01.07.2025 à 15:43
Erik Satie : les 100 ans de la mort du musicien-philosophe
À l’occasion du centenaire du décès du musicien et compositeur Erik Satie, nous vous invitons à découvrir l’écrivain qu’il a aussi été à travers l’anthologie de ses textes que vient de publier le compositeur et musicologue Karol Beffa sous le titre Erik Satie de A à Z. Un musicien à la plume fantasque (Flammarion).
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« Mon rêve : être joué n’importe où, mais pas à l’Opéra », écrit Erik Satie. Célèbre pour ses musiques – les Gymnopédies (1888) ou encore les Gnossiennes (1890) –, le compositeur l’est moins pour ses textes. C’est cette autre musique de Satie qu’a voulu faire entendre le pianiste, compositeur et musicologue Karol Beffa en les réunissant dans une anthologie publiée à l’occasion des 100 ans de son décès, Erik Satie de A à Z. Un musicien à la plume fantasque. Le compositeur était régulièrement sollicité par les éditeurs de revue pour sa plume et publiait des « articles », qu’il qualifiait de « causeries », de « divagations » ou encore de « papillons ». Les écrits choisis sont, pour la plupart, des textes en tous genres réunis et publiés à titre posthume, en 1977, par la musicologue et biographe de Satie, Ornella Volta. Ils révèlent une langue malicieuse, cocasse et aphoristique, ainsi qu’une personnalité hors norme, irrévérencieuse et pétrie d’autodérision.
Du “Chat noir” à l’avant-garde
Ma « musique n’a aucun sens et provoque le rire et le haussement d’épaules », affirme Satie dans une lettre, assumant son avant-gardisme musical. S’il a connu des débuts difficiles en tant que pianiste dans les cabarets de Montmartre, notamment au Chat noir, le compositeur a été célébré par les artistes de son temps – Pablo Picasso, Jean Cocteau, Francis Picabia, Tristan Tzara… Le ballet Parade (1917) est une belle illustration de collaboration artistique avec Cocteau, qui en a écrit le thème, Pablo Picasso, qui en a réalisé la scénographie, Léonide Massine des Ballets russes, qui l’a chorégraphié et Guillaume Apollinaire, qui en a conçu le programme. Ce dernier y décèle une tonalité « sur-réaliste » et encense « un esprit nouveau qui se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs dans l’allégresse universelle ».
“Comme dans un problème philosophique, Erik Satie investit l’auditeur de la charge de la tension, l’obligeant à en chercher une issue, un dépassement”
Erik Satie était-il un musicien philosophe autant qu’un « musicien humoriste », formule que l’on doit à son confrère Georges Auric dans la Revue française ? Si Satie ne s’est jamais revendiqué comme tel, la lecture de l’anthologie de Karol Beffa tend à le suggérer. D’abord, en tant qu’il est l’instigateur d’une musique dite « conceptuelle », « graphique » ou encore « minimaliste », il mène une réflexion très moderne sur la nature de la musique, qui offre avec lui une place plus importante à l’auditeur. Karol Beffa note : « Ce langage musical met en jeu un travail d’harmonie grâce aux enchaînements de septièmes et de neuvièmes qui suspendent la tension, laissant à l’auditeur le soin d’en décider ou non la résolution. » Comme dans un problème philosophique, Erik Satie investit l’auditeur de la charge de la tension, l’obligeant à en chercher une issue, un dépassement.
“Vive Platon !”
Ensuite, au milieu de cet héritage foisonnant, Erik Satie nous laisse une pièce philosophique composée en 1917-1918, qui porte sobrement le titre de Socrate. Ce drame polyphonique retrace la vie du philosophe à travers des extraits chantés des œuvres de Platon (Le Banquet, Phèdre et Phédon) dans la traduction intégrale réalisée par le philosophe et homme politique Victor Cousin. Visiblement très enthousiasmé par sa création, Erik Satie s’exclame dans une lettre : « Vive Platon ! Vive Victor Cousin ! Je suis libre ! très libre ! Quel bonheur ! »
Enfin, c’est la personnalité même de Satie qui semble nous être tendue comme une énigme. Le philosophe et musicien Vladimir Jankélévitch (1903-1985), qui a consacré à son compositeur de prédilection un essai intitulé Le Nocturne. Fauré, Chopin et la nuit, Satie et le matin (1957), nous fournit une clé de lecture. Au micro de la productrice de radio Claude Maupomé, le 11 octobre 1972, il suggère que les Airs à faire fuir (1897) ont un titre trompeur par lequel Satie cherche à mieux nous retenir, soulignant toute sa difficulté à intéresser le public. De même, s’il compose les Nocturnes (1919), c’est pour « chercher la nuit » ! « Homme problématique » pour Jankélévitch, « le paradoxe fait homme » pour Karol Beffa, Satie continue cent ans après sa mort de nous fasciner par son art de l’antiphrase.
POUR ALLER PLUS LOIN
➤ Réécouter l’émission Dits et écrits sur la musique, enregistrée le 11 octobre 1972 et archivée sur le site de France Musique, dans laquelle le philosophe Vladimir Jankélévitvh analyse l’homme et l’artiste Erik Satie.
➤ Relire notre article La journée d’un mélomane sur les temporalités musicales.
➤ Lire Erik Satie de A à Z. Un musicien à la plume fantasque, de Karol Beffa (Flammarion).
