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17.05.2024 à 12:35

Mineur·es trans : démonter les arguments transphobes

Lilas Pepy

En mars dernier est paru le rapport « La transidentification des mineurs », produit par des sénateur·ices Les Républicains (LR). Les sites d’information Les Jours et Mediapart l’épinglent pour son absence de méthodologie et de rigueur scientifique. On apprend aussi que Céline Masson et Caroline Eliacheff, cofondatrices de l’Observatoire de la petite sirène (une association ouvertement opposée aux transitions des mineur·es) ont été missionnées et rémunérées, […]
Texte intégral (1870 mots)

En mars dernier est paru le rapport « La transidentification des mineurs », produit par des sénateur·ices Les Républicains (LR). Les sites d’information Les Jours et Mediapart l’épinglent pour son absence de méthodologie et de rigueur scientifique.

On apprend aussi que Céline Masson et Caroline Eliacheff, cofondatrices de l’Observatoire de la petite sirène (une association ouvertement opposée aux transitions des mineur·es) ont été missionnées et rémunérées, sur fonds publics, pour sa rédaction. Ce rapport a débouché sur une proposition de loi (PPL), défendue par la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, opposée à l’interdiction des thérapies de conversion et à l’institutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette PPL suggère, entre autres, l’interdiction des transitions sociales et médicales avant la majorité, à rebours des recommandations internationales actuelles.

Dans un avis défavorable à cette PPL, la Défenseure des droits souligne les risques d’atteinte aux droits de l’enfant qu’elle sous-tend et rappelle la nécessité de respecter la notion d’identité de genre, inscrite dans le droit français.

Des journaux conservateurs, comme Le Point, n’ont pas hésité pas à reprendre les affirmations alarmistes (et un brin complotistes) que contient le rapport (« les élus veulent prévenir un “scandale d’État” »…), sans jamais questionner sa probité. La parole transphobe se banalise aussi dans les médias audiovisuels (on pense aux déclarations de Ségolène Royal sur BFM-TV sur les perturbateurs endocriniens qui auraient un effet sur les transitions de genre)

La saturation de l’espace public par les discours haineux a tendance à faire oublier que le respect des personnes trans est un droit fondamental et une lutte quotidienne. Comme toutes les autres personnes, les trans devraient avoir le droit de décider de leurs vies et de faire leurs propres choix. Une pétition, initiée par l’association Toutes des femmes, demande notamment que soient facilités les changements de genre à l’état civil.

Voici quelques informations clés pour battre en brèche les arguments dits scientifiques dont se targuent les sénateur·ices LR et les associations anti-trans, au nom d’une prétendue « protection de l’enfant » :

 

1- Le mythe de la « dysphorie de genre à apparition rapide »

 

Dans une étude publiée en 2018, la Dr Lisa Littman, gynécologue et professeure à l’université Brown aux États-Unis, évoque une nouvelle forme de « dysphorie de genre » : la rapid-onset gender dysphoria (ROGD, dysphorie de genre à apparition rapide). Selon cette médecin, les jeunes présentant une santé mentale dégradée seraient encouragé·es à transitionner par les réseaux sociaux, et ce de façon particulièrement rapide. La méthodologie de son travail a été vivement critiquée par d’autres médecins : l’étude purement déclarative a été réalisée auprès de parents d’enfants trans et non directement auprès des jeunes en question, leur recrutement s’est fait sur des sites à la sensibilité anti-trans, les preuves et les liens de causalité manquent. Une correction est finalement publiée, qui nuance très largement ses observations. En 2021, une étude clinique affirme qu’il n’existe aucun lien entre transitions et fréquentation des réseaux sociaux. Cela n’empêche pas l’Observatoire de la petite sirène de se référer à l’étude de 2018 et à son autrice. Et encore moins la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio d’y faire référence dès le titre du rapport avec l’emploi du terme « Transidentification ».

Pour expliquer la demande croissante de transition des mineur·es – qui connaît un peu partout une stabilisation –, les soignant·es spécialisé·es sur ces questions, comme les associations, soulignent l’importance de la médiatisation récente des personnes trans, donnant aux adolescent·es la possibilité de s’identifier à de nouveaux modèles. Parce que, de la même façon que garçons ou filles ont toujours construit leur identité de genre par mimétisme avec d’autres hommes ou femmes, les jeunes trans voient ainsi s’ouvrir de nouvelles possibilités.

 

2- La transidentité serait un trouble « psychique »

 

Estimant qu’un suivi psychiatrique permettrait de « faire disparaître » la transidentité, certain·es soignant·es pratiquent des thérapies « exploratoires » ou des prises en charge « prudentes ». Selon ces thérapeutes, la transidentité serait la manifestation d’un trouble psychique et pourrait donc être « guérie ». C’est ce même postulat qui motive les thérapies de conversion, interdites en France depuis le 31 janvier 2022. Une étude américaine menée auprès de plus de 27 000 adultes transgenres exposé·es à des thérapies de conversion pendant l’enfance et publiée en 2020 montre des taux significatifs de détresse et/ou de tentatives de suicide.

À l’inverse, les approches thérapeutiques dites « trans-affirmatives » respectent le choix des personnes mineures d’explorer leur genre, tant au sein de leur famille qu’à l’école. Elles prévoient un accompagnement par des équipes formées et figurent dans les dernières recommandations sur la prise en charge des mineur·es trans de l’Association mondiale des professionnels en santé transgenre (WPATH), référente en la matière.

 

3- Les traitements hormonaux seraient irréversibles et prescrits trop facilement  

Prescrits depuis les années 1990 à des enfants dont la puberté se manifeste de manière très précoce, les bloqueurs de puberté sont utilisés pour les mineur·es trans depuis une vingtaine d’années, au moment de l’apparition de la poitrine ou de la croissance testiculaire. Ces molécules empêchent le développement de caractéristiques physiques spécifiques au sexe de naissance. Leurs effets sont réversibles et la puberté reprend à l’arrêt du traitement. Quant à la baisse de densité osseuse provoquée par les bloqueurs qui inquiète les milieux anti-trans, elle se rétablit au bout de cinq à dix ans, sans risque à long terme pour la santé.

Prises dans le cadre d’une transition – avec ou sans bloqueurs de puberté en amont –, les hormones féminisantes ou masculinisantes favorisent, de leur côté, l’apparition de caractéristiques sexuelles secondaires du genre souhaité (pilosité, poitrine, masse musculaire). Leurs effets sur le bien-être des jeunes en font un argument en faveur d’un accès à ces traitements si elles et ils en ressentent le besoin. Une étude de 2019 montre en effet un taux significativement plus faible des troubles anxieux ou dépressifs et d’idées suicidaires chez les mineur·es ayant eu recours aux bloqueurs de puberté, comparé à ceux qui n’en ont pas encore bénéficié.

Rappelons que ces prises en charge médicales émanent de recommandations de sociétés savantes telles que la Société mondiale d’endocrinologie et de la WPATH qui ont établi – des centaines de références scientifiques à l’appui – que le rapport bénéfice-risque était en faveur du recours aux bloqueurs comme des hormones lorsque les conditions étaient réunies.

Du reste, la prise d’hormones n’est pas systématique et se fait avec l’accord des parents à la suite de nombreuses consultations et de réunions pluridisciplinaires entre les soignant·es et les familles, dans des lieux de consultations spécifiques. Au sein de la consultation spécialisée de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, sur plus de 230 enfants suivi·es en dix ans, 11 % ont reçu des bloqueurs de puberté, et 44 % des traitements hormonaux de masculinisation ou de féminisation dans un délai de dix à quatorze mois après la première consultation (respectivement à un âge moyen de 13,9 ans et de 16,9 ans).

 

4- Le mythe des « détransitions »  

Motivant la volonté d’interdire l’accès aux traitements avant la majorité, il y aurait le risque, brandi par les collectifs anti-trans, que les jeunes regrettent leur choix par la suite et retransitionnent vers leur genre de naissance. Les données à ce sujet demeurent peu nombreuses, et l’amplitude des chiffres (1 % à 6 %) s’explique par une méthodologie approximative. À quel âge les répondant·es ont-elles et ils été interrogé·es ? Leur a‑t-on demandé si elles et ils avaient bénéficié du soutien de leurs proches, d’un accompagnement psychosocial et d’un véritable suivi médical ? Ainsi, certain·es répondant·es déclarent avoir renoncé à leur transition sous l’influence de leur entourage ou du fait de n’avoir bénéficié d’aucun soutien. En France, dans les 18 consultations spécialisées qui existent sur le territoire, seulement 0,3 % de jeunes ont retransitionné.

 


→ Retrouvez les recommandations ainsi que l’agenda de la rédaction juste ici.

30.04.2024 à 12:24

Dessiner : comment avons-nous choisi le thème de notre prochain numéro ?

La Déferlante

Comment choisit-on les thèmes abordés dans la revue ? Cette question revient régulièrement lorsque nous rencontrons les lectrices et lecteurs. Autant que possible, nous essayons d’alterner des dossiers ancrés dans l’actualité chaude – comme récemment avec le numéro « Avorter » – et d’autres, en apparence plus anodins, mais qui nous permettent de montrer que les dynamiques de […]
Texte intégral (777 mots)

Comment choisit-on les thèmes abordés dans la revue ? Cette question revient régulièrement lorsque nous rencontrons les lectrices et lecteurs. Autant que possible, nous essayons d’alterner des dossiers ancrés dans l’actualité chaude – comme récemment avec le numéro « Avorter » – et d’autres, en apparence plus anodins, mais qui nous permettent de montrer que les dynamiques de genre se logent partout dans nos existences. Dans le numéro 14 – et avant de consacrer notre numéro de rentrée à la montée de l’extrême droite et aux manières d’y résister – nous avons choisi le thème « Dessiner ». Un art, une technique, un univers qui connaît lui aussi sa révolution féministe.

Pour imaginer des angles de sujets et des articles, nous avons soumis cette thématique au comité éditorial de la revue : un groupe de journalistes, militant·es, universitaires, qui rassemble désormais une vingtaine de personnes. Apportant chacune et chacun son expertise et sa connaissance d’une facette du sujet, ils et elles nous ont soumis plusieurs idées d’articles : l’aventure 100 % féminine de la revue de bande dessinée Ah!Nana dans les années 1970 ; la féminisation de la pratique du tatouage ; le succès d’un collectif queer qui révolutionne la pratique du modèle vivant et propose de représenter les corps dans une grande diversité, l’art du manga féministe et sa manière de questionner les représentations binaires du genre, mais encore le dessin comme outil thérapeutique pour les victimes de violences politiques ou intimes. Ces discussions nous ont permis de définir le périmètre de notre dossier en une trentaine de pages, car nous n’avons pas la possibilité d’être exhaustives. Nous avons, par exemple, choisi de nous limiter à la pratique du dessin, sans traiter – en tout cas pour l’instant – de la peinture et des autres arts graphiques.

 


« Depuis ses débuts, La Déferlante s’est entourée de nombreuses illustratrices »


 

Une fois ces idées posées, nous avons construit le « chemin de fer » de la revue, c’est-à-dire son menu, article par article. Et tandis qu’avec l’ensemble de l’équipe de fabrication (graphistes, maquettistes, iconographes), nous définissions la configuration de chaque page, nous avons commandé les papiers à des journalistes et auteur·ices indépendant·es.

Depuis ses débuts, La Déferlante s’est entourée de nombreuses illustratrices, aussi bien pour les pages de bande dessinée que pour accompagner nos articles. Il nous a semblé important qu’elles aient, chacune, avec sa voix et son style, une place de choix dans ce numéro. Vous retrouverez ainsi dans ce dossier les dessins de Delphine Panique, le strip de Salomé Lahoche ou encore une carte blanche à l’artiste Nygel Panasko qui dénonce le racisme dans le milieu très blanc de la bande dessinée. Elles sont aussi nombreuses (Lisa Mandel, Mirion Malle, Julie Delporte ou encore Alison Bechdel) à accompagner l’article de Camille Regache sur le boom de la bande dessinée lesbienne.

Riche de ces textes et de ces illustrations inédites, ce dossier montre que le dessin permet finalement de faire exister des récits là où il n’existe plus ou pas encore de mots. Par l’humour ou l’émotion qui s’en dégage, il questionne l’ordre établi et esquisse des chemins d’émancipation.

 

« Dessiner, esquisse d’une émancipation » est disponible en précommande sur notre site et sera disponible en librairie à partir du 31 mai.

26.04.2024 à 11:00

Pourquoi les jeunes filles vont-elles si mal ?

Virginie Menvielle

C’est un coup de fil du centre antipoison qui, en juin dernier, sonne l’alerte dans un collège près de Lille (Nord) : une élève vient de faire un malaise devant l’établissement. « Quand je suis intervenue, ses copines m’ont raconté qu’elle avait avalé une grosse dizaine de cachets dans les toilettes », explique Sidonie (le […]
Texte intégral (1125 mots)

C’est un coup de fil du centre antipoison qui, en juin dernier, sonne l’alerte dans un collège près de Lille (Nord) : une élève vient de faire un malaise devant l’établissement. « Quand je suis intervenue, ses copines m’ont raconté qu’elle avait avalé une grosse dizaine de cachets dans les toilettes », explique Sidonie (le prénom a été modifié), la professeure qui l’a accompagnée aux urgences.

Si la jeune fille a pu rentrer chez elle après un lavage d’estomac, l’enseignante, très marquée par cet accident, se montre encore préoccupée : « Les ados vont mal ».

Ce sentiment, très partagé parmi les enseignant∙es et les parents depuis l’épidémie de Covid et les confinements successifs, est aujourd’hui confirmé par des enquêtes officielles. Le 5 février dernier, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (la Drees est un service statistique public dans les domaines de la santé et du social) publiait un rapport sur les hospitalisations pour gestes auto-infligés chez les jeunes filles. L’étude révélait, entre les cinq années précédant la crise du Covid et 2022, une augmentation de 63 % des hospitalisations des adolescentes âgées de 10 à 14 ans pour tentatives de suicide ou faits d’automutilation, et de 43 % pour les jeunes filles entre 15 et 19 ans.

 

Une jeune fille sur six commence sa vie sexuelle par un rapport non consenti

Ces données alarmantes n’étonnent guère Sophie Lise Brygo, pédopsychiatre à Rennes (Ille-et-Vilaine) et ancienne médecin en centre de protection maternelle et infantile (PMI). Pour cette soignante, les causes de la souffrance psychique des jeunes filles sont à chercher dans les violences sexuelles qu’elles subissent massivement. Selon un sondage publié en 2017, 63 % des jeunes femmes disent avoir déjà vécu du harcèlement ou des comportements sexistes. Le collectif #NousToutes a par ailleurs établi qu’une jeune femme sur six commençait sa vie sexuelle par un rapport non consenti. « Dans nos services, explique-t-elle, on sait depuis longtemps déjà que ces types de violence sont source de souffrances psychiques graves et à long terme. » Elle mentionne pour exemple une étude (pas encore publiée) réalisée par son confrère le professeur Jacques Dayan : « Entre 2022 et 2023, à l’hôpital de Rennes, 50 % des femmes venant en consultation à l’unité de psychiatrie périnatale ont été victimes d’abus sexuels. » La plupart du temps ces violences ont eu lieu pendant leur enfance ou leur adolescence.

Le son de cloche est le même chez les expertes de terrain que nous avons interrogées. Bernadette Gruson, artiste, et Aurore Krol, fondatrice de l’association Prev’actes, mènent depuis 2018 des ateliers de prévention dans des établissements scolaires du Nord de la France et de Bretagne. « Récemment, lors d’un atelier, raconte Aurore Krol, plusieurs jeunes filles ont laissé entendre qu’elles pratiquaient des actes d’automutilation. En les questionnant, on s’est rendu compte que toutes étaient victimes de violences sexuelles dans le cadre familial. »

 


« Entre 2022 et 2023 à l’hôpital de Rennes, 50% des femmes en consultation de psychiatrie périnatale ont été victimes d’abus sexuels »


 

Miroir de l’époque, les violences sexistes se déploient notamment sur Internet. Selon une enquête réalisée par l’association e‑Enfance, 20 % des adolescent∙es, dont un peu plus d’une moitié de filles, affirment avoir été victimes de cyberharcèlement à caractère sexuel. Très exposées aux images de corps féminins sexualisés, beaucoup d’adolescentes cherchent à se mettre en scène sur les réseaux. « C’est une manière de s’approprier une image de leur féminité », explique Sophie Lise Brygo. Sauf qu’elles ne sont pas du tout préparées à ce que ces images puissent circuler et être utilisées contre elles. « On ne peut pas prendre la mesure des conséquences sur la psyché d’avoir un groupe de camarades qui vous harcèle, analyse la psychiatre, c’était vrai de tout temps, mais ça l’est encore plus aujourd’hui avec le phénomène d’amplification lié aux réseaux sociaux. »

 

Des moyens d’expression genrés

Mais alors que les violences sexuelles sont un phénomène structurel, comment expliquer l’explosion récente des actes auto-infligés et des tentatives de suicide ces dernières années ? « Il y a toujours eu un moyen d’expression de la souffrance prédominant, répond Sophie Lise Brygo. Il y a vingt ans, coexistaient d’autres modes d’expression de la douleur psychique avec souvent présence d’anorexie mentale, parfois d’addictions. La société évolue. Ce sont aujourd’hui les gestes de scarification qui prédominent. Ils deviennent un geste de référence, une pratique presque culturelle de la souffrance. »

D’après Déborah Guy, sociologue en études de genre, les chiffres de la Drees viennent surtout rappeler que filles et garçons n’expriment pas leur malaise de la même manière. Quand ils sont en état de souffrance psychique, « les hommes vont avoir plus de conduites à risque : alcoolisme, usage de la vitesse en voiture ou agissements violents ». La chercheuse appuie son propos sur une étude de référence, menée en 2008 et intitulée « Le mal être a‑t-il un genre ? » qui établit que les hommes se suicident davantage, au sens où leurs tentatives aboutissent plus souvent que celles des femmes. « Mais les femmes présentent en réalité plus de risques suicidaires », rappelle-t-elle. Le rapport de la Drees ne fait que confirmer cette tendance globale. En 2022, tous âges confondus, les femmes représentaient 64 % des personnes hospitalisées pour tentative de suicide ou automutilation.

 

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25.04.2024 à 17:23

Dessiner

La Déferlante

Découvrez notre numéro « Dessiner, esquisses d’une émancipation ». Des mangakas qui dynamitent les normes binaires aux auteur·ices de bande dessinée proposant des récits queer en passant par les tatoueuses, qui offrent permettent de réappropriation de son corps, le monde du dessin est en plein renouveau. Outil d’émancipation récent, le dessin offre un espace pour […]
Lire plus (419 mots)

Découvrez notre numéro « Dessiner, esquisses d’une émancipation ».

Des mangakas qui dynamitent les normes binaires aux auteur·ices de bande dessinée proposant des récits queer en passant par les tatoueuses, qui offrent permettent de réappropriation de son corps, le monde du dessin est en plein renouveau. Outil d’émancipation récent, le dessin offre un espace pour reprendre sa liberté, conjurer les oppressions collectives et inventer, ensemble, d’autres sociétés.

À lire aussi dans ce numéro : une grande rencontre entre les actrices Judith Godrèche et Guslagie Malanda, une enquête inédite sur les mutilations subies par des personnes intersexes à leur naissance et un portrait de l’artiste Niki de Saint Phalle.

Vous recevrez votre numéro dans un délai de 10 à 15 jours.

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Les articles du dossier :

25.04.2024 à 16:50

Gender fluid, le manga ?

Pauline Croquet

Héroïnes dévêtues à grosse poitrine, voleurs de petites culottes, récits tonitruants sans queue ni tête, combats violents… En France, on a souvent réduit le manga aux stéréotypes qu’une partie de la production diffuse. Le 9e art japonais ne se résume pas à ces images sexistes et brutales. Lorsqu’ils ont afflué à la télévision française dans […]
Texte intégral (3371 mots)

Héroïnes dévêtues à grosse poitrine, voleurs de petites culottes, récits tonitruants sans queue ni tête, combats violents… En France, on a souvent réduit le manga aux stéréotypes qu’une partie de la production diffuse. Le 9e art japonais ne se résume pas à ces images sexistes et brutales. Lorsqu’ils ont afflué à la télévision française dans leur adaptation animée, dans les années 1970, les mangas ont constitué un véritable phénomène culturel chez les plus jeunes.

À la même époque, le monde de la BD franco-belge ignore encore le lectorat féminin et n’accorde quasiment pas de place aux autrices. Vu le médium où seules la Schtroumpfette et quelques rares figures féminines ont droit de cité, les amatrices de fiction dessinée, qu’elles soient adolescentes ou jeunes adultes, se tournent vers l’autre Terre sainte de la bande dessinée : le Japon. Sur l’archipel, l’industrie de la BD aborde déjà une myriade de thématiques, et classe minutieusement ses ouvrages selon l’âge et le genre des lecteur·ices visé·es. Ainsi, une palette de représentations féminines, à des années-lumière de Falbala ou de Natacha l’hôtesse de l’air, prend vie sur les planches des mangas.

Dès les années 1980, un aperçu de la richesse des figures empouvoirantes du manga est donné au public français avec la diffusion d’un grand nombre d’adaptations télévisuelles : des sportives qui ne lâchent rien (Jeanne et Serge), des voleuses sexy qui font tourner la police en bourrique (Signé Cat’s Eyes), des super-héroïnes (Sailor Moon et Cardcaptor Sakura), ou des créatrices de génie (Bulma dans Dragon Ball).

Récits joyeux et sentimentaux, exploration de thèmes liés à l’intime, héroïnes complexes… tout un univers s’ouvre alors pour un public jusqu’ici ignoré. Il faut toutefois attendre le début des années 2000 pour voir apparaître en français des œuvres conçues spécialement pour les femmes : le shōjo manga (adressé aux adolescentes) et le josei manga (pour un lectorat féminin adulte). Importée en France par l’éditeur Tonkam (qui a depuis fusionné avec Delcourt), la série Nana d’Aï Yazawa va par exemple durablement marquer les esprits : elle narre de manière crue et sentimentale le quotidien de deux colocataires tokyoïtes qui entrent dans la vie adulte. Ces œuvres vont d’ailleurs imprégner l’imaginaire de nombreuses bédéastes francophones nées dans les années 1980 et 1990, comme Chloé Wary (Rosigny Zoo, FLBLB, 2023) ou Lucie Bryon (Voleuse, Sarbacane, 2023). « Avant que je découvre le manga, la BD me paraissait loin, masculine. Je dévorais des histoires, mais je n’envisageais pas d’en faire », expliquait Lucie Bryon en janvier 2024 au journal Le Monde (1).

Nourrir un lectorat féminin

Découvert tardivement en Europe, le shōjo manga a pourtant une longue histoire. Elle commence dès la fin du xixe siècle avec des périodiques pour adolescentes qui servaient principalement de mode d’emploi pour devenir une épouse modèle. Si quelques incursions dans le fantastique permettaient à des autrices de fiction littéraire d’explorer des idées relativement iconoclastes – relations homosexuelles, critique de la société de classes, etc. –, le manga féminin n’en était encore qu’à ses balbutiements dans les années 1930. Après le conflit mondial et la fin de l’occupation états-unienne du Japon, au début des années 1950, le manga s’épanouit et la catégorie shōjo s’exhibe formellement dans des magazines qui lui sont désormais quasi entièrement consacrés. Loin d’être progressiste, le Japon n’en néglige pas pour autant le lectorat féminin – et la manne financière qu’il représente – en lui proposant des histoires spécifiques. Avec l’avènement de la société de consommation, dans les années 1960, les maisons d’édition recrutent à tour de bras pour remplir leurs périodiques, permettant à des dessinatrices de mettre un pied dans la porte.

Ces nouvelles et jeunes autrices reprennent à leur compte les codes de leurs aîné·es, tout en insufflant plus de complexité et de consistance aux personnages féminins. Ces autrices s’appellent Moto Hagio, Keiko Takemiya, Yumiko Oshima, Chikako Urano, Riyoko Ikeda… Autant de noms qui ont révolutionné le manga, conjuguant succès critique et commercial. Ces baby-boomeuses dynamitent la composition des pages et les codes graphiques, repoussent les limites narratives et thématiques, représentent visuellement l’intériorité de leurs personnages, leur donnent une agentivité, tout en assumant de les parer d’atours kawaii (2), de motifs floraux et de silhouettes haute couture.

Planche extraite de Sakuran, de Moyoco Anno, Pika Édition, 2023. Le destin sans fard d’une prostituée en quête de liberté.

Planche extraite de Sakuran, de Moyoco Anno, Pika Édition, 2023. Le destin sans fard d’une prostituée en quête de liberté. Crédit : SAKURAN © Moyoco Anno /Cork All rights reserved

Fluidité des genres

À partir du milieu des années 1960, les héroïnes, longtemps idéalisées et éthérées, « vont, à travers les mangas de sport, d’horreur ou des romances en milieu scolaire, prendre de la corporalité. Les corps vont être par exemple mis à l’épreuve des blessures », analyse Julia Popek, qui mène des recherches indépendantes sur le shōjo manga, citant notamment, dans ce basculement, l’importance du manga de volley Les Attaquantes (1968) de Chikako Urano, qui suit le parcours d’une jeune joueuse prometteuse et de son équipe scolaire. Emblématique de cette effervescence, le personnage Oscar de Jarjayes, va, sous la plume de Riyoko Ikeda, incarner dans La Rose de Versailles (dont l’animé s’intitule Lady Oscar) une héroïne combative, politisée, libre, sensuelle. Selon la critique et spécialiste de la culture manga Yukari Fujimoto, professeure à l’université Meiji, à Tokyo, la scène d’amour sans rapports de domination entre Oscar et son ami d’enfance André a contribué « à forger [la] conception de la sexualité des collégiennes et lycéennes de l’époque (3) ».

Tandis que certaines autrices jouent avec la fluidité des genres et la sexualité au travers du travestissement et de l’androgynie, d’autres ont recours à des personnages masculins pour accéder par procuration à des expériences qui leur sont interdites, explorer leur propre sexualité et leur désir, mais aussi mettre à distance des traumatismes et des violences qu’elles ont pu subir. « J’ai tendance à idéaliser les personnages masculins, à les faire très beaux. Le fait de ne pas être un homme me permet de les dessiner de cette façon », expliquait la mangaka Moto Hagio au Monde (4), à l’occasion de sa venue au Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême. Elle dit s’être servie du manga pour se défaire « de la pression parentale » et qu’elle se sentait plus libre de s’exprimer à travers des bishōnen, ces jolis garçons délicats et androgynes devenus, depuis, un archétype du manga. Elle aura aussi posé des jalons du boy’s love (shōnen ai), le nom donné aux romances et BD érotiques mettant en scène des couples d’hommes, à destination d’un lectorat essentiellement féminin ; un genre qui va particulièrement s’épanouir dans les cercles de mangas amateurs et autoédités, les dojinshi, des espaces prolifiques et particulièrement féminisés.

Ces dessinatrices révolutionnaires, encore en activité aujourd’hui, ont pavé le chemin pour leurs benjamines, dont beaucoup chérissent cette liberté de ton, adoptent une certaine désinvolture graphique. C’est le cas de la sulfureuse Kyoko Okazaki et sa critique du star-system dans Helter Skelter (lire aussi encadré en fin d’article) ou encore Moyoco Anno, autrice de Sakuran, centré sur la vie d’une courtisane qui ne veut pas se plier aux diktats de la société. D’autres vont aussi revenir à des histoires plus ancrées dans le quotidien. C’est le cas, dans les années 2010, de Reiko Momochi (Moi aussi) ou Akane Torikai (En proie au silence), qui aborde, entre autres, la question des violences de genre.


Les récits yuri, mettant en avant des relations lesbiennes, les boy’s love, ou ceux abordant la vie de personnages transgenres, sortent des catégories spécialisées pour se répandre dans des publications plus généralistes.


Leurs récits vont aussi servir de respiration à des lecteur·ices à la recherche d’une autre masculinité que celle performée dans les mangas shōnen, à destination des jeunes garçons, du type Dragon Ball, One Piece ou encore Naruto. Bien que les magazines aient vu émerger des personnages androgynes, gender fluid ou transgenres (Shun des Chevaliers du Zodiaque, ou une partie du casting de JoJo’s Bizarre Adventure, pour ne citer qu’eux), la plupart des personnages du manga masculin restent érigés en parangons de virilité et d’héroïsme. « Je me sentais comme prisonnier de la prétendue “culture masculine”. Le shōjo manga m’a offert l’occasion de remettre en question la masculinité et de faire l’examen critique des rapports au genre », confie le sociologue Kimio Ito (5), spécialiste des men studies – études interdisciplinaires sur les masculinités – qui s’est passionné pour le shōjo dès le début des années 1970.

Planche extraite de Helter Skelter, de Kyōko Okazaki, Atelier akatombo, 2023. On y suit le déclin sordide de la top-modèle Ririko. Une charge implacable contre les diktats de la beauté.Helter Skelter ©︎ Kyoko Okazaki 2003 / SHODENSHA Publishing Co

Planche extraite de Helter Skelter, de Kyōko Okazaki, Atelier akatombo, 2023. Le livre est une charge implacable contre les diktats de la beauté.
Crédit : Helter Skelter ©︎ Kyoko Okazaki 2003 / SHODENSHA Publishing Co

Autobiographies et thématiques sociales

Les héroïnes de manga ne sont pas en reste dans les séries destinées aux hommes, qui sont aussi plébiscitées par les lectrices. Certains auteurs ont été influencés par des autrices comme Moto Hagio, et le shonen a aussi été investi par des dessinatrices. Papesse de la comédie romantique pour garçons, Rumiko Takahashi, l’autrice de Ranma ½ (lire aussi encadré en fin d’article), leur a ouvert la voie. Dessinés pour séduire la gent masculine, des personnages à la fois kawaii, sexy et badass, comme Lamu d’Urusei Yatsura ou Kaori de City Hunter, ont pu aussi inspirer des jeunes femmes.

Malgré le fait que la société japonaise reste conservatrice et qu’une partie des titres publiés, y compris ceux destinés aux femmes, continue de mettre en scène des comportements toxiques et de perpétuer des rôles assignés à chacun·e selon son genre, le manga est en perpétuelle évolution, mouvant et rempli d’intertextualité. Les récits yuri, mettant en avant des relations lesbiennes, les boy’s love, ou ceux abordant la vie de personnages transgenres, sortent des catégories spécialisées pour se répandre dans des publications plus généralistes, constatent Julia Popek et le professeur James Welker, de la faculté des études japonaises et interculturelles de l’université de Kanagawa.

Ces évolutions ne sont pas étrangères au développement des communautés en ligne, comme l’évoque James Welker : « Lors de la dernière décennie, sur les plateformes web telles que Pixiv [un réseau social japonais de partage de contenus artistiques], nous avons constaté une forte augmentation du nombre d’“essay mangas” », des récits où l’auteur·ice se sert de son expérience personnelle pour évoquer des thématiques sociales comme la santé mentale ou la monoparentalité. « Les questionnements autour de l’homosexualité et du genre ont pendant longtemps été associés à du mal-être. Cela a peu à peu changé à partir des années 1990 », précise de son côté Julia Popek. Ces dernières années ces récits sur l’homosexualité sont racontés de façon plus normalisée ou positive. C’est le cas par exemple dans Éclat(s) d’âmes (2015) de Yuhki Kamatani dans lequel le héros s’épanouit à travers de nouvelles amitiés tissées dans un centre associatif LGBT+ ou dans What Did You Eat Yesterday? (2007), une comédie romantique et culinaire autour d’un couple gay. Les séries LGBT+, de plus en plus volontiers importées par des éditeurs français, semblent donc aujourd’hui trouver leur place dans les récits dits « tranches de vie » ou les thématiques sociales, ce qui contribue encore à renouveler les représentations.

Sélection de six classiques du manga écrits par des femmes à découvrir

Le Clan des Poe - Tome 1 (01) : Hagio, Moto, Slocombe, Miyako: Amazon.fr: Livres

Le Clan des Poe (Moto Hagio, 1972–1976, Akata) : plus gros succès d’une des cheffes de file du renouveau dans les années 1970 du shōjo, manga conçu spécialement pour les femmes. L’œuvre revisite la figure du vampire avec ses jeunes héros condamnés à une existence à la marge, faite de solitude et de tourments existentiels. L’adolescence, en somme.

 

Ranma 1/2 - Édition originale - Tome 01 | Éditions Glénat

Ranma ½ (Rumiko Takahashi, 1987–1996, Glénat) : série découverte tôt en France, Ranma ½ est né de la plume d’une des mangakas les plus influentes au Japon. Le récit met à l’épreuve, dans un joyeux tohu-bohu, un héros tantôt garçon tantôt fille.

 

Amazon.fr - Gunnm - Édition originale - Tome 01 - Kishiro, Yukito - Livres

Gunnm (de Yukito Kishiro, 1990–1995, Glénat) : classique du cyberpunk des années 1990, ce manga pour jeunes hommes, auquel les lectrices françaises se sont aussi attachées, se démarque en mettant en scène une cyborg maladroite, surpuissante et sensible qui s’interroge autant sur son passé de machine de guerre que sur le sens de la vie.

 

Helter Skelter - Manga série - Manga news

Helter Skelter (Kyōko Okazaki, 2003, Atelier akatombo) : véritable audace graphique et narrative à la limite parfois de l’insoutenable, cette critique du star-system japonais et du culte de l’apparence met en scène l’implacable lutte contre la péremption d’une starlette imbuvable.

 

Nana T02 de Aï Yazawa - Album | Editions Delcourt

Nana (Aï Yazawa, depuis 2000, Delcourt-Tonkam) : incursion dans les galères sentimentales et matérielles de deux jeunes colocataires tokyoïtes, Nana a redéfini le cool chez les millenials nippons. Un récit de formation qui n’édulcore pas les aspects les moins reluisants des relations femmes-hommes.

 

 

Moi aussi - Manga série - Manga news

Moi aussi (Reiko Momochi, 2020, Akata) : inspiré de faits réels, Moi aussi raconte le combat d’une intérimaire pour faire reconnaître le harcèlement sexuel dont elle est victime au travail. Ce manga témoigne de la capacité des autrices à se saisir du manga pour raconter les violences et dénoncer des injustices sociales.

 

 

Spécialiste du Japon, vivant entre Paris et Tokyo depuis plus de vingt ans, Aude Boyer est photographe indépendante et traductrice de mangas. Pauline Croquet, journaliste au Monde, est spécialiste des cultures web et suit également l’actualité du manga.

Cet article a été édité par Diane Milleli.


(1) Pauline Croquet, « Au festival d’Angoulême, la lente reconnaissance du manga », Le Monde, 25 janvier 2024.

(2) Kawaii, qui signifie « mignon » en japonais, désigne une esthétique caractérisée par des couleurs pastel, des personnages aux expressions enfantines avec des grands yeux et de fines bouches.

(3) Yukari Fujimoto revient sur cet épisode dans l’essai, non traduit en français, Watashi no ibasho wa doko ni aru no?, Asahi Shinbun Shuppan, 2008.

(4) Pauline Croquet, « Moto Hagio : “Par le manga, j’ai cherché à me libérer de ma mère” », Le Monde, 18 janvier 2024.

(5) Cité par Patrick W. Galbraith, Otaku and the Struggle for Imagination in Japan, Duke University Press, 2019, non traduit en français.

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