ACCÈS LIBRE
31.07.2025 à 17:32
🍹La Déferlante à l’heure estivale
Texte intégral (1962 mots)
On lit
Ma sorcière déjantée
Ancolie est une sorcière de 27 ans qui trompe une existence terriblement ennuyeuse en picolant dès le petit déjeuner, en couchant avec Loïc – son ex toxique – et en écumant les bars. Mais, à l’approche du Congrès annuel des sorcières, elle apprend que son mode de vie scandalise le Haut Conseil. Pour éviter l’excommunication, elle se lance dans un défi « un peu hippie-neuneu » : fabriquer un sortilège d’empathie pour enrayer la montée du fascisme, la fracture sociale, les super profits et la pollution des nappes phréatiques.
Après La vie est une corvée (Exemplaire, 2023), Ernestine (Même pas mal, 2024) et Peur de mourir mais flemme de vivre (Exemplaire, 2025), le quatrième album de bande dessinée de Salomé Lahoche ressuscite son double maléfique sous les traits, cette fois-ci, d’un personnage de fiction. Elle nous embarque dans un univers trash et baroque au pouvoir hautement hilarant.

→ Salomé Lahoche, Ancolie, Glénat, 2025. 23 euros.
Une histoire personnelle du VIH
« Ma mère s’appelle Blanche. Elle a 58 ans […] Elle aime la nature, lire, accrocher des citations dans ses WC. […] Elle continue de désinfecter les toilettes derrière elle… » Ainsi commence Blanche, le poignant récit graphique de Maëlle Reat. L’autrice raconte sa mère, séropositive depuis l’âge de 20 ans. Construite comme un entretien entre mère et fille, la bande dessinée déroule les fragments d’une existence traversée par la drogue, la stigmatisation, la peur, le secret, mais aussi par l’amour, la maternité, l’humour, les liens familiaux et le soutien d’associations comme AIDES. Avec finesse, Maëlle Reat lie l’histoire individuelle de Blanche à celle, plus collective, des porteurs et porteuses du VIH en France des années 1980 jusqu’à aujourd’hui.
→ Maëlle Reat, Blanche, Glénat, 2025. 26 euros.
Une vie de stripteaseuse
Quand Antonia Crane pousse, pour la première fois, la porte d’un strip-club californien à la fin de son adolescence, elle n’a pas spécialement envie d’y travailler, s’entend bien avec sa mère et ne crève pas de faim. Jeune étudiante, elle a quitté le foyer familial fragilisé par la dépendance de son frère à l’héroïne et un beau-père autoritaire et lesbophobe. Mais elle doit payer son loyer. Dans un style cru mais jamais voyeur, l’autrice – qui a participé à la création du premier syndicat de stripteaseuses aux États-Unis en 1996 – raconte la travailleuse du sexe lesbienne toxicomane qu’elle a été. Sans l’idéaliser, elle présente le travail du sexe comme un terrain paradoxal de reprise de pouvoir sur sa vie et sur son corps, donnant à voir une sororité des marges rarement mise en lumière. Partageant son parcours sur des chemins de traverse jalonnés d’émotions et riches d’aspérités, elle dresse aussi, en creux, le triste portrait d’une classe moyenne blanche états-unienne fracassée par son absence d’avenir.

→ Antonia Crane, Consumée, traduction de Michael Belano, éditions 10/18, 2023. 8,90 euros.
Promesse non tenue
Sociologue peinant à « fréquenter facilement un monde » et ses institutions de pouvoir « telles que l’hétérosexualité, la famille et l’université », Fatma Çıngı Kocadost nous embarque dans une exploration féministe de l’hétérosexualité observée depuis les quartiers populaires où évoluent les jeunes femmes d’origine maghrébine. Accessible, riche, incarné et tendre, cet essai vient rappeler l’urgence d’un débat dans le mouvement féministe : ses impasses libérales, les contradictions du présent, mais aussi les possibilités collectives qui affleurent dès qu’on l’envisage comme une lutte pour l’émancipation de toutes et tous.
→ Fatma Çıngı Kocadost, La promesse qu’on nous a faite, éditions de l’EHESS, 2025, 288 pages. 15 euros.
On écoute
Chacun·e son beauf
Dans le dernier épisode en date de sa série audio, Vivons heureux avant la fin du monde, Delphine Saltel s’intéresse à la figure repoussoir du beauf, récemment explorée par Rose Lamy, dans son essai Ascendant beauf (Le seuil, 2025). Tricotant la parole de l’autrice féministe avec celle du sociologue Félicien Faury, auteur d’une enquête sur l’électorat d’extrême droite, et de la réalisatrice Delphine Dhilly, née dans une famille d’éleveurs de porcs dans l’est de la France, elle interroge les mécanismes du mépris de classe. Comme toujours, dans ses documentaires audio, Delphine Saltel, fille de médecin parisien, admet volontiers ses propres préjugés. Elle en fait le matériau premier d’une réflexion lucide et enthousiaste à laquelle on prend part avec beaucoup de plaisir.

→ Delphine Saltel, « Chacun son beauf : à quoi sert le mépris de classe ? », Arte Radio, 3 juillet 2025.
On regarde
Mariages de raison
Lucy (Dakota Johnson) est une entremetteuse professionnelle qui évolue au sein des beautiful people new-yorkais·es dans le but de réaliser le match parfait. Pour elle comme pour ses client⋅es fortuné⋅es, un mariage réussi repose sur la rencontre, non pas de deux personnes qui tombent amoureuses, mais de patrimoines génétiques (grande taille pour les hommes, minceur pour les femmes) et financiers qui, mis en commun, assureront sur le long terme, la prospérité et le rayonnement social du couple. Évidemment, les certitudes de Lucy vacillent lorsqu’au cours d’une même soirée, elle rencontre le très smart et fortuné Harry (Pedro Pascal) et recroise John (Chris Evans) son amour de jeunesse fauché comme les blés. Sous l’apparence d’une comédie romantique un peu idiote, le film est en réalité une critique féroce de ce que le capitalisme fait au couple, doublé d’une satire grinçante de la masculinité dominante.

→ Celine Song, Materialists, 2025. En salle actuellement.
Exposition
L’image comme engagement
Des années 1970 aux années 2000, la Française Marie-Laure de Decker était l’une des rares femmes photojournalistes à travailler sur les terrains de guerre. Au Tchad, au Vietnam, au Yémen, en Palestine, elle a photographié les « à‑côtés » de la guerre : les soldats au repos, la prostitution à l’arrière des lignes de front. Engagée en faveur des mouvements sociaux et de libération, elle photographie également des militantes féministes dans les années 1970 ou encore l’écrivaine Annie Ernaux. Mais, au sein de la rétrospective que lui consacre la Maison européenne de la photo, le plus saisissant sont ses autoportraits, réalisés tout au long de sa carrière. De ses débuts dans des chambres d’hôtel à l’étranger, jusqu’aux dernières années de sa vie, en passant par ses grossesses et l’arrivée de ses enfants, elle documente à travers le miroir, sa condition de femme photographe.

→ Marie-Laure de Decker, exposition « L’image comme engagement », à la Maison européenne de la photographie (Paris), jusqu’au 28 septembre 2025.
29.07.2025 à 16:16
Tibo inShape : la politique du muscle
Texte intégral (2453 mots)
L e 8 juillet 2024, au lendemain du second tour des élections législatives, l’influenceur Thibaud Delapart, dit « Tibo InShape », prend la parole sur X, après qu’un bon nombre d’internautes lui ont reproché de ne pas s’être prononcé sur la situation politique : « La seule chose qui m’importe le plus, c’est vous motiver à pratiquer une activité physique. […] J’estime que je n’ai pas à influencer le vote de qui que ce soit », se justifie-t-il dans une courte vidéo.
Tibo InShape n’est pas un influenceur fitness comme les autres. Il dispense des conseils en musculation, mais donne aussi dans la vidéo d’actualité et de témoignage, comme lorsqu’il interviewe des personnes trans, des victimes de dérives sectaires ou encore des personnes en situation de handicap. Ce qui donne à ses contenus un caractère informatif. « Les gens sont en demande d’une information dans un format différent, divertissant, dans une authenticité construite et avec des intérêts alignés sur les leurs », analyse Anaëlle Gonzalez, doctorante en sciences de la communication à l’université de Louvain (Belgique). Une authenticité mise en scène, et dans laquelle Thibaud Delapart excelle. À travers ses vidéos pleines de motivation et d’humour – parfois lourd –, il met en avant ses sujets de prédilection, et transmet ainsi un ensemble de valeurs et une vision du monde qui lui sont propres.
Cette image est le fruit d’un storytelling que Tibo InShape a lui-même construit. Alors qu’il a 17 ans, le jeune Toulousain est agressé dans la rue par un groupe de jeunes hommes, aussitôt interpellés et condamnés par la justice. Traumatisé, il se jure de se donner les capacités de se défendre et se met à la musculation. « Ce n’est pas un héritier, il s’est construit seul selon l’idéal individualiste propre aux sociétés démocratiques », détaille Guillaume Vallet, économiste et sociologue, auteur de La Fabrique du muscle (L’échappée, 2022). Thibaud Delapart poste sa première vidéo en 2013, quatre ans après son agression, pour partager sa routine sportive avec ses amis. Thibaud Delapart devient Tibo InShape.
À droite toute
Pendant plus de dix ans, il poste très régulièrement, et commence à fédérer une communauté : la TeamShape. Il impose sa marque de fabrique : un grand « DAMN ! » en début de vidéo et des boîtes d’œufs vides en arrière-plan, qui évoquent la consommation de protéines nécessaire à son régime sportif. Sans oublier les traits d’humour sexistes : il appelle les femmes « les petites » ou parle de leurs « meules » (les seins, en argot), expressions qu’il finira par faire disparaître de son langage. Au fil des années, il diversifie ses contenus. La prise de risque est très relative : « Avec une communauté fidèle, on peut prendre des libertés sans craindre de perdre des abonné·es », note Stéphanie Lukasik, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université d’Aix-Marseille et experte au Conseil de l’Europe sur la responsabilisation des créateur·ices de contenus.

D’abord simple passionné de muscu, le vidéaste se mue en bâtisseur d’empire. Il développe un business parallèle : vente de produits dérivés, de compléments alimentaires, d’applications de coaching ou de conseils personnalisés. Selon Guillaume Vallet, l’entrepreneur sportif présente un modèle de réussite : « Le muscle est fonctionnel, la masse musculaire est forte et mobile », le corps est une valeur marchande essentielle pour construire le prototype du self-made-man influenceur. En clair, Tibo InShape incarne un super-héros des temps modernes, ce qui se ressent dans sa routine : régime alimentaire contrôlé, pas d’alcool ni de drogues, plus de jeux vidéo ni de porno ; travail le week-end et très peu de vacances, comme il l’explique dans un portrait de Libération
Si le grand public connaît Tibo InShape, c’est avant tout parce qu’il est à l’origine de nombreuses polémiques, qu’il semble accumuler comme une collection de badges de l’ancien scout qu’il a été. En 2018, c’est sa vidéo au camp d’Auschwitz-Birkenau qui est vivement critiquée, en particulier pour son ton enjoué. En 2019, des messages racistes et homophobes, qu’il a publiés entre 2009 et 2013, refont surface. « Un Noir réélu [Barack Obama], le mariage des homosexuels adopté. Ce sera pas une journée facile », pouvait-on lire sur Facebook. Après avoir donné plusieurs versions pour justifier ces messages, il s’est finalement expliqué en 2022 dans une vidéo
À chaque polémique, Tibo InShape s’excuse, et jure de faire mieux. Au fil du temps, l’influenceur est devenu expert dans la provocation pour gagner de l’attention. Mais après dix ans sur Internet, il reconnaît lui-même auprès de Libération que, « au final, dire une dinguerie et s’excuser, ça fonctionne sur l’audience, mais ça a ses limites ». Limites en ce qui concerne l’éthique, ou l’impact marketing ? L’entrepreneur ne précise pas.
Bric-à-brac idéologique
Éduqué dans une famille conservatrice et catholique, Tibo InShape estime, dans une interview vidéo accordée au Crayon
Il est d’ailleurs apprécié dans un camp politique s’étendant des macronistes à l’extrême droite, en passant par Les Républicains. Pendant la campagne des législatives de 2024, il est cité par Jordan Bardella, candidat du Rassemblement national, qui veut répondre à Squeezie, youtubeur fameux ayant ouvertement pris position contre l’extrême droite. Au début de 2025, il est retweeté par Laurent Wauquiez. Car Tibo InShape incarne l’ordre, une vision laborieuse du corps, le déploiement d’une virilité orientée vers l’action et le combat. Rythmés par des ruptures joviales qui créent la connivence, ses contenus valorisent le travail, la famille, la patrie. « Ce symbole de force et de puissance, de codes attendus de la virilité… Cela peut attirer des jeunes hommes », abonde l’économiste Guillaume Vallet. Cependant, Anaëlle Gonzalez, qui étudie l’impact politique et moral des influenceur·euses sur les adolescent·es, nuance : « Les contenus médiatiques peuvent avoir une influence sur les audiences, mais elle est souvent limitée et temporaire. » Les études sur le sujet suggèrent qu’il faut un grand nombre de variables extérieures aux contenus en ligne – comme la famille, les pair·es, le statut socio-économique – pour construire son opinion politique. À défaut d’avoir une incidence directe sur le vote de ses abonné·es, les vidéos de Tibo InShape participent à la création d’un monde dans lequel les garçons doivent apprendre à se battre pour défendre leur patrie et leur drapeau – emblème qu’il affiche fièrement sur le mur du fond de sa salle de sport.
Ses vidéos participent à la création d’un monde où les garçons doivent apprendre à se battre pour défendre leur drapeau et leur patrie.
Depuis quelques mois, Tibo InShape assure avoir changé. Au début de 2025, il présente ses vœux à ses abonné·es en parlant politique
Tibo InShape veut redorer son image auprès d’une certaine partie de la jeunesse, plus progressiste et diversifiée. Alors que les débats sur le port du voile dans le sport font rage dans les médias, il tweete le 25 mars 2025 : « Pour moi, le sport doit rester un moment de liberté qui nous rassemble. Chacun doit pouvoir pratiquer une activité sportive avec la tenue de son choix : croix, kippa ou voile. C’est un choix que chacun doit faire et on ne devrait pas lui imposer ni lui interdire. » Avec son image lissée, il a même fait partie des quelques personnes issues de la « société civile » qui ont pu poser une question à Emmanuel Macron, lors d’une émission télévisée spéciale le 13 mai 2025. La sienne portait sur la lutte contre l’obésité infantile à travers la promotion du sport à l’école, une cause a priori tout à fait consensuelle, d’autant que Tibo InShape avait pris soin d’évacuer toute lecture sociale ou politique d’un tel sujet.
Être le premier youtubeur de France implique en effet une forme de prudence dans l’expression, dès lors qu’on quitte le domaine du sport ou des aliments protéinés. Stratégies
Ce bric-à-brac idéologique est-il la manifestation d’une forme de cynisme intéressé, ou la marque d’une authenticité construite de toutes pièces ? Tibo InShape fait son marché en suivant l’air du temps, agrémentant son virilisme patriote de quelques prises de position gentiment libérales, histoire de ne froisser personne. Preuve qu’on peut avoir le muscle saillant et l’échine politique bien souple. •
29.07.2025 à 16:13
« L’humour est la politesse du désespoir », une BD de Lisa Mandel
Lire plus (347 mots)
– Salut Lisa, c’est La Déferlante !
– Ha salut, ça geitz ?
– Ben ouais on a un numéro spécial sur l’information et on voulais proposer une BD de six pages.
– Et vous avez pensé à moi ? Trop sympa !
– Bah en réalité, on avait proposé à Salomé Lahoche mais elle peut pas
– [Too much information]
Ah ouais ok haha
– On te propose une CARTE BLANCHE
– Ah, cool !
– Il faut fuste que ça parle de « comment dessiner dans un monde médiatique saturé par la surinformation et la désinformation »
– okééééé
– et ce que ça implique le fait d’être une autrice « OUT »






29.07.2025 à 16:05
Dans l’œil des photographes féministes
Texte intégral (2930 mots)
Depuis ses débuts, au milieu du XIXe siècle, la photographie permet aux photoreporteur·ices de documenter, témoigner et rendre compte du réel. Aujourd’hui, à l’ère de l’intelligence artificielle et du flot incessant d’images, notre confiance vis-à-vis des photos s’érode. Submergé·es par ce flux, nous sommes moins facilement ému·es et plus méfiant·es. Pourtant, l’image conserve un rôle essentiel dans le champ de l’information, particulièrement en ce qui concerne les sujets encore peu visibilisés.
Désormais, des contre-récits sont diffusés par des artistes photographes. En s’écartant des codes classiques de l’information, elles et ils proposent une approche plus sensible du réel. Ces artistes ne capturent pas des faits bruts, saisis sur le vif, mais construisent soigneusement une information visuelle, nourrie de vécus partagés, de récits personnels ou minoritaires, et de subjectivités longtemps écartées.
La photographie, ainsi mise au service d’une narration collective, devient un vecteur de visibilité, une pratique de collaboration et de soin, permettant de faire exister ce qui jusqu’alors avait été occulté.
L’œuvre de l’artiste pluridisciplinaire catalane Laia Abril (ci-dessous) illustre bien cette démarche. Depuis 2015, elle s’attelle à écrire visuellement l’histoire de la misogynie, en explorant les mécanismes d’oppression des femmes à travers le monde et l’histoire. Son travail, divisé en plusieurs chapitres conçus comme des enquêtes au long cours, mêle photographies, textes, archives, sons et installations. Dans ses livres et ses expositions, l’artiste rassemble ses recherches pour souligner et dénoncer ce qui caractérise la misogynie dans sa globalité.
Laia Abril est loin d’être la seule photographe à porter ce type de récits à travers une démarche artistique singulière. Le portfolio que nous vous présentons explore ces nouvelles formes de diffusion de l’information à travers six projets photographiques contemporains qui ne se contentent pas de montrer, mais cherchent à faire ressentir. L’image devient un vecteur d’empathie et de lien.
Les artistes ici réuni·es adoptent des démarches variées – autoportraits, mises en scène, prises de vue en studio, images documentaires – et imaginent aussi des modes de diffusion spécifiques, par des dispositifs d’exposition ou sur Internet. Bien que très différents les uns des autres, ces projets ont un point commun : un regard concerné, collaboratif, éthique, assumant la part politique et relationnelle de toute prise de vue. Car, aujourd’hui, transmettre une information, c’est aussi interroger comment, avec qui, par qui et à qui elle est transmise.
Laia Abril
A History of misogyny

Laia Abril, 2021, MBAL-Le Locle, Suisse. Curated by Nathalie Herschdorfer. Courtesy the artist and Les filles du calvaire, Paris
Camille Farrah Lenain
Made of Smokeless Fire
Dans sa série « Made of Smokeless Fire », Camille Farrah Lenain explore les identités queers au sein de la culture musulmane, en France. Partant de l’histoire de son oncle, gay, qui a grandi dans un foyer musulman, elle met en lumière d’autres récits de personnes à l’intersection des discriminations liées à l’orientation sexuelle, à l’identité de genre et au racisme. En photographiant celles et ceux qui portent ces identités plurielles, Camille Farrah Lenain donne à voir des personnes largement sous-représentées.




![« [Nos colères], elles ne sont que réponses aux violences qu’on a subies ou qu’on subit et, pour moi, elles ne sont pas des attaques, elles sont des colères de défense. » Habibitch, Paris, 2020.](https://revueladeferlante.fr/wp-content/uploads/2025/07/2-819x1024.jpg)
Camille Gharbi
À son insu
Dans cette série, Camille Gharbi aborde le thème de la soumission chimique : droguer une personne – une femme dans l’immense majorité des cas – à son insu ou sous la menace pour l’agresser sexuellement. Un délit difficilement démontrable. Chaque image illustre un cas réel en France, révélant l’agresseur et la substance utilisée. L’esthétique, épurée et quasi clinique, contraste avec la gravité du sujet. À rebours de l’image choc, l’artiste crée une distance qui favorise la réflexion et propose une prise de conscience par le sensible.



Haley Morris-Cafiero
Wait Watchers
En 2010, la photographe états-unienne Haley Morris-Cafiero réalise avec « Wait Watchers » (un jeu de mots avec le programme d’amaigrissement Weight Watchers), une série photo conçue comme une expérience sociale : elle documente les regards des passants sur sa corpulence, inversant les rôles entre observée et observateur·ices. Face aux nombreux commentaires haineux, en ligne, que suscitent les images, l’artiste répond avec « The Bully Pulpit », un projet d’autoportraits où elle se met en scène et tourne en dérision ses détracteur·ices en utilisant le même média : Internet. Elle sensibilise ainsi l’audience au cyberharcèlement, tout en créant un espace où
les anonymes malveillant·es se retrouvent, symboliquement, face à leur propre reflet.


Julie Balagué
Anatomie de l’invisible
Loin du sensationnalisme médiatique habituel sur ce sujet, Julie Balagué entreprend de mettre en image le déni de grossesse dans « Anatomie de l’invisible ». En collaboration avec les femmes concernées, la photographe mêle images et textes pour restituer leur vécu intime. Son approche se distingue par une scénographie conçue pour servir le propos :
les images ne se lisent entièrement qu’à partir d’un point de vue précis, conceptualisant formellement l’aspect caché du déni de grossesse, avant que les femmes elles-mêmes n’en prennent conscience. Les visiteur·ices expérimentent ainsi, comme elles, une découverte.
« Anatomie de l’invisible » sera présentée pour la première fois en exposition publique du 3 novembre au 12 décembre 2025, à Paris, dans le cadre du festival Photo Days.


Nanténé Traoé
Tu vas pas muter
Nanténé Traoré s’intéresse au geste d’injection hormonale dans les parcours de transition des personnes trans. Dans « Tu vas pas muter », l’artiste invite à regarder autrement cet acte a priori médical, en en restituant les dimensions communautaires, de soin et de célébration. Loin de se résumer à l’acte de la piqûre, ces réunions sont des moments de partage, de transmission et de soutien. À travers des images empreintes de douceur, l’artiste met en lumière l’intimité de ces instants, tout en rassurant et en diffusant des savoirs autour de cette pratique essentielle dans la compréhension des transidentités.



t’es sûr que tu veux que ça soit moi ?
– Oui
Puis j’ai ajouté :
Tu sais, c’est pas de l’amour que je vais mettre dans tes veines
J’ai bien désinfecté le tabouret, et la table, et ta peau
pour être sûr
c’est pas de l’amour, tu sais,
tu m’as dit
je sais.
première injec, premier mensonge
évidemment. »
Arkadiy.


Textes : Aline Bovard Rudaz
Conception : Ingrid Milhaud à partir d’une sélection réalisée avec Valérie Dereux et Louise Quignon.
29.07.2025 à 15:17