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13.11.2025 à 16:45

Financements libyens  : une affaire d’hommes puissants

Coline Clavaud-Mégevand

Le 19 septembre 1989, une bombe explose dans un avion, le DC-10 de la compagnie UTA, entre Brazzaville (capitale de la République du Congo) et Paris, et tue les 170 passager·es et membres de l’équipage à son bord.

Dix ans plus tard, six agents des services secrets libyens, dont Abdallah Senoussi, beau-frère du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ont été reconnus coupables de cet attentat et condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice française, sans toutefois être extradés vers Paris.

En 2005, Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales, rencontrent Abdallah Senoussi à Tripoli et auraient entamé avec lui des négociations en vue du financement, par la dictature libyenne, de la future campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle française en 2007. En contrepartie, les deux lieutenants du futur candidat se seraient engagés à ce que la condamnation d’Abdallah Senoussi soit révisée. Ce « pacte corruptif » est au cœur des trois mois de procès (du 6 janvier au 10 avril 2025) qui ont débouché, le 25 septembre 2025, sur la condamnation de l’ancien président français à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs ( le procès en appel est prévu pour mars 2026). Le tribunal a également reconnu le préjudice moral infligé aux parties civiles. 

Comment êtes-vous devenue partie civile au procès de l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy ?

Mon père, Jean-Pierre Klein, est mort, un peu avant mes 5 ans, dans ce que j’ai longtemps cru être un accident d’avion, mais qui était en réalité un attentat. En 1999, j’étais trop jeune pour assister au procès d’Abdallah Senoussi. Mais j’ai rejoint le collectif de familles de victimes monté par ma tante, Danièle Klein, et par Yohanna Brette, dont la mère, Martine Brette, était hôtesse de l’air sur le vol. C’est en janvier 2025, lors des débats qui visaient à déterminer si Nicolas Sarkozy avait bénéficié de fonds libyens pour sa campagne présidentielle et s’il existait un pacte de corruption avec le régime de Kadhafi, que j’ai pris conscience de la violence à laquelle on avait été exposé·es en tant que proches des victimes. Violence de l’intention de mort derrière l’attentat, mais aussi violence du pacte noué par Nicolas Sarkozy et ses proches collaborateurs.

Vous faites une lecture genrée du procès. Pourquoi ?

Dans ce procès, les prévenus, leurs avocats, la grande majorité des témoins sont des hommes… Même les voix les plus présentes dans les médias sont masculines. C’est quand le procès a débuté, le 6 janvier 2025, en voyant les prévenus en vrai [l’ex-président Nicolas Sarkozy et onze autres prévenus, dont les anciens ministres Brice Hortefeux et Claude Guéant], que je me suis rendu compte qu’ils étaient tous des hommes âgés, bourgeois, vivant dans les quartiers chics de l’Ouest parisien. Ils m’ont renvoyé une impression très forte d’entre-soi.

J’ai été frappée par leur manière de s’adresser au tribunal, leur aplomb, c’était très impressionnant. Jusqu’au 23 janvier [jour de la déposition des familles des victimes pendant le procès], nous n’avons entendu quasiment aucune voix féminine. Puis nous avons été neuf femmes à raconter notre histoire à la barre. Dans une tribune publiée en octobre dans Libération, ma tante et Yohanna Brette nous appellent « les filles du DC-10 ».

Notre avocate, Laure Heinich [également avocate de certaines victimes de Patrick Poivre d’Arvor], a joué un rôle dans cette prise de conscience des dynamiques de genre. Lors de sa plaidoirie, elle a parlé des proches de victimes au féminin, même s’il y a des hommes dans notre groupe. Ce choix m’a permis de mettre des mots sur ce qui était jusque-là une impression diffuse. Laure Heinich a aussi parlé de nous en tant que femmes dignes et qui ne cherchaient pas la vengeance, ainsi qu’en tant que citoyennes. Auparavant, j’avais pu me dire : « Cette affaire me dépasse », et d’un coup, grâce à ses mots d’avocate, je me suis sentie légitime. Ce procès est devenu pour moi celui d’un monde d’hommes qui se croyaient intouchables et de femmes qui ont décidé de se dresser face à eux.


« Pendant les audiences, une violence masculine sûre d’elle s’exprimait. »


Qu’avez-vous ressenti en vous adressant à la cour devant laquelle s’est tenu ce procès historique, ce fameux 23 janvier ?

La déposition que j’ai faite ce jour-là, je l’ai écrite dans ma tête les nuits qui ont précédé. Je ne dormais pas, et j’imaginais ces hommes autour d’une table, organisant l’attentat, puis d’autres hommes, dix-huit ans plus tard, négocier l’immunité du terroriste Abdallah Senoussi, en échange de versements d’argent. Quand, le lendemain, j’ai pris la parole à la barre, j’ai eu le trac, une peur presque physique, je tremblais. J’avais l’impression d’occuper une place qui n’était pas la mienne. Mais eux, alors même qu’ils étaient assis sur le banc des prévenus, ils n’avaient pas l’air mal à l’aise ! C’est en voyant ça que j’ai eu le courage de ne plus m’effacer. À 40 ans, j’ai senti que je devenais adulte.

Ce procès a donc été l’occasion d’une prise de conscience intime ?

Oui, autant que politique. Longtemps, j’ai cru que j’avais été épargnée par la violence masculine. Mais à force d’écouter ces hommes parler, j’ai revu mon enfance. Mon père, qui est mort dans un attentat. Puis mon beau-père, qui criait beaucoup, qui jetait des objets contre les murs quand il était en colère. C’est dans ce contexte que j’ai grandi. Pendant les audiences, j’ai compris que c’était la même mécanique qui s’exprimait par la voix des prévenus : une violence masculine sûre d’elle. On ne parlait pas seulement de corruption, mais de domination. Pourtant, la première fois que j’ai entendu Sarkozy à la barre lors de son premier interrogatoire le 13 janvier, j’ai presque eu pitié de lui. Il évoquait sa mère, son rêve d’enfant de devenir président… Il se racontait comme une victime, en inversant les rôles. Et puis j’ai remarqué qu’il esquivait, il tempêtait, il martelait ses éléments de langage, dans un discours parfaitement maîtrisé. J’entendais la rhétorique d’un homme puissant, qui n’a pas à se justifier. Pour autant, l’annonce du verdict n’a pas été un moment joyeux. Nous, les filles du DC-10, n’avons jamais cherché à « gagner » contre Sarkozy, Hortefeux ou Guéant, seulement à faire reconnaître la gravité des faits.

Que représente pour vous le groupe des « filles du DC-10 » ?

Sans elles, je n’aurais pas tenu lors du procès. On s’écrivait beaucoup sur notre groupe WhatsApp et on continue à le faire. Le 25 septembre, après le verdict, j’étais vidée. Ma tante m’a dit : « C’est normal. On en a plein la tête, mais on va souffler et on va repartir toutes ensemble » [le procès en appel est prévu pour mars 2026]. J’essaye de reprendre des forces, mais, ces temps-ci, ce n’est pas simple. Ce lundi [10 novembre], les parties civiles s’attendaient à ce que la demande de remise en liberté de Nicolas Sarkozy soit acceptée. On comprend et on respecte cette décision. On salue l’interdiction qui lui est faite d’entrer en contact avec Gérald Darmanin ou tout membre du cabinet du garde des Sceaux [personnes pouvant bénéficier d’informations sur la procédure]. Ce que je crains, c’est le traitement médiatique et notamment la victimisation de Sarkozy. Ça a commencé dès l’annonce de sa libération, avec Bruno Retailleau, qui a salué sur le réseau X son « courage », ou Bernard-Henri Lévy, qui a déclaré que son incarcération était « inutile » et « dégueulasse »… C’est ça qui est violent, traumatisant même. Heureusement, il y a ce point de vigilance vis-à-vis du garde des Sceaux dans l’ordonnance de libération, qui me fait dire que la justice prend en compte tous les faits et qu’elle ne lâche pas le dossier. Alors on va y retourner pour le procès en appel et on reconstituera cette petite bulle de sororité qui nous protège.

Texte intégral (1761 mots)

Le 19 septembre 1989, une bombe explose dans un avion, le DC-10 de la compagnie UTA, entre Brazzaville (capitale de la République du Congo) et Paris, et tue les 170 passager·es et membres de l’équipage à son bord.

Dix ans plus tard, six agents des services secrets libyens, dont Abdallah Senoussi, beau-frère du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, ont été reconnus coupables de cet attentat et condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice française, sans toutefois être extradés vers Paris.

En 2005, Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales, rencontrent Abdallah Senoussi à Tripoli et auraient entamé avec lui des négociations en vue du financement, par la dictature libyenne, de la future campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle française en 2007. En contrepartie, les deux lieutenants du futur candidat se seraient engagés à ce que la condamnation d’Abdallah Senoussi soit révisée. Ce « pacte corruptif » est au cœur des trois mois de procès (du 6 janvier au 10 avril 2025) qui ont débouché, le 25 septembre 2025, sur la condamnation de l’ancien président français à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs ( le procès en appel est prévu pour mars 2026). Le tribunal a également reconnu le préjudice moral infligé aux parties civiles. 

Comment êtes-vous devenue partie civile au procès de l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy ?

Mon père, Jean-Pierre Klein, est mort, un peu avant mes 5 ans, dans ce que j’ai longtemps cru être un accident d’avion, mais qui était en réalité un attentat. En 1999, j’étais trop jeune pour assister au procès d’Abdallah Senoussi. Mais j’ai rejoint le collectif de familles de victimes monté par ma tante, Danièle Klein, et par Yohanna Brette, dont la mère, Martine Brette, était hôtesse de l’air sur le vol. C’est en janvier 2025, lors des débats qui visaient à déterminer si Nicolas Sarkozy avait bénéficié de fonds libyens pour sa campagne présidentielle et s’il existait un pacte de corruption avec le régime de Kadhafi, que j’ai pris conscience de la violence à laquelle on avait été exposé·es en tant que proches des victimes. Violence de l’intention de mort derrière l’attentat, mais aussi violence du pacte noué par Nicolas Sarkozy et ses proches collaborateurs.

Vous faites une lecture genrée du procès. Pourquoi ?

Dans ce procès, les prévenus, leurs avocats, la grande majorité des témoins sont des hommes… Même les voix les plus présentes dans les médias sont masculines. C’est quand le procès a débuté, le 6 janvier 2025, en voyant les prévenus en vrai [l’ex-président Nicolas Sarkozy et onze autres prévenus, dont les anciens ministres Brice Hortefeux et Claude Guéant], que je me suis rendu compte qu’ils étaient tous des hommes âgés, bourgeois, vivant dans les quartiers chics de l’Ouest parisien. Ils m’ont renvoyé une impression très forte d’entre-soi.

J’ai été frappée par leur manière de s’adresser au tribunal, leur aplomb, c’était très impressionnant. Jusqu’au 23 janvier [jour de la déposition des familles des victimes pendant le procès], nous n’avons entendu quasiment aucune voix féminine. Puis nous avons été neuf femmes à raconter notre histoire à la barre. Dans une tribune publiée en octobre dans Libération, ma tante et Yohanna Brette nous appellent « les filles du DC-10 ».

Notre avocate, Laure Heinich [également avocate de certaines victimes de Patrick Poivre d’Arvor], a joué un rôle dans cette prise de conscience des dynamiques de genre. Lors de sa plaidoirie, elle a parlé des proches de victimes au féminin, même s’il y a des hommes dans notre groupe. Ce choix m’a permis de mettre des mots sur ce qui était jusque-là une impression diffuse. Laure Heinich a aussi parlé de nous en tant que femmes dignes et qui ne cherchaient pas la vengeance, ainsi qu’en tant que citoyennes. Auparavant, j’avais pu me dire : « Cette affaire me dépasse », et d’un coup, grâce à ses mots d’avocate, je me suis sentie légitime. Ce procès est devenu pour moi celui d’un monde d’hommes qui se croyaient intouchables et de femmes qui ont décidé de se dresser face à eux.


« Pendant les audiences, une violence masculine sûre d’elle s’exprimait. »


Qu’avez-vous ressenti en vous adressant à la cour devant laquelle s’est tenu ce procès historique, ce fameux 23 janvier ?

La déposition que j’ai faite ce jour-là, je l’ai écrite dans ma tête les nuits qui ont précédé. Je ne dormais pas, et j’imaginais ces hommes autour d’une table, organisant l’attentat, puis d’autres hommes, dix-huit ans plus tard, négocier l’immunité du terroriste Abdallah Senoussi, en échange de versements d’argent. Quand, le lendemain, j’ai pris la parole à la barre, j’ai eu le trac, une peur presque physique, je tremblais. J’avais l’impression d’occuper une place qui n’était pas la mienne. Mais eux, alors même qu’ils étaient assis sur le banc des prévenus, ils n’avaient pas l’air mal à l’aise ! C’est en voyant ça que j’ai eu le courage de ne plus m’effacer. À 40 ans, j’ai senti que je devenais adulte.

Ce procès a donc été l’occasion d’une prise de conscience intime ?

Oui, autant que politique. Longtemps, j’ai cru que j’avais été épargnée par la violence masculine. Mais à force d’écouter ces hommes parler, j’ai revu mon enfance. Mon père, qui est mort dans un attentat. Puis mon beau-père, qui criait beaucoup, qui jetait des objets contre les murs quand il était en colère. C’est dans ce contexte que j’ai grandi. Pendant les audiences, j’ai compris que c’était la même mécanique qui s’exprimait par la voix des prévenus : une violence masculine sûre d’elle. On ne parlait pas seulement de corruption, mais de domination. Pourtant, la première fois que j’ai entendu Sarkozy à la barre lors de son premier interrogatoire le 13 janvier, j’ai presque eu pitié de lui. Il évoquait sa mère, son rêve d’enfant de devenir président… Il se racontait comme une victime, en inversant les rôles. Et puis j’ai remarqué qu’il esquivait, il tempêtait, il martelait ses éléments de langage, dans un discours parfaitement maîtrisé. J’entendais la rhétorique d’un homme puissant, qui n’a pas à se justifier. Pour autant, l’annonce du verdict n’a pas été un moment joyeux. Nous, les filles du DC-10, n’avons jamais cherché à « gagner » contre Sarkozy, Hortefeux ou Guéant, seulement à faire reconnaître la gravité des faits.

Que représente pour vous le groupe des « filles du DC-10 » ?

Sans elles, je n’aurais pas tenu lors du procès. On s’écrivait beaucoup sur notre groupe WhatsApp et on continue à le faire. Le 25 septembre, après le verdict, j’étais vidée. Ma tante m’a dit : « C’est normal. On en a plein la tête, mais on va souffler et on va repartir toutes ensemble » [le procès en appel est prévu pour mars 2026]. J’essaye de reprendre des forces, mais, ces temps-ci, ce n’est pas simple. Ce lundi [10 novembre], les parties civiles s’attendaient à ce que la demande de remise en liberté de Nicolas Sarkozy soit acceptée. On comprend et on respecte cette décision. On salue l’interdiction qui lui est faite d’entrer en contact avec Gérald Darmanin ou tout membre du cabinet du garde des Sceaux [personnes pouvant bénéficier d’informations sur la procédure]. Ce que je crains, c’est le traitement médiatique et notamment la victimisation de Sarkozy. Ça a commencé dès l’annonce de sa libération, avec Bruno Retailleau, qui a salué sur le réseau X son « courage », ou Bernard-Henri Lévy, qui a déclaré que son incarcération était « inutile » et « dégueulasse »… C’est ça qui est violent, traumatisant même. Heureusement, il y a ce point de vigilance vis-à-vis du garde des Sceaux dans l’ordonnance de libération, qui me fait dire que la justice prend en compte tous les faits et qu’elle ne lâche pas le dossier. Alors on va y retourner pour le procès en appel et on reconstituera cette petite bulle de sororité qui nous protège.

07.11.2025 à 10:08

Maternité des Lilas : retour sur une fermeture annoncée

Elsa Sabado
En cette soirée d’Halloween, les « sorcières », comme aiment à se faire appeler les soignantes de la maternité des Lilas, près de Paris, n’avaient pas le cœur à la fête. Après […]
Texte intégral (1342 mots)

En cette soirée d’Halloween, les « sorcières », comme aiment à se faire appeler les soignantes de la maternité des Lilas, près de Paris, n’avaient pas le cœur à la fête.

Après avoir laissé sortir, au milieu d’une haie d’honneur, leur dernière patiente, elles ont vu les portes de l’établissement se fermer définitivement derrière elles. Comme annoncé en juillet 2025, l’agence régionale de santé (ARS) Île-de-France ne financera plus cette maternité. Elle invoque trois raisons : une prise en charge insuffisamment sécurisée pour les patientes (qui a valu à la maternité le retrait de sa certification en janvier 2025 par la Haute Autorité de santé), une fréquentation en chute libre (1 200 naissances en 2020 contre 700 en 2024) et la menace d’une cessation de paiements. Trois difficultés dont l’ARS est pourtant en partie responsable.

Inaugurée en 1964, la maternité des Lilas pratiquait des avortements avant même leur dépénalisation et n’a jamais cessé d’offrir aux personnes enceintes le choix d’un accouchement pas ou peu médicalisé, laissant toute sa place au conjoint·e. Bien plus tard, à partir de 2019, elle a également été pionnière en France dans le suivi des grossesses d’hommes trans. Ce projet d’accompagnement, au plus près des besoins individuels, requiert des équipes étoffées, spécifiquement formées et donc des moyens financiers que la Sécurité sociale ne prend pas en charge. L’établissement ayant fait le choix de ne pas répercuter les coûts sur les usager·es, c’est l’État qui, jusqu’ici, absorbait son déficit. « C’est vraiment parce qu’elle portait un projet politique à part entière et grâce aux mobilisations [des salariées, des féministes et des syndicats] qu’elle a tenu jusqu’à aujourd’hui, analyse la sociologue Elsa Boulet. Depuis le milieu des années 1990, les plans de périnatalité incitent à concentrer les accouchements dans des structures disposant de davantage de matériel technique et de personnel – notamment des médecins anesthésistes – disponible en permanence. » (Lire notre encadré en bas de page.)

Une promesse trahie

Dans les années 2000, comme d’autres maternités, celle des Lilas est sommée de s’adapter pour assurer sa pérennité. En 2008, un projet de reconstruction et d’agrandissement visant à la rendre rentable, est adopté par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot : le terrain est choisi et les plans validés. Mais, coup de théâtre : en 2011, Claude Évin, alors président de l’ARS, prenant pour prétexte un conflit en cours entre un anesthésiste et des sages-femmes de l’établissement, suspend brusquement le projet. Malgré une mobilisation des salarié·es et des usager·es, soutenue par de nombreuses personnalités du monde du spectacle (Catherine Ringer, Arthur H, Karin Viard), le projet de reconstruction est définitivement enterré en 2013, en dépit de la promesse de soutien faite par le candidat François Hollande pendant la campagne présidentielle.


« On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul »

Marie-Laure Brival, ancienne directrice de la maternité des Lilas

La notoriété de la maternité des Lilas dissuade toutefois les autorités de santé de la fermer. Durant treize ans, l’agence régionale de santé continue d’éponger son déficit, estimé entre 3 et 5 millions d’euros selon les années. « On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul », analyse son ancienne directrice, Marie-Laure Brival.

Gestion chaotique

Mais le déclin est amorcé. Plusieurs projets de fusion avec d’autres établissements hospitaliers sont imaginés, sans aboutir. Les soignantes craignent une dégradation de leurs conditions de travail avec, pour corollaire, une dénaturation de leur métier. En 2017, alors qu’un projet d’adossement à une clinique voisine est finalement sur le point de se concrétiser, l’homme d’affaires Louis Fabiano arrive à la tête de l’association gestionnaire. Le projet a déjà englouti 1 million d’euros sur le budget de la maternité, mais le nouveau président n’honore pas les rendez-vous proposés par l’ARS et laisse le plan s’enliser. Il est, en revanche, nettement plus diligent à servir ses propres intérêts. En 2022, il touche une commission de 160 000 euros sur la vente des murs de la maternité à de nouveaux propriétaires. La même année, le syndicat Sud dépose une plainte contre X pour prise illégale d’intérêt et abus de confiance.

La gouvernance chaotique de la maternité laisse, par ailleurs, s’instaurer un climat de violences au sein de l’équipe de salarié·es. En 2020, un dernier mouvement social unit les soignantes contre un médecin, devenu tout-puissant au sein de l’établissement, accusé de harcèlement moral et d’agressions sexuelles. Vingt-trois salariées portent plainte devant le Conseil de l’ordre des médecins, et sept au pénal, mais l’homme est relaxé par deux fois. Informée de ces problèmes, l’ARS Île-de-France regarde ailleurs, arguant qu’il s’agit d’un établissement privé.

Après quinze ans d’agonie liée à l’abandon des pouvoirs publics mais aussi au désengagement des réseaux féministes et syndicaux, la fermeture de la maternité des Lilas est à la fois une délivrance et un déchirement pour ses soignantes et ses usager·es. Les 80 salarié·es vont être licencié·es et les patient·es seront réparti·es au sein des hôpitaux des environs, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) ou à Paris, où la prise en charge des accouchements est davantage médicalisée.

Au-delà de la disparition d’un accueil depuis toujours axé sur le droit des personnes à disposer de leur corps, la fermeture de la maternité des Lilas marque une défaite symbolique pour le féminisme, à l’heure où l’extrême droite, aux portes de l’exécutif, entend priver les femmes et les personnes trans de leurs droits à l’avortement et à une parentalité choisie.

La disparition des petites maternités

Quarante pour cent des maternités françaises ont fermé depuis l’an 2000. Il s’agit principalement d’établissements de niveau 1, qui n’étaient pas équipés de plateaux techniques pour prendre en charge les usager·es en cas de complications. Au nom de leur sécurité, les autorités de santé ont donc encouragé le regroupement des sages-femmes et des médecins dans des unités médicalisées, considérées comme les seules rentables depuis l’instauration de la tarification à l’acte en 2012. La fuite des soignant·es et des parturient·es vers ces maternités réputées plus sûres a fini de vider les petits établissements, entraînant la fermeture de tous ceux passant sous la barre des 300 naissances par an, seuil fatidique en dessous duquel les agences de santé ne garantissent plus la sécurité des accouchements. En mai 2025, en réponse à la hausse jugée « alarmante » de la mortalité infantile, en partie dûe à l’éloignement géographique croissant des structures de soins, l’Assemblée nationale votait un moratoire de trois ans sur la fermeture des petites maternités. Le texte, qui fait débat chez les expert·es en santé publique comme chez les élu·es, attend d’être validé par le Sénat.

30.10.2025 à 15:37

🎃 Monstres et sorcières, allié·es féministes

La Déferlante
En plus des personnages de sorcières qui peuplent depuis quelques années les imaginaires féministes, les monstres et les vampires hantent désormais essais et fictions, comme autant de manières de questionner […]
Texte intégral (2875 mots)

En plus des personnages de sorcières qui peuplent depuis quelques années les imaginaires féministes, les monstres et les vampires hantent désormais essais et fictions, comme autant de manières de questionner les normes de genre et de révéler des chemins d’émancipation.

« Tout dans l’horreur reflète les problématiques de la marginalité, du regard qu’on porte sur l’autre », écrit ainsi l’autrice Taous Merakchi au sujet de son dernier essai, Monstrueuse (éd. la ville brûle, 2025).

📺
On regarde

Häxan

Häxan. La sorcellerie à travers les âges est un documentaire muet réalisé en 1922. Il est depuis peu visible sur les plateformes de VOD. Détonnant par sa forme comme par son propos, il raconte comment, à toutes les époques, les hommes ont utilisé la torture pour soumettre les femmes. Entremêlant méticuleusement archives et saynètes de fiction, utilisant des effets spéciaux encore confidentiels à l’époque, son réalisateur, le Danois Benjamin Christensen, reconstitue d’abord toute la violence des chasses aux sorcières du Moyen Âge. Puis, dans un audacieux glissement vers un propos qu’on est bien obligées de qualifier de « féministe », il laisse la parole à des femmes de son époque internées en hôpital psychiatrique. Elles dénoncent les traitements qui leur sont infligés, et mettent en lumière la permanence de la violence patriarcale.

🧹Häxan. La sorcellerie à travers les âges, de Benjamin Christensen, 87 minutes. Disponible sur les plateformes de VOD.

Sinners

Dans les États-Unis des années 1930 et de la prohibition, Elijah et Elias, deux frères jumeaux, reviennent s’installer dans leur ville natale du Mississippi. Ils décident d’ouvrir un club de blues réservé à la communauté noire, dans un État où la ségrégation raciale fait loi. Mais, le soir de l’ouverture, l’arrivée de trois musicien·nes – blanc·hes – perturbe les festivités, et la soirée prend une tournure surnaturelle. Véritable hommage à la culture noire des États-Unis – sa musique, ses rituels vaudous – le film explore, à travers la métaphore du vampire, les dynamiques d’oppressions qui traversent la société à l’époque. Rythmé par une bande originale empruntant au blues et au rap, Sinners prend rapidement les allures d’une comédie musicale. C’est, selon nous, un des films les plus étonnants de l’année 2025 !

🧛🏾‍♀️Sinners, de Ryan Coogler, 137 minutes. Disponible sur les plateformes de VOD.

📖
On lit

Monstrueuse

Passionnée de films d’horreur depuis l’enfance, l’autrice et podcasteuse Taous Merakchi convie ses lecteur·ices à un voyage peuplé des monstres et des loups-garous qui ont fait son éducation. Enfant solitaire puis adolescente en marge, elle a puisé dans les films de genre les matériaux pour se construire en tant qu’adulte, mère et femme dans une société misogyne : « J’ai toujours rêvé d’inverser les rôles et de devenir la menace, la silhouette inquiétante dans la ruelle sombre, le monstre du placard. Mon rêve absolu est de faire peur aux hommes, de les déranger, de les dégoûter », écrit-elle dans ce qui sonne comme un plaidoyer pour le cinéma d’épouvante.

👹 → Taous Merakchi, Monstrueuse, éd. la ville brûle, 2025.

Ancolie

Ancolie est une sorcière de 27 ans qui trompe une existence terriblement ennuyeuse en picolant dès le petit déjeuner et en couchant avec son ex toxique. Pour éviter l’excommunication du Haut Conseil des sorcières, elle se lance dans un défi « un peu hippie-neuneu » : fabriquer un sortilège d’empathie pour enrayer la montée du fascisme, la fracture sociale, les superprofits et la pollution des nappes phréatiques.

Après La vie est une corvée (Exemplaire, 2023), Ernestine (Même Pas Mal, 2024) et Peur de mourir mais flemme de vivre (Exemplaire, 2025), Salomé Lahoche ressuscite son double maléfique sous les traits d’un personnage de fiction qui nous embarque dans un univers trash et baroque, au pouvoir hautement hilarant.

🍷 → Salomé Lahoche, Ancolie, Glénat, 2025.

Le Temps des sorcières

En 1893, alors que le combat pour le droit de vote des femmes aux États-Unis fait rage, trois sœurs – Bella, Agnès et Genièvre – racontent leur lutte quotidienne contre la misogynie et la précarité sociale, dans la ville de New Salem (Massachusetts). Quelques siècles auparavant, les sorcières ont été bannies de la région, mais, à l’instar des trois narratrices, les femmes de New Salem résistent en se reconnectant aux savoirs oubliés. Mi-politique, mi-fantastique, ce roman décortique les grands enjeux sociaux, raciaux et de genre qui secouent les États-Unis à la fin du XIXe siècle. Il est aussi un magnifique hommage à la lutte politique et à la solidarité entre femmes.

🧙🏼‍♀️ → Alix E. Harrow, Le Temps des sorcières, traduit par Thibaud Eliroff, Hachette, 2022.

💻
On s’abonne

Demoiselles d’horreur

Pourquoi, au cinéma, les femmes incarnent-elles des fantômes, et les hommes des serial killers ? Pourquoi le body horror est-il féministe ? Ou encore, comment le cinéma d’horreur traite-t-il les personnages queers ? Sur sa chaîne YouTube, la journaliste Judith Beauvallet interroge les représentations véhiculées par le cinéma fantastique, un sous-genre très investi par les réalisatrices et les femmes critiques.

💡
Un glossaire pour tout comprendre

Alors que l’actualité montre à quel point la guerre culturelle qui fait rage est aussi une bataille sémantique, il nous a paru important que La Déferlante propose à ses lecteur·ices des définitions de concepts clés pour appréhender l’époque dans une perspective féministe intersectionnelle. Toutes sont en accès libre sur notre site internet, qui sera alimenté au fil des numéros pour faciliter la compréhension des concepts mobilisés dans chaque dossier.

🔏 → Retrouvez toutes nos définitions en libre accès

📍
On y sera

🐤 Grandir sans tabou à Rennes

Ven 7 novembre 2025, à 18 heures
Librairie La Nuit des temps, Rennes

Claire Marcadé Hinge et Marianne Marty-Stéphan, autrices de Grandir sans tabou, rencontreront les lecteur·ices rennais·es. La discussion sera animée par Lucie Louapre, de l’association Parents et féministes, et sera suivie d’une séance de dédicaces.

👉🏼 → Informations pratiques par ici.

🐣 Grandir sans tabou à Rennes

Ven 14 novembre 2025, à 18 h 30
Librairie Les Bien aimé·es, Nantes

Les deux autrices de Grandir sans tabou répondront aux questions des lecteur·ices nantais·es et animeront un atelier destiné aux enfants, en partenariat avec l’association DisQUtons.

👉🏼 → Informations pratiques par ici.

💥 Une expo, un débat

Mer 19 novembre 2025, à 19 heures
Galerie Kadist, Paris 18e

Christelle Murhula, journaliste indépendante et membre du comité éditorial de La Déferlante, animera un échange entre la styliste Jeanne Friot et l’autrice Kiyémis, en marge d’une exposition sur les féminismes non occidentaux. Entrée gratuite sans réservation (attention, le nombre de places est limité !).

💁🏽Informations ici

🌟 Festival Les Créatives

Jeu 20 novembre 2025, à 12 h 30
Festival Les Créatives, Genève

Marie Barbier, corédactrice en chef de La Déferlante, participera à une table ronde intitulée « Investiguer et médiatiser les violences sexistes et sexuelles » aux côtés de sa consœur de Mediapart Marine Turchi et de la comédienne Anna Mouglalis.

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🩺 Soirée de lancement du numéro « Soigner »

Jeu 27 novembre 2025 à 19 heures
Maison des Métallos, Paris 11e

À l’occasion du lancement du numéro 20 de La Déferlante, « Soigner dans un monde qui va mal », une table ronde rassemblera l’autrice féministe Valérie Rey-Robert, la psychiatre Loriane Bellahssen et la psychologue Salima Boutebal. La discussion sera suivie d’un concert de Louisadonna. Comme à chaque édition, des associations seront présentes et un stand proposera les revues, livres et goodies de La Déferlante.

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