ACCÈS LIBRE
13.11.2025 à 16:45
Financements libyens : une affaire d’hommes puissants
Le 19 septembre 1989, une bombe explose dans un avion, le DC-10 de la compagnie UTA, entre Brazzaville (capitale de la République du Congo) et Paris, et tue les 170 passager·es et membres de l’équipage à son bord.
Dix ans plus tard, six agents des services secrets libyens, dont Abdallah Senoussi, beau-frère du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ont été reconnus coupables de cet attentat et condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice française, sans toutefois être extradés vers Paris.
En 2005, Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales, rencontrent Abdallah Senoussi à Tripoli et auraient entamé avec lui des négociations en vue du financement, par la dictature libyenne, de la future campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle française en 2007. En contrepartie, les deux lieutenants du futur candidat se seraient engagés à ce que la condamnation d’Abdallah Senoussi soit révisée. Ce « pacte corruptif » est au cœur des trois mois de procès (du 6 janvier au 10 avril 2025) qui ont débouché, le 25 septembre 2025, sur la condamnation de l’ancien président français à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs ( le procès en appel est prévu pour mars 2026). Le tribunal a également reconnu le préjudice moral infligé aux parties civiles.
Comment êtes-vous devenue partie civile au procès de l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy ?
Mon père, Jean-Pierre Klein, est mort, un peu avant mes 5 ans, dans ce que j’ai longtemps cru être un accident d’avion, mais qui était en réalité un attentat. En 1999, j’étais trop jeune pour assister au procès d’Abdallah Senoussi. Mais j’ai rejoint le collectif de familles de victimes monté par ma tante, Danièle Klein, et par Yohanna Brette, dont la mère, Martine Brette, était hôtesse de l’air sur le vol. C’est en janvier 2025, lors des débats qui visaient à déterminer si Nicolas Sarkozy avait bénéficié de fonds libyens pour sa campagne présidentielle et s’il existait un pacte de corruption avec le régime de Kadhafi, que j’ai pris conscience de la violence à laquelle on avait été exposé·es en tant que proches des victimes. Violence de l’intention de mort derrière l’attentat, mais aussi violence du pacte noué par Nicolas Sarkozy et ses proches collaborateurs.
Vous faites une lecture genrée du procès. Pourquoi ?
Dans ce procès, les prévenus, leurs avocats, la grande majorité des témoins sont des hommes… Même les voix les plus présentes dans les médias sont masculines. C’est quand le procès a débuté, le 6 janvier 2025, en voyant les prévenus en vrai [l’ex-président Nicolas Sarkozy et onze autres prévenus, dont les anciens ministres Brice Hortefeux et Claude Guéant], que je me suis rendu compte qu’ils étaient tous des hommes âgés, bourgeois, vivant dans les quartiers chics de l’Ouest parisien. Ils m’ont renvoyé une impression très forte d’entre-soi.
J’ai été frappée par leur manière de s’adresser au tribunal, leur aplomb, c’était très impressionnant. Jusqu’au 23 janvier [jour de la déposition des familles des victimes pendant le procès], nous n’avons entendu quasiment aucune voix féminine. Puis nous avons été neuf femmes à raconter notre histoire à la barre. Dans une tribune publiée en octobre dans Libération, ma tante et Yohanna Brette nous appellent « les filles du DC-10 ».
Notre avocate, Laure Heinich [également avocate de certaines victimes de Patrick Poivre d’Arvor], a joué un rôle dans cette prise de conscience des dynamiques de genre. Lors de sa plaidoirie, elle a parlé des proches de victimes au féminin, même s’il y a des hommes dans notre groupe. Ce choix m’a permis de mettre des mots sur ce qui était jusque-là une impression diffuse. Laure Heinich a aussi parlé de nous en tant que femmes dignes et qui ne cherchaient pas la vengeance, ainsi qu’en tant que citoyennes. Auparavant, j’avais pu me dire : « Cette affaire me dépasse », et d’un coup, grâce à ses mots d’avocate, je me suis sentie légitime. Ce procès est devenu pour moi celui d’un monde d’hommes qui se croyaient intouchables et de femmes qui ont décidé de se dresser face à eux.
« Pendant les audiences, une violence masculine sûre d’elle s’exprimait. »
Qu’avez-vous ressenti en vous adressant à la cour devant laquelle s’est tenu ce procès historique, ce fameux 23 janvier ?
La déposition que j’ai faite ce jour-là, je l’ai écrite dans ma tête les nuits qui ont précédé. Je ne dormais pas, et j’imaginais ces hommes autour d’une table, organisant l’attentat, puis d’autres hommes, dix-huit ans plus tard, négocier l’immunité du terroriste Abdallah Senoussi, en échange de versements d’argent. Quand, le lendemain, j’ai pris la parole à la barre, j’ai eu le trac, une peur presque physique, je tremblais. J’avais l’impression d’occuper une place qui n’était pas la mienne. Mais eux, alors même qu’ils étaient assis sur le banc des prévenus, ils n’avaient pas l’air mal à l’aise ! C’est en voyant ça que j’ai eu le courage de ne plus m’effacer. À 40 ans, j’ai senti que je devenais adulte.
Ce procès a donc été l’occasion d’une prise de conscience intime ?
Oui, autant que politique. Longtemps, j’ai cru que j’avais été épargnée par la violence masculine. Mais à force d’écouter ces hommes parler, j’ai revu mon enfance. Mon père, qui est mort dans un attentat. Puis mon beau-père, qui criait beaucoup, qui jetait des objets contre les murs quand il était en colère. C’est dans ce contexte que j’ai grandi. Pendant les audiences, j’ai compris que c’était la même mécanique qui s’exprimait par la voix des prévenus : une violence masculine sûre d’elle. On ne parlait pas seulement de corruption, mais de domination. Pourtant, la première fois que j’ai entendu Sarkozy à la barre lors de son premier interrogatoire le 13 janvier, j’ai presque eu pitié de lui. Il évoquait sa mère, son rêve d’enfant de devenir président… Il se racontait comme une victime, en inversant les rôles. Et puis j’ai remarqué qu’il esquivait, il tempêtait, il martelait ses éléments de langage, dans un discours parfaitement maîtrisé. J’entendais la rhétorique d’un homme puissant, qui n’a pas à se justifier. Pour autant, l’annonce du verdict n’a pas été un moment joyeux. Nous, les filles du DC-10, n’avons jamais cherché à « gagner » contre Sarkozy, Hortefeux ou Guéant, seulement à faire reconnaître la gravité des faits.
Que représente pour vous le groupe des « filles du DC-10 » ?
Sans elles, je n’aurais pas tenu lors du procès. On s’écrivait beaucoup sur notre groupe WhatsApp et on continue à le faire. Le 25 septembre, après le verdict, j’étais vidée. Ma tante m’a dit : « C’est normal. On en a plein la tête, mais on va souffler et on va repartir toutes ensemble » [le procès en appel est prévu pour mars 2026]. J’essaye de reprendre des forces, mais, ces temps-ci, ce n’est pas simple. Ce lundi [10 novembre], les parties civiles s’attendaient à ce que la demande de remise en liberté de Nicolas Sarkozy soit acceptée. On comprend et on respecte cette décision. On salue l’interdiction qui lui est faite d’entrer en contact avec Gérald Darmanin ou tout membre du cabinet du garde des Sceaux [personnes pouvant bénéficier d’informations sur la procédure]. Ce que je crains, c’est le traitement médiatique et notamment la victimisation de Sarkozy. Ça a commencé dès l’annonce de sa libération, avec Bruno Retailleau, qui a salué sur le réseau X son « courage », ou Bernard-Henri Lévy, qui a déclaré que son incarcération était « inutile » et « dégueulasse »… C’est ça qui est violent, traumatisant même. Heureusement, il y a ce point de vigilance vis-à-vis du garde des Sceaux dans l’ordonnance de libération, qui me fait dire que la justice prend en compte tous les faits et qu’elle ne lâche pas le dossier. Alors on va y retourner pour le procès en appel et on reconstituera cette petite bulle de sororité qui nous protège.
Texte intégral (1761 mots)
Le 19 septembre 1989, une bombe explose dans un avion, le DC-10 de la compagnie UTA, entre Brazzaville (capitale de la République du Congo) et Paris, et tue les 170 passager·es et membres de l’équipage à son bord.
Dix ans plus tard, six agents des services secrets libyens, dont Abdallah Senoussi, beau-frère du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ont été reconnus coupables de cet attentat et condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice française, sans toutefois être extradés vers Paris.
En 2005, Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales, rencontrent Abdallah Senoussi à Tripoli et auraient entamé avec lui des négociations en vue du financement, par la dictature libyenne, de la future campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle française en 2007. En contrepartie, les deux lieutenants du futur candidat se seraient engagés à ce que la condamnation d’Abdallah Senoussi soit révisée. Ce « pacte corruptif » est au cœur des trois mois de procès (du 6 janvier au 10 avril 2025) qui ont débouché, le 25 septembre 2025, sur la condamnation de l’ancien président français à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs ( le procès en appel est prévu pour mars 2026). Le tribunal a également reconnu le préjudice moral infligé aux parties civiles.
Comment êtes-vous devenue partie civile au procès de l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy ?
Mon père, Jean-Pierre Klein, est mort, un peu avant mes 5 ans, dans ce que j’ai longtemps cru être un accident d’avion, mais qui était en réalité un attentat. En 1999, j’étais trop jeune pour assister au procès d’Abdallah Senoussi. Mais j’ai rejoint le collectif de familles de victimes monté par ma tante, Danièle Klein, et par Yohanna Brette, dont la mère, Martine Brette, était hôtesse de l’air sur le vol. C’est en janvier 2025, lors des débats qui visaient à déterminer si Nicolas Sarkozy avait bénéficié de fonds libyens pour sa campagne présidentielle et s’il existait un pacte de corruption avec le régime de Kadhafi, que j’ai pris conscience de la violence à laquelle on avait été exposé·es en tant que proches des victimes. Violence de l’intention de mort derrière l’attentat, mais aussi violence du pacte noué par Nicolas Sarkozy et ses proches collaborateurs.
Vous faites une lecture genrée du procès. Pourquoi ?
Dans ce procès, les prévenus, leurs avocats, la grande majorité des témoins sont des hommes… Même les voix les plus présentes dans les médias sont masculines. C’est quand le procès a débuté, le 6 janvier 2025, en voyant les prévenus en vrai [l’ex-président Nicolas Sarkozy et onze autres prévenus, dont les anciens ministres Brice Hortefeux et Claude Guéant], que je me suis rendu compte qu’ils étaient tous des hommes âgés, bourgeois, vivant dans les quartiers chics de l’Ouest parisien. Ils m’ont renvoyé une impression très forte d’entre-soi.
J’ai été frappée par leur manière de s’adresser au tribunal, leur aplomb, c’était très impressionnant. Jusqu’au 23 janvier [jour de la déposition des familles des victimes pendant le procès], nous n’avons entendu quasiment aucune voix féminine. Puis nous avons été neuf femmes à raconter notre histoire à la barre. Dans une tribune publiée en octobre dans Libération, ma tante et Yohanna Brette nous appellent « les filles du DC-10 ».
Notre avocate, Laure Heinich [également avocate de certaines victimes de Patrick Poivre d’Arvor], a joué un rôle dans cette prise de conscience des dynamiques de genre. Lors de sa plaidoirie, elle a parlé des proches de victimes au féminin, même s’il y a des hommes dans notre groupe. Ce choix m’a permis de mettre des mots sur ce qui était jusque-là une impression diffuse. Laure Heinich a aussi parlé de nous en tant que femmes dignes et qui ne cherchaient pas la vengeance, ainsi qu’en tant que citoyennes. Auparavant, j’avais pu me dire : « Cette affaire me dépasse », et d’un coup, grâce à ses mots d’avocate, je me suis sentie légitime. Ce procès est devenu pour moi celui d’un monde d’hommes qui se croyaient intouchables et de femmes qui ont décidé de se dresser face à eux.
« Pendant les audiences, une violence masculine sûre d’elle s’exprimait. »
Qu’avez-vous ressenti en vous adressant à la cour devant laquelle s’est tenu ce procès historique, ce fameux 23 janvier ?
La déposition que j’ai faite ce jour-là, je l’ai écrite dans ma tête les nuits qui ont précédé. Je ne dormais pas, et j’imaginais ces hommes autour d’une table, organisant l’attentat, puis d’autres hommes, dix-huit ans plus tard, négocier l’immunité du terroriste Abdallah Senoussi, en échange de versements d’argent. Quand, le lendemain, j’ai pris la parole à la barre, j’ai eu le trac, une peur presque physique, je tremblais. J’avais l’impression d’occuper une place qui n’était pas la mienne. Mais eux, alors même qu’ils étaient assis sur le banc des prévenus, ils n’avaient pas l’air mal à l’aise ! C’est en voyant ça que j’ai eu le courage de ne plus m’effacer. À 40 ans, j’ai senti que je devenais adulte.
Ce procès a donc été l’occasion d’une prise de conscience intime ?
Oui, autant que politique. Longtemps, j’ai cru que j’avais été épargnée par la violence masculine. Mais à force d’écouter ces hommes parler, j’ai revu mon enfance. Mon père, qui est mort dans un attentat. Puis mon beau-père, qui criait beaucoup, qui jetait des objets contre les murs quand il était en colère. C’est dans ce contexte que j’ai grandi. Pendant les audiences, j’ai compris que c’était la même mécanique qui s’exprimait par la voix des prévenus : une violence masculine sûre d’elle. On ne parlait pas seulement de corruption, mais de domination. Pourtant, la première fois que j’ai entendu Sarkozy à la barre lors de son premier interrogatoire le 13 janvier, j’ai presque eu pitié de lui. Il évoquait sa mère, son rêve d’enfant de devenir président… Il se racontait comme une victime, en inversant les rôles. Et puis j’ai remarqué qu’il esquivait, il tempêtait, il martelait ses éléments de langage, dans un discours parfaitement maîtrisé. J’entendais la rhétorique d’un homme puissant, qui n’a pas à se justifier. Pour autant, l’annonce du verdict n’a pas été un moment joyeux. Nous, les filles du DC-10, n’avons jamais cherché à « gagner » contre Sarkozy, Hortefeux ou Guéant, seulement à faire reconnaître la gravité des faits.
Que représente pour vous le groupe des « filles du DC-10 » ?
Sans elles, je n’aurais pas tenu lors du procès. On s’écrivait beaucoup sur notre groupe WhatsApp et on continue à le faire. Le 25 septembre, après le verdict, j’étais vidée. Ma tante m’a dit : « C’est normal. On en a plein la tête, mais on va souffler et on va repartir toutes ensemble » [le procès en appel est prévu pour mars 2026]. J’essaye de reprendre des forces, mais, ces temps-ci, ce n’est pas simple. Ce lundi [10 novembre], les parties civiles s’attendaient à ce que la demande de remise en liberté de Nicolas Sarkozy soit acceptée. On comprend et on respecte cette décision. On salue l’interdiction qui lui est faite d’entrer en contact avec Gérald Darmanin ou tout membre du cabinet du garde des Sceaux [personnes pouvant bénéficier d’informations sur la procédure]. Ce que je crains, c’est le traitement médiatique et notamment la victimisation de Sarkozy. Ça a commencé dès l’annonce de sa libération, avec Bruno Retailleau, qui a salué sur le réseau X son « courage », ou Bernard-Henri Lévy, qui a déclaré que son incarcération était « inutile » et « dégueulasse »… C’est ça qui est violent, traumatisant même. Heureusement, il y a ce point de vigilance vis-à-vis du garde des Sceaux dans l’ordonnance de libération, qui me fait dire que la justice prend en compte tous les faits et qu’elle ne lâche pas le dossier. Alors on va y retourner pour le procès en appel et on reconstituera cette petite bulle de sororité qui nous protège.
07.11.2025 à 10:08
Maternité des Lilas : retour sur une fermeture annoncée
Texte intégral (1342 mots)
En cette soirée d’Halloween, les « sorcières », comme aiment à se faire appeler les soignantes de la maternité des Lilas, près de Paris, n’avaient pas le cœur à la fête.
Inaugurée en 1964, la maternité des Lilas pratiquait des avortements avant même leur dépénalisation et n’a jamais cessé d’offrir aux personnes enceintes le choix d’un accouchement pas ou peu médicalisé, laissant toute sa place au conjoint·e. Bien plus tard, à partir de 2019, elle a également été pionnière en France dans le suivi des grossesses d’hommes trans. Ce projet d’accompagnement, au plus près des besoins individuels, requiert des équipes étoffées, spécifiquement formées et donc des moyens financiers que la Sécurité sociale ne prend pas en charge. L’établissement ayant fait le choix de ne pas répercuter les coûts sur les usager·es, c’est l’État qui, jusqu’ici, absorbait son déficit. « C’est vraiment parce qu’elle portait un projet politique à part entière et grâce aux mobilisations [des salariées, des féministes et des syndicats] qu’elle a tenu jusqu’à aujourd’hui, analyse la sociologue Elsa Boulet. Depuis le milieu des années 1990, les plans de périnatalité incitent à concentrer les accouchements dans des structures disposant de davantage de matériel technique et de personnel – notamment des médecins anesthésistes – disponible en permanence. » (Lire notre encadré en bas de page.)
Une promesse trahie
Dans les années 2000, comme d’autres maternités, celle des Lilas est sommée de s’adapter pour assurer sa pérennité. En 2008, un projet de reconstruction et d’agrandissement visant à la rendre rentable, est adopté par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot : le terrain est choisi et les plans validés. Mais, coup de théâtre : en 2011, Claude Évin, alors président de l’ARS, prenant pour prétexte un conflit en cours entre un anesthésiste et des sages-femmes de l’établissement, suspend brusquement le projet. Malgré une mobilisation des salarié·es et des usager·es, soutenue par de nombreuses personnalités du monde du spectacle (Catherine Ringer, Arthur H, Karin Viard), le projet de reconstruction est définitivement enterré en 2013, en dépit de la promesse de soutien faite par le candidat François Hollande pendant la campagne présidentielle.
« On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul »
Marie-Laure Brival, ancienne directrice de la maternité des Lilas
La notoriété de la maternité des Lilas dissuade toutefois les autorités de santé de la fermer. Durant treize ans, l’agence régionale de santé continue d’éponger son déficit, estimé entre 3 et 5 millions d’euros selon les années. « On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul », analyse son ancienne directrice, Marie-Laure Brival.
Gestion chaotique
Mais le déclin est amorcé. Plusieurs projets de fusion avec d’autres établissements hospitaliers sont imaginés, sans aboutir. Les soignantes craignent une dégradation de leurs conditions de travail avec, pour corollaire, une dénaturation de leur métier. En 2017, alors qu’un projet d’adossement à une clinique voisine est finalement sur le point de se concrétiser, l’homme d’affaires Louis Fabiano arrive à la tête de l’association gestionnaire. Le projet a déjà englouti 1 million d’euros sur le budget de la maternité, mais le nouveau président n’honore pas les rendez-vous proposés par l’ARS et laisse le plan s’enliser. Il est, en revanche, nettement plus diligent à servir ses propres intérêts. En 2022, il touche une commission de 160 000 euros sur la vente des murs de la maternité à de nouveaux propriétaires. La même année, le syndicat Sud dépose une plainte contre X pour prise illégale d’intérêt et abus de confiance.
La gouvernance chaotique de la maternité laisse, par ailleurs, s’instaurer un climat de violences au sein de l’équipe de salarié·es. En 2020, un dernier mouvement social unit les soignantes contre un médecin, devenu tout-puissant au sein de l’établissement, accusé de harcèlement moral et d’agressions sexuelles. Vingt-trois salariées portent plainte devant le Conseil de l’ordre des médecins, et sept au pénal, mais l’homme est relaxé par deux fois. Informée de ces problèmes, l’ARS Île-de-France regarde ailleurs, arguant qu’il s’agit d’un établissement privé.
Après quinze ans d’agonie liée à l’abandon des pouvoirs publics mais aussi au désengagement des réseaux féministes et syndicaux, la fermeture de la maternité des Lilas est à la fois une délivrance et un déchirement pour ses soignantes et ses usager·es. Les 80 salarié·es vont être licencié·es et les patient·es seront réparti·es au sein des hôpitaux des environs, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) ou à Paris, où la prise en charge des accouchements est davantage médicalisée.
Au-delà de la disparition d’un accueil depuis toujours axé sur le droit des personnes à disposer de leur corps, la fermeture de la maternité des Lilas marque une défaite symbolique pour le féminisme, à l’heure où l’extrême droite, aux portes de l’exécutif, entend priver les femmes et les personnes trans de leurs droits à l’avortement et à une parentalité choisie.
La disparition des petites maternités
Quarante pour cent des maternités françaises ont fermé depuis l’an 2000. Il s’agit principalement d’établissements de niveau 1, qui n’étaient pas équipés de plateaux techniques pour prendre en charge les usager·es en cas de complications. Au nom de leur sécurité, les autorités de santé ont donc encouragé le regroupement des sages-femmes et des médecins dans des unités médicalisées, considérées comme les seules rentables depuis l’instauration de la tarification à l’acte en 2012. La fuite des soignant·es et des parturient·es vers ces maternités réputées plus sûres a fini de vider les petits établissements, entraînant la fermeture de tous ceux passant sous la barre des 300 naissances par an, seuil fatidique en dessous duquel les agences de santé ne garantissent plus la sécurité des accouchements. En mai 2025, en réponse à la hausse jugée « alarmante » de la mortalité infantile, en partie dûe à l’éloignement géographique croissant des structures de soins, l’Assemblée nationale votait un moratoire de trois ans sur la fermeture des petites maternités. Le texte, qui fait débat chez les expert·es en santé publique comme chez les élu·es, attend d’être validé par le Sénat.
30.10.2025 à 15:37
🎃 Monstres et sorcières, allié·es féministes
Texte intégral (2875 mots)
En plus des personnages de sorcières qui peuplent depuis quelques années les imaginaires féministes, les monstres et les vampires hantent désormais essais et fictions, comme autant de manières de questionner les normes de genre et de révéler des chemins d’émancipation.

On regarde
Häxan
Häxan. La sorcellerie à travers les âges est un documentaire muet réalisé en 1922. Il est depuis peu visible sur les plateformes de VOD. Détonnant par sa forme comme par son propos, il raconte comment, à toutes les époques, les hommes ont utilisé la torture pour soumettre les femmes. Entremêlant méticuleusement archives et saynètes de fiction, utilisant des effets spéciaux encore confidentiels à l’époque, son réalisateur, le Danois Benjamin Christensen, reconstitue d’abord toute la violence des chasses aux sorcières du Moyen Âge. Puis, dans un audacieux glissement vers un propos qu’on est bien obligées de qualifier de « féministe », il laisse la parole à des femmes de son époque internées en hôpital psychiatrique. Elles dénoncent les traitements qui leur sont infligés, et mettent en lumière la permanence de la violence patriarcale.

→ Häxan. La sorcellerie à travers les âges, de Benjamin Christensen, 87 minutes. Disponible sur les plateformes de VOD.
Sinners
Dans les États-Unis des années 1930 et de la prohibition, Elijah et Elias, deux frères jumeaux, reviennent s’installer dans leur ville natale du Mississippi. Ils décident d’ouvrir un club de blues réservé à la communauté noire, dans un État où la ségrégation raciale fait loi. Mais, le soir de l’ouverture, l’arrivée de trois musicien·nes – blanc·hes – perturbe les festivités, et la soirée prend une tournure surnaturelle. Véritable hommage à la culture noire des États-Unis – sa musique, ses rituels vaudous – le film explore, à travers la métaphore du vampire, les dynamiques d’oppressions qui traversent la société à l’époque. Rythmé par une bande originale empruntant au blues et au rap, Sinners prend rapidement les allures d’une comédie musicale. C’est, selon nous, un des films les plus étonnants de l’année 2025 !
→ Sinners, de Ryan Coogler, 137 minutes. Disponible sur les plateformes de VOD.

On lit
Monstrueuse
Passionnée de films d’horreur depuis l’enfance, l’autrice et podcasteuse Taous Merakchi convie ses lecteur·ices à un voyage peuplé des monstres et des loups-garous qui ont fait son éducation. Enfant solitaire puis adolescente en marge, elle a puisé dans les films de genre les matériaux pour se construire en tant qu’adulte, mère et femme dans une société misogyne : « J’ai toujours rêvé d’inverser les rôles et de devenir la menace, la silhouette inquiétante dans la ruelle sombre, le monstre du placard. Mon rêve absolu est de faire peur aux hommes, de les déranger, de les dégoûter », écrit-elle dans ce qui sonne comme un plaidoyer pour le cinéma d’épouvante.

→ Taous Merakchi, Monstrueuse, éd. la ville brûle, 2025.
Ancolie
Ancolie est une sorcière de 27 ans qui trompe une existence terriblement ennuyeuse en picolant dès le petit déjeuner et en couchant avec son ex toxique. Pour éviter l’excommunication du Haut Conseil des sorcières, elle se lance dans un défi « un peu hippie-neuneu » : fabriquer un sortilège d’empathie pour enrayer la montée du fascisme, la fracture sociale, les superprofits et la pollution des nappes phréatiques.
Après La vie est une corvée (Exemplaire, 2023), Ernestine (Même Pas Mal, 2024) et Peur de mourir mais flemme de vivre (Exemplaire, 2025), Salomé Lahoche ressuscite son double maléfique sous les traits d’un personnage de fiction qui nous embarque dans un univers trash et baroque, au pouvoir hautement hilarant.

→ Salomé Lahoche, Ancolie, Glénat, 2025.
Le Temps des sorcières
En 1893, alors que le combat pour le droit de vote des femmes aux États-Unis fait rage, trois sœurs – Bella, Agnès et Genièvre – racontent leur lutte quotidienne contre la misogynie et la précarité sociale, dans la ville de New Salem (Massachusetts). Quelques siècles auparavant, les sorcières ont été bannies de la région, mais, à l’instar des trois narratrices, les femmes de New Salem résistent en se reconnectant aux savoirs oubliés. Mi-politique, mi-fantastique, ce roman décortique les grands enjeux sociaux, raciaux et de genre qui secouent les États-Unis à la fin du XIXe siècle. Il est aussi un magnifique hommage à la lutte politique et à la solidarité entre femmes.
→ Alix E. Harrow, Le Temps des sorcières, traduit par Thibaud Eliroff, Hachette, 2022.

On s’abonne
Demoiselles d’horreur
Pourquoi, au cinéma, les femmes incarnent-elles des fantômes, et les hommes des serial killers ? Pourquoi le body horror est-il féministe ? Ou encore, comment le cinéma d’horreur traite-t-il les personnages queers ? Sur sa chaîne YouTube, la journaliste Judith Beauvallet interroge les représentations véhiculées par le cinéma fantastique, un sous-genre très investi par les réalisatrices et les femmes critiques.


Un glossaire pour tout comprendre
Alors que l’actualité montre à quel point la guerre culturelle qui fait rage est aussi une bataille sémantique, il nous a paru important que La Déferlante propose à ses lecteur·ices des définitions de concepts clés pour appréhender l’époque dans une perspective féministe intersectionnelle. Toutes sont en accès libre sur notre site internet, qui sera alimenté au fil des numéros pour faciliter la compréhension des concepts mobilisés dans chaque dossier.
→ Retrouvez toutes nos définitions en libre accès

On y sera
Grandir sans tabou à Rennes
Ven 7 novembre 2025, à 18 heures
Librairie La Nuit des temps, Rennes
Claire Marcadé Hinge et Marianne Marty-Stéphan, autrices de Grandir sans tabou, rencontreront les lecteur·ices rennais·es. La discussion sera animée par Lucie Louapre, de l’association Parents et féministes, et sera suivie d’une séance de dédicaces.
→ Informations pratiques par ici.
Grandir sans tabou à Rennes
Ven 14 novembre 2025, à 18 h 30
Librairie Les Bien aimé·es, Nantes
Les deux autrices de Grandir sans tabou répondront aux questions des lecteur·ices nantais·es et animeront un atelier destiné aux enfants, en partenariat avec l’association DisQUtons.
→ Informations pratiques par ici.
Une expo, un débat
Mer 19 novembre 2025, à 19 heures
Galerie Kadist, Paris 18e
Christelle Murhula, journaliste indépendante et membre du comité éditorial de La Déferlante, animera un échange entre la styliste Jeanne Friot et l’autrice Kiyémis, en marge d’une exposition sur les féminismes non occidentaux. Entrée gratuite sans réservation (attention, le nombre de places est limité !).
Festival Les Créatives
Jeu 20 novembre 2025, à 12 h 30
Festival Les Créatives, Genève
Marie Barbier, corédactrice en chef de La Déferlante, participera à une table ronde intitulée « Investiguer et médiatiser les violences sexistes et sexuelles » aux côtés de sa consœur de Mediapart Marine Turchi et de la comédienne Anna Mouglalis.
Soirée de lancement du numéro « Soigner »
Jeu 27 novembre 2025 à 19 heures
Maison des Métallos, Paris 11e
À l’occasion du lancement du numéro 20 de La Déferlante, « Soigner dans un monde qui va mal », une table ronde rassemblera l’autrice féministe Valérie Rey-Robert, la psychiatre Loriane Bellahssen et la psychologue Salima Boutebal. La discussion sera suivie d’un concert de Louisadonna. Comme à chaque édition, des associations seront présentes et un stand proposera les revues, livres et goodies de La Déferlante.
29.10.2025 à 15:18
L’assassinat des sœurs Mirabal : à l’origine de la Journée contre les violences faites aux femmes
Texte intégral (4158 mots)
En France, la date du 25 novembre revêt, depuis plusieurs décennies, une signification particulière pour le mouvement social. En 1995 déjà, 140 organisations – dont beaucoup d’associations féministes, mais aussi la CGT et le Parti communiste – mobilisées pour défendre les droits reproductifs, menacés par le retour de la droite au gouvernement, faisaient défiler 40 000 personnes dans les rues de Paris.
C’est en 1999 que le 25 novembre a été choisi par les Nations unies comme « Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ». Mais dans la résolution 54/134, indiquant que « la violence est l’un des principaux mécanismes sociaux par lesquels les femmes sont maintenues en situation d’infériorité par rapport aux hommes », aucune mention n’est faite de l’assassinat de Patria, Minerva et María Teresa Mirabal. Alors même qu’en Amérique latine, notamment caribéenne, le jour de la mort des trois sœurs est célébré depuis deux décennies déjà, en mémoire des victimes de violences et de féminicide.

Crédit : ERIKA SANTELICES / AFP
À Paris, la seule référence aux sœurs Mirabal se trouve dans un recoin de la place de la République-Dominicaine, dans le XVIIe arrondissement, où l’ambassade a fait apposer en 2021 une plaque de marbre à la mémoire des trois victimes de féminicide. « Mes sœurs ont fait partie de cette jeunesse qui s’est sacrifiée pour que le peuple dominicain puisse se libérer de la dictature », affirme dans ses mémoires Dedé Mirabal
Les sœurs Mirabal ont été tuées alors qu’elles se rendaient en voiture à la prison de Puerto Plata où leurs époux étaient incarcérés pour atteinte à la sécurité de l’État. Une embuscade commanditée par Rafael Trujillo, dictateur sanguinaire arrivé au pouvoir en 1930, après avoir reçu une formation des Marines pendant l’occupation du pays par les États-Unis (1916–1924).
Patria, Minerva et María Teresa Mirabal, âgées respectivement de 36, 34 et 25 ans, savaient le risque qu’elles couraient en prenant la route ce jour-là, dans un pays où les opposant·es étaient souvent victimes de mystérieux accidents de voiture. Les deux plus jeunes avaient elles-mêmes été détenues quelques mois auparavant, sous le même chef d’accusation que leurs maris, et vivaient depuis assignées à résidence. La Jeep, conduite par leur chauffeur Rufino de la Cruz, est mitraillée sur le trajet retour par des agents de la police secrète du Servicio de inteligencia militar (SIM). Les passagères et le chauffeur sont battu·es à mort avant d’être précipité·es dans leur Jeep au fond d’un ravin pour maquiller le crime en accident.
La presse dominicaine, sous la coupe du régime, reprend cette version. Mais le peuple n’est pas dupe. Loin d’étouffer la contestation, l’assassinat de ces résistantes suscite une grande vague d’indignation et de colère entraînant la chute du dictateur. Trujillo, alors également dans la ligne de mire de Washington, est à son tour victime d’une embuscade mortelle six mois plus tard, le 30 mai 1961. Il faut cependant attendre la fin des années 1970 pour que la République dominicaine s’engage dans une transition vers un régime démocratique.
« Vivantes en leur jardin »
Entre 1930 et 1961, dans un pays qui comptait alors 3 millions d’habitant·es, Trujillo et son bras armé, le SIM, auraient provoqué jusqu’à 50 000 exécutions, incluant le massacre raciste de milliers de Haïtien·nes noir·es travaillant dans les plantations dominicaines. Le despote, autoproclamé « bienfaiteur de la patrie », avait érigé un véritable culte autour de sa personne, tout en accaparant une grande partie des richesses du pays. « Ce furent des années de terreur et de carnage, de trahisons, de délation et de destructions, mais ce fut aussi l’époque où l’héroïsme des gens s’est manifesté avec le plus de force », écrit encore Dedé Mirabal.
Les Mirabal sont une famille d’opposant·es politiques de haut vol, emmenée notamment par Minerva. En janvier 1959, inspirée par la chute du dictateur cubain Fulgencio Batista, elle a créé le principal réseau de résistance de gauche dominicain. C’est le point de départ du Mouvement du 14 juin – référence à la date d’une tentative avortée de débarquement révolutionnaire en juin 1959, depuis Cuba –, dont Manuel Aurelio Tavárez, l’époux de Minerva, devient président. Leur programme ? Éradiquer la tyrannie, élire une assemblée constituante, organiser des élections libres tous les quatre ans, engager une réforme agraire. Et en attendant… réunir des armes pour faire tomber le dictateur.
Durant sa clandestinité, Minerva Mirabal se fait appeler Mariposa, « papillon » en espagnol. Un clin d’œil à ceux qui volaient un peu partout dans le jardin de la maison familiale à Salcedo, dans le nord du pays, et un symbole de transformation qui devient le surnom des trois sœurs, Las Mariposas. Ce surnom renvoie aussi à la métaphore de l’effet papillon, théorisé dans les années 1970 par le météorologue étasunien Edward Lorenz, selon lequel le battement d’ailes d’un papillon au Brésil pourrait théoriquement provoquer une tornade au Texas.
« La violence est l’un des principaux mécanismes sociaux par lesquels les femmes sont maintenues en situation d’infériorité par rapport aux hommes. »
Résolution 54/134 des Nations unies, 1999
L’assassinat de trois femmes en République dominicaine peut-il pousser des centaines de milliers de femmes à travers le monde à défiler dans les rues pour dénoncer les violences de genre ? La réponse est oui. Car ce n’est pas uniquement en raison de leur engagement politique que les sœurs Mirabal ont été assassinées, mais aussi parce qu’elles étaient des femmes vivant sous un régime dictatorial d’impunité sexuelle.
L’histoire telle qu’elle est racontée par Dedé Mirabal en témoigne : le dictateur Trujillo avait, un jour de 1949, invité la famille Mirabal à une fête, avec l’intention de mettre Minerva dans son lit. Impossible de refuser l’invitation, au risque de subir des représailles. Les Mirabal viennent en nombre autour de la jeune femme dans l’espoir de servir de rempart. « Nous étions également inquiets qu’elle puisse boire dans un verre » contenant « une sorte de drogue qui faisait tomber les femmes dans [l]es bras [de Trujillo] », écrit encore Dedé. Minerva, âgée de 22 ans, est contrainte d’échanger quelques pas de danse avec le tyran.
Maintes fois répétée, l’histoire de cette rencontre se raconte désormais à la manière d’une légende nationale. Dans l’une des versions, la plus populaire, Minerva aurait giflé le dictateur. Mais, d’après Dedé, elle lui a surtout tenu tête, en lui disant qu’elle s’opposait à sa politique.
À la suite de cette soirée, Trujillo fait arrêter et emprisonner le père Mirabal, qui décédera en 1952, affaibli par sa détention. Minerva est aussi interpellée à plusieurs reprises, interrogée sur ses liens avec les dirigeants socialistes et communistes, puis assignée à résidence jusqu’à ce qu’elle puisse enfin s’inscrire à la faculté de droit, sans savoir qu’elle ne pourra jamais prêter serment.
« Une construction collective »
Pour la philosophe et sociologue française Jules Falquet, dont le travail contribue depuis plusieurs décennies à faire connaître les luttes et les penseuses d’Amérique latine, « en dehors de ce continent, les mouvements féministes n’ont pas assez fait le rapprochement entre la date du 25 novembre et l’histoire des sœurs Mirabal, encore moins avec le travail des féministes dominicaines qui ont proposé cette date ». Un constat que partage la militante dominicaine pour les droits des femmes, Sergia Galván Ortega : « Il y a une méconnaissance de notre rôle dans la commémoration de ce jour. Mais nous, les Dominicaines, n’avons pas non plus voulu nous approprier cet événement, car il s’agit d’une construction collective du mouvement féministe latino-américain. »

Crédit : PETER HOHENHAUS OF DARK-TOURISM.COM
C’est en effet lors de la première Rencontre féministe de l’Amérique latine et des Caraïbes, organisée en juillet 1981 à Bogotá (Colombie) que la date du 25 novembre a été une première fois choisie pour alerter sur les violences faites aux femmes. Près de 200 militantes venues du Mexique, de Porto Rico, d’Équateur, du Vénézuéla et de six autres pays du continent se sont réunies durant quatre jours. Quelques autres font le voyage depuis l’Europe, le Canada et les États-Unis. « Nous étions heureuses de nous rencontrer. On a discuté de la santé des femmes, de sexualité, de mortalité maternelle, d’avortement, et de très nombreux thèmes », se remémore Sergia Galván Ortega. Enseignante et activiste, elle fait alors partie de la délégation dominicaine. Composée d’une vingtaine de femmes, emmenée par la sociologue Magaly Pineda – figure incontournable du féminisme dominicain, décédée en 2016 –, elle est la délégation la plus fournie juste après la délégation colombienne. Cela a probablement pesé dans la balance quand, le dernier jour, il fut question de fixer « une journée d’actions contre la violence pour interpeller les autorités sur le sort réservé aux femmes », reconnaît-elle.
Les dates de naissance ou de mort de Flora Tristan
Quand elles racontent cette histoire, à Bogotá en 1981, les Dominicaines font l’unanimité. À partir de là, des marches sont organisées dans plusieurs pays à cette date. À Saint-Domingue, le premier défilé a lieu le 25 novembre 1982 sur le parvis de l’université autonome et, là encore, c’est un choix symbolique. « Nous étions plusieurs centaines, de tous les secteurs, des travailleuses, des paysannes, des jeunes de classe moyenne. On a chanté des poèmes pour les sœurs Mirabal », se rappelle Sergia Galván Ortega, qui explique que l’anniversaire de la mort des sœurs Mirabal fédère aujourd’hui chaque année jusqu’à 8 000 manifestantes en République dominicaine. « Cette mobilisation a conduit à l’adoption de lois, notamment celle de 1997, la première à punir les violences intrafamiliales », précise encore l’enseignante.
Mais la mobilisation ne faiblit pas car il reste du chemin à parcourir. L’avortement reste un crime, y compris en cas de viol, ce qui fait de la République dominicaine l’un des pays les plus restrictifs en matière de droits reproductifs. Par ailleurs, selon l’ONG Human Rights Watch, les violences perpétrées à l’encontre des personnes LGBTQIA+ ne sont pas légalement reconnues comme des discriminations.
Le féminicide : une « non-idée politique »
Jules Falquet se souvient du « choc » qu’elle éprouve en atterrissant en 1989 au Mexique quand elle découvre qu’il existe, dans certains pays d’Amérique latine, des défilés féministes le 25 novembre : « C’était tellement impressionnant de voir des milliers de femmes dans les rues contre les violences, alors que ça n’existait pas en Europe. » La chercheuse effectue sur place des recherches pour son mémoire de master sur la scolarisation des femmes autochtones au Chiapas. Elle traduit notamment certains textes de l’anthropologue afro-dominicaine lesbienne Ochy Curiel qui propose une approche décoloniale du féminisme. « C’est important de souligner l’agentivité des femmes latinas en général, et dominicaines en particulier, car leur apport, pourtant conséquent, est souvent négligé », insiste-t-elle.
Dans Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence (éditions iXe, 2016), Jules Falquet étudie aussi le concept de féminicide. Largement répandu dans la sphère hispanophone, il se diffuse en France à partir des années 2010, à la faveur de la campagne de Jean-Michel Bouvier pour que le meurtre de sa fille Cassandre et de son amie Houria Moumni, survenu à Salta (Argentine) en 2011, soit reconnu comme spécifiquement lié à leur genre
L’une des particularités du triple assassinat des sœurs Mirabal, c’est qu’il s’agit d’un féminicide, perpétré à une époque où ce concept n’avait pas encore été formulé. Il est alors au stade d’une « non-idée politique », au sens où l’entend la docteure en sciences politiques Margot Giacinti dans son livre Le Commun des mortelles. Faire face au féminicide (Divergences, 2025) : « Une idée qui, quoique présente dans les théorisations (des) subalternes depuis le XIXe siècle, ne sera conceptualisée sous le terme féminicide et ne fera événement qu’à l’approche du XXIe siècle. »
Le mot « féminicide » est utilisé une première fois en public, en mars 1976 à Bruxelles, à l’occasion du Tribunal international des crimes contre les femmes, un forum féministe important de cette décennie (lire notre article dans La Déferlante n° 12). Diana Russell, l’une des organisatrices venues des États-Unis, l’utilise pour qualifier les meurtres conjugaux dans un discours précurseur, dont il ne reste aucune trace dans les archives. La vraie théorisation de ce terme date de 1992, quand paraît l’ouvrage collectif Femicide: The Politics of Woman Killing (Twayne Publishers, non traduit en français), codirigé par Diana Russell et la criminologue britannique Jill Radford.
Sa définition dépasse le cadre conjugal pour recouvrir tous les pans de la vie d’une femme. Dans un chapitre intitulé « Le terrorisme sexiste contre les femmes » rédigé avec Jane Caputi, le mot est défini en ces termes : « Le féminicide se situe à l’extrême d’un continuum de terreur antiféminine incluant une grande variété de violences sexuelles et physiques, telles que le viol, la torture, l’esclavage sexuel […] l’hétérosexualité forcée, la stérilisation forcée, la maternité forcée (en criminalisant la contraception et l’avortement), la psychochirurgie, la sous-nutrition des femmes dans certaines cultures… »
La diffusion d’un concept
L’ouvrage de Diana Russell et Jill Radford, pierre angulaire de la lutte contre les féminicides, va voyager en Amérique latine où des chercheuses s’en emparent pour inspirer des enquêtes de terrain. Celle de Ciudad Juárez, à la frontière nord du Mexique, est probablement la plus connue, car la découverte de fosses communes dans les années 1990 et le phénomène massif des disparitions forcées de femmes ont été médiatisés par la presse internationale.
Des chercheuses, elles-mêmes médiatiques, ont aussi travaillé sur ce terrain, dont l’Argentino-Brésilienne Rita Laura Segato (lire son portrait dans le numéro 14 de La Déferlante). Dans les articles de référence, le travail de Montserrat Sagot et Ana Carcedo au Costa Rica est aussi souvent mentionné
« Honorons la mémoire de celles qui, comme Patria, Minerva et María Teresa, dans leurs heures les plus difficiles, ont été des colonnes de marbre qui ont résisté. »
Minou Tavárez Mirabal, fille de Minerva Mirabal
En France, les universitaires ne s’emparent véritablement du concept qu’à partir de 2016, grâce notamment à la petite-fille d’une des trois Mariposas, Camila Minerva Rodríguez Tavárez, venue étudier dans les années 2010 à Sciences Po Paris, sur le campus de Poitiers spécialisé dans le monde latino-américain. C’est elle qui fait découvrir les détails de l’histoire de ses aïeules à ses professeur·es. Sa mère, Minou Tavárez Mirabal, est invitée à participer à un colloque en 2016. Fille de Minerva et Manolo, elle est devenue femme politique en République dominicaine et préside le conseil de direction du Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale. « On connaissait l’histoire de l’assassinat des sœurs Mirabal, qui rentrait pour nous dans un cadre de violences politiques. Rencontrer sa fille nous a fait prendre conscience que c’était aussi une violence de genre », estime l’historien Frédéric Chauvaud. Sa collègue Lydie Bodiou, coorganisatrice du colloque, relève : « C’est la première fois qu’on s’emparait de ce terme et de ce concept pour en faire un objet de recherches scientifiques. »
Ce colloque a donné naissance à l’ouvrage On tue une femme. Le féminicide. Histoire et actualités (Hermann, 2019), auquel a également contribué Jules Falquet, qui sert de relais à la diffusion académique du concept de féminicide en France. Minou Tavárez Mirabal en signe l’épilogue : « Minerva Mirabal et ses sœurs ne reposent pas en paix. […] Parce que, aujourd’hui encore, les défis et les préoccupations politiques et sociales qu’elles ressentaient pour la démocratie, pour la justice, pour les droits de l’homme et ceux des femmes restent des défis pour notre société. »

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Le 25 novembre 2024, vingt-cinq ans après que l’ONU a décrété que cette date aurait une portée internationale, Minou Tavárez Mirabal a été invitée à la tribune des Nations unies à New York pour parler du rôle politique de sa mère et de ses tantes en République dominicaine. « Honorons la mémoire de celles qui, comme Patria, Minerva et María Teresa, dans leurs heures les plus difficiles, ont été des colonnes de marbre qui ont résisté », dit-elle encore. Pour leur fille et nièce, cet héritage est un défi – conserver l’espoir, briser la peur dans ces temps obscurs – autant qu’un horizon utopique : il s’agit de se projeter « vers cet avenir meilleur que l’humanité mérite ».
Sergia Galván Ortega, qui a travaillé pour le ministère dominicain des droits des femmes, retient l’essentiel : « Je me sens fière d’avoir fait partie de cette histoire, qui prouve ce dont le mouvement féministe est capable. »
29.10.2025 à 15:17
Les patient·es prennent du pouvoir
Texte intégral (2831 mots)
La scène se passe en 1999, dans une salle d’attente de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Catherine Kapusta-Palmer a rendez-vous avec son médecin. La jeune femme a appris sa séropositivité douze ans plus tôt, à l’époque où la France découvre l’existence du sida et regarde, impuissante, tomber les victimes de ce qu’on considère alors comme « une maladie d’homosexuels ».
Dès le début de l’épidémie de sida, les malades et leurs allié·es sont organisé·es en associations militantes. En France, Aides voit le jour en 1984, et l’antenne française d’Act Up est créée en 1989. Leurs militant·es expérimentent des formes de mobilisation dans la grande tradition de l’action directe, héritée des suffragettes. Ils et elles transforment des funérailles de victimes en manifestations politiques et organisent des die-in pour rendre visible l’hécatombe. En 1993, Act Up recouvre l’obélisque de la Concorde d’un préservatif géant pour alerter l’opinion publique et met en place des systèmes parallèles de réappropriation et de diffusion du savoir médical. C’est un soutien thérapeutique « par des malades pour des malades » qui dépasse la simple lutte contre le virus. Des permanences d’accès au soin (entre autres pour l’accès aux traitements des travailleur·euses du sexe, des migrant·es, des précaires) puis aux « droits sociaux des pairs » (en 1998) permettent d’apporter aux bénéficiaires des allocations adultes handicapé·es un accompagnement juridique, un logement social.
L’engagement de Catherine Kapusta-Palmer au sein d’Act Up est à la hauteur de ce que le rétrovirus a changé dans la vie des malades, en particulier dans celle des femmes. « Nous étions à l’époque à peine 12 % dans les programmes de recherche, alors que nous formons désormais dans le monde la majorité des contaminé·es
Une révolution sociale
Par sa brutalité et son ampleur, l’épidémie de VIH/sida a bouleversé le rapport entre soignant·e et soigné·e, fondé sur une hiérarchisation du savoir. Pour la première fois, les patient·es ont pris une place dans le parcours de soin. Un mouvement qui préfigure ce que deviendront plus tard les « patient·es expert·es » : des personnes atteintes de maladies chroniques ou de pathologies invalidantes dont l’expérience personnelle étayée par des formations est validée par une université ou une association. Leur expertise est ensuite mise à profit dans la recherche, la formation des soignant·es ou les prises en charge des patient·es ; leur présence apporte aux malades la sensation d’être entendu·es, compris·es et accompagné·es de façon globale.
Lucile Sergent a 30 ans quand, dans les années 2000, on lui diagnostique un syndrome génétique rare – le syndrome d’Ehlers-Danlos – qui cause des luxations et génère des plaies et des hématomes. Après une longue errance médicale, elle doit s’entourer de nombre de spécialistes pour apprivoiser son nouveau quotidien. Pour aider d’autres patient·es, elle commence à militer au sein d’associations en faveur de la démocratie sanitaire
La résistance à la toute-puissance médicale peut également s’appuyer sur les armes de l’adversaire. En finançant et en produisant des données scientifiques qui remettent en cause les savoirs établis, les associations de malades démontrent que certaines pathologies (des maladies orphelines à l’intolérance au gluten) méritent d’être étudiées. Elles dénoncent également les effets à long terme d’erreurs médicales, comme les prescriptions de Distilbène, ce médicament prescrit aux femmes pour prévenir les fausses couches jusque dans les années 1970, aujourd’hui reconnu comme responsable de cancers et de malformations de l’appareil génital chez des femmes exposées pendant la grossesse de leur mère.
À Lyon, derrière la façade grise et moderne du centre bipol-AIR – un hôpital de jour qui, comme son nom l’indique, s’est spécialisé dans les troubles bipolaires – se cache l’une des meilleures prises en charge, en France, des troubles neurologiques fonctionnels (TNF), une pathologie complexe reconnue comme handicap en 2013. Résultant souvent d’un grave traumatisme, les TNF provoquent des symptômes divers : douleurs chroniques, engourdissement des membres, pertes d’équilibre ou des capacités neurologiques, troubles du langage. Des symptômes proches de ceux de maladies dégénératives comme Parkinson.
Dans cette unité, l’association Cap TNF rassemble des patient·es du centre bipol-AIR, accompagné·es par deux infirmières et soutenu·es par les autres professionnel·les. Cap TNF a mené un travail de sensibilisation auprès des soignant·es et travaillé sur les pratiques de soin en coopération avec des médecins. Le but : instaurer une alliance thérapeutique inédite. Grâce à l’association, les patient·es intégrant le parcours suivent des ateliers de psychoéducation et d’appropriation du diagnostic (pour comprendre les mécanismes physiopathologiques sous-jacents), des ateliers de gestion des crises fonctionnelles dissociatives ou encore participent à des groupes de parole. Les soignant·es sont très peu formé·es sur cette maladie qui, selon les spécialistes, touche pourtant 30 % des personnes suivies en neurologie.
Linda Moreau, 49 ans, initiatrice du collectif, a été diagnostiquée comme atteinte de TNF en 2021, après trente ans d’errance médicale. « Il y a un vrai refus du corps médical à écouter. J’ai été diagnostiquée à tort pour une épilepsie, une polyarthrite rhumatoïde, un lupus… », égrène-t-elle. Quand elle est enfin prise en charge dans le centre bipol-AIR, elle rencontre des personnes aux vécus similaires, et fonde en 2022 cette association, composée principalement de femmes à qui l’on a prescrit à tort des traitements anti-épileptiques, du tramadol, des antidépresseurs. « Les symptômes complexes s’enracinent sur des traumatismes, des vies souvent compliquées. Nous avons souvent l’impression que cela encourage les soignant·es à décharger leur stress sur nous », souligne la militante, heureuse de faire désormais partie d’une communauté de près de 900 membres, qui partagent leurs expériences, des conseils, se recommandent des soignant·es.
Le collectif a permis d’améliorer significativement la prise en charge, témoigne Axelle Gharib, psychiatre et médecin coordinatrice au centre. « Quand on a ouvert, en 2020, on ne travaillait qu’avec la littérature disponible. J’étais très interventionniste et j’avais tendance à m’agacer quand ce que je proposais ne convenait pas aux patient·es. » C’est grâce à elles et eux qu’un groupe sur la parentalité et un autre sur les aides familiales ont été créés, comblant des angles morts de parcours de soins pilotés par les non-concerné·es.
Valider l’expertise des patient·es
Dans le cadre de cette enquête, nous avons interrogé une dizaine de patientes qui, une fois leur maladie identifiée et maîtrisée, sont devenues médiatrices de santé-paires
Olivia Gross est titulaire de la chaire de recherche sur l’engagement des patient·es à l’université Sorbonne-Paris Nord, qui délivre une licence de sciences sanitaires et sociales – parcours médiateur de santé-paire. Selon elle, ce type de formation permet non seulement à davantage de patient·es d’être accompagné·es par une personne concernée, mais aussi aux personnes en voie de guérison de trouver un emploi dans une société validiste. Quatorze ans après le début d’une prise en charge psychiatrique particulièrement difficile, Carole
Vers des relations de soin plus horizontales
Du côté associatif, la Ligue contre le cancer a mis sur pied un dispositif appelé « patients ressources » qui forme, depuis 2015, des bénévoles – malades ou ancien·nes malades du cancer – à intervenir auprès des soignant·es comme auprès des patient·es. Atteinte d’un cancer digestif alors qu’elle était mère célibataire, Anne
Selon les derniers chiffres de l’association, du fait de l’action des patient·es expert·es, 80 % des membres du personnel de santé ont modifié leurs pratiques, et 81 % des personnes malades affirment que leur qualité de vie s’est améliorée ; elles éprouvent notamment moins de stress.
Aujourd’hui, les patient·es agissent même auprès des futur·es soignant·es. Olivia Gross, de l’université Sorbonne Paris-Nord, est particulièrement fière de la mise en place, dès les premières années d’études d’infirmier·es, de kinésithérapeutes, de médecins généralistes ou de pharmacien·nes, d’un enseignement dispensé par des patient·es rémunéré·es pour leur expertise – sous le statut d’enseignant·es vacataires : « On a trop longtemps enseigné le partenariat de soin avec les patient·es sans patient·es dans l’enseignement ! Les médecins ont l’impression d’avoir toujours appris auprès d’elles et eux, mais c’était hors sol, dans un rapport où la personne était considérée comme un objet. » En plus de développer l’empathie, ces heures d’enseignements engagent depuis 2014 les futur·es soignant·es sur l’individualisation des soins ou la lutte contre les biais et les stéréotypes.
En finançant et en produisant des données scientifiques qui remettent en cause les savoirs établis, les associations de malades démontrent que certaines pathologies méritent d’être étudiées.
Pourtant, malgré toutes ces initiatives, la sociologue et patiente experte Lucie Sergent n’est pas très optimiste sur l’horizontalisation du soin en France. « La tendance participative fait beaucoup de bien, et des projets de recherche conçus par les patient·es avec des méthodologies féministes sont désormais financés par l’Agence nationale de la recherche. Mais, malheureusement, dans nombre de cas, les patient·es sont consulté·es, mais ne sont pas impliqué·es dans la coréalisation des prises en charge. »
De son côté, dans un rapport publié en décembre 2023, l’Ordre national des médecins regrette que ses membres ne soient pas encore suffisamment informé·es sur les bénéfices de l’action des patient·es expert·es. Que ce soit dans l’enseignement médical, dans l’éducation thérapeutique de la patientèle, dans la recherche ou dans le soin des maladies chroniques.
Malgré cela, Catherine Kapusta-Palmer en est convaincue : depuis les années sida, de l’eau a coulé sous les ponts, et la démocratie sanitaire a gagné du terrain. Mais elle décèle toujours dans les luttes actuelles le reflet des batailles politiques des années 1990. « À l’époque, nous étions 200 à nous battre pour faire reconnaître les lipodystrophies [des déformations causées par une mauvaise répartition des tissus graisseux] comme des effets secondaires de la trithérapie. Depuis, d’autres se battent de la même façon pour que les diagnostics de l’endométriose soient facilités, ou pour se dresser contre le scandale des implants Essure
29.10.2025 à 15:00
Basket en hidjab : occuper le terrain
Texte intégral (2825 mots)












*Le hidjab est un foulard couvrant la tête et le cou.
29.10.2025 à 11:37
Aller bien dans un monde qui va mal
Texte intégral (726 mots)
Comme souvent depuis qu’Emmanuel Macron est installé à l’Élysée, plane dans l’air un « brouillard de mots et d’injonctions paradoxales
D’un côté, la casse de tout le système de protection sociale (réforme des retraites, de l’assurance chômage), l’annonce de l’austérité à venir (5 milliards à économiser sur les dépenses de santé), la loi qui réintroduit des pesticides cancérogènes, à quoi s’ajoute la passivité de nos dirigeant·es dans un monde en feu (guerre au Congo, génocide à Gaza, violences policières, violences racistes, féminicides…). De l’autre, une injonction répétée par ces mêmes dirigeant·es à aller bien : « La santé mentale, grande cause nationale en 2025 », un « plan psychiatrie » pour le « repérage précoce » des troubles psychiques chez l’enfant ou une « charte d’engagement pour la santé mentale » proposée aux entreprises. Sans que jamais ne soient interrogées les causes de nos maladies et de nos souffrances.
Dans ce numéro 20 de La Déferlante, dont le dossier s’intitule « Soigner dans un monde qui va mal », nous nous sommes demandé comment nous pouvions aller bien dans un monde aussi mal en point et qui maltraite les plus fragiles d’entre nous : les personnes étrangères avec ou sans titre de séjour, les classes populaires, les femmes, les personnes trans ou racisées… L’injonction à la bonne santé mentale – au départ un concept progressiste issu du champ de la psychiatrie – est un piège qui s’est refermé sur nous tous et toutes. Elle est devenue un outil de contrôle social au service du système capitaliste. Jusque dans les textes officiels émis par l’Organisation mondiale de la santé, la santé mentale est décrite comme une condition de la productivité des individus, « un état de bien-être qui permet à chacun […] d’apporter une contribution à la communauté ».
Et gare à celles et ceux qui protesteraient un peu trop fort ou dérogeraient aux attendus de leur condition. Comme l’ont démontré les travaux de terrain de la sociologue Isabelle Coutant
En 2025, l’injonction faite aux citoyen·nes à être en bonne santé, mentale et physique, sans être placé·es dans des conditions qui le permettent, relève toujours d’une stratégie politique de normalisation et de contrôle des corps minoritaires ; les luttes menées depuis les années 1970 nous ont appris que le soin pouvait être le terreau d’une révolution. Dans ce numéro, nous mettons en lumière des tentatives, collectives ou individuelles, pour repenser le lien entre soignant·es et soigné·es, pour rendre leur agentivité à celles et ceux qui souffrent.
On parle ici des approches communautaires de santé, adoptées par des soignant·es engagé·es dans des quartiers populaires. On parle aussi de ces malades chroniques qui parviennent à faire reconnaître leur vécu de la maladie comme une expertise par le corps médical. On parle enfin de ces soignantes maltraitées, parfois maltraitantes malgré elles, qui se battent pour que de meilleures conditions de travail leur permettent de mieux prendre soin des autres. Parce que, comme l’affirme une aide-soignante interviewée dans ce numéro : « Quand on soigne bien quelqu’un·e, on se sent bien. » On aimerait que, à l’heure de faire passer des lois, nos dirigeant·es s’en souviennent. •
28.10.2025 à 16:54
« Les hormones du malheur » : une BD inédite de Sole Otero
Texte intégral (4214 mots)
Pour les personnes utilisant un lecteur d’écran, les planches de cette bande dessinée sont décrites dans le corps du texte.

- Première case : Sole Otero est assise sur un avion en direction de l’Europe depuis l’Argentine. Des hormones stylisées lui font coucou depuis chaque continent. Elle dit : « Bonjour ! Bonsoir ! Je m’appelle Sole. Je suis une femme cis de 40 ans. Artiste argentine, j’ai émigré en France il y a environ 5 ans. Enchantée ! »
- Deuxième case : Sole Otero marche, suivie de petites hormones. Cartouche : « Quand j’étais une jeune fille, les hormones, pour moi, c’était juste quelque chose que j’avais étudié à l’école, quelque chose qui accompagnait mon cycle menstruel, et rien de plus.»
- Troisième case : Plusieurs visages parlent. Cartouche : « Quand j’ai eu mes premières règles, ma mère et mes professeur·es m’ont avertie des effets secondaires qu’elles pouvaient entraîner. Je ne m’en suis jamais vraiment inquiétée.»
- Quatrième case : Sole Otero est en position fœtale, pliée de douleur. Elle explique : « Environ une fois par mois, une partie de mon corps commençait à me faire mal, annonçant que j’allais bientôt saigner. N’importe quelle partie de mon corps pouvait être douloureuse. Il était très rare que je ne souffre pas. La douleur était forte mais elle passait très facilement dès que je prenais du paracétamol. »
- Cinquième case : La mère de Sole Otero la rassure. Cartouche : « À en juger les commentaires de ma mère, il s’agissait d’un syndrome prémenstruel.» Sa mère dit : « Tu vas sans doute avoir tes règles. »
- Sixième case : Sole Otero s’énerve contre un petit copain qui fait une remarque sexiste. Cartouche : « Mes petits amis étaient du même avis. Son petit copain dit : « Tu es sûre de vouloir rompre ? Tu n’aurais pas tes règles ? » Légende : « D’une certaine manière, à cette époque-là, mon problème hormonal ne me paraissait pas si grave.»

- Première case : Un homme se tient debout, pointé par une flèche. Cartouche : « À 28 ans, j’ai rencontré lui.”
- Deuxième case : Le même homme est dessiné trois fois – amoureux, penaud, en colère – face à Sole Oero qui est perplexe. Cartouche : « Ma relation avec lui a été marquée par la manipulation et l’emprise psychologique.»
- Troisième case : Sole Otero est allongée par terre sous un cœur et un symbole peace and love brisés. Cartouche : «J’ai subi une forme de gaslighting
Forme de manipulation mentale qui a pour effet de faire douter la victime de sa mémoire et de sa santé mentale. qui m’a fait me méfier de ma propre perception de la réalité. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à souffrir non seulement de violentes migraines, mais aussi d’une profonde dépression et de crises d’angoisse.» - Quatrième case : Sole Otero se tient seule au milieu de la case. Cartouche : «J’ai réussi à me séparer de lui au bout d’un an. J’ai ensuite consacré beaucoup de temps à tenter de me reconstruire. À essayer de croire à nouveau en ma vision du monde.»
- Cinquième case : Sole Otero est assis par terre devant des papiers. Cartouche de la case : « À sublimer mon expérience. Tout simplement à survivre.” Bulle qui pointe vers les papiers : (Ma première BD raconte toute cette histoire.)
- Sixième case : Sole Otero pleure, debout sur un pèse-personne les bras remplis de mots dans une bulle qui dit :
« Mais après ça, pendant 4 ans, les maux de tête, problèmes de poids, crises d’angoisse et dépression… ont été mon quotidien.» - Septième case : Sole Otero dans plusieurs sens et états (joie, tristesse, incompréhension…). Cartouche : « Mon ex s’était-il mal comporté avec moi parce que j’étais dépressive et insupportable ? Ou bien suis-je tombée en dépression parce qu’il se comportait ainsi ? La douleur ? Était-elle une sorte de punition ?»
- Huitième case : Sole Otero assise par terre, devant des silhouettes en noir et blanc. Cartouche : « Mon cas n’est pas isolé. D’après une étude publiée par Santé Publique France (2022), les femmes victimes de violences conjugales sont dans un état de santé général moins bon, ont plus de problèmes physiques, psychologiques et mentaux, consomment plus de soins médicaux que les femmes non victimes.»

- Première case : Cartouche : « La réponse à mes questions est arrivée après avoir couru chez le médecin.» Sur l’image Sole Otero se représente pendant un rapport sexuel, les seins giclant sur son nouveau copain. Elle fuit, honteuse.
- Deuxième case : Cartouche : « J’ai alors découvert que…» : un médecin lui annonce « Votre taux de prolactine est très élevé. »
- Troisième case : Légende : « Et que… : le médecin lui dit « Vous avez une tumeur à l’hypophyse. » La tumeur est dessinée sur l’épaule de Sole Otero, désignée comme « Lui ».
- Quatrième case et cinquième case : Sole Otero passe par plusieurs états de détresse émotionnelle, accompagnée de sa tumeur. Ses copain·es parle à la tumeur « Comment ça va le “microchip
Puce électronique en anglais ” ? ». Cartouche : “Cette nouvelle a eu un “certain” effet sur moi. Pour me rassurer et apaiser mon inquiétude, et sachant que la tumeur était bénigne, mes ami·es lui ont donné un surnom affectueux.» - Sixième case : Des cachets se battent avec la tumeur. Cartouche : “Ma tumeur était trop petite pour qu’on risque une intervention chirurgicale mais elle pouvait être soignée par des médicaments.»
- Septième case : Sole Otero est heureuse au soleil. Un cachet et la tumeur se font un câlin à ses pieds. Elle dit : « Je me sens merveilleusement mieux ! » Cartouche : « Effectivement, dès que j’ai commencé à prendre de la cabergoline pour tenter de réduire sa taille…»
- Huitième case : Cartouche : « …c’était comme si quelqu’un m’avait enlevé un poids énorme. Mon quotidien s’est nettement amélioré.» Sole Otero est dans son lit et dit à la tumeur « Plus de migraines ! ».
- Neuvième case : Sole Otero est entourée de femmes enceintes. Cartouche : « Les médecins m’ont informée que, à cause d’un taux élevé de prolactine pendant toutes ces années, j’avais sans le savoir traversée une période d’infertilité. La prolactine est l’hormone qui régule la croissance des seins et la production de lait pendant l’allaitement. Sa présence réduit la probabilité de tomber enceinte, mais aucun médecin ne m’a jamais dit que la dépression dont j’avais souffert pendant toutes ces années pouvait être liée à ce qui se passait au niveau de ma glande pituitaire
Autre nom de l’hypophyse. »

- Première case : Sole Otero entourée de post-it et d’alarmes dans différentes situations de la vie quotidienne. Cartouche : « J’ai également découvert que chaque fois que j’oubliais de prendre une de mes pilules de cabergoline, je courais le risque d’avoir des maux de tête pendant une semaine et d’éprouver une tristesse extrême.»
- Deuxième case : Sole Otero dit «Je veux mourir. » agenouillée avec sa tumeur à côté. Cartouche : «Et j’ai commencé à souffrir de ce que les médecins appellent la dysphorie prémenstruelle.»
- Troisième case : Sole Otero est la tête au sol et dit « Mais si je meurs, je détruis ma famille… Je ne peux pas. » Sa tumeur est à côté d’elle. Cartouche : « Plusieurs fois, j’ai pensé que plus rien ne valait la peine.»
- Quatrième case : Sole Otero, accompagnée de sa tumeur, est à genoux, le poing levé, et dit « Le monde est horrible, je le vois clairement maintenant. » Dans le fond, on lit le mot « Frustration » et le début de « Problème » et « Difficile ». Cartouche : « Et même si je savais que c’étaient mes hormones qui parlaient, je ne pouvais pas m’empêcher de les écouter.»
- Cinquième case à huitième case : Sole Otero envoie le message « Cher ex, je t’aime. », déchire des papiers, bloque quelqu’un sur son téléphone et pleure en rendez-vous de travail, toujours accompagnée de sa tumeur. Cartouche : « Tout n’est pas que de la faute de mon syndrome prémenstruel, ou de mon microchip, mais à cause d’eux, j’ai fait des choses parmi les plus stupides de ma vie. Un peu comme si j’étais ivre d’anxiété et de dépression. Ce malaise m’appartenait, mais le syndrome prémenstruel me faisait l’exprimer de la manière la plus inappropriée.»

- Première case : Sole Otero, accompagnée de sa tumeur, sautille d’un côté de la case à l’autre. Sole Otero dit : « Au moins, il me restait trois semaines par moi où j’étais bien. Et, comparé à mon état précédent, c’était merveilleux pour moi. »
- Deuxième case : Le virus du Covid demande la tumeur en mariage sur l’épaule de Sole Otero. Cartouche : “Mais quand j’ai contracté le Covid en 2020, avant d’être vaccinée, j’ai eu une rechute.»
- Troisième case : Cartouche : “Et quand j’ai finalement réussi à trouver un médecin, j’ai découvert que le microchip avait grossi et que le dosage de mon traitement devait être augmenté.» Sole Otero a sa tumeur sur le dos. Elle explique que « C’était compliqué parce que je n’avais pas encore d’assurance maladie en France. »
- Quatrième case : Sole Otero dans différentes positions avec le virus du Covid et sa tumeur. Elle explique : « Peut-être que c’était le virus
On suspecte des atteintes à l’hypophyse dans les formes graves de Covid. du Covid long qui m’a épuisée pendant des mois. Ou simplement le hasard. Peut-être que c’était à cause du stress du confinement. » - Cinquième case : Un médecin donne une ordonnance à Sole Otero. Cartouche : « Heureusement, tout s’est arrangé avec l’ajustement de la médication.»
- Sixième case : Sole Otero tient son ordonnance dans la main. Cartouche : « Mais je n’ai trouvé aucun médecin capable d’expliquer de qui m’arrivait. Alors j’ai commencé à en parler avec des personnes qui avaient des problèmes similaires au mien.»
- Septième case : Une personne à Hollywood dit « Si j’oublie de prendre mon médicament, je deviens dépressive. » Cartouche : « Quelqu’une avec le même type de tumeur et les mêmes symptômes.»
- Huitième case : Une personne dans une ville dit « Le médicament qu’on m’a donné a provoqué chez moi une crise psychotique. J’ai eu des hallucinations et j’ai failli me jeter d’un balcon. J’ai dû arrêter immédiatement et apprendre à vivre avec. » Cartouche : « Quelqu’une avec le même type de tumeur et les mêmes types de problèmes.»
- Neuvième case : Une personne à la campagne dit « J’ai commencé à voir double et à avoir des vertiges. Finalement des médecins m’ont opéré pour retirer la tumeur. Cartouche : « Une personne avec la même tumeur mais d’un autre sexe.»
- Dixième case : Une personne à Paris dit « Je ne savais pas ce qui m’arrivait, j’ai abandonné mes enfants et ma famille et je voulais juste faire la fête. J’ai dépensé tout l’argent que j’avais. J’ai eu une période maniaque, en gros. » Cartouche : « Quelqu’une avec une tumeur dans une autre glande.»
- Cartouche des cases 7 à 8 : « Je me suis donc demandé à quel point les problèmes en particulier des femmes, étaient étudiés.»

- Première case : Un fond bleu marine unie. Cartouche : « Après avoir consulté des sites et des revues spécialisées, j’ai compris que les problèmes hormonaux peuvent être la cause de sérieuses difficultés à mener une vie normale, conduisant même certaines personnes au suicide. En fait, ils peuvent tuer.»
- Deuxième case : Sole Otero et son petit ami se disputent. Il dit : « Qu’est-ce qui t’arrives ? Tu as tes règles, non ? ». Elle répond : « Non, je suis en colère parce que tu es toxique ! » En gris, à côté de sa réponse, il y a écrit « Je n’ai jamais réussi à répondre ça » avec un petit smiley triste. Cartouche : « Mais les problèmes hormonaux ont tendance à se dissoudre dans le sexisme ordinaire.»
- Troisième case : Plusieurs hommes et femmes sont les uns à côté des autres, en noir et blanc. L’une d’elleux dit « Certaines femmes, pas toutes, sont fortement affectées par les hormones. » Sole Otero, en couleur et devant ajoute « Et quelques-unes le sont de manière extrême. »
- Quatrième case : Des personnes sur la Terre sont découpée en trois groupes. L’un d’eux représente 25 % de la population mondiale et l’autre 65 %. Cartouche : « Combien de femmes souffrent de problèmes de dépression ou d’anxiété liés à leurs hormones ? Les statistiques ne sont pas claires. En ce qui concerne le « microchip », un quart de la population mondiale serait porteuse d’une tumeur bénigne de l’hypophyse, et 65 % des gens subiraient des variations hormonales, avec les effets qui vont avec. Mais bien sûr, on peut souffrir d’une dépression liée à des déséquilibres hormonaux sans nécessairement avoir une tumeur à l’hypophyse.»

- Première case : Sole Otero est face à un graphique des variations d’hormone lors d’un cycle menstruel. Le 14e jour marque l’ovulation, le 28e le dernier jour du cycle. Avant le 28e jour, une « période difficile » est indiquée. La progestérone augmente entre l’ovulation et les règles, l’œstrogène augmente au moment de l’ovulation avant de diminuer et réaugmenter légèrement au moment des règles puis de diminuer fortement. La FSH
Hormone folliculo-stimulante qui agit sur la maturation des follicules ovariens. augmente entre les règles et l’ovulation puis au moment même de l’ovulation. La LHHormone lutéinisante qui déclenche l’ovulation. augmente en pic le jour de l’ovulation. Cartouche : « Le cycle menstruel est régulé par les hormones. Le saignement marque le début de la phase d’émission d’œstrogènes : à ce moment-là, les femmes cisgenres retrouvent souvent de l’énergie. Puis l’ovulation provoque la sécrétion de progestérone. La concentration dans le sang de ces deux hormones diminue à la fin du cycle. C’est au cours de la phase prémenstruelle que les femmes cisgenres sont naturellement fatiguées.» - Deuxième case : Sole Otero fait sa valise et se rend dans un aéroport, en se précipitant, accompagnée de la tumeur dans sa valise. Elle dit : « Mais que se passe-t-il si, au cours de cette phase, au lieu de se reposer, elles sont stressées et fonctionnent à plein régime, comme l’exige le monde capitaliste ? Des troubles émotionnels peuvent-ils provoquer l’apparition de tumeurs ou modifier l’équilibre de nos hormones ? Est-il possible que le fait d’avoir été dans une relation si stressante et violente ait également pu générer l’apparition d’une tumeur chez moi ? Ou est-ce que la tumeur m’a privée d’une énergie et d’une clairvoyance qui m’auraient permis d’échapper à cette relation toxique à temps ?

- Première case : Sole Otero nage dans une piscine. Cartouche : « La dopamine, le neurotransmetteur qui permet à beaucoup de nos activités cérébrales de se dérouler normalement, et qui est connue comme la molécule du bonheur, augmente naturellement grâce à l’activité sportive.» Sole Otero dit : « C’est sans doute pour cela que la meilleure solution que j’ai trouvée au cours de ces années pour soulager la dysphorie du syndrome prémenstruel était de maintenir une routine d’exercice stricte. »
- Deuxième case : Sole Otero s’étire sur un tapis de yoga avec sa tumeur. Cartouche : « Le lien entre les différentes glandes est encore à l’étude, il existe de nombreuses statistiques et certaines relations claires ont déjà été établies. Cependant, chaque organisme a des particularités qui échappent à un système médical proposant de moins en moins de traitements personnalisés et holistiques. »
- Légende des case cases 3, 4 et 5 : « Les études de laboratoire ne suffisent pas. Sans un suivi transversal des patientes, de nombreux problèmes passent inaperçus.»
- Troisième case : Un psychiatre dit « C’est un problème neurologique. »
- Quatrième case : Un endocrinologue dit « C’est un problème psychiatrique. »
- Cinquième case : Un neurologue dit « C’est un problème hormonal. »
- Sixième case : Une militante féministe point levé dit « Arrêtez de dire que les hormones nous affectent. » Derrière elle, Sole Otero pense « Mais elles m’affectent. ». Une flèche la désigne avec la légende « Mauvaise féministe ». Cartouche : Et en plus le sujet est encore tabou.

- Première case : Sole Otero se bat avec une épée contre un monstre « Stigmate» à plusieurs bras. Cartouche : «Je trouve parfois compliqué de lutter contre le stéréotype selon lequel les femmes seraient folles ou instables »
- Deuxième case : Sole Otero est agenouillée aux pieds du monstre qui hausse les épaules. Cartouche : « tout en assumant que les hormones causent chez moi de réels problèmes d’instabilité émotionnelle et psychologique.»
- Troisième case : Sole Otero dit « Merde, c’est long ! » en essayant de lire « Neuropsychoimmunoe… » Le mot est coupé. Cartouche : « Heureusement, ces sujets sont de plus en plus souvent médiatisés et, ces dernières années, des remèdes sont apparus qui permettent de réduire les effets du syndrome prémenstruel et de la dysphorie du syndrome prémenstruel. Il y aurait aussi tant à dire sur la dépression post-partum et les hormones pendant la grossesse ou la ménopause tous ces problèmes hormonaux doivent encore faire l’objet d’études approfondies.»
- Quatrième case : Plusieurs femmes à travers les époques sont représentées avec des états émotionnels compliqués. Sole Otero demande : « Combien de problèmes psychiatriques dont tant de femmes ont souffert au cours de l’histoire ont été causés par des déséquilibres hormonaux comme le mien ? Combien de femmes souffrent encore sans être diagnostiquées ? »

- Première case : Sole Otero regarde un bébé qui s’étonne. Elle explique : « J’ai vécu 4 ans avec les hormones d’une femme allaitante. C’est sans doute pour cela que je ne suis pas tombée enceinte. Et maintenant je ne veux plus d’enfant. »
- Deuxième case : Cartouche : « J’ai cette théorie qu’en réalité ma production de prolactine était peut-être tout simplement un mécanisme de défense. Si je n’avais pas eu de tumeur, je serais probablement tombée enceinte, ce qui m’aurait liée à jamais à un homme toxique. Cela aurait grandement compliqué ma vie.» Sole Otero est illuminée par un projecteur dans son lit. Elle ajoute : « Le prix à payer était élevé. Et de toutes façon, ce n’est que de la pensée magique. »
- Troisième case : Cartouche : « Heureusement, grâce à mon expérience, l’aide de mes proches et de traitements médicaux, j’ai maintenant une vie presque normale. Il me faut juste :
- Faire de l’exercice.
- Recherche l’exposition au soleil.
- Prendre rigoureusement ma cabergoline.
- Prendre soin de moi, éviter le stress et la fatigue (surtout vers la fin de mon cycle).»
Sole Otero conclut : « Je souhaite vraiment aux femmes souffrant de troubles hormonaux un chemin vers l’équilibre plus doux que le mien. »
28.10.2025 à 14:58
Chirinne Ardakani : « La résistance féministe antiguerre n’a pas dit son dernier mot »
Texte intégral (1208 mots)
Dans l’Europe de 1938 en proie au fascisme, Virginia Woolf revendiquait déjà, dans son essai Trois Guinées, la force transformatrice du féminisme pour assurer une paix juste et la démocratie mondiale : « Dans l’histoire, rares sont les êtres humains qui sont tombés sous les balles d’une femme. »
La guerre de douze jours entre Israël et l’Iran en juin 2025 fut, de ce point de vue, un cas d’école du patriarcat en bande organisée et de la menace qu’il fait peser non seulement sur les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais aussi sur celles et ceux qui sont les plus menacé·es par la militarisation et le réarmement des sociétés : les femmes, les étranger·es et les communautés LGBTQIA+, ethniques ou confessionnelles opprimées, voire persécutées.
Sous les décombres, en plein cœur de la capitale iranienne, riche de ses neuf millions d’habitant·es, les corps sans vie de centaines de civil·es parmi lesquel·les des citoyen·nes ordinaires ayant pris part au mouvement « Femme, Vie, Liberté » ; mais aussi, les prisonnier·es politiques de la prison d’Evin, bastion de la résistance non violente à la dictature, détruite en quelques secondes par une frappe « symbolique » israélienne. Une goutte dans un océan de sang, en comparaison avec les dizaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes en proie, au même moment, à la famine, à l’apartheid et au génocide et, à une tout autre échelle, avec les peuples de la région, Syrien·nes, Libanai·ses, Irakien·nes et Yéménites en tête, victimes des impérialismes régionaux de Nétanyahou comme de Khamenei.
Se souvenir de Jina Mahsa Amini
Revendiquer, en féministes, le droit universel de vivre (ou de ne pas être tué·e) fait particulièrement sens quand, partout, plus encore en République islamique d’Iran, on ne naît pas femme : on en meurt. Voilà trois ans, presque jour pour jour, que Jina Mahsa Amini n’est plus. Elle a été tuée non pour un voile mal porté, mais pour avoir refusé de se soumettre à la loi de l’État patriarcal qui impose un contrôle politique et social sur le corps des femmes. Ce féminicide nous rappelle que, de tous les adversaires des femmes, c’est le pouvoir clérical militarisé qui est le plus à craindre.
Certes, les Iraniennes subissent chaque jour les lois de ségrégation et de domination injustes. Mais c’est la main répressive de l’État coercitif, de sa police infâme (la police des mœurs) et de ses milices (les gardiens de la révolution) qui les font violemment appliquer. « Nous ne voulons ni les balles du dictateur ni les bombes de l’agresseur. Nous revendiquons notre droit légitime à l’existence », écrivait, en persan, une internaute anonyme. Mais sous le vacarme des bombes, nul·le
n’entend plus le cri des Iraniennes en lutte pour la liberté et l’égalité.
Nous, les féministes, n’essentialisons pas les femmes lorsque nous disons que la guerre contre la démocratie est toujours une affaire de patriarcat. Officiellement, tous mènent des guerres « préventives » et « chirurgicales » illégales au nom du père. Pour garantir le droit de la patrie (le pays des pères) à exister, à se défendre, sinon à s’étendre ou pour réaliser la prophétie d’un saint patron au terme d’un récit mythologico-religieux opposant les civilisations. Conclusion ? Pour éradiquer le mensonge de la guerre « propre », il nous faut tuer politiquement l’homme fort.
Résister à la guerre
C’est dire si le mouvement féministe est, de tous les mouvements sociaux, le cadre le plus pertinent pour résister au complexe militaro-industriel et à la production de la violence comme norme hégémonique virile. Au-delà du pacifisme, le féminisme est un antimilitarisme parce qu’il refuse le système de valeurs rétrogrades suivant lesquelles on deviendrait un « homme en rampant », pour citer la sociologue turque Pınar Selek, tandis que les femmes resteraient à l’arrière, au soutien d’une économie de réquisition des corps et des utérus toute tournée vers la production de soldats.
En contexte de guerre, intervenir sur les plateaux télévisés fut, pour l’avocate et militante féministe que je suis, particulièrement éprouvant. D’abord parce que l’intensification des bombardements donne matière aux experts balistiques à vanter, en direct, les dernières prouesses de l’industrie de l’armement pour tuer davantage et à moindre coût. Puis, aux éditorialistes d’assurer le service après-vente de la guerre pour tenter de légitimer, contre le droit, la mort des civil·es au nom de la sécurité, ou pire, de leur propre « liberté ».
Si le gaslighting est « l’art de faire taire les femmes », pour reprendre le titre d’un livre d’Hélène Frappat, les va-t-en-guerre excellent dans cette discipline. Célébrées pour leur révolte chantante et dansante ou lorsqu’elles faisaient tomber le voile obligatoire en signe de résistance à la tyrannie, voici que, tout à coup, les mêmes Iraniennes ne méritaient plus de vivre. « Chair à viol
Mais la résistance féministe antiguerre n’a pas dit son dernier mot : « Don’t wowan life freedom us murderer » (« Ne parle pas de “Femme, Vie, Liberté” avec nous, criminel »), pouvait-on lire sur une pancarte brandie par une manifestante iranienne en juin 2025. Dans leur révolution pour la vie, les femmes et les peuples en lutte n’ont besoin ni de sauveurs ni de libérateurs. Elles pourront compter sur la force démocratique, solidaire et non violente du mouvement transnational de libération des femmes, par elles-mêmes, pour vaincre le pacte des brutes. •
Chirinne Ardakani est avocate. Elle exerce en droit pénal international et en droit des étranger·es. Fille d’Iranien·nes ayant fui la dictature de Khamenei, elle préside l’association Iran Justice pour documenter les crimes d’État en Iran.
Elle a cosigné Des Iraniennes. Femme, vie, liberté, 1979–2024, éd. des femmes, 2024.
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