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28.10.2025 à 10:00

Géopolitique de l’année 2025

Dans cette treizième édition du Grand Atlas, Frank Tétart retrace l’année 2025 à partir de lignes de force géopolitiques et réfléchit à des prospectives pour l’année 2026. L’année 2025 est peut-être la plus chaotique depuis la naissance de cet atlas. Le recul des démocraties, l’affirmation des prédateurs, le recul du droit des minorités et des questions environnementales ont connu un apogée avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Ce second mandat se démarque par une surabondance des provocations, des « informations » et des actes contradictoires. C’est donc au monde selon Trump que Frank Tétart a décidé de consacrer un dossier spécial.   Nonfiction.fr : L’an dernier, vous insistiez sur l’incertitude de l’année 2024 en raison des lignes de faille qui se creusaient entre les démocraties et les régimes autoritaires et la rivalité sino-américaine. Votre dernier Atlas sur l’année 2025 confirme le prolongement de ces incertitudes qui aboutissent à une sorte d’interrègne. Quel titre donneriez-vous à l’année 2025 ? Frank Tétart : Le « moment trumpien », car le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche début 2025 a d’emblée suscité une inquiétude en Europe et dans le reste du monde, tant son programme axé sur la grandeur de l’Amérique et son style porté par son franc-parler et une surmédiatisation, contribuent à déstabiliser la pratique des relations internationales et l’ordre mondial. Un ordre déjà déstabilisé par la guerre d’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine et celle contre Gaza, riposte aux attentats du 7 octobre 2023, qui s’est transformée au cours de l’année 2025 en une guerre israélienne sur tous les fronts. Or, cette pratique « disruptive » de Trump permet aussi de manière inattendue de parvenir à un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas début octobre. Vous rédigez un Grand Atlas depuis treize ans, mais celui-ci est peut-être particulier en raison d’une accélération de l’histoire sous nos yeux ; vous parlez d’ailleurs de « tourbillon du monde ». Comment abordez-vous une géopolitique qui n’a jamais été aussi fluctuante ? Pour décrypter ce tourbillon, il m’a semblé utile de repartir sur les fondamentaux de la puissance américaine, puis d’en souligner les évolutions. La treizième édition consacre en effet son dossier aux États-Unis d’aujourd’hui, mais revient dès la première partie sur les étapes incontournables de l’affirmation, puis de l’exercice de leur puissance. Elle met en avant des concepts, tels la « destinée manifeste » ou l’isolationnisme, et les postures vis-à-vis de l’extérieur (unilatéralisme/multilatéralisme) qui ont forgé la politique étrangère américaine et éclairent les choix en cours, notamment à l’égard de l’Iran et d'Israël. Cette première partie introductive nous guide vers la deuxième partie qui présente « le monde selon Trump », c’est-à-dire sa vision du monde, ses velléités territoriales sur le Canada ou le Groenland, sa politique commerciale, son rapport avec les grandes puissances (Chine, Russie) et ses alliés (européens ou Israël) ou l’Ukraine. La troisième partie s'attèle à montrer le monde tel qu’il est, souvent chaotique ou en conflits, marqué par la désinformation et le rejet du droit international, et comment il se positionne, réagit, face à ce « moment trumpien ». Quant à la dernière partie, elle demeure plus classique pour les habitués du Grand Atlas, et permet d’entrevoir le monde qui se dessine demain à travers les enjeux démographiques, environnementaux, énergétiques. L’an dernier, le monde s’inquiétait d’une potentielle victoire de Trump qui aurait pour effet d’accroître ce tourbillon et les lignes de fracture. Après neuf mois complètement déroutants, quelles sont les caractéristiques de son second mandat ? Ce second mandat se concentre sur l’objectif de la campagne de Trump : Make America Great Again (Rendre à l’Amérique sa grandeur). Cela passe par une guerre commerciale qui n’épargne pas les alliés européens, soupçonnés d’ « arnaquer » les Américains, et la signature de « deals » définissant les droits de douane à payer pour vendre sur le marché américain. Sur le territoire américain, le retour de la grandeur américaine correspond à un programme suprémaciste, où la blancheur de la peau, la foi chrétienne et la défense de ses valeurs sont au centre. Ainsi, depuis sa prise de pouvoir en janvier 2025, Donald Trump mène une politique répressive contre les migrants, qui se concrétise par des expulsions massives, la suspension du droit d’asile, des déploiements militaires et le bannissement de certains États, et au nom de la lutte contre le wokisme, il s’en prend également aux minorités sexuelles et plus particulièrement aux personnes transgenres. Tout cela est d’autant plus paradoxal, que Trump et son vice-président Vance ont épousé des « migrantes » naturalisées Américaines par leur mariage ! Cette politique de Trump est aujourd’hui dénoncée par un nombre croissant d’Américains qui y voit une dérive autoritaire du pouvoir. L’admiration que le président américain porte aux « hommes forts », tel Poutine, est indéniablement à prendre en compte dans sa conception du pouvoir, car déjà, elle guide ses positions erratiques vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie, et l’humiliation qu’il a fait subir au Président Zelensky, lors de sa visite à la Maison-Blanche en février dernier. D’un autre côté, la politique du « America First » induit un rejet de l’interventionnisme militaire et le volontarisme de Trump à vouloir faire la paix, mais, selon ses propres règles, celles d’un businessman et non d’un diplomate. Cela a fonctionné pour le cessez-le-feu à Gaza, mais pas (encore !)  pour l’Ukraine. Comme chaque année, vous évoquez les conflits les plus médiatisés, mais avez aussi à cœur d’aborder la Birmanie, le Soudan et l’Éthiopie, qui ont chacun fait plus de 10 000 morts, dans le plus grand des silences. Est-il plus que jamais plus difficile de faire la paix que la guerre ? Oui, en effet, et c’est déjà ce qu’avait dit Dominique de Villepin devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2003 pour s’opposer à l’intervention américaine en Irak : « N’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra préserver l’unité de l’Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectée par l’intrusion de la force. » Tout est dit : l’intrusion de la force déstabilise non seulement les rapports de force, mais également les équilibres politiques, économiques et sociaux, elle concourt également à l’esprit de vengeance et à l’éventuel retour de tensions et de conflits. Moins de 30% de la population vit sous un régime démocratique, contre 50% en 2004. À cela s’ajoute l’irrésistible ascension des partis autoritaires dans les démocraties. Comment expliquez-vous cette défaite du système démocratique ? Je ne parlerai pas véritablement de défaite, mais plutôt de faiblesse, de fragilité ou de vulnérabilité de la démocratie. C’est un régime politique qui peut disparaître, car ses fondamentaux, à savoir les libertés individuelles, l’état de droit sont rognés de l’intérieur par le pouvoir exécutif. C’est le cas aujourd’hui en Hongrie, que son Premier ministre, Viktor Orban définit aujourd’hui de démocratie illibérale, un terme qui souligne que derrière une façade démocratique marquée par des scrutins réguliers et pluralistes, l’état de droit et certaines libertés sont limités ou réduites. On en voit aujourd’hui les prémisses aux États-Unis de nos jours sous l’administration Trump. Son premier mandat avait déjà suscité des inquiétudes et la publication d’un ouvrage particulièrement précis sur les rouages qui mènent à l’affaiblissement démocratique, voire à l’autoritarisme : How Democracies die ( La Mort des démocraties , traduit chez Calman-Lévy) écrit en 2018 par Daniel Ziblatt et Steven Levitsky, deux politologues de Harvard. En tout état de cause, il est vraisemblable que la faillite des élites politiques à proposer une projection dans l’avenir, un programme défendant au-delà de valeurs et de principes un projet de société, inclusif et cohésif, a ouvert la voie aux populismes. Leurs discours simples voire simplistes donnent eux de l’espoir, et une réponse à des questionnements économiques, sociaux ou identitaires, que les médias et notamment les réseaux sociaux amplifient et polarisent. On l’a vu, les réseaux sociaux nuisent aux élections par le renforcement de la polarisation sans même évoquer la désinformation et l’absence de régulation de la liberté d’expression, puisqu’ils sont dominés par de grandes entreprises du numérique plus intéressées par les contenus publicitaires que démocratiques. L’an dernier, nous avions évoqué la situation des femmes dans le monde. En Afghanistan, ce sont les premières victimes des talibans, mais, contrairement à la fin des années 1990 et au début des années, la communauté internationale ne s’émeut guère de leur sort. Comment expliquer le recul général de la cause des femmes, au-delà de cet exemple extrême ? Est-ce un désintérêt pour le sort des femmes ou celui de l’Afghanistan ? Comme je le fais chaque année dans le Grand Atlas, je cherche à mettre en avant les conflits oubliés, qu’il s’agisse du Yémen, de la Birmanie, de la Syrie ou du Soudan. En 2024 et 2025, les médias ont concentré leurs grands titres à Gaza et la famine à Gaza, alors que la crise alimentaire est tout aussi grave au Soudan, sans que personne ne s’en occupe véritablement. Dans les deux cas, ce sont les populations civiles, femmes et enfants, qui sont les premières victimes. Les femmes sont les grandes oubliées de l’histoire, non seulement car celle-ci a d’abord été écrite par des hommes, mais aussi essentiellement parce qu'elle est dominée par eux, occultant les figures féminines. Les choses changent, les sciences sociales en Europe et en Amérique du Nord se sont grandement féminisées au cours des 30 dernières années et la vision « féministe » qu’elles inaugurent permet de changer de regard, d’optique sur le monde, sur les sociétés, ouvrant des perspectives réflexives stimulantes. Tant que les politiques ne s’en mêlent pas ! La cause des femmes dans de nombreux pays reste malheureusement celle d’une condition sociale inférieure aux hommes, dont l’Afghanistan est sans doute le cas extrême aujourd’hui, car comme le rappelle le philosophe Olivier Roy, elles « font peur » aux Talibans tant elles leur sont étrangères à tout point de vue. Ailleurs, et notamment sous l’administration Trump, le conservatisme chrétien ambiant conduit à un retrait « volontaire » des femmes de la société américaine pour endosser le rôle unique de mère et de gestionnaire du foyer. Vous maintenez une partie prospective dans laquelle on retrouve plusieurs défis environnementaux, mais aussi l’IA. Dans quelle mesure participe-t-elle à la course à la puissance et bouleverse-t-elle la géopolitique ? En 2017, Vladimir Poutine déclarait que « celui qui deviendra leader dans ce domaine sera le maître du monde ». Au-delà du fantasme, c’est la capacité des États à accroître leur compétitivité et leur productivité dans tous les secteurs grâce à l’IA, créant de nouveaux rapports de force économiques et géopolitiques, mais surtout à s’adapter aux bouleversements sociaux que le remplacement de l’homme par des machines « hyperperformantes » induira en termes d’emploi, de formation et compétences, qui seront sans aucun doute les agrégats de la puissance de demain. Force est de constater que d’ores et déjà l’IA exacerbe la compétition entre grandes puissances, avant tout les États-Unis et la Chine. La mise sur le marché en janvier 2025 de DeepSeek, un équivalent chinois très performant et moins cher de ChatGPT, a ébranlé la Silicon Valley et fait chuter les valeurs du numérique de Wall Street. Le fabricant américain des semi-conducteurs (indispensables à l’IA), Nvidia, a vu sa cote chuter de 17% en une journée. Pour le chercheur associé à l’IRIS Charles Thibout, la capacité de l’acteur chinois à obtenir des niveaux de performance comparable aux entreprises américaines, pour une puissance de calcul et de consommation énergétique bien moindres est « un véritable tour de force » et le « prélude à une compétition technologique internationale ». Les États-Unis s’y préparent activement avec le projet Stargate dévoilé par le président Trump dès sa prise de fonction, un plan d’investissement de 500 milliards de dollars visant à la construction d’infrastructures physiques et virtuelles nécessaires à la prochaine génération d’IA. L’ambition de ce projet est de conserver la suprématie américaine dans l’écosystème mondial de l’IA face à la concurrence internationale, avant toute chinoise (avec Alibaba, Baidu et Tencent).

26.10.2025 à 09:00

Non, baisser le coût du travail ne crée pas d'emplois

Clément Carbonnier, professeur d’économie à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, s’était déjà fait remarquer il y a trois ans avec la publication, aux côtés de Bruno Palier, de Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord  (PUF, 2022). Son nouvel ouvrage, intitulé Toujours moins ! L'obsession du coût du travail ou l'impasse stratégique du capitalisme français , à la fois bien écrit et très clair, est une excellente et importante contribution au débat politique et économique sur la baisse du coût du travail. Il propose un regard critique sur la politique de l’offre – cette stratégie qui prétend concilier la réduction du coût du travail pour les employeurs, des revenus décents pour les travailleurs et une limitation de la charge correspondante pour les finances publiques. Une équation séduisante, mais qui repose sur l’hypothèse que la baisse du coût du travail favorise la création d’emplois. Or, comme le montre l’auteur, de manière convaincante, cette hypothèse ne se vérifie pas. La politique de l’offre se heurte ainsi à un véritable « triangle d’impossibilité » – un schéma connu en économie –, dont les tensions récentes sur les finances publiques ont encore accentué les contraintes. Il serait ainsi temps d’explorer d’autres voies. Cependant, après quarante ans de politiques centrées sur la réduction du coût du travail, un changement de cap exigerait une transformation en profondeur de notre organisation économique. Une telle transition ne produirait pas de résultats immédiats, ses effets positifs ne pouvant être que progressifs… Ce constat soulève aussi la question de la finalité de la stratégie de baisse du coût du travail. Contrairement à ce qu’affirme l’économie dominante et une partie du monde politique, cette orientation ne saurait être considérée comme neutre : elle relève d’un choix politique, au cœur du débat sur un partage plus équitable de la valeur.   Nonfiction : Les patrons comme les responsables politiques le répètent à l’envi : il faut baisser le coût du travail, pour résorber le chômage et soutenir la croissance. Mais on s’y emploie depuis quarante ans et force est de constater que cela ne fonctionne pas. Avant d’en venir à la démonstration, pourriez-vous expliciter la conception politique et économique que présuppose la stratégie de baisse du coût du travail, en particulier du travail peu qualifié ? Et comment cette politique jongle entre le coût du travail pour les employeurs, les revenus des travailleurs et les contraintes sur les finances publiques ? Clément Carbonnier : L’idée derrière cette stratégie de politique de l’emploi est assez simple. C’est la vision du marché du travail comme un marché normal, dans lequel la marchandise serait la force de travail, vendue par les travailleurs aux employeurs. Dans cette fiction, si la marchandise est moins chère, les employeurs en achètent plus. Le problème est que la sphère de la production ne fonctionne pas de cette manière simpliste. En particulier, les facteurs de production sont complémentaires et les décisions se font au niveau de la chaine de production dans son ensemble, et non au niveau de chaque employé individuellement selon son niveau de salaire. Pour donner une idée, si le prix de la farine augmente, les boulangers ne vont pas faire du pain avec plus de levure et d’eau et moins de farine. Ils vont continuer à utiliser autant de farine et reporter leurs coûts : soit sur leurs marges, soit sur des primes aux salariés, soit sur certains de leurs prix.   Par ailleurs, si on souhaite effectivement que les employeurs ne paient pas trop cher la force de travail qu’ils utilisent, soit les niveaux de vie des travailleurs doivent être faibles soit il faut que quelqu’un paie à la place des employeurs. En France en l’occurrence, c’est l’État qui a beaucoup pris à sa charge les rémunérations des travailleurs du privé, à travers les allègements de cotisations et la prime d’activité notamment. Cela n’a pas totalement empêché la stagnation des salaires, et a surtout coûté très cher aux finances publiques, qui sont aujourd’hui particulièrement en tension. Trois axes, expliquez-vous, ont successivement été mis en œuvre dans le cadre de cette stratégie : un transfert du financement de la sécurité sociale, la maîtrise des coûts de la protection sociale et enfin une amorce de modération salariale. Mais ces axes ont alors eux-mêmes appelé des mesures visant à en corriger certains effets, si bien que finalement, c’est ainsi l’essentiel de la politique économique qui s’est trouvée dépendre de cette stratégie de réduction du coût du travail. Pourriez-vous en dire un mot ? Effectivement, cette stratégie de baisse du coût du travail s’est étendue à une grande variété d’interventions publiques, jusqu’à contaminer la majeure partie des politiques économiques françaises. Je montre dans mon livre le lien entre un grand nombre de réformes ces quarante dernières années et cette stratégie de baisse du coût du travail. Initiée à travers des réformes du financement de la sécurité sociale, cette stratégie visait au départ à ne pas trop modifier les salaires et à la protection sociale. Mais elle s’est avérée coûteuse en fonds publics. Pour aller plus loin dans cette baisse du coût du travail, les gouvernements ont cherché à limiter les dépenses de protection sociale. Les réformes successives des retraites   se sont inscrites dans cette logique et leurs initiateurs ont fait directement référence au coût du travail. Les réformes de la santé ont été plus variées et parfois moins visibles, mais ont également eu de forts impacts, notamment sur les inégalités d’accès aux soins. Cela a amené les pouvoirs publics à mettre en place de multiples dispositifs d’aides à la complémentaire santé. Enfin, plus récemment, des lois et ordonnances ont modifié le cadre de la négociation collective, ce qui a conduit à une détérioration des conditions de travail et une stagnation des salaires. Notamment, en décentralisant les négociations au niveau de chaque entreprise, on renforce la concurrence sociale entre entreprises alors que les négociations au niveau de la branche peuvent permettre de mettre en place des règles du jeu de la concurrence pour éviter une course au moins-disant social. De plus, les réformes de l’assurance chômage, outre l’effet direct sur les conditions de vie des allocataires, ont fortement diminué le pouvoir de négociation des travailleurs, au détriment des conditions de travail et des salaires. Et pourtant, nonobstant les affirmations des responsables politiques de tous bords, cette politique de baisse du coût du travail ne crée pas ou très peu d’emplois, expliquez-vous. On n’observe pas de lien macroéconomique entre le coût du travail et l’emploi et les évaluations qui ont pu être faites des allégements de cotisations montrent des effets nuls ou très faibles. Enfin, les études internationales confortent l’absence d’effet sur l’emploi du coût du travail. Pour autant, cette connaissance n’infuse pas jusqu’aux prises de décisions et était jusqu'ici largement absente du débat public. Comment se l’expliquer ? Il n’est pas tout à fait exact de dire que l’accumulation des preuves empiriques de l’inefficacité de cette stratégie n’aurait pas d’effets sur le débat public. Par exemple, on entend de plus en plus de critiques sur les dépenses publiques d’aides aux entreprises, dont les allègements de cotisation prennent une part substantielle. Certains défenseurs de ces politiques reconnaissent même aujourd’hui qu’on serait allé trop loin, ou du moins qu’il est inutile de renforcer encore ces dispositifs. Certes, ils ne proposent pas encore de revenir en arrière, mais cela acte déjà un changement. J’ai l’impression que ces critiques, aussi modestes soient-elles, n’étaient pas du tout audibles il y a encore 10 ans. D’ailleurs, même si cela reste très léger, les projets de lois de financement de la sécurité sociale pour 2025 et 2026 discutent de petites diminutions des allègements de cotisations. Je montre dans le livre que si ces politiques n’ont certes pas d’impact positif sur l’emploi, ni en termes de création nette ni en termes de sauvegarde, elles ne sont pas sans effets pour autant. Elles ont des effets inégalitaires marqués, qui sont constitués à la fois de pertes pour les moins avantagés, mais aussi de gains pour les plus avantagés : les propriétaires du patrimoine financier et les salariés les plus qualifiés. Nous avons ainsi pu montrer, dans l’évaluation que nous avons menée, que le CICE n’avait pas créé d’emploi, ni n’avait conduit à des investissements supplémentaires ou des hausses des ventes (qui auraient pu être permises par des baisses de prix), mais qu’il avait constitué une manne financière partagée entre des hausses des marges pour les employeurs et des hausses de rémunération pour les salariés les plus qualifiés. La défense des intérêts des gagnants à ces politiques participe certainement de la résistance de cette stratégie pourtant inefficace sur le front de l’emploi. Il existe des alternatives, expliquez-vous, qui seraient susceptibles d’avoir de meilleurs résultats en matière de création d’emplois et de croissance, mais qui restent de ce fait inexplorées, comme l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages et la réorientation des fonds publics vers des investissements utiles, dans des politiques d’éducation, de formation et de santé, et dans des infrastructures et technologie de pointe. Comment évaluer ces résultats ? Où conviendrait-il d’orienter les efforts ? On observe effectivement de multiples secteurs dont l’activité manque en France, principalement faute de rentabilité marchande. Alors, plutôt que de subventionner les entreprises privées en espérant que cela rende ces secteurs rentables, il vaut mieux directement financer les emplois pour produire publiquement ces services dont on manque. Concernant les emplois à bas salaires, puisque c’est sur eux que s’est focalisée la politique, on peut citer l’ensemble du secteur des soins, médicaux et non médicaux. Il y a en particulier la question de la prise en charge de la perte d’autonomie, liée au vieillissement de la population, et la question de la garde d’enfant, qui pénalise encore aujourd’hui fortement les carrières professionnelles des mères des classes moyennes et populaires. Non seulement la réorientation des dépenses publiques vers ces secteurs créerait plus d’emplois directement, mais elle génèrerait aussi une activité utile qui aurait des effets positifs sur le reste de l’économie. Par ailleurs, si on regarde spécifiquement les besoins des entreprises privées, ce n’est pas en baissant leur masse salariale qu’on les aide le mieux. Le pouvoir d’exportation de la France ne peut pas grandir en tentant de concurrencer la Chine en prix, et même de grosses baisses de salaires ne suffiraient pas. Ce qu’il faut, c’est de la qualité et de l’innovation. Or, mettre à disposition des entreprises un socle important d’innovations fondamentales à développer est plus efficace que financer directement la R&D des entreprises privées en atrophiant le financement public à la recherche fondamentale. De plus, la majeure partie des entreprises françaises vend très majoritairement, voire exclusivement, en France. Ces entreprises ont donc besoin d’une demande solvable pour avoir des débouchés. Dans ce sens, des politiques de soutien aux salaires peuvent avoir des effets indirects bénéfiques aux entreprises. Enfin et surtout, que ce soient les entreprises exportatrices ou celles vendant localement, elles ont besoin d’une main d’œuvre bien formée, en bonne santé, et qui bénéficie de conditions de travail dans lesquelles elle peut être productive. Dans ce sens encore, c’est à l’opposé de la stratégie de baisse du coût du travail qu’il faut s’orienter.

24.10.2025 à 10:00

Débat – Le travail et la société française

* L' APSE *, partenaire de Nonfiction, a organisé le mercredi 24 septembre 2025 une rencontre-débat gratuite en ligne, ouverte à toutes et tous. La captation vidéo est désormais disponible, en bas de cet article.   Le monde du travail connait d’importantes transformations, ce qui oblige les sciences humaines et sociales à aborder autrement la question du travail, par des regards croisés entre disciplines pour éclairer la diversité des situations de  travail, notamment en France.  Lors de cette rencontre-débat en ligne, il s'agira d'interroger collectivement des défis, leviers d’action et pratiques concrètes dans des contextes emblématiques du monde du travail contemporain. Trois thèmes d’actualité  ont été retenus pour une discussion avec des contributrices et contributeurs du livre Le travail et la société française (CNRS, 2024), ainsi qu'avec les participantes et participants en ligne. – Le thème  Intelligence Artificielle (IA) et futur du travail  sera abordé par le regard d’ Ewan Oiry, professeur en GRH à l’IAE de Lyon, mis en débat par Grégory Lévis, président de l’APSE. – Puis la question du travail soutenable  sera abordé à travers les réflexions de Corinne Gaudart , directrice de recherches au CNRS, mises en débat par Dominique Massoni , présidente de l’ITMD (Institut du Travail et du Management Durable). – Et enfin, la thématique des jeunes et du travail  sera abordée par Thierry Berthet, directeur de recherches au CNRS, et mise en débat par Julien Hallais , co-président de l’Afci (Association française de communication interne). Cette rencontre sera également l’occasion de présenter la structure générale du livre Le travail et la société française (CNRS, 2024), qui donne à voir les grands défis liés aux transformations du travail et la manière dont la recherche s’en saisit en France depuis trente ans. Ces croisements entre disciplines et questions sociétales éclairent en profondeur la diversité des mondes du travail en France. Ils sont par ailleurs complétés par un livre blanc, qui présente un bilan de trois décennies de recherches en sciences sociales sur le travail, et formule un certain nombre de propositions pour les structurer et les revitaliser. Cet évènement est gratuit. Toutefois, l’inscription préalable est nécessaire pour recevoir le lien de visioconférence. Plus d'informations sur le site internet de l'APSE en cliquant ici . La captation de cet évènement est disponible ici :   --- (*) L' Association Pour la Sociologie de l'Entreprise (APSE) , fondée en 1998 par le sociologue Renaud Sainsaulieu, est une association d'intérêt général réunissant chercheurs, sociologues en entreprise, étudiants et professionnels. Elle organise depuis près de 30 ans des rencontres régulières sur les usages de la sociologie dans le monde économique afin de mieux comprendre les situations de travail et les entreprises pour contribuer à les transformer.  
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