10.10.2025 à 15:31
QSPTAG #324 — 10 octobre 2025
Texte intégral (1084 mots)
Bonjour à toutes et à tous,
cette semaine, on revient sur le parcours législatif du règlement de Chat Control, et on se réjouit de la publication du livre Caméras sous surveillance, écrit par un membre de La Quadrature, qui se penche sur l’histoire discrète, méconnue et jamais racontée de la résistance contre les caméras de surveillance dans nos rues.
Bonne fin de semaine et bonne lecture à vous !
Alex, Bastien, Eva, Félix, Marne, Mathieu, Myriam, Noémie, Nono et Vi
Chat revient et Chat s’en va
On en parlait déjà le mois dernier, le projet de règlement Chat Control continue son cheminement législatif dans le long couloir des institutions européennes. Ce mois-ci, les gouvernements des États membres, réunis dans le Conseil européen qui est une des trois grandes instances décisionnaires avec le Parlement et la Commission, devaient prendre une décision : pour ou contre ce texte et ses mesures très controversées pour le chiffrement des communications. La réunion du Conseil devait se tenir le 14 octobre prochain, et notre article du 3 octobre expliquait en détails les mesures envisagées et les enjeux du vote.
Nous disions aussi que rien n’était encore franchement arrêté : certains États sont « pour » de façon certaine (la France notamment) et d’autres sont « contre », mais il restait des États indécis, dont l’Allemagne, qui pèse dans le game. Aux dernières nouvelles, la pression publique aurait fait basculer la position allemande vers le rejet des mesures liberticides. Vous pouvez lire dans cet article en anglais une explication de la position allemande et le rôle joué par la coalition EDRi (dont La Quadrature est membre) dans la mobilisation contre Chat Control. En raison du rejet probable du texte, le vote du Conseil est reporté au mois de décembre. Pourquoi ne pas acter son rejet ? C’est une des bizarreries de la démocratie communautaire : pour repousser un texte, on l’ajourne indéfiniment jusqu’à ce qu’il tombe dans l’oubli. C’est tout le mal qu’on souhaite à Chat Control.
Notre article du 3 octobre : Chat Control : on fait le point
Notre commentaire du 9 octobre après l’ajournement de la décision
La communauté invisible contre l’œil de Sauron
Martin Drago est un suspect connu : il a été salarié de la Quadrature, il a longtemps porté la campagne Technopolice contre la surveillance urbaine et la VSA, et il est toujours membre de l’association. Il publie ce mois d’octobre un nouveau livre sur les caméras de vidéosurveillance – mais en décalant le regard. Après un rappel rapide des origines et du déploiement massif de la vidéosurveillance, Caméras sous surveillance pose la question candide qui guide souvent les historiens inventifs : qui s’est opposé à ces caméras, et comment ?
Alors on part dans un voyage temporel et très dépaysant où des employés municipaux refusent d’installer des caméras, où des députés expriment la crainte qu’on puisse « surveiller les ouvriers et les ouvrières dans les ateliers », où un tribunal administratif peut annuler l’installation de caméras au motif qu’elles portent « une atteinte excessive aux libertés individuelles » et où un vice-président de la CNIL peut affirmer la nécessité de préserver « un espace de fraude sans lequel il n’existe pas […] de démocratie ». Quel étrange et beau pays, la France d’il y a trente ans… On écrit ensemble les futurs chapitres de l’histoire ?
L’annonce du 8 octobre : Parution du livre « Caméras sous surveillance »
Commander le livre ou le lire en ligne : Éditions terres de Feu
Campagne de soutien 2025
Notre campagne de soutien pour 2025 est toujours ouverte ! Nous avons récolté environ 85% de notre objectif pour l’année. En comptant les dons mensuels à venir d’ici à la fin de l’année, on pense arriver environ à 90% de l’objectif. Il manquera des sous. Aidez-nous à boucler le budget 2025 ! Vous pouvez nous faire un don sur notre site.
Agenda
- 9 octobre 2025 : causerie mensuelle du groupe Technopolice Marseille, à partir de 19h au Manifesten, 59 rue Adolphe Thiers, 13001 Marseille.
- 9 octobre 2025 : réunion du groupe Technopolice Lyon, à partir de 19h à La Luttine, 91 rue Montesquieu, 69007 Lyon.
- 3 novembre 2025 : conférence Technopolice à partir de 18h45 à l’Université populaire de Marseille, 61 la Canebière, 13001 Marseille.
- 5 novembre 2025 : réunion mensuelle du groupe Technopolice Paris-Banlieue, à partir de 19h au Bar Commun, 135 rue des Poissoniers, 75018 Paris.
- Retrouvez tout l’agenda en ligne.
La Quadrature dans les médias
Divers
- La fin du chiffrement en Europe ? Un vote crucial arrive et pourrait sceller le sort de Signal et WhatsApp [Numerama]
- Chat Control : comment l’Union Européenne veut imposer la surveillance de masse dans tous les États membres [Contre Attaque]
- À Marseille, la prolifération des data centers crée des tensions [Le Nouvel Obs]
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Datalove
08.10.2025 à 11:59
Parution du livre « Caméras sous surveillance »
Lire plus (333 mots)
Le livre Caméras sous surveillance – Luttes contre l’œil électronique est paru cette semaine aux éditions Terres de feu. Écrit par Martin Drago, membre de La Quadrature du Net, l’ouvrage s’intéresse aux personnes et collectifs qui ont refusé les caméras de vidéosurveillance, en mettant en lumière cette résistance qui persiste : multiple, artistique, locale et internationale, inspirante pour les combats à mener.
Il y a 30 ans était promulguée la loi « d’orientation et de programmation relative à la sécurité » qui autorisait en France le déploiement sur la voie publique des caméras de vidéosurveillance. Comme c’est le cas pour chaque loi sécuritaire, il ne s’agissait évidemment pas d’un quelconque encadrement ou limitation de l’usage des caméras, mais bien d’une normalisation, la première étape officielle d’une surveillance vidéo à grande échelle du territoire français. C’est aussi la couche nécessaire à l’avènement de la Technopolice contre laquelle La Quadrature du Net et de multiples collectifs et personnes luttent aujourd’hui.
Le livre paru cette semaine revient sur l’historique du déploiement de la vidéosurveillance en France, depuis son invention dans les années 40 en passant par sa légalisation en 1995. Il s’intéresse particulièrement aux mouvements qui ont lutté contre ces dispositifs, leurs victoires, leurs outils, leurs arguments et aux forces que ces organisations ont dû affronter – entre État sécuritaire et lobbies avides d’un nouveau marché.
« Refuser que les caméras deviennent un détail architectural de notre quotidien et en refaire un objet politique contesté, tel est l’un des enjeux de cet ouvrage »
Le lien vers le site des éditions Terres de Feu, avec un accès libre au PDF : Caméras sous surveillance
03.10.2025 à 14:19
Chat Control : on fait le point
Texte intégral (1954 mots)
Ceci est une traduction de l’article « Chat Control: What is actually going on? » publié le 24 septembre 2025 par EDRi, réseau d’associations européennes dont La Quadrature du Net fait partie.
Chat Control : de quoi s’agit-il ?
Au cours de l’été 2025, le dossier « Chat Control » est devenu un sujet brûlant dans le débat public. Lors d’un vote très important, le 14 octobre prochain, les gouvernements des États membres de l’UE décideront d’approuver ou de rejeter un texte qui veut instaurer une surveillance de masse, briser le chiffrement des communications et mettre fin à l’anonymat en ligne : le règlement CSAR. Mais nous avons encore une bonne occasion d’empêcher l’adoption de ces mesures qui contrôleraient nos conversations, car le système législatif européen nous laisse encore des possibilités de contrepouvoirs démocratiques.
Durant l’été 2025, le sujet des libertés numériques a percé la bulle du microcosme législatif européen pour devenir un sujet de conversation pour les législateurs nationaux, les influenceurs en ligne, et même pour les apéros entre amis et les dîners en famille. Tout ça à cause d’une proposition de règlement européen appelée « Chat Control ».
Chat Control a suscité un grand intérêt sur les réseaux sociaux et dans le débat public, à juste titre, en raison de plusieurs mesures draconiennes. De nombreuses voix ont dénoncé les atteintes particulières aux droits des journalistes, des communautés LGBTQIA+, des parents qui partagent leurs photos de famille, des avocats, et même des enfants eux-mêmes – que ce texte est pourtant censé protéger.
Mais heureusement, il est encore possible de faire bouger les choses au sein de l’UE pour lutter contre ce texte de loi, lisez la suite pour voir comment vous pouvez contribuer à aider !
« Chat Control » est en réalité le surnom d’un projet de règlement européen « établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants », baptisé « Child Sexual Abuse Regulation » ou CSAR en anglais. Depuis sa présentation en 2022 par l’ex-commissaire européenne Ylva Johanssson, très controversée, EDRi et sa campagne Stop Scanning Me ont démontré qu’en dépit de son objectif annoncé de traquer les contenus pédocriminels en ligne, le projet n’est ni légitime ni réaliste.
Que contient le projet de loi « Chat Control » ?
1. D’après le projet de règlement, les communications privées de tout un chacun pourraient être scannées à l’aide de filtres douteux fondés sur de l’intelligence artificielle, pour voir si les messages contiendraient des contenus pédopornographiques. Il s’agit là d’un cas parfait de surveillance de masse qui, en plus d’être contraire au principe de la présomption d’innocence, n’est pas très efficace d’un point de vue mathématique. La Commission prétend que l’analyse resterait ciblée, mais nous expliquons ici pourquoi cela est faux.
2. La proposition exige que ce scan soit effectué par tous les services de messagerie chiffrés de bout en bout, tels que WhatsApp et Signal. Tous les spécialistes tech du monde entier sont catégoriques, une telle analyse ne pourrait pas se faire sans compromettre l’intégrité même des services chiffrés. Cela reviendrait à déployer un logiciel espion personnalisé sur les appareils de millions de personnes (ordinateurs ou téléphones). En plus d’être un cauchemar en matière de cybersécurité (à tel point que même les agences de renseignement mettent en garde contre cette mesure !), l’ONU et la Cour européenne des droits de l’Homme ont rappelé que compromettre le chiffrement constituerait une violation massive du droit à la vie privée de chacun.
3. Pour se conformer à cette proposition, les services de communication en ligne devraient probablement exiger que les utilisateurs se soumettent d’abord à une vérification d’âge. Il a pourtant été démontré que tous les outils actuels de vérification d’âge constituent une menace pour la liberté d’expression, l’indépendance et le droit à la vie privée. Par conséquent, de telles mesures risqueraient d’exclure systématiquement les personnes qui ne possèdent pas de documents d’identité numériques et pourraient également signer la fin de l’anonymat en ligne. Cela mettrait également en danger de nombreuses personnes : les lanceur·euses d’alerte, les militant·es, les personnes qui ont besoin de soins de santé, etc.
En bref, l’impact négatif de Chat Control sur la démocratie serait sans précédent. Et en légitimant ces pratiques dangereuses, l’UE enverrait au reste du monde un signal indiquant que la confidentialité des communications en ligne n’existe plus.
Pourquoi Chat Control est-il soudainement devenu un sujet d’actualité ?
Le 14 octobre 2025, le Conseil de l’UE (le regroupement des gouvernements des États membres de l’UE) votera sur le règlement CSAR. Ce vote encourage malheureusement les pays de l’UE à prendre officiellement position en faveur de ce texte.
Cependant, le projet Chat Control devra encore franchir plusieurs obstacles législatifs avant de pouvoir entrer en vigueur. Il n’a même pas encore atteint le stade des négociations finales (appelées « trilogues ») et il est possible qu’il n’y arrive même pas. En effet, le droit européen prévoit une série de contre-pouvoirs visant à garantir que les projets de loi soient examinés démocratiquement, et bon nombre de nos législateurs sont heureusement à l’écoute des arguments qui sont avancés.
L’importance des contre-pouvoirs démocratiques de l’UE
L’un de ces principaux contre-pouvoirs est que le Parlement européen, qui jouera un rôle majeur dans les négociations finales, a adopté une position forte sur ce texte en 2023. Avec l’accord de député·es venant de l’ensemble de l’éventail politique, le Parlement a adopté une position qui exclut la surveillance de masse, garantit que le chiffrement ne serait pas compromis et fixe des critères stricts quant à l’utilisation excessive des outils de vérification d’âge. Cela a son importance, car si le Conseil adopte une mauvaise position, nous compterons sur le Parlement pour nous protéger contre Chat Control pendant les trilogues. Cependant, le Parlement a historiquement moins de pouvoir dans ces négociations et le député rapporteur a laissé entendre qu’il pourrait assouplir sa position sur le chiffrement. Il est donc plus important que jamais que le Parlement tienne sa position.
Une autre bonne nouvelle est que, même après trois ans de discussions intenses, les gouvernements des pays de l’UE ne parviennent toujours pas à se mettre d’accord sur la marche à suivre. Si certains pays favorables à la surveillance des communications, comme la Hongrie, l’Irlande, l’Espagne et le Danemark, ont soutenu sans faiblir les mesures d’analyse de masse des contenus et de contournement du chiffrement, de nombreux autres pays se sont inquiétés à juste titre. Par exemple, le Luxembourg, l’Autriche, l’Allemagne et la Pologne se sont toujours opposés à Chat Control et d’autres pays comme les Pays-Bas, la Slovénie, la Finlande, la Belgique, la République tchèque et l’Estonie ont tous pris position contre ou se sont abstenus à divers moments.
[Ajout de La Quadrature : Après avoir été contre le texte, puis s’être abstenue, la France risque désormais désormais de voter en faveur du texte.]
Mais nous savons aussi que le département des affaires intérieures de la Commission européenne (qui a été un acteur notoire dans la promotion du texte, et ce, de façon illégale) a tout fait pour que les États membres la suivent dans ses plans au sein du Conseil. La rumeur dit que certains pays, notamment l’Allemagne, ont fait l’objet de pression pour « abandonner » dans le dossier Chat Control. C’est pourquoi ce vote d’octobre sera décisif.
Que pouvez-vous faire maintenant ?
Le moment est venu pour que les citoyens de toute l’UE fassent entendre leur voix. Faire entendre aux eurodéputé·es que nous soutenons la position du Parlement leur sera utile pour les éventuelles négociations futures. Plus encore, les gouvernements des États membres de l’UE doivent absolument entendre l’opposition populaire à toute mesure qui reviendrait à contrôler et surveiller les conversations. Le droit européen et international les oblige à s’opposer au règlement CSAR puisqu’il ne protège ni nos droits, ni nos libertés, ni notre sécurité. Le texte actuel du Conseil qui fera l’objet d’un vote en octobre est très loin de remplir ces objectifs.
Signez la pétition de la campagne Stop Scanning Me [coordonnée par le réseau EDRi, à l’origine de l’article et dont La Quadrature du Net fait partie] et rejoignez les milliers de personnes qui s’opposent à cette atteinte à la sécurité de nos communications. Dès que notre pétition aura atteint le seuil nécessaire, nous la remettrons aux décideurs politiques, comme nous l’avons déjà fait par le passé.
26.09.2025 à 20:29
QSPTAG #323 — 26 septembre 2025
Texte intégral (1254 mots)
Bonjour à toutes et à tous,
cette semaine, pendant que d’autres découvrent un peu trop tard les défauts de la notion pénale d’« association de malfaiteurs » dont nous avions dénoncé les effets pervers, revenons sur l’augmentation continue des pouvoirs de la police, et sur deux aspects particuliers que la justice ne vient pas équilibrer.
D’abord, les pratiques de surveillance lors de la garde à vue après une manifestation politique – vous trouverez quelques conseils pour vous en prémunir.
Ensuite, la bonne vieille délation consistant à cafter auprès de la CAF, après une interpellation ou un contrôle de police, pour déclencher des contrôles des droits sociaux, sans aucun rapport avec une quelconque infraction ou sa judiciarisation éventuelle.
Bonne fin de semaine et bonne lecture à vous !
Alex, Bastien, Eva, Félix, Marne, Mathieu, Myriam, Noémie, Nono et Vi
La police dénonce les allocataires de la CAF
La droite sarkozyste, complaisamment relayée par l’extrême droite, a réussi à imposer dans le débat public l’idée que les délinquants devaient être privés de leurs droits sociaux (allocations, revenus minimums, etc.). Cela s’est traduit par la possibilité légale pour la police de signaler par exemple à la caisse d’allocations familiales (CAF) une personne pour déclencher un contrôle de ses droits. Dans le discours public, cela permet de supprimer les allocations ou le RSA d’un dealer dont les revenus dépasseraient en réalité de loin ceux qu’il a déclarés. Dans la réalité, les abus sont nombreux – on pense par exemple à l’histoire de cette femme venue se plaindre de violences conjugales, et que les policiers ont « signalée » auprès de la CAF pour vérifier si elle n’avait pas faussement déclaré vivre seule.
Dans le cadre de notre travail sur les algorithmes de contrôle social et de notre travail sur la répression des militant·es politiques, nous avons constaté plusieurs cas d’abus comparables. Pour documenter cet aspect de la question, nous lançons un appel à témoignages : si vous pensez que votre contrôle CAF est lié à une interaction récente avec la police, écrivez-nous. Et si vous voulez en savoir plus sur cette pratique, lisez l’article sur notre site !
Article du 22 septembre : Répression sociale : des milliers de contrôles CAF déclenchés sur demande policière
Ne partez pas manifester avec un téléphone exposé
Le droit de manifester est une chose fragile, qui n’est sanctuarisé par aucune loi, mais plutôt par un usage et une tradition politique dont on voit bien qu’un courant mauvais est en train de la changer en profondeur. Cependant, l’apparence de la démocratie doit être conservée, pour le bien de ceux qui gouvernent et veulent pouvoir bénéficier encore d’une légitimité qui cède pourtant de toute part sous leurs propres coups de force. Bref, les libertés des manifestant⋅es sont menacées, et il suffit d’avoir participé à la moindre manifestation depuis la loi Travail de 2015 pour l’avoir vu de ses yeux. Parmi les instruments de cette répression insidieuse et volontiers brutale, l’intimidation policière est à la fois physique (paf) et procédurière : malgré l’obligation récente (2010) de convoquer un avocat de la défense dès la garde à vue, les moyens de faire pression sur les personnes interpelées se sont multipliés, et la possibilité pour les officiers de police judiciaire de saisir les téléphones pour lire ou extraire leur contenu est un élément très important de cet exercice du pouvoir répressif. C’est pourquoi nous avons publié, en amont de la grande manifestation nationale du 18 septembre dernier, un bref article pour présenter des outils d’autodéfense numérique. À retrouver sur notre site.
Article du 16 septembre : 3 applis pour le 18 septembre et après
Campagne de soutien 2025
Notre campagne de soutien pour 2025 est toujours ouverte ! Nous avons récolté environ 80% de notre objectif pour l’année. En prenant en compte les dons mensuels à venir d’ici à la fin de l’année, on pense arriver environ à 90% de l’objectif. Il manquera des sous. Aidez-nous à boucler le budget 2025 !
Vous pouvez nous faire un don sur notre site.
Agenda
- 1er octobre 2025 : réunion mensuelle Technopolice Paris-Banlieue à partir de 19h à l’AERI, 57 rue Étienne Marcel, 93100 Montreuil : ATTENTION, exceptionnellement cette rencontre aura lieu à l’AERI et non au Bar Commun.
- 9 octobre 2025 : causerie mensuelle du groupe Technopolice Marseille, à partir de 19h au Manifesten, 59 rue Adolphe Thiers, Marseille
- 3 novembre 2025 : conférence Technopolice à partir de 18h45 à l’Université populaire de Marseille, 61 la Canebière, Marseille.
- Retrouvez tout l’agenda en ligne.
La Quadrature dans les médias
Divers
- [À écouter]L’Union européenne réfléchit à supprimer les bannières de cookies (qu’elle a elle même instaurées) [France Inter]
- Scan de nos messages, pédocriminalité… Pourquoi notre vie privée est en danger avec Chat Control, loi voulue par l’UE ? [20 minutes]
- Chat Control : le projet de loi européen qui menace la vie privée [Les Numériques]
Attrap et les drones
- Comment les préfets ont largement autorisé la surveillance par drones des manifestations du mouvement « Bloquons tout » le 10 septembre [France Info]
- Des drones dans le ciel des manifs : État et défenseurs des libertés se volent dans les plumes [Sud Ouest]
- Grève du 18 septembre : la surveillance par drones se généralise mais reste contestée [La Croix]
- « Chat Control » : ce qu’on sait de ce règlement européen controversé [Huffington Post]
- « Vous ne savez pas que vous êtes observés » : les drones, outils décriés de surveillance policière [Ouest-France]
- Drones du 10 septembre : les tribunaux suspendent 15 arrêtés [Upday News]
22.09.2025 à 11:46
Répression sociale : des milliers de contrôles CAF déclenchés sur demande policière
Texte intégral (9526 mots)
Après avoir dénoncé les dérives de l’algorithme de notation utilisé par la CAF pour sélectionner les personnes à contrôler, nous abordons ici la question des contrôles CAF réalisés sur signalements policiers. Utilisée par la police comme arme de répression sociale et politique, cette pratique symbolise l’instrumentalisation par l’État des administrations sociales à des fins de contrôle.
En 2019, peu de temps après avoir été arrêté par la police lors d’une manifestation de Gilets Jaunes, Jean1Prénom modifié. subit un contrôle CAF. Perplexe face à la concomitance des deux évènements, il demande à la CAF si le contrôle a un lien avec son arrestation. Alors que la CAF lui répond que non, il apprendra, à la suite d’une longue bataille juridique, que ce contrôle était bel et bien le fruit d’une demande de la police.
Son cas est loin d’être isolé. Chaque année, ce sont plusieurs milliers de contrôles CAF qui sont déclenchés sur « signalements » de la police2Les chiffres des contrôles déclenchés sur « signalement » de la police/gendarmerie dont nous disposons sont les suivants. En 2012 ce nombre s’élevait à 2747 (source CNAF, Bilan annuel contre la fraude 2012, 2013, disponible ici), en 2013 à 2346 (source DNLF, Lutte contre la fraude. Bilan 2013, disponible ici) en 2015 à 2769 contrôles (source CNAF, Bilan de la lutte contre la fraude 2015, 2016, disponible ici), en 2016 à 2877 (source CNAF, Bilan de la politique de contrôle et de la lutte contre la fraude 2016 aux prestations légales, 2017, disponible ici), en 2019 à 5163 (source CNAF, Bilan 2019 Prévention et lutte contre la fraude aux prestations légales, 2020, disponible ici), en 2020 à 2386 (source CNAF, Bilan 2020 Prévention et lutte contre la fraude aux prestations légales, 2021, disponible ici), en 2022 et 2023 respectivement à 3830 et 3249 (source Mission interministérielle de coordination anti-fraude, Lutte contre la fraude aux finances publiques, résultats 2023, disponible ici)..
Au problème politique que soulève l’utilisation d’une institution sociale à des fins de répression policière s’ajoute le fait que cette pratique souffre d’une absence d’encadrement. Ces « signalements » sont réalisés en dehors de tout cadre judiciaire et n’ont, dans les faits, pas à être motivés par la police. Ceci génère un risque de recours aux « signalements » à des fins de harcèlement policier.
Qui plus est, cette procédure est particulièrement opaque. La personne contrôlée n’a ainsi pas connaissance du fait que ses déclarations devant la police, lors d’une garde-à-vue par exemple, peuvent être transmises à la CAF, alors que cette possibilité entre en contradiction avec le principe du secret de l’instruction. Également, en cas de « signalement », la personne visée ignore que son contrôle résulte d’une demande de la police et n’a pas accès aux informations communiquées à la CAF.
En retour, les abus sont inévitables, comme le montrent les témoignages que nous avons collectés. Outre leur utilisation à des fins de répression politique, un contrôleur nous a ainsi témoigné avoir assisté à un cas de signalement pour soupçon de « fraude à l’isolement » visant une femme ayant déposé une plainte pour violences conjugales. Autrement dit, il a été demandé à la CAF de vérifier la composition du foyer déclaré pour s’assurer que la victime avait bien déclaré vivre avec son agresseur, et la sanctionner en cas d’omission. Ajoutons, enfin, que ces contrôles risquent de cibler les plus précaires et les habitant·es des quartiers populaires, un point sur lequel nous revenons ci-après.
Les CODAF : les institutions sociales au service de la répression policière
C’est dans le cadre des «Comités opérationnels départementaux anti-fraude» (CODAF) que la pratique du « signalement police » est apparue. Créés en 2010 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, ces comités départementaux regroupent institutions policières (police, gendarmerie), organismes de protection sociale (CNAF, France Travail ou Assurance maladie) ainsi que différentes administrations publiques (impôts, douanes…)3La liste exacte des membres est la suivante: les procureurs de la République du département ou leurs représentants, les chefs de services préfectoraux compétents en matière de lutte contre la fraude, la police nationale, la gendarmerie nationale, la direction générale des finances publiques, la direction générale des douanes et droits indirects, les autorités compétentes dans les domaines de la concurrence, consommation et répression des fraudes, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, le directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement ou son représentant, le directeur général de l’agence régionale de santé ou son représentant, les directeurs des organismes locaux de sécurité sociale du régime général et du régime agricole ou leurs représentants, un responsable coordonnateur régional désigné par la Caisse nationale de l’assurance maladie ou son représentant, le directeur régional de Pôle emploi ou son représentant, le responsable du centre de gestion et d’étude AGS territorialement compétent ou son représentant, dûment habilités par la direction nationale de la délégation Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC) Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), dans les départements de la région Ile-de-France, le directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse ou son représentant, dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, un représentant du préfet de police. Voir Arrêté du 25 mars 2010 fixant la composition dans chaquedépartement des CODAF, abrogé en 2020 par l’arrêté du 12 octobre 2020)..
Placés sous l’égide de la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF), les CODAF visent à favoriser « les coopérations locales » pour lutter contre les « fraudes aux finances publiques », et en particulier les «fraudes aux prestations sociales »4Yannick Herry et Éric Belfayol, 2019, Le comité opérationnel départemental anti-fraude : un outil local efficace contre la fraude aux finances publiques, Gestion et finances publiques. Disponible ici. A l’époque, la MICAF portait le nom de Direction Nationale de Lutte contre la Fraude. Concrètement, il s’agit d’organiser des réunions régulières à l’échelon départemental afin de planifier « des opérations de contrôles coordonnés » et de faciliter les « échanges d’informations » entre forces de police et institutions sociales5Citations extraites du site de la MICAF, archive disponible ici..
Un dispositif aux origines racistes
Dès leurs créations, la MICAF met l’accent sur l’importance de promouvoir les « signalements police » au sein des CODAF afin de lutter « contre la fraude sociale ».
L’objectif est de permettre aux policiers·ères de transmettre à la CAF les informations dont iels disposent sur des personnes arrêtées, qui bénéficieraient de « revenus illégaux » tirés « d’affaires de trafic de stupéfiants, [de] proxénétisme, [de] vente illégale de métaux »6Délégation Nationale à la Lutte contre la Fraude, Bilan 2018. Disponible ici. tout en « bénéficiant des prestations du type RSA ou CMU-complémentaire »7Délégation Nationale à la Lutte contre la Fraude, La lettre des CODAF, 2 juillet 2010. Disponible ici..
Politiquement, la promotion de ce dispositif est portée par un discours politique stigmatisant aux accents racistes visant directement les habitant·es des quartiers populaires. Pour reprendre les documents officiels, les « signalements » ont pour objectif de « lutter contre l’économie souterraine dans les banlieues » et les « délinquant[s] » y habitant8Délégation Nationale à la Lutte contre la Fraude, La lettre des CODAF, 2 juillet 2010. Disponible ici. .
Contourner le secret de l’instruction
Lorsque le système des CODAF est pensé, il existait un obstacle juridique majeur au projet de la MICAF : le secret de l’instruction9Article 11 du code de procédure pénal.. Ce principe juridique fondamental tient au secret professionnel les personnes impliquées dans une procédure en cours (policiers·ères, juges d’instruction, magistrat·es du parquet…). Comme le rappelle le Conseil constitutionnel, il vise notamment à « protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction, afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence, qui résulte des articles 2 et 9 de la Déclaration de 1789 »10Conseil constitionnel, décision n° 2017-693 QPC du 2 mars 2018..
Le secret de l’instruction limitait fortement l’intérêt des « signalements » en empêchant la police de communiquer aux administrations sociales le moindre élément d’une enquête non clôturée.
Mais un an de lobby de la MICAF suffira pour que cette interdiction soit levée, au mépris de droits fondamentaux. Sur proposition de la MICA11Yannick Herry et Éric Belfayol, 2019, Le comité opérationnel départemental anti-fraude : un outil local efficace contre la fraude aux finances publiques, Gestion et finances publiques. Disponible ici. A l’époque, la MICAF portait le nom de Direction Nationale de Lutte contre la Fraude., la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPSSI2) votée en 2011 autorise les membres du CODAF à « s’échanger tous renseignements et tous documents utiles à l’accomplissement des missions de recherche et de constatation des fraudes en matière sociales »12Voir loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPSSI), codifiée aux articles L 114-16 et suivants du code de la sécurité sociale.. Et ce quelque soit le stade de la procédure judiciaire.
Une pratique déloyale
La CAF est la première institution sociale à se saisir pleinement des possibilités offertes par la loi LOPSSI2. En 2013, elle signe un protocole avec la police nationale visant à préciser les modalités d’application de la LOPSSI213Protocole entre la direction générale de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la direction de la sécurité sociale, de la caisse nationale des allocations familiales et la délégation nationale à la lutte contre la fraude, 8 février 2013, disponible ici. Ce document prévoit que la police ou la gendarmerie puissent transmettre « tous renseignements et tous documents » à la CAF, qu’il s’agisse de « procès-verbaux, quel que soit le cadre juridique », de « main-courantes », de « rapports d’enquête ou de rapports administratifs », de « télégrammes » ou « tout autre document officiel ». Ce protocole fait par la suite l’objet d’une déclinaison au niveau départemental. Selon les déclarations du directeur de la MICAF devant une « commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales », il était décliné dans une trentaine de départements en 2020.. L’objectif est de créer un cadre visant à « intensifier les collaborations » entre les deux institutions14Délégation nationale à la Lutte contre la fraude, bilan 2013, disponible ici. en vue de « susciter des signalements »15Délégation Nationale à la lutte contre la fraude, Lettre des CODAF, numéro 17, décembre 2011. Disponible ici.
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Un document annexé au protocole et intitulé « procès-verbal type protection sociale » retient l’attention. Co-rédigé par la CAF et la police nationale sur le modèle d’un procès-verbal policier classique, il contient une dizaine de questions portant notamment sur la composition du foyer, le patrimoine, les ressources et les «constatations faites lors des perquisitions ou surveillance », soit l’ensemble des informations nécessaires aux services de contrôle de la CAF.
Ce « procès-verbal type protection sociale » signe tant l’aboutissement d’un processus de rationalisation administrative – les questions à poser sont pré-écrites par la CAF et la police n’a qu’un seul document à transmettre à la CAF – que le caractère déloyal de la pratique des signalements. La personne interrogée sur sa base, et ce dans le cadre d’une procédure quelconque, ne sait pas que les réponses qu’elle apporte seront transmises à la CAF en vue d’un contrôle. En d’autres termes, elle ignore la finalité des questions qui lui sont posées par les services de police.
Ajoutons à cela que si un signalement est effectué suite à ses déclarations, elle n’en est pas informée. Cela signifie en particulier qu’elle n’a pas connaissance des informations dont dispose le ou la contrôleur·se, un manque de transparence venant compliquer toute contestation des éléments qui peuvent lui être reprochés.
Un risque d’abus policiers
Le cadre juridique encadrant les signalements est donc particulièrement souple. Ces derniers peuvent être réalisés à n’importe quel stade de la procédure, avant donc qu’une décision de justice n’ait été prononcée. Ils peuvent se baser sur de simples suspicions sans que la police n’ait réellement à se justifier.
Cette absence d’encadrement ouvre, en retour, la porte à de nombreux abus aux conséquences lourdes pour les personnes visées. Sentiment d’humiliation, mise à nue numérique, questions intrusives, peur des conséquences, auxquels s’ajoutent les difficultés de recours et les nombreuses irrégularités constatées dans la procédure : rappelons que de nombreux témoignages viennent attester de la violence inhérente aux contrôles CAF16Voir à ce sujet l’article de Lucie Inland disponible ici, cet article du Monde et le rapport du Défenseur des Droits « La lutte contre la fraude aux prestations sociales » disponible ici. La fondation pour le logement, le Défenseur des droits et le collectif Changer de Cap ont par ailleurs collecté de nombreux témoignages décrivant la violence vécue par les allocataires lors des contrôles. Difficulté de recours, contrôles répétés, suspension automatique des prestations sociales, intrusion sans précédent dans les moindres recoins de la vie privée. Nous vous invitons à lire l’ensemble de ces témoignages ici)..
Un chiffre vient confirmer la crainte que les signalements soient avant tout utilisés comme un moyen de harcèlement policier17Il ne semble pas que la CAF soit tenue de déclencher un contrôle suite à un signalement mais nous ignorons le pourcentage de signalements aboutissant effectivement à un contrôle.. En moyenne, seuls 17% des contrôles déclenchés sur signalements aboutissent à la détection d’un trop-perçu18Les chiffres disponibles sur les taux d’indus sont issus des bilans annuels de lutte contre rédigés par la CNAF. Nous disposons des chiffres pour les années 2012, 2016, 2017, 2018, 2019, 2020.. Autrement dit, la plupart des signalements ne sont pas fondés, loin de l’image d’une police utilisant à dessein des pouvoirs qui lui sont conférés.
Si la CAF s’abstient de commenter ce chiffre, elle écrit plus largement au sujet des contrôles que des sources aboutissant à la détection de trop-perçus dans 20% des cas ou moins ne sont « pas en général très justifiés » eu égard à leur faible efficacité19CNAF, Bilan 2012 de lutte contre la fraude, disponible ici.. Ajoutons enfin que si les taux de fraudes détectées suite aux signalements ne sont pas communiqués, ils sont par définition plus faibles. Car, comme l’écrit la CAF elle-même, « la majeure partie des indus détectés ne sont pas frauduleux car l’erreur de déclaration à l’origine de l’indu n’est pas intentionnelle »20CNAF, Bilan 2018 Prévention et lutte contre la fraude aux prestations légales, disponible ici.. Comme nous le répétons avec d’autres, les indus sont avant tout dus à la complexité des règles de calcul des aides sociales engendrant des erreurs de déclarations, et non de comportements malhonnêtes.
La CNAF, complice de répression sociale
En l’absence de données publiquement disponibles sur les personnes contrôlées suite à un signalement, il n’est pas possible d’identifier avec certitude les populations les plus exposées à ces contrôles et aux risques d’abus d’associés. Mais le système des CODAF ouvre un boulevard pour qu’une répression sociale se mette en place.
Le discours politique anti « banlieues » autour des signalements va, comme nous l’avons vu, directement en ce sens, et justifie le développement de cette pratique. À travers lui, sont directement visé·es les plus précaires et tout particulièrement les habitant·es des quartiers populaires via l’accent mis sur « l’économie souterraine des banlieues » et les personnes « bénéficiant des prestations du type RSA ou CMU-complémentaire »21Délégation Nationale à la Lutte contre la Fraude, La lettre des CODAF, 2 juillet 2010. Disponible ici.. Les deux catégories se regroupant par ailleurs22Voir par exemple Jean-Michel Floch, Disparités de revenus et ségrégation dans les grands pôles urbains, INSEE, 2016. Disponible ici..
Par ailleurs, la liberté laissée à la police dans le choix des signalements ne peut que favoriser l’expression des pratiques discriminatoires de la police vis-à-vis des personnes racisées, aujourd’hui largement documentées, que ce soit dans le cas des contrôles d’identité ou à travers la prégnance des discours racistes dans cette institution, comme le rappelle, entre autres, le Défenseur des droits23Voir notamment le dossier « Contrôles d’identité : que dit le droit et comment mettre fin aux contrôles discriminatoires » du Défenseur des Droits, disponible ici ou l’article de Fabien Jobard et Omar Slaouti, Police, justice, Etat : discriminations raciales publié dans Racismes de France, La Découverte, 2020..
S’ajoute enfin le risque d’un sur-ciblage des mères célibataires via l’accent mis cette fois-ci dans la recherche de la « fraude à l’isolement ». Il s’agit de la situation d’une personne déclarant vivre seule alors que ce n’est pas le cas, et ce type de contrôle visant tout particulièrement les mères célibataires24Voir notamment l’article du Monde du 4 décembre 2023 « Dans la vie de Juliette, mère isolée, précaire et cible de l’algorithme des CAF », disponible ici et le livre de Selim Derkaoui, Laisse pas trainer ton fils. Comment l’État criminalise les mères seules, 2025, Les Liens qui libèrent..
Un risque de répression politique
Reste enfin le risque d’une utilisation à des fins de répression politique. Si, ici aussi, l’absence de chiffres et de témoignages rend difficile toute appréhension de cette dérive, notons que le cas du militant Gilet Jaune que nous avons mentionné en introduction démontre, a minima, que cette situation existe et que rien n’est fait pour l’empêcher.
Pour reprendre ce qui a été dit plus haut, ce militant n’a appris que le contrôle qu’il subissait était le résultat d’un signalement policier qu’à l’issue d’un long combat juridique. Et ce alors même que le contrôleur lui avait assuré que ce n’était pas le cas.
Ce n’est qu’au moment de passer au tribunal que la CAF a consenti à lui donner accès au « rapport de contrôle », le document qu’écrit tout·e contrôleur·se à l’issue d’un contrôle à domicile. Sur la première page de ce document, que nous avons consulté, est pourtant écrit: « Cible 922 : signalements reçus police », ce qui correspond aux signalements CODAF. Bien que rien ne puisse permettre de le prouver formellement, tout indique donc que le signalement était consécutif à son interpellation en manifestation. Quant aux informations que la police avait transmises au contrôleur, elles ne lui ont jamais été communiquées.
Lutter : appel à témoignages
La première difficulté pour lutter contre ce type de pratiques est de les documenter. Pour cela, nous lançons un appel à témoignages aux personnes ayant subi un contrôle à propos duquel elles soupçonnent, ou savent, qu’il est le fruit d’un signalement policier.
Précisons d’emblée que nous ne connaissons qu’un moyen de savoir avec certitude que c’est le cas : accéder au rapport de contrôle établi par le ou la contrôleur·se et chercher, sur sa première page, s’il est écrit « Cible: 922 signalements reçus police/gendarmerie/préfecture ». Ce rapport de contrôle est communicable à toute personne ayant fait l’objet d’un contrôle à domicile. Nous mettons en ligne un guide pour obtenir l’accès à ce rapport via une demande d’accès aux documents administratifs.
Nous suspectons par ailleurs que ces pratiques ne soient pas limitées au cas de la CNAF, mais que cette dernière fait, à l’image de son algorithme de notation, figure de « pionnière ». Si vous avez des informations sur de telles pratiques à France Travail, l’Assurance maladie ou l’Assurance vieillesse, vous pouvez nous écrire à algos@laquadrature.net ou nous envoyer des documents anonymement via notre SecureDrop. Vous trouverez un guide pour ce faire ici.
Le système des signalements CODAF, comme l’algorithme de la CNAF, traduit une vision autoritaire de ce que devraient être les institutions sociales. C’est pourtant une remise en question radicale de leur rôle, qui devrait être d’accompagner et d’aider les personnes plutôt que de les contrôler. Alors pour nous aider à continuer notre travail, vous pouvez aussi nous faire un don.
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