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22.11.2025 à 00:30

Tuanbo : danse ou crève

Thelma Susbielle

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Dernière nouveauté sur Douyin, la version chinoise de TikTok : des jeunes aspirant·es idoles crament leur santé pour danser non-stop en live. Dans notre société du spectacle bien pourrie de l'intérieur, les corps jeunes finissent toujours par se faire exploiter. Sur le réseau Douyin, la version chinoise de TikTok, un nouveau format vidéo (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) / ,
Texte intégral (759 mots)

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Dernière nouveauté sur Douyin, la version chinoise de TikTok : des jeunes aspirant·es idoles crament leur santé pour danser non-stop en live.

Dans notre société du spectacle bien pourrie de l'intérieur, les corps jeunes finissent toujours par se faire exploiter. Sur le réseau Douyin, la version chinoise de TikTok, un nouveau format vidéo est en pleine expansion : le tuanbo, ou livestream de groupe. Dans ces shows en direct, des escouades de cinq à sept danseur·ses enchaînent les chorégraphies, tandis que les spectateur·ices envoient des cadeaux virtuels payants pour influencer la danse. Les algorithmes dictent en temps réel qui reste sous les projecteurs et qui disparaît, transformant la scène en arène numérique où l'attention est une marchandise et les êtres humains des pantins désarticulés.

Né de l'interdiction des émissions de télé-­réalité d'idoles1 en 2021, le tuanbo s'est vite imposé comme un marché colossal : plus de 5 000 studios se disputent la visibilité, et le secteur devrait dépasser 15 milliards de yuans (environ deux milliards de dollars) cette année. Les performances se vendent comme des actions en bourse : chaque clic, chaque cadeau numérique compte. Ce n'est plus seulement un spectacle. C'est une économie de l'attention où le corps et l'énergie des jeunes artistes deviennent capitaux.

Mais derrière les chiffres et les lumières colorées, la réalité est beaucoup moins glamour. Comme le raconte le média chinois Sixth Thtone, des centaines de jeunes femmes – et d'hommes – s'abîment la santé en espérant se faire repérer. Lu Yingcheng, 20 ans, a abandonné ses études et un contrat d'idole pour rejoindre un studio, oscillant entre anxiété, épuisement et espoirs de célébrité. Après avoir investi des années dans des cours de danse ou de comédie, ces aspirant·es stars se retrouvent à conjuguer lives interminables et performances épuisantes pour un salaire modeste et une reconnaissance limitée.

Dans les studios comme ceux de Peach Island, les journées peuvent durer de six à sept heures de direct, suivies de réponses aux messages et de répétitions supplémentaires, avec interdiction de contacts privés avec les fans. Le rythme est infernal : chaque geste, chaque sourire, chaque note de musique doit être calibré pour maintenir l'algorithme attentif et les spectateur·ices engagé·es. La créativité est oubliée, tandis que la fatigue devient une norme.

Au final, le tuanbo n'est pas seulement un phénomène culturel : il est la vitrine la plus crue de l'exploitation capitaliste. Les rêves d'idoles sont transformés en performances interchangeables, destinées à nourrir un flux numérique insatiable. Derrière les paillettes et les pétales virtuels, c'est surtout une course aux dons financiers. Tandis que les plateformes et les studios empochent les gains en exploitant l'énergie et la fragilité de ces jeunes qui rêvent de devenir des stars. Pendant ce temps, le marché, lui, ne s'épuise jamais.

Thelma Susbielle

1 En Asie, la fabrique des idoles transforme la jeunesse et le talent en produit commercial standardisé, en contrôlant leur image, formation et interaction avec les fans.

21.11.2025 à 12:08

Abandon du 49.3 : merci patron !

Léo Michel

La macronie, ou du moins ce qu'il en reste, nous avait promis un budget « du dialogue ». Le 49.3 ? Mis au placard, juré craché, foi de Lecornu. Mais pourquoi s'en servir et risquer la censure quand on dispose d'un arsenal juridique complet pour neutraliser le Parlement ? Évitant de justesse la censure grâce au soutien de députés qui ne partagent avec le socialisme qu'un substantif, Lecornu promettait lors de sa déclaration de politique générale du 14 octobre de renoncer à l'utilisation de (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025)
Texte intégral (584 mots)

La macronie, ou du moins ce qu'il en reste, nous avait promis un budget « du dialogue ». Le 49.3 ? Mis au placard, juré craché, foi de Lecornu. Mais pourquoi s'en servir et risquer la censure quand on dispose d'un arsenal juridique complet pour neutraliser le Parlement ?

Évitant de justesse la censure grâce au soutien de députés qui ne partagent avec le socialisme qu'un substantif, Lecornu promettait lors de sa déclaration de politique générale du 14 octobre de renoncer à l'utilisation de l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le budget de l'État. En laissant ­l'Assemblée nationale et le Sénat débattre des recettes et des dépenses publiques pour l'année 2026, la macronie agonisante s'évite un nouveau risque de censure et s'offre un ripolinage démocratique à moindre frais. Après avoir malmené les institutions de la démocratie bourgeoise, elle assure « changer de méthode » dixit son Premier ministre. En réalité, l'exécutif a simplement changé d'outil. Même logique, autre tournevis.

D'abord, la LOLF, la fameuse Loi organique relative aux lois de finances. Son acronyme fleure bon le sigle de comptable heureux, mais son effet tient plus de la camisole que du tableur. Elle range les dépenses en missions et programmes soigneusement verrouillés, plafonnés. Le Parlement peut y toucher, certes – à condition de ne pas toucher aux murs porteurs. En d'autres termes, il peut décider de supprimer des dépenses ou de redéployer de l'argent d'une politique publique vers une autre mais seulement si elles sont dans le même bloc. Interdit de supprimer trois canons Caesar pour financer l'éducation. Envie de plus de moyens pour l'école primaire ? Il faudra rogner sur le secondaire.

Ensuite, l'inusable article 40 de la Constitution, le cadenas en or massif de la Ve République. Il interdit à tout député ou sénateur de faire passer un amendement ou une proposition qui augmenterait la dépense publique, même d'un ticket de métro. Vous pouvez toujours inventer des recettes : taxe « trucmuche », impôt plus progressif, contribution de justice ou redevance sur les yachts de luxe – rien n'y fera. Pourquoi ? Parce que le gouvernement garde la main sur le montant des dépenses publiques et sur leur répartition. Résultat : le débat parlementaire sur les dépenses devient un exercice d'équilibrisme dans une cage à chiffres.

Coquetterie institutionnelle

Et surtout, ultime carte dans la manche du gouvernement : l'article 47 de la Constitution. Soixante-dix jours, pas un de plus : passé ce délai, que les élus ne soient pas parvenus à voter un budget pour l'année à venir, et hop ! le gouvernement boucle tout par ordonnance. Sans vote, sans honte, sans Parlement. Et dans une Assemblée sans majorité claire, l'affaire est probable. Pour Macron c'est l'opportunité de se replacer en garant de la « stabilité des institutions ». Depuis sa création en 1958, l'article 47 n'avait jamais été utilisé, les gouvernements disposant jusqu'alors d'une majorité à l'Assemblée nationale, ou à tout le moins d'assez de députés pour éviter une censure en cas de 49.3. Si la macronie se passe de ce dernier, ce n'est pas par vertu, c'est qu'elle a trouvé plus sournois encore.

Léo Michel

15.11.2025 à 00:30

Recueil des peines Mirabeau

Laëtitia Giraud

Au nord de Marseille, dans la commune des Pennes-Mirabeau, un projet de data center affole les riverain·es. Une enquête publique collecte les contributions en ligne jusqu'au 22 décembre. L'occasion de comprendre avec quels mots la contestation sociale se révèle sur la plateforme. Vous en redemandez ? Voilà qu'un nouveau projet d'installation de data center vient s'ajouter à la douzaine des gigantesques boîtes à machines qui ronronnent déjà à Marseille. Pour une fois, l'aventure est tentée (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) /
Texte intégral (1021 mots)

Au nord de Marseille, dans la commune des Pennes-Mirabeau, un projet de data center affole les riverain·es. Une enquête publique collecte les contributions en ligne jusqu'au 22 décembre. L'occasion de comprendre avec quels mots la contestation sociale se révèle sur la plateforme.

Vous en redemandez ? Voilà qu'un nouveau projet d'installation de data center vient s'ajouter à la douzaine des gigantesques boîtes à machines qui ronronnent déjà à Marseille. Pour une fois, l'aventure est tentée au-dehors du port de la ville qui a accueilli la plupart des derniers chantiers. La société japonaise Telehouse, aux manettes, a jeté son dévolu sur une parcelle de six hectares qui longe l'autoroute A7, proche du quartier des Pallières aux Pennes-Mirabeau. Les habitant·es, quant à elleux, ont seulement été informé·es « dix ou quinze jours avant le début de l'enquête publique, via un article de La Provence début septembre », explique Jean Reynaud de l'association Bien vivre aux Pennes-Mirabeau (BVPM), avant de souffler : « Les conseillers municipaux de l'opposition n'étaient même pas au courant. » La raison se trouve peut-être dans la crainte de s'attirer les foudres des riverain·es, « car pour qu'un data center puisse s'implanter quelque part, il faut non seulement des réseaux électriques et de communication importants, de l'eau et du foncier abordable, mais aussi un risque de contestation citoyenne réduit »1.

« C'est sans illusion que j'écris ces quelques lignes »

Passage obligatoire avant de valider la construction, une enquête publique a été lancée en ligne le 22 septembre, afin de récolter les observations citoyennes sur le projet2. Comme d'habitude, lorsqu'il s'agit d'infrastructures de ce type, les « consultations » composent un recueil de critiques souvent bien étoffé, mais tout aussi souvent ignoré. Alors, pourquoi s'y intéresser ? Parce qu'elles ont au moins le mérite de rendre visible la parole des concerné·es. Et de révéler autant de façons d'exprimer son ras-le-bol.

Les « pas content·es »

Il y a d'abord les personnes qui n'y vont pas par quatre chemins. Un·e anonyme écrit ainsi : « C'est intolérable ! Marre des data centers et de l'intelligence artificielle qui détruisent les espaces naturels et agricoles, qui suppriment massivement les emplois et qui ne servent à rien sauf à nous pourrir la vie. » Sur le même ton, on trouve des avis tranchés en version poétique : « Esthétiquement ce bâtiment est une BOUSE, au secours », ou biblique : « Il ne faudrait pas en rajouter sous peine de voir les populations migrer vers d'autres cieux. » Dans cet idéal type des « pas content·es », il est aussi possible de lire, à contre-courant des pourfendeur·euses de la tech, des diatribes soutenant corps et âme le projet. Christophe, par exemple, critique les « oppositions de pacotille » et encourage plutôt à « laisse [r] la France redorer son blouson [sic] comme nouvel eldorado techno sans faire tout ce chichi sur des investissements ».

Les bon·nes élèves

Une autre stratégie consiste à relever très rigoureusement les manquements du projet vis-à-vis des obligations environnementales ou des documents réglementaires du territoire. Christine a consulté une lettre du maire des Pennes-Mirabeau qui tente de montrer en quoi l'installation du data center répond aux conditions détaillées dans le Plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). Elle expose ensuite dans un document de neuf pages et « point par point » pourquoi « les affirmations développées dans ce courrier ne sont pas recevables ». Avant de conclure, laconiquement, que « le permis de construire sollicité par la société Telehouse ne peut lui être délivré en l'état ».

Celleux qui doutent

Enfin, on trouve une litanie de réserves poliment formulées, s'enquérant : « Quel prix pour notre petit coin de campagne où il fait bon vivre ? » D'autres, moins polies, remettent en question l'enquête publique et s'approchent, peut-être, de la vérité : « C'est sans illusion que j'écris ces quelques lignes, persuadée que tout est déjà acté et que cette consultation n'est qu'une mascarade ! »

Sous son noble habit de démocratie participative, l'enquête publique risque une nouvelle fois de trahir ses promesses. Et les Pennes-Mirabeau de voir surgir, entre « l'église, le moulin et l'usine Coca-Cola », un nouveau monstre. Alors, Monsieur le commissaire-enquêteur, qu'en dira-t-on ?

Laëtitia Giraud

1 « Méga ordi en surchauffe », CQFD n° 338 (février 2025).

2 À l'écriture de cet article, 38 contributions avaient été déposées sur la plateforme.

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