26.07.2025 à 00:25
Adieu veaux, vaches, robots-cochons
Mois après mois, Aïe tech défonce la technologie et ses vains mirages. Ultime épisode consacré à la grande déprime du contempteur des folies high-tech, versant cochons mutants. Wesh. Voilà. C'est la dernière « Aïe tech ». Ça commençait à faire beaucoup. Trop, même. Presque 30 chroniques, zarma. T'façon j'en ai plus rien à foutre. On est foutus. FOUTUS. Il y a bien quelques ahuris épars mais courageux (Technopolice, La Quadrature du Net…) qui tentent d'endiguer avec leurs dix petits doigts (…)
- CQFD n°243 (juillet-août 2025) / Mathilde Paix, Aïe TechTexte intégral (740 mots)

Mois après mois, Aïe tech défonce la technologie et ses vains mirages. Ultime épisode consacré à la grande déprime du contempteur des folies high-tech, versant cochons mutants.
Wesh. Voilà. C'est la dernière « Aïe tech ». Ça commençait à faire beaucoup. Trop, même. Presque 30 chroniques, zarma. T'façon j'en ai plus rien à foutre. On est foutus. FOUTUS. Il y a bien quelques ahuris épars mais courageux (Technopolice, La Quadrature du Net…) qui tentent d'endiguer avec leurs dix petits doigts les fuites les plus mastoc, mais ça semble dérisoire face à la force de frappe du bateau high tech emballé. Direction le naufrage. Bref : mon techno-soleil ? Noir. « Les hommes sont murés et c'est le désespoir ». T'sais, Barbara.
En ces temps de désespérance, on a les expédients qu'on peut. Perso, j'ai cru trouver une échappatoire dans le Limousin, où j'ai un temps bossé dans une ferme collective. Mon rôle : cornaquer des cochons élevés dans le plus strict respect des normes bio et du bien-être animal. Ces cochons, je les voyais comme mes ptits gars sûrs, partisans inconscients de la lutte anti-tech. Je chantais « L'Internationale » aux porcelets en leur distribuant leur pitance. Et j'avais même créé le FLPPP (Front de libération des petits potes porcins) pour soutenir leur lutte. J'y croyais. L'utopie porcine était à portée de groin.
Au final : un bide. Outre qu'ils finissaient malgré tout en saucisse, ces cochons anti-tech étaient des marginaux, loin des standards appliqués à ceux de leur espèce. Des dinosaures. La normale, désormais, ce sont plutôt ces gigaporcheries chinoises engraissant des dizaines de milliers de cochons dans des conditions monstrueuses1, summum de la maltraitance animale industrielle. Et puis les porcs ont eux aussi droit aux délires technologiques les plus aberrants. Prends l'entreprise chinoise Hangzhou Genmoor Technology, bah elle commercialise depuis peu « BooBoo », un cochon d'Inde (oui, ça compte comme cochon, ainsi que l'indique son nom) androïde censé pallier les déficits relationnels des mômes de l'Empire du Milieu – où comment combler par des robots sociaux le vide existentiel d'une époque ravagée. Autre exemple : la réussite exceptionnelle du clonage des porcs par robotique, sujet qui extasie le site Trust My Science : « Clonage animal : la Chine produit des porcs à l'aide de robots uniquement » (09/06/2022). Super super, qu'est-ce qui pourrait mal tourner ? Sinon, il y a le site Porc Mag (un must), qui nous informe de l'arrivée au rayon porcherie de « Porcho : Un nouveau robot pour gérer les effluents présents dans les préfosses » (12/06/2023). J'ai préféré ne pas lire, pour préserver ma santé mentale.
Alors bon. J'écris ce texte ouin ouin depuis ma caravane du Limousin. Une fois la chronique finie, j'irai nuitamment délivrer mes ptits potes porcins pour qu'ils sèment le dawa dans les environs, comme ces cochons corses revenus à l'état quasi sauvage. Pour le reste, je lâche l'affaire. Contempteurs des nouvelles technologies, je vous laisse. Essayez de pas trop virer réac', spécialité de certains anti-tech quand ils vieillissent mal. Et on se revoit dans dix ans, sur les barricades face aux robots-cochons. Ouink ouink.
1 « En Chine, l'essor des gigaporcheries, ces fermes-usines verticales aux milliers de cochons », Le Monde, (02/06/2025).
26.07.2025 à 00:20
Le potager, un truc de bobo ?
Si depuis le Coronavirus les jardins potagers ont le vent en poupe, leur contribution réelle à l'alimentation des ménages continue à décroître. Souvent associée aux urbains surdiplômés, faire pousser ses légumes pour se nourrir reste pourtant une pratique fortement ancrée au sein des classes populaires. « Il faut cultiver notre jardin », disait Candide, un moyen sûr « d'éloigner de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin ». Trois siècles et demi plus tard, son adage continue (…)
- CQFD n°243 (juillet-août 2025) / Robin Szczygiel, Le dossierTexte intégral (1078 mots)
Si depuis le Coronavirus les jardins potagers ont le vent en poupe, leur contribution réelle à l'alimentation des ménages continue à décroître. Souvent associée aux urbains surdiplômés, faire pousser ses légumes pour se nourrir reste pourtant une pratique fortement ancrée au sein des classes populaires.
« Il faut cultiver notre jardin », disait Candide, un moyen sûr « d'éloigner de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin ». Trois siècles et demi plus tard, son adage continue de faire des émules. Associatifs, ouvriers ou individuels, les jardins potagers sont plébiscités par les institutions publiques, la presse, les militants et toute personne vaguement de gauche – dans un alignement de planètes assez rare. Ils louent volontiers les vertus de l'agriculture urbaine.
Au sein des catégories plus populaires, cultiver son potager est une pratique de subsistance
Et pour cause, de vertus, ce type de besogne n'en manque pas : court-circuiter les réseaux de distribution et de production de l'industrie agroalimentaire, avoir accès à des produits frais et de bonne qualité à moindre coût, se réapproprier la terre et l'alimentation, survivre à des périodes de disette, tisser des liens, toucher de l'herbe… Avec la crise du Covid, l'engouement pour l'autoproduction de légumes s'est accentué. Maxime Marie, enseignant-chercheur en géographie sociale au CNRS et à l'université de Caen a mené des études de terrain dans trois villes du nord-ouest de la France. En cartographiant minutieusement les jardins individuels à l'aide d'images satellites et en menant près de 700 entretiens, il a constaté que si depuis 2015 de plus en plus de ménages font du potager, la surface totale de ces cultures et leurs contributions à l'alimentation ont fortement diminué, traduisant ainsi une transformation des pratiques. Alors qui mange véritablement les légumes du jardin ? Qui tire des cordeaux, trace des sillons, sème et récolte les légumes de son labeur ?
Dans les communes de Rennes, Caen et Alençon, terrain d'enquête du géographe Maxime Marie, la production des jardins individuels représente entre 5 et 18 % de l'alimentation des ménages, en fonction des villes. Des disparités géographiques qui s'expliquent par les caractéristiques foncières et sociodémographiques de ces zones urbaines : la quantité de maisons avec jardin et la facilité d'y avoir accès d'une part, la présence de classes populaires d'autre part.
« Je ne suis pas certain que la majorité de la population ait envie de faire du jardinage »
En effet, si les catégories jeunes, diplômées et relativement aisées de la population s'adonnent de plus en plus aux joies du maraîchage amateur, c'est avant tout dans une démarche esthétique, récréative et pédagogique. Des légumes d'été surtout : quelques tomates, deux courgettes et un peu de basilic. Pas de quoi passer l'hiver. En revanche, au sein des catégories plus populaires, ouvriers et ouvrières en activité ou à la retraite, cultiver son potager est une pratique de subsistance. Les surfaces productives sont nettement plus grandes et contribuent fortement à l'alimentation de ces ménages. Ils font pousser des navets, des poireaux et des choux durant les saisons froides et font des conserves durant les périodes fastes, s'assurant une certaine autonomie alimentaire tout au long de l'année. « Plus les répondants sont issus de catégories populaires, plus ils expliquent qu'en cas de difficulté économique, comme une perte de revenus, leur potager pourra leur permettre de survivre à cette période », explique Maxime Marie. Mais au sein du monde ouvrier qui dispose d'un bout de jardin et conserve un lien, souvent familial, avec le secteur agricole, entretenir un potager dépasse aussi la fonction nutritive et fait partie d'un style de vie populaire source de fierté.
Historiquement, les jardins ouvriers sortent de terre au XIXe siècle sous l'impulsion de l'État et du patronat qui y voient un moyen de soutenir la reproduction de la force de travail nécessaire au capitalisme industriel et un outil de contrôle des comportements du prolétariat, souvent jugés immoraux ou pire, subversifs. Un hygiénisme social intégré par les classes populaires elles-mêmes et qui imprègne les discours très positifs des classes dominantes sur le potager, mettant en avant son potentiel de résilience et glorifiant le surtravail domestique qu'il implique. « Dans les discours, le potager est valorisé comme une activité saine et souhaitable. En réalité, je ne suis pas certain que la majorité de la population ait envie de faire du jardinage. La preuve, ceux qui ont les meilleures dispositions pour le faire, c'est-à-dire les catégories supérieures, sont ceux qui ont les potagers les plus petits. Si c'était vraiment si bien, ils en feraient plus, mais ils préfèrent aller au marché ou au magasin bio », analyse Maxime Marie. Car ce n'est pas un hasard si ce sont les couches populaires de la société qui contribuent, en volume, le plus à l'autoproduction alimentaire. Produire suffisamment pour assurer son alimentation reste un travail épuisant et peu rémunérateur. On peut légitimement émettre l'hypothèse que si leurs salaires étaient plus élevés, à la hauteur de la valeur réellement produite par leur force de travail, les classes populaires passeraient sûrement un peu moins de leur « temps libre » à s'échiner pour sortir du sol des aliments nutritifs et goûtus. Sûrement qu'elles aussi iraient au petit marché de producteurs.