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11.09.2025 à 13:09

Y a‑t-il un backlash antiféministe sur la première radio de France ?

Nora Bouazzouni
Après l’inexplicable suppression, l’année dernière, de l’émission quotidienne de satire politique présentée par Charline Vanhoenacker et sa bande et le licenciement de Guillaume Meurice (qui a valu à Adèle Van […]
Texte intégral (1601 mots)

Après l’inexplicable suppression, l’année dernière, de l’émission quotidienne de satire politique présentée par Charline Vanhoenacker et sa bande et le licenciement de Guillaume Meurice (qui a valu à Adèle Van Reeth, directrice de la station, une motion de défiance signée par 80 % des titulaires), la grille des programmes de la rentrée 2025 semble confirmer le raidissement éditorial de France Inter.

Moins d’investigation, moins de reportages et deux thématiques élaguées à la machette : l’écologie et le genre. L’émission « La Terre au carré » se voit amputée de son dernier quart d’heure, lors duquel des militant·es écologistes (Cyril Dion, Claire Nouvian, Féris Barkat…), des médias indépendants et auditeur·ices prenaient la parole. Exit également l’émission hebdomadaire sur les luttes sociales « C’est bientôt demain ».

Côté féminisme, c’est l’hécatombe. La chronique hebdomadaire d’Anne-Cécile Mailfert, présidente fondatrice de la Fondation des femmes, passe à la trappe. La journaliste Giulia Foïs, journaliste productrice depuis 2019 des émissions « Pas son genre » puis « En marge » (qui a réalisé la saison dernière plusieurs pics d’audience à 775 000 auditeur·ices) est, pour sa part, remerciée.

Celle qui faisait exister les sujets liés aux droits des femmes et des minorités de genre depuis dix ans sur cette antenne a d’abord vu ses chroniques sauter, avant d’assister à la lente dilution de sa ligne éditoriale, sous prétexte de convergence des luttes. « En 2022, Adèle Van Reeth m’a proposé d’interroger plus largement la norme et pas seulement le genre. Avec le recul, je me demande si ce n’est pas là que commence le lissage des questions féministes : lorsqu’elles n’ont plus un créneau qui leur soit spécifiquement dédié. », confie-t-elle à La Déferlante.

« Complètement à côté de l’époque »

Alors que la saison dernière a été marquée par le procès des violeurs de Mazan, le renvoi aux assises de l’affaire « French Bukkake », la diffusion sur Netflix d’un documentaire accablant sur l’affaire Cantat ou la remise du prix Albert-Londres à la journaliste du Monde Lorraine de Foucher, spécialiste des violences masculines, à quoi joue la première radio de France ? « France Inter a choisi de couper le micro des féministes au moment où les masculinistes sortent du bois et où les personnes minorisées sont encore plus exposées qu’avant à la haine et au rejet. Elle passe complètement à côté de l’époque », tranche Giulia Foïs.

Sans croire à une « résistance » active de la part d’Inter à traiter de ces sujets, Magalie Lacombe, journaliste-formatrice experte des questions de genre et d’égalité, voit dans les choix de la direction une « validation et un renforcement du pouvoir politique » en place. Elle rappelle que de nombreuses études (ici et ) attestent d’une sous-représentation des femmes dans les médias. « Lorsque France Inter choisit délibérément d’effacer progressivement la présence des femmes de ses antennes, elle est consciente de les minoriser encore plus, et cette domination lui convient. »


« France Inter a choisi de couper le micro des féministes au moment où les masculinistes sortent du bois. »

Giulia Foïs, journaliste

Avec l’arrivée de Benjamin Duhamel pour remplacer Léa Salamé à la présentation de la matinale aux côtés de Nicolas Demorand, deux hommes sont désormais aux manettes de la tranche la plus écoutée de France – près de 5 millions d’auditeur·ices pour la saison 2024–2025. « Ce sont deux hommes blancs, cisgenres et socialement aisés : comment, avec si peu de diversité, peut-on imaginer raconter la société dans sa réalité ? », interroge Magalie Lacombe, elle-même ancienne journaliste à Radio France et autrice du podcast L’Info en tous genres.

Une situation qui ne semble émouvoir ni Adèle Van Reeth, directrice de France Inter, ni Philippe Corbé, directeur de l’information depuis le printemps dernier. « La parité est une valeur très importante de cette chaîne, mais jamais aux dépens de la compétence », aurait affirmé la première, tandis que pour le second, Benjamin Duhamel « est le seul aujourd’hui à Paris en capacité » de coanimer la matinale. Des propos cités dans Télérama début juillet 2025, que le service de communication de la radio se dit incapable de nous confirmer. L’argument fait en tout cas bondir Magalie Lacombe : « C’est hallucinant de désuétude, en plus d’être complètement fallacieux ! Si c’est la seule personne compétente qu’ils ont trouvée, c’est qu’ils n’ont pas cherché. Je doute même qu’il y ait eu un casting pour ce poste… » L’équipe d’Adèle Van Reeth le concède : « Avoir deux voix masculines à 8 h 20, ce n’est pas idéal. » Elle plaide un mauvais concours de circonstances lié à l’annonce tardive du départ de Léa Salamé pour présenter le journal de 20 heures sur France 2.

Une répartition genrée

Dans un autre article publié le 3 septembre, Télérama, qui a épluché la nouvelle grille de programmes, pointe plus largement « une répartition qui reflète les stéréotypes de genre ». Aux femmes les chroniques et entretiens culturels ; aux hommes les interviews et éditos politiques ou économiques. « Agir de la sorte, c’est refuser une société plus égalitaire », analyse Magalie Lacombe. « Mais ces gens-là [la direction de France inter] s’en moquent, parce qu’ils bénéficient d’un grand nombre de privilèges. »

Désormais soumis au bon vouloir des rédacteur·ices en chef et des chroniqueur·euses, le traitement des luttes sociales – en particulier féministes – est-il encore un enjeu d’intérêt général aux yeux de la radio publique, dont la directrice martelait, à son arrivée en 2022, qu’elle n’était « ni de gauche ni de droite » ? Interrogée par La Déferlante, la direction de la station réaffirme son intérêt pour les sujets liés au genre : « c’est pourquoi ils sont présents partout sur l’antenne et ne se limitent pas à quelques émissions comme cela était le cas au moment où ces sujets ont commencé à émerger dans la société ». Pas convaincue par les arguments de son ex-direction, Giulia Foïs interroge : « Quelle est la raison d’être de France Inter, si ce n’est d’être un rempart contre les haines et les discriminations, un endroit où peut s’exprimer une pluralité d’opinions et de regards ? Aujourd’hui, ce n’est plus la radio de toutes et tous, mais bel et bien celle d’un courant de pensée unique. »

Thomas Legrand suspendu après une polémique lancée par l’extrême droite

Vendredi 5 septembre, après la diffusion d’une vidéo enregistrée à son insu sur le site du magazine d’extrême droite L’Incorrect, l’éditorialiste politique Thomas Legrand était suspendu de l’antenne d’Inter à titre conservatoire.

Filmé discrètement lors d’un déjeuner informel avec son confrère Patrick Cohen et deux personnalités du Parti socialiste, le journaliste assurait : « Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati. » Accusé par la droite et l’extrême droite de mener campagne contre la ministre de la Culture, candidate autoproclamée à la mairie de Paris, le journaliste s’est fendu d’une tribune, publiée dans Libération dans laquelle il reconnaît des propos maladroits pouvant semer la confusion mais affirme également : « J’assume […] de m’employer à dire la vérité sur les mensonges et l’attitude néotrumpienne de la ministre de la Communication (sic) […] il s’agit là de défendre notre métier, si menacé à travers le monde. »

Mardi 9 septembre il a finalement annoncé renoncer à son émission politique hebdomadaire, sans pour autant arrêter d’intervenir ponctuellement à l’antenne.

02.09.2025 à 19:36

Sans parler des blessé.es : une correspondance pour penser le fractures du monde

Lucie Geffroy

Nous sommes nombreux et nombreuses à ressentir comme une accélération du temps. Depuis plusieurs mois, chaque jour, où que l’on regarde, nous sommes confronté·es à des nouvelles toujours plus catastrophiques. La guerre génocidaire contre le peuple palestinien, les bombardements en Ukraine, la politique menée par l’administration Trump, l’urgence climatique, etc.

En France, le 9 juin 2024, la dissolution de l’Assemblée nationale rendait tout à coup possible la prise du pouvoir par le Rassemblement national, ouvrant une de ces brèches propres à faire basculer l’histoire. C’est précisément à ce moment-là qu’est née l’idée d’une correspondance entre Kaoutar Harchi et Aurélien Bellanger. Cette idée, ce sont nos ami·es du média épistolaire indépendant La Disparition, qui l’ont eue.

D’ici à l’élection présidentielle de 2027, les fondateur·ices de ce média indépendant ont proposé à trois duos d’écrivain·es de correspondre – à raison d’une lettre par mois pendant six mois, envoyée à leurs abonné·es – sur trois grandes thématiques : antiracisme, antisexisme et écologie.

La première correspondance entre Kaoutar Harchi, sociologue et écrivaine, autrice de Ainsi l’animal et nous (Actes Sud, 2024), et Aurélien Bellanger, romancier, auteur de Les Derniers Jours du Parti socialiste (Seuil, 2024), explore la question de l’antiracisme. Suivra ensuite un échange de lettres entre Alice Zeniter et Phoebe Hadjimarkos Clarke sur le thème de l’antisexisme. Puis Vidya Narine et Hadrien Klent correspondront sur l’écologie. Il nous a semblé important de diffuser plus largement ce projet, en rassemblant ces lettres pour en faire des livres.

L’expérience collective du chaos

De décembre 2024 à juin 2025, Kaoutar Harchi et Aurélien Bellanger ont donc échangé au sujet des visées impérialistes d’un Donald Trump en roue libre, de la déshumanisation des Palestien·nes, de la montée de l’islamophobie en France, etc., analysant les faits qui, par à‑coups, ont rendu l’opinion de plus en plus perméable au racisme et à la violence. L’intérêt de cette correspondance est justement de nommer cette expérience collective du chaos, tout en permettant aux lecteur·ices une prise de recul – grâce à la temporalité mensuelle des lettres. Au fil des mois, l’échange a donné un écho de plus en plus fort au génocide à Gaza, faisant émerger « la question des corps colonisés sur des territoires colonisés » et la notion d’« handicapement colonial », selon les termes de Kaoutar Harchi.

Mais, à travers cette expérience littéraire, les deux auteur·ices s’interrogent également sur leur rôle d’écrivain·es, sur ce que peut la littérature face à ce basculement. « Mais où  va-t-on ? Quel est ce monde ? », questionne l’autrice. Le livre n’a pas vocation à répondre à cette question mais il insiste sur « notre devoir politique » de garder espoir en imaginant d’autres possibles. « Être réaliste dans un monde qui délire, c’est délirer avec lui », écrit ainsi Aurélien Bellanger.

Bonne lecture !

Texte intégral (647 mots)

Nous sommes nombreux et nombreuses à ressentir comme une accélération du temps. Depuis plusieurs mois, chaque jour, où que l’on regarde, nous sommes confronté·es à des nouvelles toujours plus catastrophiques. La guerre génocidaire contre le peuple palestinien, les bombardements en Ukraine, la politique menée par l’administration Trump, l’urgence climatique, etc.

En France, le 9 juin 2024, la dissolution de l’Assemblée nationale rendait tout à coup possible la prise du pouvoir par le Rassemblement national, ouvrant une de ces brèches propres à faire basculer l’histoire. C’est précisément à ce moment-là qu’est née l’idée d’une correspondance entre Kaoutar Harchi et Aurélien Bellanger. Cette idée, ce sont nos ami·es du média épistolaire indépendant La Disparition, qui l’ont eue.

D’ici à l’élection présidentielle de 2027, les fondateur·ices de ce média indépendant ont proposé à trois duos d’écrivain·es de correspondre – à raison d’une lettre par mois pendant six mois, envoyée à leurs abonné·es – sur trois grandes thématiques : antiracisme, antisexisme et écologie.

La première correspondance entre Kaoutar Harchi, sociologue et écrivaine, autrice de Ainsi l’animal et nous (Actes Sud, 2024), et Aurélien Bellanger, romancier, auteur de Les Derniers Jours du Parti socialiste (Seuil, 2024), explore la question de l’antiracisme. Suivra ensuite un échange de lettres entre Alice Zeniter et Phoebe Hadjimarkos Clarke sur le thème de l’antisexisme. Puis Vidya Narine et Hadrien Klent correspondront sur l’écologie. Il nous a semblé important de diffuser plus largement ce projet, en rassemblant ces lettres pour en faire des livres.

L’expérience collective du chaos

De décembre 2024 à juin 2025, Kaoutar Harchi et Aurélien Bellanger ont donc échangé au sujet des visées impérialistes d’un Donald Trump en roue libre, de la déshumanisation des Palestien·nes, de la montée de l’islamophobie en France, etc., analysant les faits qui, par à‑coups, ont rendu l’opinion de plus en plus perméable au racisme et à la violence. L’intérêt de cette correspondance est justement de nommer cette expérience collective du chaos, tout en permettant aux lecteur·ices une prise de recul – grâce à la temporalité mensuelle des lettres. Au fil des mois, l’échange a donné un écho de plus en plus fort au génocide à Gaza, faisant émerger « la question des corps colonisés sur des territoires colonisés » et la notion d’« handicapement colonial », selon les termes de Kaoutar Harchi.

Mais, à travers cette expérience littéraire, les deux auteur·ices s’interrogent également sur leur rôle d’écrivain·es, sur ce que peut la littérature face à ce basculement. « Mais où  va-t-on ? Quel est ce monde ? », questionne l’autrice. Le livre n’a pas vocation à répondre à cette question mais il insiste sur « notre devoir politique » de garder espoir en imaginant d’autres possibles. « Être réaliste dans un monde qui délire, c’est délirer avec lui », écrit ainsi Aurélien Bellanger.

Bonne lecture !

02.09.2025 à 13:04

Que peut la littérature face à la cruauté de l’époque ?

Emma Bokono
Comment avez-vous abordé cette expérience de la correspondance ? KAOUTAR HARCHI : Je trouvais ça intéressant d’apprendre à connaître un écrivain au-delà de ses livres, d’explorer avec lui l’écriture à […]
Texte intégral (935 mots)

Comment avez-vous abordé cette expérience de la correspondance ?

KAOUTAR HARCHI : Je trouvais ça intéressant d’apprendre à connaître un écrivain au-delà de ses livres, d’explorer avec lui l’écriture à chaud sur des questions d’actualité. C’était une manière différente d’aborder les dominations de race, de genre et de classe, d’une manière qui ne soit pas théorique ou abstraite, qui devait vraiment être incarnée par des éléments concrets.

AURÉLIEN BELLANGER : Je trouve passionnant d’échanger sur notre métier entre pair·es. L’important pour moi était que cet échange soit de bonne foi, que nous ne soyons pas dans une posture.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

KAOUTAR HARCHI : Une lettre transmet notre intimité à un instant précis, et ce n’est pas simple à écrire. Le fait de s’adresser à une personne tout en sachant que ces textes seront également lus par d’autres personnes modifie un peu la perspective. C’est une fausse intimité.

AURÉLIEN BELLANGER : L’exercice comportait un certain formalisme. Pendant longtemps, la lettre était un écrit terriblement banal, puis elle a disparu quasiment du jour au lendemain. Pourtant, le genre épistolaire est un classique de la littérature. Un livre est toujours un peu lu comme une lettre qui a été envoyée. C’est bien de confronter son métier d’écrivain à cette expérience.

Quelles réflexions vous sont apparues en échangeant ensemble ?

AURÉLIEN BELLANGER : Nous avons été les contemporain·es d’un génocide [à Gaza], d’un moment qui marquera l’époque. Cela a donné une solennité particulière à notre échange.

KAOUTAR HARCHI : Ces lettres étaient parfois très argumentées, et pour certaines simplement une sorte de témoignage de la cruauté de l’époque. J’espère que les personnes qui nous liront, avec le recul, pourront mesurer ce que c’était de vivre ça, face à nos écrans. Nous avons aussi tenté de nous interroger sur ce que la littérature peut, face à cela.

Que retirez-vous de cette correspondance qui a duré six mois ?

KAOUTAR HARCHI : L’échange avec Aurélien avait un enjeu politique important, notamment depuis la parution de son ouvrage Les Derniers Jours du Parti socialiste [Seuil, 2024], dans lequel les questions de l’islamophobie, du racisme structurel et de la gauche coloniale en France sont assez clairement posées. Il s’inscrit parfaitement dans les dialogues
que nous devons essayer de tisser entre écrivain·es qui reconnaissent le caractère structurel de l’islamophobie et le poids du colonialisme en France.

AURÉLIEN BELLANGER : La question du racisme structurel est relativement récente dans ma vie. Elle fait partie des quelques épiphanies qui m’ont permis de prendre conscience des biais que j’avais, en tant qu’homme, en tant que Blanc. Ce sont des sujets qu’il était passionnant d’aborder avec Kaoutar.

Qu’espérez-vous que les lecteur·ices retiennent de ces lettres ?

AURÉLIEN BELLANGER : Le caractère le plus angoissant du métier d’écrivain, c’est l’idée qu’il y ait des lecteurs et lectrices. J’ai essayé de mettre ça à part, afin d’écrire ces lettres comme des vraies lettres.

KAOUTAR BELLANGER : J’espère que les lecteurs et les lectrices aborderont ce texte comme un dialogue. C’est une écriture immédiate, au fil des jours, à partir d’éléments qui sont encore partiels. Elles et ils vont recevoir avec un temps de décalage ce que nous avons pu nous dire dans un moment partagé.

AURÉLIEN BELLANGER : Et en même temps, l’un des intérêts métaphysiques de la littérature, c’est de douter qu’il n’y a que le présent qui existe. L’idée, c’est de faire exister d’autres strates temporelles.

Des lettres devenues livre

L’idée de proposer à des duos d’écrivain·es d’échanger pendant six mois, à raison d’une lettre mensuelle, pour appréhender une époque en plein bouleversement, provient du média épistolaire La Disparition. Première d’une série de trois, la correspondance entre Kaoutar Harchi et Aurélien Bellanger a d’abord existé sous forme de lettres envoyées sous format papier entre janvier et juin 2025 aux abonné·es de La Disparition, avant que La Déferlante Éditions propose de les rassembler en un livre. Sans parler des blessé·es sortira en librairie le 3 octobre prochain.

👉 Vous pouvez déjà acheter le livre sur notre site.

COUV SANS PARLER DES BLESSE-ES

Entretien réalisé le 17 mai 2025 par Emma Bokono et édité par Malwenn Cailliau, respectivement journaliste et assistante d’édition à La Déferlante.

29.08.2025 à 00:10

« En tant que personnes racisées, on est vite accusé·es de réécrire l’histoire »

Coline Clavaud-Mégevand
« À l’origine, je suis artiste vidéaste, formé aux Beaux-Arts d’Angoulême. Quand j’étais étudiant, j’étais très investi dans des milieux militants et actif dans des associations comme Extinction Rebellion ou […]
Texte intégral (933 mots)

« À l’origine, je suis artiste vidéaste, formé aux Beaux-Arts d’Angoulême.

Quand j’étais étudiant, j’étais très investi dans des milieux militants et actif dans des associations comme Extinction Rebellion ou Décoloniser les arts [une association née en 2015 pour dénoncer un racisme structurel dans les arts et la culture]. J’y ai entendu des discours très forts, mais souvent cantonnés à des petits cercles déjà convaincus et assez experts. Je me suis demandé comment faire pour toucher plus de gens. La vulgarisation m’a semblé être la bonne porte d’entrée.

C’est comme ça qu’est né le projet Histoires Crépues : pour vulgariser l’histoire coloniale, la décomplexifier, la rendre plus accessible. Le but, c’est que le public puisse appréhender ce passé et comprendre comment l’histoire coloniale continue d’avoir un impact sur la société aujourd’hui.

J’ai lancé la chaîne YouTube en avril 2020, pendant le confinement. À l’époque, il existait des comptes militants intéressants et très influents, mais peu de formats pédagogiques. En mai de la même année, George Floyd a été tué aux États-unis, ce qui a contribué à visibiliser les questions de discrimination. C’est sur Instagram que ça a pris le plus vite : en quelques semaines, le compte d’Histoires Crépues est passé de 4 000 à 30 000 abonné.es. Très vite, Reha Simon [producteur, monteur et réalisateur] m’a rejoint pour développer le projet. Aujourd’hui, on est quatre permanent·es et une quinzaine de freelances, pour une communauté de 850 000 abonné·es.

On est présent·es sur Instagram, YouTube, TikTok et même X. C’est un choix stratégique : on doit exister partout, même si on évite de s’investir émotionnellement et qu’on refuse de nourrir des algorithmes délétères – on poste peu sur X, on n’alimente pas les polémiques… En revanche, je crois beaucoup en TikTok. C’est là que se passent les changements politiques de demain.

Devenir un média indépendant

Nos contenus sont toujours très rigoureux. On se base sur des thèses, des articles scientifiques et des livres qu’on reformule pour les rendre accessibles. On cite nos sources et on fait relire nos textes par des chercheur·euses, des commissaires d’exposition ou par les invité·es des vidéos. C’est une nécessité : en tant que personnes racisées traitant d’histoire coloniale, on est très vite accusé·es de réécrire l’histoire ou d’être dans l’idéologie. Mais le devoir qu’on s’est imposé d’être irréprochables nous a permis de nous démarquer de certains contenus militants qui, bien que puissants, ne mettent pas toujours en avant leur méthodologie.


« On cherche à créer un espace d’autonomie, depuis lequel on peut s’exprimer à égalité avec les autres médias. »


À partir de septembre 2025, on veut que Histoires Crépues soit clairement identifié comme un média antiraciste indépendant. Pas juste une chaîne YouTube que j’incarne, mais un espace éditorial collectif, porté à tous les niveaux par des personnes concernées : rédaction, production, montage, cadrage… L’objectif, c’est de professionnaliser des membres de nos communautés, pour que les sociétés de production ne nous disent plus : “Sur ce sujet, il n’y a pas de producteur·ice ou de monteur·euse racisé·e.” On veut pouvoir produire nous-mêmes, avec nos codes, nos formats et ne pas être assigné·es à des positions marginales.

On entend aussi servir de tremplin. Si une personne est repérée grâce à une émission sur Histoires Crépues et embauchée à « Quotidien » ou ailleurs, c’est gagné ! Pour autant, on ne cherche pas à intégrer les médias mainstream, mais à créer un espace d’autonomie, depuis lequel on peut s’exprimer à égalité [avec les autres médias, où les personnes blanches sont majoritaires]. Dans le monde de l’art contemporain, on a vu que les personnes racisées peuvent être mises en avant temporairement, puis rapidement évacuées dès que la tendance passe. D’où l’idée de construire un pôle solide dans l’écosystème médiatique actuel.

Quant à la montée de l’extrême droite, elle ne change pas grand-chose à notre posture. Oui, elle complique l’accès aux financements, notamment aux aides publiques, mais on a grandi avec, ce n’est pas une nouveauté pour nous. Au contraire, ce contexte renforce notre volonté de construire un modèle économique autonome, même si c’est difficile, notamment parce que nos communautés, souvent précaires, ne peuvent pas forcément soutenir financièrement un média. Mais ça aussi, ça renforce notre détermination : il faut des voix antiracistes qui ne dépendent de personne, certainement pas du bon vouloir d’une gauche blanche qui, pour l’instant, n’a pas montré de réelle volonté politique de porter nos luttes. »

Ces propos ont été recueillis par téléphone le 15 juillet 2025.

21.08.2025 à 14:57

« Le journalisme est pour moi un outil de lutte »

Manon Boquen
« Je me présente comme une journaliste engagée. Cette dénomination ne me dérange pas, car on n’arrive pas dans le métier avec une page blanche derrière soi. Des discussions, des […]
Texte intégral (907 mots)

« Je me présente comme une journaliste engagée. Cette dénomination ne me dérange pas, car on n’arrive pas dans le métier avec une page blanche derrière soi. Des discussions, des rencontres, des lectures m’ont amenée à cette profession. J’étais engagée pour l’écologie avant de devenir journaliste.

J’ai grandi à Calais, dans une famille nombreuse de la bourgeoisie, mais ayant été scolarisée dans l’enseignement public, j’ai évolué dans un milieu très mixte socialement. Je pense que mon engagement remonte à l’enfance, car grandir dans cette ville n’est pas neutre. Calais est une ville frontière qui accueille des personnes ayant fui la guerre, en Europe, au Moyen-Orient ou sur le continent africain. Je me souviens que quand j’avais 8 ou 9 ans, des Kosovar·es vivaient dans le parc à côté de chez moi. Cela m’a marquée d’être au contact de cette réalité. À l’époque du collège puis du lycée, j’étais impliquée dans une association nommée Salam, qui vient en aide aux exilé·es. J’ai compris par la suite que cet engagement m’avait servi de formation politique.

Dans mon entourage, personne n’exerçait le métier d’enquêteur·ice ou de journaliste. Je l’ai découvert lors d’un voyage en sac à dos après mes études à Sciences Po Paris. Plein de jeunes diplômé·es partaient à l’autre bout du monde, mais moi, j’avais envie de parcourir la France et de rencontrer des gens qui me faisaient rêver. J’ai côtoyé des personnes qui n’étaient pas issues du milieu agricole et qui reprenaient une ferme ou en créaient une. Cela a donné naissance à mon premier livre : Les Néo-paysans (coédition Le Seuil/Reporterre, 2016), écrit avec Gaspard d’Allens. Après le bouquin, je me suis dit : quelle formidable façon de s’engager, de rencontrer des gens ! C’est comme ça que je suis devenue journaliste.

« Personne ne peut être neutre »

Je ne me disais pas journaliste à l’époque. Je me demandais plutôt si on pouvait l’être sans avoir fait d’école de journalisme, s’il n’y avait pas un statut à obtenir… Le fait de me considérer comme telle s’est fait petit à petit, notamment grâce aux collectifs de journalistes. Pour moi, exercer ce métier, c’est aussi créer des liens et échanger avec ses pair·es. C’est vraiment ce qui donne de la force. Et c’est comme ça que j’ai trouvé ma place dans le monde professionnel.

Les questions rurales me portent depuis longtemps. J’ai fait le choix de vivre à la campagne dans le nord de la France. Peut-être que si je vivais en ville je serais moins sensible à l’environnement autour de moi. J’observe ce qui se passe où j’habite, tout en continuant à voyager pour mes enquêtes. C’est particulièrement important pour les sujets que je traite, car le territoire agricole n’est pas homogène. Ce qui compte, d’après moi, c’est de transmettre des informations d’intérêt général, qui sont absentes du débat public. Par exemple, quand on ne peut pas entrer dans une ferme parce qu’elle appartient à une entreprise privée, c’est qu’il y a quelque chose à creuser.


« Exercer ce métier, c’est aussi créer des liens et échanger avec ses pair·es. C’est vraiment ce qui donne de la force. »


On me demande souvent comment j’articule journalisme et militantisme. Mais je trouve la question mal posée. Est-ce que dans un pays en guerre on demande aux gens s’ils sont militants ? Certes, en France, nous ne sommes pas en guerre, mais le pays est traversé par une conflictualité sourde. Une violence systémique s’exerce contre les humain⋅es et contre la nature – par exemple, le taux de suicide dans le monde agricole est trois fois plus élevé que dans le reste de la population active. C’est une évidence que personne ne peut être neutre. Le journalisme est pour moi un outil de lutte au même titre que le droit ou la politique.

On a souvent une intuition ou un avis avant de se mettre à enquêter sur un sujet. C’est un moteur, mais cela ne doit jamais dicter le résultat. Ce qui prime, tout au long du travail d’investigation, c’est la rigueur : la manière dont on mène l’enquête, dont on interroge ses sources, dont on exploite les rapports, les études, la documentation. L’engagement relève avant tout de la déontologie, pas de l’idéologie. Être engagé·e, c’est rester honnête face à ce que l’on découvre, c’est juger les faits avec exigence et responsabilité. »

Ces propos ont été recueillis au téléphone, le 15 juillet 2025.

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