URL du flux RSS
Libertés fondamentales dans l’environnement numérique

-> Copie de sauvegarde automatisée des contenus la Quadrature du Net

▸ les 10 dernières parutions

29.04.2025 à 14:08

PJL simplification : déréguler l’IA, accélérer sa fuite en avant écocide

startuffenation
Ce soir ou demain seront examinés les amendements à l’article 15 du projet de loi « simplification » de la vie économique. La Quadrature du Net, en lien avec le collectif Le Nuage était sous nos pieds et les…
Texte intégral (1557 mots)

Ce soir ou demain seront examinés les amendements à l’article 15 du projet de loi « simplification » de la vie économique. La Quadrature du Net, en lien avec le collectif Le Nuage était sous nos pieds et les membres de la coalition Hiatus, appelle à sa suppression, et avec beaucoup d’autres actrices et acteurs de la société civile ainsi que des représentant·es politiques, à l’instauration d’un moratoire sur les gros data centers. Participez à cette bataille en vous rendant sur notre page de campagne !

Que prévoit l’article 15 ?

L’article 15 du projet de loi, relatif aux centres de données, s’inscrit parfaitement dans cette sombre histoire : il autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers, extrêmement impactants sur le plan environnemental, un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). D’après le gouvernement, ce statut pourra être octroyé aux data centers d’une surface comprise entre 30 et 50 hectares (soit jusqu’à 71 terrains de foot) !

Avec ce statut PINM, les multinationales de la tech et les fonds d’investissements qui les soutiennent se verraient assistés par le gouvernement pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter aux projets concernés. Les procédures de consultation du public seraient encore allégées. Enfin, l’État pourrait accorder des dérogations aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées. En d’autres termes, l’État pourrait court-circuiter les règles existantes au nom de la « simplification » et « l’innovation » et imposer la construction de data centers polluants à des communes.

Déréguler la tech

La loi « simplification » marque donc une étape fondamentale dans la dérégulation de l’IA, le tout au service de l’industrie de la tech et dans le contexte d’une bulle spéculative autour des data centers et d’une rivalité géopolitique croissante entre les puissances impérialistes de ce monde.

Lors du sommet relatif à l’IA organisé par la France en février dernier, la couleur était clairement affichée. Dans son allocution, Emmanuel Macron affirmait : « Si on régule avant d’innover, on se coupera de l’innovation ». Le vice-président étasunien techno-réactionnaire JD Vance, qui avait fait le déplacement à Paris, n’avait pas caché sa satisfaction : « Je suis content de voir qu’un parfum de dérégulation se fait sentir dans nombre de discussions », avait-il déclaré lors de son allocution.

En réalité, dès 2023, la France avait fait des pieds et des mains au niveau de l’Union européenne pour faire primer la sacro-sainte « innovation » sur les droits humains, dans le cadre des négociations sur le règlement IA. Aiguillée par l’ancien ministre Cédric O devenu lobbyiste en chef de la tech française, et à force de coups de pressions voulus par Emmanuel Macron, Paris était parvenu à convaincre ses partenaires européens de privilégier une approche moins-disante. Ces renoncements se sont particulièrement fait sentir sur le front des IA policières, avec la légalisation de la reconnaissance faciale en temps réel et un certain nombre d’exceptions réservées aux forces de police et autres services de renseignement.

Dans le même temps, toujours au nom de l’IA, on multipliait les dispositifs dérogatoires au droit, par exemple via des mécanismes de « bacs-à-sable réglementaires ». Et c’est désormais le RGPD que certains aimeraient détricoter pour « libérer » les IA censément « entravées » par les règles adoptées pour protéger le droit à la vie privée et les données personnelles. Loin de défendre les « valeurs » associées aux droits humains, sociaux et environnementaux, l’Union européenne s’enfonce dans un suivisme mortifère face à la Chine et les États-Unis, deux puissances engagées dans une course à l’IA.

La technocratie en marche

Au nom de la « simplification », l’article 15 du projet de loi débattu par l’Assemblée nationale poursuit ce mouvement de dérégulation en rognant cette fois sur les législations environnementales et le droit à la participation des citoyens concernant les projets de gros centres de données.

Parmi ces derniers, se trouvent les immenses data centers soutenus par le gouvernement français. Dans la perspective de développer ces infrastructures, ossature du numérique dominant, et d’accélérer l’accaparement des terres, des ressources foncières, minières, hydriques et l’exploitation des travailleur·euses qu’elles impliquent, nous voyons aujourd’hui des entreprises comme RTE, normalement garantes du service public de l’énergie vanter leur collaboration avec les multinationales étasuniennes du secteur, comme Digital Realty. Le bilan prévisionnel de RTE prévoit ainsi un triplement de la consommation d’électricité des data centers d’ici à 2035, soit autour de 4% de la consommation nationale.

Du côté du gouvernement, on voit dans les milliards d’euros d’investissements privés annoncés dans les data centers construits en France la confirmation du bien-fondé de sa politique de relance du nucléaire, quitte à passer sous silence les dangers et les grandes inconnues qui entourent ces programmes. Quitte aussi à engager une relance débridée de l’extractivisme minier et des prédations qui y sont liées, comme y encourage l’article 19 de ce même projet de loi « simplification ». Quitte, enfin, à museler les contestations, à s’asseoir sur le droit à la consultation du public et à rogner encore un peu plus sur les compétences de la Commission nationale du débat public, qui depuis des années demande à être saisie lors de la construction des centres de données.

À la clé, c’est d’abord l’impossibilité d’une politique de sobriété collective pour faire face aux crises sociales, climatiques et écologiques. Avec l’augmentation de la demande liée aux data centers, c’est aussi la perspective d’une explosion des prix de l’électricité, la précarité énergétique qu’elle suppose et des risques décuplés de conflits d’usage. Car, à la mesure de leurs moyens financiers, l’appétit des géants de la tech en électricité est insatiable. Il y a quelques jours, Eric Schmidt, ancien PDG de Google et émissaire de la Silicon Valley à Washington, l’admettait sans détour devant une commission du Congrès étasunien au sujet du développement de l’IA :

« Ce que nous attendons de vous [le gouvernement], c’est que nous [la tech] ayons de l’énergie sous toutes ses formes, qu’elle soit renouvelable, non renouvelable, peu importe. Il faut qu’elle soit là, et qu’elle soit là rapidement. De nombreuses personnes prévoient que la demande pour notre industrie passera de 3 % à 99 % de la production totale [d’électricité au niveau mondial] (…) ».

Aux États-Unis, de nombreux producteurs d’électricité s’apprêtent ainsi à rallumer des centrales à gaz ou au charbon, ou à retarder leur fermeture face à la consommation croissante des data centers. Technofascisme et carbofascisme vont indéniablement de pair.

Contre cette fuite en avant, il faut voter contre l’article 15 du projet de loi, et soutenir un moratoire sur les gros data centers, le temps que les conditions d’une maîtrise collective des infrastructures numériques puissent être posées. La balle est désormais dans le camp des parlementaires. Retrouvez notre pour contacter vos représentant·es à l’Assemblée et peser sur leur vote !

09.04.2025 à 14:43

Loi « simplification » : stop au boom des data centers ! 

startuffenation
Aujourd’hui à l’Assemblée nationale débute l’examen en séance du projet de loi relatif à la simplification de la vie économique. Une loi d’apparence technique, aux enjeux obscurs, mais qui marque un nouveau coup de force au…
Texte intégral (1381 mots)

Aujourd’hui à l’Assemblée nationale débute l’examen en séance du projet de loi relatif à la simplification de la vie économique. Une loi d’apparence technique, aux enjeux obscurs, mais qui marque un nouveau coup de force au service de l’industrie, et au détriment des droits humains et de l’environnement. L’article 15 du projet de loi, dans la droite ligne des promesses faites par Emmanuel Macron aux investisseurs lors du sommet IA de février dernier, vise à accélérer la construction d’immenses data centers en permettant à l’État de les imposer aux collectivités locales et à la population. Contre ce coup de force visant à ériger ces infrastructures au bénéfice des géants de la tech et au prix d’un accaparement des ressources foncières, électriques et hydriques, un large front de la société civile appelle à la suppression de cet article et à la mise en place d’un moratoire sur la construction des gros data centers.

La simplification, cheval de Troie de la dérégulation

L’examen du projet de loi « simplification » commence aujourd’hui à l’Assemblée nationale, dans une certaine indifférence. Les enjeux sont pourtant majeurs. Comme le rappelle France Nature Environnement dans ce rapport tout juste sorti qui dresse le bilan de 20 ans de lois de « simplification », ces dernières apparaissent en fait comme « un cheval de Troie de la dérégulation, un processus insidieux et malhonnête qui affaiblit l’État de droit et la justice environnementale, et met en péril la protection des écosystèmes et la construction d’un monde vivable ».

L’article 15 du projet de loi, relatif aux centres de données, s’inscrit parfaitement dans cette sombre histoire : il autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers, extrêmement impactants sur le plan environnemental, un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). D’après le gouvernement, ce statut pourra être octroyé aux data centers d’une surface comprise entre 30 et 50 hectares (soit jusqu’à 71 terrains de foot) !

Avec ce statut PINM, les multinationales de la tech et les fonds d’investissements qui les soutiennent à coup de dizaines de milliards d’euros se verraient assistés par le gouvernement pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter aux projets concernés. Les procédures de consultation du public seraient encore allégées. Enfin, l’État pourrait accorder des dérogations aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées. En d’autres termes, l’État pourrait court-circuiter les règles existantes au nom de la « simplification » et « l’innovation » et imposer la construction de data centers polluants à des communes.

Moratoire !

Depuis plusieurs semaines, le collectif Le Nuage était sous nos pieds, qui s’est organisé à Marseille pour résister à la flambée des centres de données dans la cité phocéenne, et La Quadrature du Net, en lien avec les autres membres de la coalition Hiatus (lancée en février pour « résister à l’IA et son monde »), appellent à deux choses : d’une part, la suppression de l’article 15, et d’autre part l’adoption d’un moratoire sur la construction des grands entrepôts à serveurs.

Issus de contacts pris au niveau politique, plusieurs amendements visaient justement à relayer ces revendications. Des amendements de suppression de l’article 15 ont ainsi été déposés par le Parti socialiste, les député·es écologistes ou La France insoumise. C’est là notre revendication, urgente et minimale : pour la défendre, contacter vos député·es et les convaincre d’adopter ces amendements, rendez-vous sur cette page où vous trouverez un argumentaire en appui de ces positions.

Mais d’autres amendements, fondés sur , ont été déposés en vue d’un objectif plus ambitieux : instaurer un moratoire sur la construction de gros data centers, le temps qu’une convention citoyenne puisse poser les bases d’un débat sur l’encadrement adéquat du développement des infrastructures numériques. Or, alors que ces amendements de moratoire avaient été déposés et examinés en commission courant mars sans aucun problème, cette fois-ci pour l’examen en séance, les services de l’Assemblée les ont déclarés irrecevables car contraires à l’article 40 de la Constitution. Apparemment, un tel moratoire ou l’organisation d’une convention citoyenne contribuerait à « aggraver une charge » ou à « diminuer les ressources » publiques. Impossible donc pour le Parlement d’appeler à une convention citoyenne en dehors d’une loi de finances ? Le « parlementarisme rationalisé » a encore frappé !

Principe de réalité démocratique

C’est d’autant plus regrettable que le principe d’un moratoire — une manière de poser les bases d’une maîtrise démocratique des data centers, et de contrer les velléités du gouvernement d’accélérer toujours plus au mépris des droits et de la démocratie — fait consensus auprès d’une diversité d’acteurs.

Un large front de la société civile, incluant des chercheur·euses, des militant·es, ainsi que des représentant·es politiques, appellent ainsi, dans une tribune parue dans Libération, à la mise en place d’un tel moratoire. À Marseille, l’enquêteur public chargé d’instruire le dossier de l’entrepôt logistique SEGRO doublé d’un data center, vient d’appeler lui aussi, dans ses recommandations adressées aux instances régionales, à « effectuer une pause pour mettre les acteurs autour d’une table, en imposant un moratoire ». De même en Irlande, où les data centers représentent aujourd’hui plus de 20% de la consommation électrique du pays, la région de Dublin est soumise à un moratoire de fait jusqu’en 2028 au moins. Bref, cette option politique est non seulement possible, mais aussi réaliste et nécessaire pour commencer à remettre le numérique à sa place, à l’heure où l’essor de l’IA conduit à une fuite en avant spéculative dans le développement de ces infrastructures.

Alors ne lâchons rien ! Rendez-vous sur notre page de campagne pour pousser les député·es à voter la suppression de l’article 15 de la loi « simplification », et à exiger du gouvernement la mise en place d’un moratoire sur les centres de données ! Vous pouvez aussi nous soutenir dans ce combat en faisant un don à La Quadrature.

08.04.2025 à 23:33

Tribune : Contre la «loi simplification», ralentissons et osons faire front commun

startuffenation
Parce qu’il est urgent de reprendre le contrôle sur les infrastructures du numérique, plusieurs communautés s’organisent déjà pour résister. Un collectif de responsables d’associations, de syndicats et de militants demande un moratoire sur la construction…
Texte intégral (1304 mots)

Parce qu’il est urgent de reprendre le contrôle sur les infrastructures du numérique, plusieurs communautés s’organisent déjà pour résister. Un collectif de responsables d’associations, de syndicats et de militants demande un moratoire sur la construction de nouveaux «datacenters» ainsi que la mise en place de débats publics.

Cette tribune a d’abord été publiée sur Libération.fr.

Du 8 au 11 avril, l’Assemblée nationale débat du projet de loi de simplification de la vie économique (PLS). On y trouve de nombreuses mesures dérogatoires au droit commun, une perte de pouvoir de la Commission nationale du débat public, un retour en arrière sur la loi Zéro artificialisation nette, sur la protection des espèces menacées, une perte des compétences des collectivités territoriales. Il s’agit d’un démantèlement lent mais assuré des maigres législations écologiques et démocratiques qui encadraient encore les élans du capitalisme technologique.

Le PLS concerne aussi la facilitation des installations industrielles notamment minières, prétendument de transition énergétique et paradoxalement associées aux infrastructures du numérique, comme les data centers, dont il s’agirait de faciliter l’installation en France pour une supposée souveraineté numérique.

Les infrastructures du numérique, qui permettent à l’information numérique de circuler et aux services du cloud d’apparaître sur nos écrans, sont organisées en data centers interconnectés par les câbles de fibres optiques sous-marins. Et pour faire des data centers, des câbles et les usines de production énergétique pour les alimenter, il faut des mines, d’où sont extraits les minerais qui composeront les puces des serveurs et des cartes graphiques, nécessaires au fonctionnement desdites intelligences artificielles.

Le cloud était sous nos pieds : le déploiement des infrastructures du numérique est soutenu par une relance débridée de l’extractivisme et des prédations qui y sont liées. Elles sont les nouvelles infrastructures de la domination impérialiste : il faut en être pour continuer à faire partie des grandes puissances mondiales, quitte à ouvrir grand les portes à tous ces investisseurs privés pour faire de la France une «data center nation». Alors que les dépendances technologiques envers les multinationales étasuniennes alignées derrière le programme d’extrême droite de Donald Trump sont croissantes, le temps ne peut pas être à la dérégulation.

Rester dans la course de l’IA

Le projet de loi Simplification propose de conférer aux data centers le statut de projet d’intérêt national majeur. Par là, il faut entendre le statut de raison impérative pour rester dans la course à l’IA. Tant pis si vous devez attendre dix ans de plus l’électrification d’activités polluantes ; tant pis si les massacres en République démocratique du Congo redoublent d’intensité ; tant pis pour les terres que les paysannes abandonnent, faute d’eau disponible, tant pis si on ne sait toujours pas réemployer les puces et si les décharges de déchets du numérique s’étendent à perte de vue ; tant pis si les data centers dans lesquels on stocke les données de l’Etat sont soumis aux lois états-uniennes ; tant pis si la vitalité des quartiers populaires est sacrifiée aux chaleurs produites des réfrigérateurs géants. Il n’y a pas de négociations à avoir. Au contraire, le gouvernement propose de graver dans la loi une fiscalité allégée et un accès prioritaire au réseau électrique public. Le numérique dominant s’impose, rendant obsolète nos machines, nos compétences et parfois même nos corps.

Nous pensons que le moment est venu de reprendre le contrôle collectivement sur les infrastructures du numérique. La souveraineté numérique, ça ne peut pas être de tenter désespérément d’arracher un segment d’une chaîne de valeur contrôlée par des multinationales étrangères en les attirant sur le territoire français avec une législation et une fiscalité aguicheuse.

D’autres manières d’hériter de ce monde abîmé

Partout sur le territoire et à l’étranger, de nombreuses communautés s’organisent déjà pour résister à ce numérique dominant : collectifs en lutte contre les projets miniers, contre les fonderies de puces microélectroniques dédiées à l’armement et aux gourdes connectées, contre les implantations de data centers s’appropriant l’eau des rivières ou l’eau potable, ou les importations croissantes des minerais de sang ; riverain·e·s qui suffoquent déjà trop de la toxicité de ce monde industriel, qui voient des projets d’intérêt général rendus impossibles par la saturation des réseaux d’électricité ou qui cherchent à privilégier des lieux de vie où on privilégie l’humain ; comme les chercheur·euse·s qui documentent les impacts écologiques du numérique, les déchets produits, qui étudient la déchéance des utopies d’Internet ou encore les dimensions géopolitiques croissantes ; comme les artistes et designers qui cherchent à fabriquer d’autres récits et d’autres manières d’hériter de ce monde abîmé, ou qui inventent des réseaux sociaux qui tiennent avec un téléphone portable pour serveurs ; comme les communautés de logiciels libres et leshackerspacesqui fabriquent des serveurs low tech.

A l’opposé de cette loi, nous demandons collectivement un moratoire sur la construction de nouveaux data centers et la mise en place de débats publics, qui pourraient prendre la forme de conventions citoyennes, ainsi qu’un soutien aux projets de recherches actions ayant pour objectif de mettre au travail des alternatives réelles et de célébrer la joie qui circule quand on parvient à penser ensemble.

Contre la fuite en avant, ralentissons et osons faire monde commun.

Signataires : Julie Ferrua Codéléguée générale de l’Union syndicale Solidaires Raquel Radaut Porte-parole de la Quadrature du Net Ophélie Coelho Chercheuse associée à lInstitut de relations internationales et stratégiques(Iris), Centre Internet et Société, autrice Baptiste Hicse Membre du collectif StopMicro Annick Ordille Membre du collectif le Nuage était sous nos pieds Sébastien Barles Adjoint au maire de Marseille, en charge de la transition écologique Camille Etienne Autrice et militante écologiste David Cormand Député européen écologiste Clément Marquet Chargé de recherches en sciences techniques et société, Mines Paris-PSL David Maenda Kithoko Président deGénération Lumière Aurora Gómez Delgado Porte-parole du collectif TuNubeSecaMiRío Manuel Bompard Député des Bouches-du-Rhône (LFI), Adrien Montagut Codirigeant de la coopérativeCommownen charge des affaires publiques Lou Welgryn Secrétaire générale de Data for Good Jérôme Moly Président de l’association GreenIt…

La totalité des signataires est ici.

04.04.2025 à 18:31

QSPTAG #320 — 4 avril 2025

robinson
Lire sur le site La loi « Narcotrafic » étend le domaine du flicage numérique Le 11 mars dernier, on publiait
Texte intégral (3735 mots)

Lire sur le site

La loi « Narcotrafic » étend le domaine du flicage numérique

Le 11 mars dernier, on publiait un article avec un zeste de réjouissance dans un grand seau de prudence : la commission des Lois de l’Assemblée nationale avait supprimé la plupart des articles les plus liberticides de la loi « Narcotrafic ». Cette réaction des député·es ne venait pas de nulle part, vous avez agi en nombre pour les interpeller — bravo et merci ! Mais si des mesures désastreuses avaient sauté en commission (on pense en particulier à la menace qui pesait sur le chiffrement des messageries), d’autres mesures étaient malheureusement restées, et on s’attendait à ce que les pires reviennent par amendements du gouvernement au moment de la discussion dans l’Hémicycle. Badaboum, ça n’a pas raté.

Le gouvernement, représenté par le ministre de l’Intérieur Retailleau et soutenu par quelques députés de la droite et de l’extrême-droite, a de nouveau défendu l’idée d’une « backdoor » pour la police et le renseignement dans les messageries chiffrées, en camouflant cette rupture du chiffrement sous des appellations alambiquées (un « utilisateur fantôme » qui s’inviterait dans les conversations, par exemple). Heureusement, les député·es ne se sont pas laissé avoir, pour le plus grand dépit des défenseurs de la mesure qui ont même dénoncé un « concours des geeks ». La compromission du chiffrement a été rejetée.

Mais il reste le reste. L’activation à distance des appareils numériques (micros et caméras) pour les transformer en mouchards : adoptée. L’extension du périmètre des « boîtes noires » de renseignement qui analysent le réseau pour trouver les comportements « suspects » : adoptée. La création d’un « dossier coffre », c’est-à-dire que les procès-verbaux d’instruction ne décriront plus les méthodes de surveillance utilisées : adoptée. Les personnes visées par la définition large et mouvante de la « criminalité en bande organisée » pourront donc être surveillées par tous les moyens et ne pourront plus contester la légalité de ces moyens devant le tribunal (lieux de vie « sonorisés », etc.). La main sur le cœur, en jurant de s’attaquer aux « narcotrafiquants », les parlementaires ont validé des mesures qui pourront être utilisées contre des militants politiques, des activistes écologiques, des opposants à l’industrie polluante et aux autoroutes inutiles, des syndicalistes qui préparent une manifestation ou une occupation d’usine. Et ce faisant, ils ont réduit les droits politiques de tout le monde.

Comme le texte voté par l’Assemblée nationale n’est pas identique à celui que le Sénat avait adopté, il y aura une commission mixte paritaire (CMP) dans le courant du mois d’avril et un nouveau vote dans les deux chambres à la fin du mois. On suit ça de près et on vous tient au courant !

La page de la campagne : Contre la loi surveillance et narcotraficotage
Article du 11 mars : Loi « Narcotraficotage » : la mobilisation paye alors ne lâchons rien
Article du 18 mars : Le gouvernement prêt à tout pour casser le droit au chiffrement

Loi «Transports » et prolongement de la VSA

Le 18 mars dernier, avant de commencer l’examen de la loi « Narcotrafic », l’Assemblée nationale a voté la loi « Transports ». Quel rapport ? Encore des mesures de surveillance numérique. Cette loi sur « la sécurité dans les transports » a donc été le véhicule choisi par le gouvernement pour prolonger l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) qui avait été mise en place à l’occasion de la loi «Jeux Olympiques ». Autorisée au départ jusqu’à mars 2025, cette expérimentation aux résultats pourtant très décevants est donc prolongée de deux ans, jusqu’en mars 2027, au mépris du processus d’évaluation pourtant défini un an avant par la même Assemblée. Ce passage en force n’est malheureusement qu’un signe supplémentaire du mépris de l’exécutif pour les institutions et tout ce qui le gêne. Un article sombre et énervé à lire sur notre site.

Article du 17 mars : Prolongement de la VSA : la petite danse autoritaire du gouvernement

Data centers partout, réflexion nulle part

Quand on pense à l’intelligence artificielle, on n’imagine pas d’abord les bétonnières, les pylônes électriques et les rivières à sec. C’est pourtant un aspect non négligeable de la course mondiale aux serveurs et aux centres de données géants. Lors du Sommet de Paris sur l’IA en février dernier, Emmanuel Macron a mis en avant l’électricité nucléaire française, moins chère et moins carbonée, et invité les opérateurs étrangers à venir en profiter, son « Plug, baby, plug » répondant au « Drill, baby, drill » lancé par Donal Trump en direction des compagnies pétrolières.

Après les annonces en grand pompe, il faut tenir ses promesses. La « loi pour la simplification économique », en discussion à l’Assemblée après son adoption par le Sénat, est justement là pour lever un certain nombre de contraintes réglementaires, administratives et fiscales et faciliter la vie des investisseurs et des industriels. L’article 15 concerne précisément la construction des centres de données géants : l’État prendrait la main sur les pouvoirs locaux pour imposer ces grands chantiers, y compris au mépris des règles environnementales.

Dans le cadre de notre travail sur l’IA et de la coalition Hiatus pour résister à l’IA et son monde, nous appelons donc à la mobilisation contre cette loi et son article 15, et nous demandons un moratoire de deux ans sur la construction de centres de données géants, le temps de discuter de leur encadrement. Contre la fuite en avant techno-n’importe quoi, contre la course économique des poulets sans tête, exigeons un débat démocratique sur les besoins et les moyens de notre développement collectif.

Article du 21 mars : Loi « simplification » : un déni de démocratie pour mieux imposer les data centers
Page de campagne pour peser sur le vote des : Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !

Le Conseil d’État donne une leçon de censure

Oui, le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie en mai 2024 était illégal. On le disait déjà, et c’est le Conseil d’État qui le confirme dans sa décision du 1er avril. Malheureusement, la décision est aussi très inquiétante. Car si le blocage est jugé disproportionné, le principe de couper un réseau est, en tant que tel, validé. Dans sa décision, le Conseil d’État explique ce que le gouvernement aurait dû faire pour justifier le blocage de l’application et donne par là un mode d’emploi très simple à tous les gouvernements, présents ou à venir, qui voudraient s’en prendre à la liberté d’expression. Qui pourra se plaindre quand un gouvernement RN fera ce qu’il voudra en brandissant la décision du CE ?

Si vous avez l’intention de prendre le pouvoir, d’invoquer des circonstances exceptionnelles et de censurer des services numériques, ne vous lancez pas dans le vide : lisez d’abord notre article, on vous explique le raisonnement du Conseil (pour la censure) d’État.

Article du 2 avril : Blocage de Tiktok en Nouvelle-Calédonie : le Conseil d’État se dérobe en faveur de l’arbitraire

Campagne de soutien 2025

Notre campagne de soutien pour 2025 est toujours ouverte ! Nous avons récolté environ 50% de notre objectif pour l’année. En prenant en compte les dons mensuels, on arrive environ à 80% de l’objectif. Aidez-nous à boucler le budget 2025 ! Vous pouvez nous faire un don sur notre site.

Agenda

La Quadrature dans les médias

Loi Narcotrafic

TikTok

VSA et loi Transports

IA et data centers

Divers

02.04.2025 à 16:53

Blocage de Tiktok en Nouvelle-Calédonie : le Conseil d’État se dérobe en faveur de l’arbitraire

bastien
On aurait préféré que ce soit un poisson d’avril : dans une décision rendue ce 1er avril 2025, le Conseil d’État a validé le principe de la censure arbitraire et opaque d’un réseau social. Derrière l’apparente…
Texte intégral (3806 mots)

On aurait préféré que ce soit un poisson d’avril : dans une décision rendue ce 1er avril 2025, le Conseil d’État a validé le principe de la censure arbitraire et opaque d’un réseau social. Derrière l’apparente annulation de la décision du Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, de bloquer Tiktok, la plus haute juridiction française offre en réalité le mode d’emploi de la « bonne censure ». Cette décision est inquiétante, tant cette affaire aura montré l’inefficacité du Conseil d’État à être un rempart efficace contre le fascisme montant.

Le 15 mai 2024, alors que la Nouvelle-Calédonie était le théâtre d’une très forte contestation sociale dans un contexte de passage en force d’une réforme du collège électoral calédonien, le Premier ministre Gabriel Attal annonçait, en même temps que l’activation de l’état d’urgence, la censure de Tiktok sur tout le territoire de Nouvelle-Calédonie.

Comme La Ligue des droits de l’homme, ainsi que des habitant·es calédonien·nes, La Quadrature du Net avait attaqué en référé cette décision. Ce premier recours avait été rejeté dans les jours qui suivirent pour défaut d’urgence, mais nous n’avions pas voulu lâcher l’affaire et avions continué notre combat contre cette mesure de blocage en l’attaquant à nouveau, cette fois par la procédure classique -dite « au fond »- qui a conduit à la décision d’hier.

Formellement, le Conseil d’État a annulé le blocage de Tiktok. Mais derrière cette apparente victoire se cache une décision qui ouvre la voie à de futures censures de plateformes en ligne en dehors de tout contrôle démocratique.

La validation d’un arbitraire d’État

Cette affaire aura été l’occasion de tous les arbitraires. Pour justifier factuellement son blocage, le gouvernement a toujours louvoyé (voir notre récapitulatif de l’affaire), laissant croire que ce serait d’abord pour lutter contre le terrorisme, puis contre des ingérences étrangères, pour enfin expliquer que de simples contenus violents l’autorisaient à procéder à un tel blocage (nous revenons sur ce point plus bas). Par la suite, il justifiait légalement ce blocage en sortant de son chapeau la « théorie des circonstances exceptionnelles ». Cette théorie est une invention du juge administratif datant de plus d’un siècle. Elle a été élaborée à l’occasion d’une guerre – c’est-à-dire dans un contexte de suspension du pouvoir civil – et n’avait jamais été utilisée jusqu’à présent pour justifier de porter atteinte à la liberté d’expression.

Dans sa décision, le Conseil d’État admet que cette « théorie des circonstances exceptionnelles » puisse être invoquée, pour justifier légalement le blocage d’une plateforme en ligne dans le cas d’une « période de troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle ». Arrêtons-nous déjà sur cette première brèche à l’État de droit : cela signifie que lorsque cette condition de « trouble » est remplie, un gouvernement peut donc porter des atteintes à la liberté d’expression, alors qu’aucune loi existante ne l’y autorise et donc qu’aucune condition prévue par le législateur n’est à respecter. Cette « théorie des circonstances exceptionnelles » n’a jamais été reprise par le législateur : elle ne comporte aucune limite précise et n’est présente nulle part ailleurs que dans les quelques décisions du Conseil d’État. Ce dernier autorise donc un empiétement pur et simple du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif.

Et quels sont ces « troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle » qui permettent de nier le principe de séparation des pouvoirs ? On peut légitimement se demander si les manifestations des gilets jaunes en 2018 et 2019, émaillées de violences souvent entretenues par une politique de maintien de l’ordre désastreuse, auraient pu être qualifiées de suffisamment graves. De même, les révoltes suite à la mort de Nahel Merzouk auraient-elles pu justifier le blocage des réseaux sociaux alors que la droite réactionnaire française voyait dans ces derniers le coupable idéal et que Emmanuel Macron s’était, à cette occasion, prononcé en faveur de leur censure ?

Ne soyons pas naïf·ves : tout est « exceptionnellement grave » pour l’exécutif et la police. Grâce à cette notion floue, la voie à tous les abus est ouverte. N’importe quoi servira de prétexte, demain, pour continuer dans la direction de la censure, de la réponse répressive facile au lieu d’une remise en cause profonde du système qui a conduit aux violences.

Et l’arbitraire d’État ne s’arrête pas là : le Conseil d’État a, d’une certaine manière, autorisé le gouvernement à ne pas respecter la loi lorsque celle-ci ne lui convient pas. En effet, au moment de la censure, la loi sur l’état d’urgence avait été déclenchée. Celle-ci autorisait bel et bien le blocage d’une plateforme, mais uniquement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Or, dans le cas du blocage de Tiktok, il ne s’agissait justement pas de lutte contre le terrorisme. Alors qu’une telle possibilité de censure visant une plateforme en ligne, prévue par la loi sur l’état d’urgence, est déjà très contestable en soi1Nous avions initialement demandé à ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soit transmise au Conseil constitutionnel. Celle-ci a été rejetée par le Conseil d’État parce qu’il estimait que la loi sur l’état d’urgence n’était pas applicable au litige puisqu’il ne s’agissait pas de lutte contre le terrorisme., le Conseil d’État neutralise encore plus le législateur en permettant d’avoir recours à une théorie jurisprudentielle qui permet de contourner ces limites.

Un contrôle juridictionnel de pacotille

L’auditoire optimiste pourrait se dire que le juge administratif resterait présent pour empêcher les abus de ce recours à la censure en cas de « troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle . Et après tout, en ce qui concerne Tiktok, on pourrait être tenté de se rassurer par le fait que la décision de censurer le réseau social a finalement été annulée par le Conseil d’État. Pourtant, dans cette affaire, après avoir refusé d’agir au moment où sa décision aurait été utile, c’est-à-dire lorsqu’il était saisi en référé l’année dernière, le Conseil d’État a repris à son compte toutes les affirmations grossières du gouvernement pour justifier le besoin de bloquer la plateforme.

La question de l’existence de certains contenus qui seraient illégaux au point de couper tout le réseau social a été longuement débattue en mai 2024 à l’occasion de notre référé. Après avoir été mis en difficulté lors de l’audience de référé, le gouvernement s’était enfin décidé à produire des exemples de contenus prétendument illicites… qui étaient en fait totalement légaux. Nous publions ces contenus2Politico avait déjà publié certains de ces contenus l’année dernière. pour que chacun·e puisse constater que leur illégalité ne saute pas aux yeux : dénoncer des violences policières, la constitution de milices privées avec le soutien des forces de l’ordre, les agressions racistes sur des policiers kanaks, ou encore prendre des photos ou vidéos de lieux en flamme comme l’a fait la presse locale est donc, pour le gouvernement, susceptible de justifier une restriction à la liberté d’expression…

Depuis ces quelques exemples produits l’année dernière, le gouvernement n’a pas complété ses dires. On devine un certain embarras à travers ce silence sur ces fameux contenus censés être « violents » : cette décision de bloquer Tiktok ne semble en réalité pas avoir été prise en raison d’un besoin impératif pour restaurer l’ordre sur l’archipel, mais pour couvrir une décision politique du Haut-Commissaire (l’équivalent du préfet en Nouvelle-Calédonie). Fin mai 2024, La Lettre écrivait ainsi que « Très vite, cependant, le premier ministre a été averti de la fragilité juridique de cette décision, prise par le haut-commissaire Louis Le Franc, à la demande du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l’organe exécutif de la collectivité présidé par Louis Mapou. » Le média spécialisé précisait également que « l’exécutif a écarté l’hypothèse de désavouer publiquement le haut-commissaire et les élus locaux » et que le gouvernement n’avait « aucun grief contre TikTok ». Ce qu’a admis en creux le représentant de Tiktok quelques jours après devant le Sénat : il a indiqué, sous serment, que la plateforme n’a non seulement pas reçu de demande de retrait de contenus de la part de l’exécutif, mais n’a également pas détecté lui-même de contenus illicites une fois le blocage décidé par le gouvernement.

Tout cela n’a pourtant pas empêché le Conseil d’État de valider l’obsession gouvernementale. Pour les juges, il s’agit bien de « contenus incitant au recours à la violence »3Les juristes remarqueront probablement que le Conseil d’État ne parle plus de contenus « manifestement illicites », mais adopte une formulation beaucoup plus englobante.. Pour appuyer l’illégalité des contenus diffusés à l’époque sur Tiktok, le Conseil d’État explique que les « algorithmes » de ce réseau social favoriseraient leur diffusion très rapide. Il est vrai que des études, notamment d’Amnesty International, ont montré la grande toxicité des choix algorithmiques de Tiktok. Et nous ne nous cachons pas sur le fait que nous combattons en général ce modèle économique et technique de réseau social. Mais, pour ce qui est de la Nouvelle-Calédonie, le gouvernement s’est contenté d’affirmations non-sourcées, sans rien démontrer. Dans son mémoire, le Premier ministre affirmait ainsi simplement que le choix de bloquer Tiktok était justifié par « les caractéristiques des algorithmes utilisés par “Tiktok”, qui amplifient l’effet de valorisation mimétique » sans fournir d’étude ni même de constatations par ses services. Autrement dit, le Conseil d’État se contente d’affirmations du gouvernement pour en faire une généralité, créant ainsi une forme de présomption de nécessité de bloquer Tiktok. Et, à supposer même qu’il y ait eu quelques contenus manifestement illicites sur Tiktok, cela ne devrait pourtant pas permettre de prendre une mesure aussi grave que limiter ou bloquer toute un réseau social. Ce qu’autorise pourtant le Conseil d’État.

En fin de compte, dans cette affaire, le seul point qui a permis au Conseil d’État d’affirmer que le blocage était illégal réside dans le fait que le gouvernement n’a pas cherché à d’abord limiter certaines fonctionnalités de la plateforme avant d’en ordonner le blocage complet. En d’autres mots, la décision de bloquer est jugée disproportionnée uniquement sur le fait que le gouvernement aurait d’abord dû prévenir Tiktok et lui demander de limiter les contenus, avant de pouvoir ordonner le blocage du réseau social. Le principe même de bloquer n’est pas remis en question.

Cet argument s’inscrit dans la continuité d’une idée exprimée par Emmanuel Macron, après les révoltes faisant suite à la mort de Nahel Merzouk, de limiter certaines fonctionnalités des réseaux sociaux, voire les bloquer lors de prochaines émeutes. Le Conseil d’État légitime le chantage auquel s’était déjà adonné le gouvernement en 2023 : fin juin 2023, les représentants de TikTok, Snapchat, Twitter et Meta étaient convoqués par le ministre de l’intérieur, dans le but de mettre une « pression maximale » sur les plateformes pour qu’elles coopèrent et qui a conduit à des demandes de retraits de contenus hors de tout cadre légal (voir notre analyse de l’époque). Désormais, le gouvernement a une nouvelle arme, la menace de censure, fraîchement inventée par le Conseil d’État, pour forcer les plateformes à collaborer, quitte à retirer des contenus légaux.

Mode d’emploi pour le fascisme montant

Il ne s’agit donc absolument pas d’une victoire. Le Conseil d’État valide quasiment toute la démarche du Premier ministre. Désormais, même pour sauver la face d’un préfet qui préfère censurer avant de réfléchir, un gouvernement peut bloquer une plateforme en ligne, à la condition de trouver sur cette plateforme quelques contenus vaguement violents et de justifier de « troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle ».

Pas besoin de justifier d’une habilitation par le législateur. Pas besoin de justifier de manière rigoureuse des contenus incriminés. Pas besoin de faire la moindre publicité autour de cette décision. Les associations se débrouilleront pour comprendre l’ampleur et les raisons du blocage, et le gouvernement pourra même changer de version si les premières justifications qu’il aura trouvées s’avèrent bancales.

Lors de l’audience publique, l’avocat de la Ligue des droits de l’Homme, elle aussi requérante dans cette affaire, avait prévenu que les futurs régimes illibéraux s’empareront du mode d’emploi ainsi apporté par le Conseil d’État. De notre côté, nous avions rappelé que les régimes qui se sont jusqu’alors aventurés dans la voie de la censure arbitraire d’Internet et qui se sont fait condamner par la Cour européenne des droits de l’Homme sont tous des régimes autoritaires, Russie et Turquie en tête. Et peut-être, demain, la France.

Car cette décision doit être replacée dans son contexte : celui d’un autoritarisme qui fait la courte-échelle depuis des années à un fascisme désormais aux portes du pouvoirs ; celui de garde-fous qui s’avèrent inefficaces lorsque l’accompagnement de l’État dans ses délires sécuritaires prend la place de la protection des droits ; celui de proximités entre décideurs publics et lobbys sécuritaires qui interrogent ; celui d’un pouvoir politique qui préfère la réponse facile ou la désinformation plutôt que de revoir de fond en comble le système de violence qu’il renforce ; celui de la remise en question quotidienne d’un du principe fondateur de nos démocraties modernes qu’est l’État de droit, par un ministre de l’intérieur récidiviste, ou par une alliance inquiétante entre une extrême droite prise la main dans le pot de confiture, un Premier ministre qui sait qu’il sera peut-être le prochain, et une gauche qui a manqué une occasion de se taire.

Quand on voit avec quelle rapidité l’État de droit est en train de s’écrouler aux États-Unis, on ne peut que s’inquiéter. Car même si Tiktok est une plateforme intrinsèquement problématique, utilisée comme caisse de résonance pour la désinformation et autres contenus extrêmement toxiques, la fin ne peut pas tout justifier. L’État de droit se décompose et le fascisme est aux portes du pouvoir. Il est urgent de porter une voix hautement critique sur ces institutions incapables de protéger la démocratie alors qu’elles devraient être à l’avant-garde de la lutte contre l’extrême droite et l’autoritarisme. Alors si vous le pouvez, vous pouvez nous aider en nous faisant un don.

References[+]

5 / 10

 

  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  CULTURE / IDÉES 1/2
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  IDÉES 2/2
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
   Fiabilité faible
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
Slate
Ulyces
🌞