ACCÈS LIBRE
02.05.2025 à 17:20
« Ma maison, sanctuaire et école de la seconde chance »
Texte intégral (1361 mots)
« Je suis née à Roubaix en 1964, dans une famille prolétaire de douze enfants. J’étais la cinquième.
Dès mon adolescence, j’ai voulu être éducatrice. Mes parents préféraient que je fasse de la comptabilité, alors j’ai passé mon CAP et je me suis mise à travailler comme assistante administrative et comptable, mais c’était un métier alimentaire. Après ma quatrième grossesse, en 1998, j’ai enfin fait quelque chose qui me plaisait vraiment. Je suis allée à l’université pour passer l’équivalent du baccalauréat et une licence de sciences de l’éducation. En 2008, une copine m’a parlé de son travail, “un truc top, tu héberges des enfants placés, tu les accompagnes et les fais grandir”. Je me suis dit “pourquoi pas ?” J’ai demandé mon agrément d’assistante familiale puis j’ai suivi la formation. Je ne voulais pas de nourrisson, parce que mes quatre enfants étaient déjà grands, donc je préférais que l’enfant soit déjà un petit peu autonome. Finalement, en juillet 2012, on m’a présenté mon premier enfant à accueillir : Louis, 22 mois. En septembre, le second est arrivé : Rémy, 7 ans. Ils sont toujours chez moi. Ils ont aujourd’hui 14 et 19 ans.
Avec eux deux, j’ai dû reprendre les bases, ça nous a demandé du temps. On ne leur avait pas appris à exprimer ce qu’ils ressentaient. Il a fallu les aider à comprendre leurs émotions, à les nommer et les évacuer. En tant que famille d’accueil, on leur apprend des choses très élémentaires, qui font partie de l’intime. Par exemple, il y a quelques années, j’ai accueilli un jeune de 16 ans pendant trois semaines. Il ne s’est pas brossé les dents une seule fois, parce qu’on ne lui avait jamais appris.
Rien n’est écrit dans les livres
Les choses que je leur transmets sont essentielles, comme bien manger, avoir une certaine hygiène, faire preuve de savoir-vivre et savoir-être. Louis est arrivé avec un biberon de Coca, il ne mangeait pas. La rééducation alimentaire demande une implication que je n’avais pas imaginée avec mes propres enfants. J’ai mis six mois à lui faire boire de l’eau, plus d’un an pour lui faire prendre un repas équilibré de bébé.
Rien de tout ça n’est écrit dans les bouquins. On travaille une problématique à la fois, avec les moyens qu’on a, puis ça se fait sur la durée. Quand il s’agit d’enfants accueillis en urgence, qui ne restent que sur une période très courte, on transmet quelques valeurs, mais ça ne les change pas vraiment. Avec Louis et Rémy, ça fait treize ans qu’on y travaille.
Une fois que les bases ont été acquises, je me suis mise à les suivre sur le plan scolaire. On ne peut pas travailler comme famille d’accueil sans penser à la réussite de l’enfant. C’est fatigant de gérer les devoirs et de faire réciter les exposés, mais ça fait partie de ce que j’estime être mon boulot. J’ai voulu leur transmettre le goût de la lecture et du sport, qui étaient mes exutoires quand j’étais plus jeune. Comme je l’ai fait pour mes enfants, j’essaie de leur donner les moyens de réussir à devenir la meilleure version d’eux-mêmes. Par exemple, leur faire prendre conscience que sur la copie qu’ils rendent à leur professeur·e, c’est leur nom. Quand Louis revient de l’école et me dit : “Tatie, j’ai bien travaillé pour toi”, je lui réponds : “Non, tu travailles pour ton avenir, mon grand. Je suis fière, mais ce n’est pas pour moi.”
Je ne suis ni une garderie ni une nounou. Ici, c’est leur maison. Je leur ai donné le même amour qu’à mes propres enfants. Rémy part dans un an et demi. Il n’a plus de lien avec son père depuis qu’il a 10 ans, alors la mort de mon mari, il y a deux ans, lui a fait un choc. C’était comme un deuil parental.
On a reconstitué une famille
Je suis leur tatie, leur maman de cœur, ou au moins une figure d’attachement, affective et rassurante.
Ce sont mon parcours de vie personnelle, mes tristesses, mes souffrances qui m’ont donné envie d’aider ces enfants. Je n’ai pas choisi la famille dans laquelle je suis née, mais avec Louis et Rémy, on en a reconstitué une. Tous les deux ont passé plus de temps chez moi que nulle part ailleurs. On partage des moments de vie au quotidien, ils ont pris racine dans ma famille, aux côtés de mon mari et de mes quatre enfants.
Pour moi, ils sont frères, indirectement. C’est très important qu’il n’y ait pas de jalousie entre eux, mais de l’entraide et du respect, surtout aucune violence ni aucun mensonge : seulement de la tolérance et du partage. Ma maison, je la vois comme un sanctuaire et une école de la seconde chance. Je me sens utile, je me dis que je fais du bien et que je suis là pour protéger ces enfants. Je les tiens par la main autant et aussi longtemps que je peux.
J’essaie de ne pas trop me demander combien de temps ils vont rester chez moi. Évidemment que je préfère qu’ils restent jusqu’à leurs 18 ans, et même 21 ans1, comme ça, je peux les accompagner pour leur entrée dans la vie active.
Une fois que Louis et Rémy seront adultes et qu’ils seront partis de chez moi, j’espère les revoir, même si c’est vingt ans plus tard. Ce serait mon plus grand bonheur de savoir qu’ils sont heureux, ont un métier et un toit au-dessus de la tête. L’éducation des jeunes de l’Aide sociale à l’enfance, ça demande du temps et de la persévérance. Ils sont comme des diamants : à force de les traiter avec soin, ils deviennent des bijoux merveilleux. J’ai l’impression d’en avoir deux à la maison, c’est ma plus belle réussite. »
- Les enfants placé·es en famille d’accueil dans la région des Hauts-de-France peuvent solliciter le dispositif Entrée dans la vie adulte (EVA) et prolonger leur placement chez l’assistante familiale jusqu’à 21 ans.
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02.05.2025 à 17:11
En RDC, le viol comme arme de guerre
Texte intégral (1190 mots)
Le 8 mars 2025, l’Organisation des Nations unies (ONU) a relayé un chiffre glaçant sur l’ampleur des violences sexuelles en cours en République démocratique du Congo (RDC) : durant la première quinzaine de février 2025, une femme a été violée « toutes les quatre minutes » dans l’est du pays. Un chiffre largement sous-estimé, précisent les Nations unies. Depuis la prise de la ville de Goma, à la fin de janvier, par le Mouvement du 23 Mars (M23), un groupe armé rebelle soutenu par le Rwanda, une nouvelle vague de violences ensanglante la région du Kivu. Les femmes en sont des victimes particulières, comme lors de précédentes phases du conflit, qui dure depuis plus de trente ans. Avec une ampleur aujourd’hui inédite.
« Il nous est rapporté plus de 4 000 cas de femmes ayant subi des violences sexuelles. Certaines sont soumises à un esclavage moderne, contraintes à avoir des relations sexuelles par peur des représailles », détaille Emmanuella Zandi, directrice générale adjointe du Fonarev RDC, un organisme gouvernemental congolais venant en aide aux victimes de violences sexuelles liées aux conflits. En plus d’instaurer la peur et d’asseoir le pouvoir des agresseurs, l’utilisation de ces violences « constitue une arme de guerre pour faire passer un message au gouvernement, poursuit l’activiste. Et quand on touche aux femmes, on détruit les tissus sociaux, parce que les femmes constituent le socle des communautés. » « Agresser les femmes envoie le message qu’on a vaincu les hommes de leur communauté, puisqu’ils n’ont pas été en mesure de les protéger », complète Anny Modi, fondatrice d’Afia Mama, une ONG féministe congolaise.
Un « cercle vicieux de violences »
Les femmes victimes de violences sexuelles doivent souvent affronter le stigmate, la honte, l’isolement. « Elles se retrouvent dans un cercle vicieux de violences, décrit Anny Modi. Leur famille les rejette, leur mariage est détruit et elles perdent leurs moyens de subsistance. Elles risquent alors de nouveau d’être victimes. » Certaines ne dénoncent donc pas les violences vécues.
Les associations déplorent aussi un accès au suivi de grossesse ou à l’avortement gravement entravé par le conflit. « Les violences de genre ne se limitent pas aux agressions ; les droits à la santé sexuelle et reproductive sont aussi violentés. Sans couloir humanitaire, on condamne des femmes à mener à terme des grossesses non désirées, en plus de tout ce qu’elles subissent », explique Anny Modi. Ces enfants à naître, issus de viols « ennemis », peuvent ne pas être acceptés par la communauté, voire par leur mère.
Une régression des droits des femmes sur le long terme
Les millions de femmes et d’enfants déplacé·es sont particulièrement vulnérables à toutes ces violences. Des femmes, déjà victimes au cours du conflit, ont dû repartir en exode lors du démantèlement des camps dans la région de Goma, et s’exposer à nouveau aux violences.
Anny Modi relève plusieurs catégories de femmes qui sont spécifiquement agressées. Celles « issues de minorités sexuelles », qui ont « subi des viols liés au simple fait de ne pas être hétérosexuelles ». Des femmes de militaires ont aussi été attaquées. Enfin, des militantes pour les droits des femmes sont directement menacées pour leurs activités. « Après la prise de Goma, nous avons reçu des images d’une activiste, violée devant sa famille. Ces images sont envoyées à d’autres féministes, pour les faire taire si elles veulent dénoncer ce qu’il se passe. »
Les femmes détenues sont également visées : lors de la prise de Goma, au moins 165 prisonnières ont été violées, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. La majorité d’entre elles ont ensuite péri dans un incendie survenu à la prison de Munzenze. L’ONU alerte sur les « milliers de détenus, y compris des criminels violents et des chefs de groupes armés » qui s’en sont évadés, et la menace que ces hommes représenteraient pour les victimes et les témoins ayant joué un rôle dans leur condamnation. Selon Emmanuella Zandi, la protection de ces personnes est aussi un enjeu dans les affaires de violences sexuelles. Son organisation a mis en place un mécanisme d’alerte spécifique.
Les organisations interrogées se mobilisent comme elles peuvent. Elles logent des victimes, organisent des séances de « détraumatisation » ou prennent en charge des orphelin·es. Mais elles se heurtent à plusieurs obstacles. L’absence de sécurité, d’abord, la pénurie des ressources (financières, médicales…), sans compter les hôpitaux détruits. Il manque des médicaments pour les femmes contaminées par le VIH… Anny Modi regrette que la prise en charge des femmes n’ait pas été une priorité dans la première phase de la mobilisation humanitaire.
Une activiste congolaise, qui a souhaité rester anonyme, pointe la régression que ce conflit représente pour les droits des femmes : « On se demande quel est l’avenir des femmes et des enfants en RDC. Grâce aux féministes, la situation commençait à s’améliorer, mais là, elle est devenue bien plus grave qu’avant. Des femmes voient leur business réduit à néant, des filles abandonnent le chemin de l’école, devenu dangereux. »
Les dommages liés à la guerre auront aussi des conséquences après le conflit. Les associations d’aides aux victimes, tout comme le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, s’inquiètent de la destruction – par les coupables eux-mêmes, qui contrôlent certaines zones du pays – des preuves qui pourraient être utilisées en justice par des victimes d’exactions. Les ONG attendent une accalmie pour pouvoir intervenir, et espèrent pour cela un soutien plus franc de la part de la communauté internationale.
Les enfants également ciblé·es
Autre catégorie de la population particulièrement touchée par le conflit en République démocratique du Congo : les enfants. Le 11 avril 2025, l’Unicef indiquait qu’ils constituaient près de la moitié des 10 000 cas de violences sexuelles recensée aux mois de janvier et février. James Elder, porte-parole de l’organisation, souligne la dimension systémique de ces violences : « C’est une arme de guerre et une tactique délibérée de terreur. » Un constat d’autant plus glaçant que la crise des financements de l’aide humanitaire empêche de fournir des soins essentiels aux survivant·es de violences sexuelles.