèves du lycée Hélène Boucher envoyaient des poubelles à la figure des flics. Partout, des blocages stratégiques, des manifs qui essayent de sortir des codes, une fluidité dans les modes d'action et une idée fixe : se rendre ingérables.
Au sortir du 10, suivi du 18, dans la myriade d'AG globales, de groupes thématiques et de rassemblements de quartier, on commence à stratégiser. Qu'est-ce qui marche le mieux ? Qu'est-ce qui coince encore ? Les blocages sont galvanisants, mais ne durent pas. Les grévistes sont trop peu, mais débrayent, secteur par secteur, avec quelques bonnes poussées autogestionnaires. Comment faire le lien entre l'étincelle et l'artillerie lourde ? Des mains se tendent, des ponts se font, sans pleinement réussir à dissiper les vieux antagonismes. Pour autant, si chacun joue sa partie, tous se complètent dans la pression qu'ils mettent sur le gouvernement, plus instable que jamais.
À Marseille, la rédaction de CQFD a bien sûr sauté à pieds joints dans la journée du 10 – les plus vaillant·es participent toujours aux AG, commissions, et vivent leur grève par procuration sur les piquets. Et elle en a tiré quelques réflexions stratégiques à partager. Certaines actions l'ont épatée, d'autres l'ont laissée un peu sceptique. Tour d'horizon critique, mais fraternel, des initiatives aperçues dans la cité phocéenne.
1 Malgré tout, certaines organisations locales, ou de secteur, ont franchement appelé au 10, telle que l'Union départementale de la CGT du Nord (gloire à elle).
2 À titre de comparaison, au plus fort de la mobilisation contre la réforme des retraites, le 28 mars 2023, 13 000 membres des forces de l'ordre avaient été mobilisés dans toute la France. La mobilisation des Gilets jaunes du 8 décembre 2018, avait quant à elle, mobilisé 89 000 policier·es.
04.10.2025 à 00:30
Au péage de Lançon-de‑Provence, pas de pitié pour Vinci
Dimanche 7 septembre, une centaine de joyeux lurons bariolés s'est retrouvée au péage de Lançon-de-Provence pour une action « péage gratuit ». Pendant une heure, ils ont maintenu les barrières ouvertes, distribué des tracts et récolté des deniers pour soutenir la mobilisation du 10 à venir. C'est une action passée sous les radars qui s'est déroulée quelques jours avant le jour J. Finement organisée, elle a réuni une centaine de personnes à proximité de l'aire de péage de (…)
- CQFD n°245 (octobre 2025) / Le dossierLire plus (486 mots)
Dimanche 7 septembre, une centaine de joyeux lurons bariolés s'est retrouvée au péage de Lançon-de-Provence pour une action « péage gratuit ». Pendant une heure, ils ont maintenu les barrières ouvertes, distribué des tracts et récolté des deniers pour soutenir la mobilisation du 10 à venir.
C'est une action passée sous les radars qui s'est déroulée quelques jours avant le jour J. Finement organisée, elle a réuni une centaine de personnes à proximité de l'aire de péage de Lançon-de-Provence dans le sens Lyon-Marseille, le dimanche 7 septembre dans l'après-midi. Exploitée par le groupe Vinci via sa filiale Autoroutes du Sud de la France (ASF), cette immense gare de péage voit défiler des milliers de véhicules chaque jour et représente une bonne partie des recettes d'ASF sur l'autoroute A7.
À 16 heures pétantes, le petit groupe enjambe le portique de sécurité et déferle sur les vingt-quatre voies du péage. Ayant répondu à la consigne, toutes et tous ont revêtu leurs plus beaux atours colorés, perruques et hauts de forme compris. En peu de temps, les barrières sont levées, les caméras obstruées, les pancartes et banderoles suspendues. Le barrage filtrant installé, les participant·es discutent gaiement avec les conducteur·ices incrédules. Tandis qu'une équipe de médiation s'évertue à convaincre les gendarmes déjà sur place du bien-fondé de cette « performance artistique », les autres distribuent des tracts à travers les fenêtres baissées. Vertu d'une action qui « débloque » plutôt qu'elle ne bloque, l'évènement est bien reçu par les usager·es qui peuvent filer à toute berzingue sans sortir leur carte bleue. À la place, iels sont invité·es à donner quelques pièces pour soutenir les caisses de grève qui se montent pour le 10 septembre. Pendant une heure, le mot d'ordre passe de voiture en voiture : rendez-vous mercredi pour soutenir le mouvement « Bloquons tout », et en attendant, sus à Vinci et à la privatisation de nos infrastructures ! Alors que les forces de l'ordre commencent à rappliquer, la joyeuse bande s'en est allée sans demander son reste et sans qu'aucune dégradation ne soit constatée sur place. Chapeau les artistes.
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