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26.11.2025 à 15:57

On n'achève pas les punks

Émilien Bernard

D'aucuns disent de lui qu'il est « l'écrivain inconnu le plus connu d'Amérique ». Et qu'on ne saurait trouver meilleur conteur de l'histoire des squats bordéliques et des boucans punks. Pas faux. Ajoutons qu'après avoir lancé son iconique et pétaradant fanzine Cometbus au début des années 1980, Aaron Cometbus n'a rien lâché. Dans Post-mortem, il déroule l'une de ses obsessions : que reste-t-il des utopies underground fréquentées au fil des décennies ? « Comment faire durer les choses que (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) /
Texte intégral (706 mots)

D'aucuns disent de lui qu'il est « l'écrivain inconnu le plus connu d'Amérique ». Et qu'on ne saurait trouver meilleur conteur de l'histoire des squats bordéliques et des boucans punks. Pas faux. Ajoutons qu'après avoir lancé son iconique et pétaradant fanzine Cometbus au début des années 19801, Aaron Cometbus n'a rien lâché. Dans Post-mortem, il déroule l'une de ses obsessions : que reste-t-il des utopies underground fréquentées au fil des décennies ?

« Comment faire durer les choses que l'on aime ? » La question n'a rien d'anodin. Surtout formulée par Aaron Cometbus, amoureux proclamé des causes perdues – des squats autogérés aux micro-labels de punk, en passant par les librairies férocement contre-culturelles ou les éditeurs fondus de publications déjantées. De New York à San Francisco en passant par Seattle, dans Post-Mortem (Demain les flammes & Nœuds éditions, 2025), il part en chasse de ses amours rebelles passés, entre inventaire et autopsie. Pas simple. « Les nobles idéaux, c'est mon truc, écrit-il. Mais je voulais dépasser la rhétorique et comprendre ce qui fonctionnait dans la réalité. » En découlent de belles retrouvailles et des constats d'échec, des tonnes de nostalgie et la joie de retrouver ce qui parfois perdure. En fond sonore, l'impression d'une épidémie de perdition, entre succès qui tronçonnent l'idéal et disparition pour cause d'épuisement. Rageant : « Nous étions si nombreux, prêts à œuvrer gratuitement pour la cause. Nous devrions posséder le centre-ville de toutes les grandes villes à l'heure qu'il est. »

Bilan en demi-teinte, donc. D'autant plus qu'il est difficile de démêler ce qui est nostalgie de boomer et vision objective. « Je dois vraiment résister à la tentation de devenir cette personne qui dit : “barrez-vous de ma pelouse, sales gamins” ! » avoue l'un de ses interlocuteurs, roi de la BD underground désormais un peu déphasé. Et c'est là que la recension percute l'actualité de ce journal. Et que je délaisse mes pages et pages de notes sur l'excellent Post-mortem pour rebondir sur notre situation.

Moi-même désormais vieux con, je suis d'autant plus épaté par les capacités de CQFD à se renouveler au fil des ans sans dévier d'une ligne intransigeante, ce mordre et tenir qui anime le canard depuis sa naissance. Ça change, ça évolue, ça rajeunit, mais le fond reste le même, acharné à ruer contre l'air du temps. Une certitude : tenir aussi longtemps est un exploit. Plus de vingt ans à batailler contre vents et marées dans les kiosques, l'exploit n'est pas mince. « Peut-on perdurer sans perdre son âme ? » s'interroge le barde punk. À ça, on peut répondre sans rougir que yep, on peut (même si on a plus que jamais besoin de votre soutien ! ! !). Avec cette certitude : tant qu'on n'aura pas mordu la poussière, on lâchera rien. Taïaut, encore et toujours.

Émilien Bernard

1 Pour une description énamourée de son approche de la micro-édition, lire « Les fanzines ont des ailes (les punks et les bouquinistes aussi) », CQFD n°205 (janvier 2022).

26.11.2025 à 15:51

Grève lucide pour la Palestine

Ricardo Robles

Après une décennie blanche, le syndicalisme combatif de nos voisins d'outre-Pyrénées a renoué avec la stratégie de la grève nationale le 15 octobre dernier pour s'opposer au génocide en Palestine. Nous revenons sur ces mobilisations depuis la banlieue madrilène de Getafe. Après le succès du boycott de la compétition cycliste espagnole La Vuelta , le mouvement solidaire envers le peuple palestinien avait deux options : soit continuer le combat contre le génocide soit baisser les bras. (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) /
Texte intégral (1312 mots)

Après une décennie blanche, le syndicalisme combatif de nos voisins d'outre-Pyrénées a renoué avec la stratégie de la grève nationale le 15 octobre dernier pour s'opposer au génocide en Palestine. Nous revenons sur ces mobilisations depuis la banlieue madrilène de Getafe.

Après le succès du boycott de la compétition cycliste espagnole La Vuelta1, le mouvement solidaire envers le peuple palestinien avait deux options : soit continuer le combat contre le génocide soit baisser les bras. Malgré les résistances des deux plus grosses bureaucraties syndicales, Comisiones Obreras et l'Unión General de Trabajadores (UGT), proches du patronat et du gouvernement de Sánchez, les syndicalistes combatifs ont su imposer la première option : une grève, aussi exceptionnelle qu'expérimentale, puisque l'Espagne n'a pas connu de grève générale à l'échelle nationale depuis 2012.

Hypocrisie des socialistes espagnols

La mobilisation ne s'inscrit pas seulement en solidarité avec le peuple palestinien, mais signale aussi un ras-le-bol généralisé contre le capitalisme et l'impérialisme. En guise d'illustration du double jeu des socialistes à la tête du gouvernement espagnol : el famoso décret royal du 24 septembre dernier. Alors qu'il était censé prévoir un embargo sur le matériel militaire en provenance et à destination d'Israël, en réalité, le décret n'inclut le transit d'armes ni par voies aériennes au sein des bases militaires états-uniennes installées en Espagne, ni celui par voies navales via le détroit de Gibraltar. Drôle d'embargo… qui montre que le gouvernement espagnol est bel et bien un solide partenaire d'Israël.

Alors que depuis octobre 2023, Pedro Sánchez, membre du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et président du gouvernement, multiplie les appels au cessez-le-feu, l'Espagne reste le premier client d'Israël au sein de l'Union européenne dans l'importation d'armement. Entre octobre 2023 et mai 2025, la Chambre de commerce espagnole chiffrait ces opérations à plus de 54 millions2. Et pour ce même mois de mai, l'État espagnol a capté 78 % des exportations d'Israël vers l'Europe.

Et la solidarité entre impérialistes ne s'arrête pas là. Israël joue un rôle incontournable dans la crise du logement espagnol : de nombreux bâtiments historiques des grandes villes (Barcelone3, Malaga) ont été vendus à des fonds d'investissement privés israéliens. Inversement, l'entreprise basque Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles est impliquée dans la construction de voies ferrées dans les colonies israéliennes en Cisjordanie4. Comme le dit Elias, militant étudiant madrilène de Contracorriente5 rencontré lors d'une conférence sur la Palestine à Getafe, « la Palestine est devenue le Vietnam de la génération Z, le symbole qui concentre la synthèse de la crise du système capitaliste, la méfiance envers les gouvernements et les entreprises ».

Bras de fer syndical

Tandis que les manifestations propalestiniennes des 3, 4 et 5 octobre étaient réellement massives, le bilan du 15 reste mitigé. La grève a été bien peu suivie à Madrid. En contrepartie, succès dans les territoires à forte tradition ouvrière. À Euskal Herria (Pays basque), le nombre de grévistes est estimé par les syndicats autour de 100 000 personnes, la plupart dans le secteur de l'éducation, le secteur portuaire de Bilbao ainsi que dans des entreprises impliquées dans le génocide comme Unilever ou Pepsi. En Països Catalans (Catalogne), le suivi de la grève a été significatif dans les facs et les docks. Le taux de mobilisation est aussi variable selon les secteurs, celui de l'éducation en tête.

La réticence des bureaucraties syndicales immobilistes de Comisiones Obreras et UGT à faire grève en la retardant le plus possible s'est vite fait ressentir dans les forces militantes, déjà un peu essoufflées le 15 octobre. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : tandis que la manif' madrilène du 4 octobre comptait 100 000 manifestants, celle du 15 en comptait à peine 70 000… Pour de nombreux militants comme Elias, la date du 15 était trop tardive et il aurait été préférable d'appeler à la grève générale le 4 octobre, plus proche des dates des grèves italiennes et françaises.

Deux bonnes nouvelles cependant. D'abord, la réactivation du mouvement étudiant, solidaire des syndicalistes comme de la Palestine, illustré par le piquet conjoint entre les grévistes ­d'Airbus et les étudiants de l'université Carlos 3, le 5 octobre à Getafe. Mais aussi la revitalisation du syndicalisme combatif à l'initiative de cette grève : ces dernières années, une panoplie de petits syndicats indépendantistes (basques, catalans ou andalous), anarcho-syndicalistes ou trotskystes ont vu leur nombre d'adhérents augmenter. Espoir d'un regain combatif dans le pays ? Une nouvelle date paraît s'annoncer : 29 novembre…

Ricardo Robles

2 Les analyses détaillées par secteur d'activité et par pays sont disponibles sur le site officiel de DataComEx : datacomex.comercio.es

3 Voir le rapport « Complicitats del sector immobiliari i turístic de Catalunya amb l'ocupació de Palestina », publié par l'ODHE (mars 2025).

4 « Colaborar con la ocupación israelí se convierte en un mal negocio para las empresas españolas », El Salto (5/09/2025).

5 Une organisation marxiste trotskyste étudiante.

22.11.2025 à 00:30

De l'art et des cochons

Orianne Hidalgo-Laurier

Au pays de l'exception culturelle, les politiques publiques sabordent le budget de la culture, ouvrant un boulevard aux fortunes privées et à l'extrême droite pour faire de l'entrisme. Dans ce secteur, l'union des droites est déjà consommée. En Provence-Alpes-Côte-d'Azur, la « Trajectoire Valeurs » de Renaud Muselier déclare la guerre au « wokisme ». « Il était temps de mettre un coup d'arrêt aux dérives communautaires du maire de Marseille […] Nous avons, nous aussi, nos traditions et nos (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) / ,
Texte intégral (1893 mots)

Au pays de l'exception culturelle, les politiques publiques sabordent le budget de la culture, ouvrant un boulevard aux fortunes privées et à l'extrême droite pour faire de l'entrisme. Dans ce secteur, l'union des droites est déjà consommée. En Provence-Alpes-Côte-d'Azur, la « Trajectoire Valeurs » de Renaud Muselier déclare la guerre au « wokisme ».

« Il était temps de mettre un coup d'arrêt aux dérives communautaires du maire de Marseille […] Nous avons, nous aussi, nos traditions et nos racines chrétiennes. Il était temps de les faire respecter. » Face à la caméra de CNews, Stéphane Ravier, sénateur (ex-RN et Reconquête) des Bouches-du-Rhône, exulte : le docu-fiction prosélyte Sacré Cœur, promu par les chaînes du groupe Bolloré, sera projeté au château de la Buzine, à Marseille. La municipalité, qui s'était opposée à sa diffusion au nom du principe de laïcité et au grand dam de la droite locale, y a été contrainte le 25 octobre dernier par le tribunal administratif. Pourtant, c'est au nom de cette même laïcité que le président de Région, Renaud Muselier (Renaissance, ex-LR), avait fait voter en catimini la charte « Trajectoire Valeurs » en avril dernier, comprenant le « renforcement du contrôle des subventions régionales dans les domaines du sport et de la culture, pour prévenir toute dérive séparatiste ou atteinte à la laïcité ».

Partout en France, les fanges réactionnaires instrumentalisent les droits de l'homme et du citoyen pour mener leur guérilla culturelle et idéologique

Inspirée par une motion du RN, celle-ci se résume ainsi : « Vision, Autorité, Liberté, Europe, Respect, Souveraineté ». Des mots clefs qui ne sont pas sans rappeler ceux derrière le projet Périclès du milliardaire ultra-conservateur Pierre-Edouard Stérin : Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes.

Sous ses airs de comédie de boulevard, l'anecdote n'est pas un cas isolé. Partout en France, les fanges réactionnaires instrumentalisent les droits de l'homme et du citoyen pour mener leur guérilla culturelle et idéologique. En mai dernier, c'est Laurent Wauquiez (LR) qui suspend toutes les aides de sa région à l'Université Lyon 2 sous prétexte de « dérives islamo-gauchistes » et arrose dans le même temps de 450 000 euros le spectacle à la gloire du roman national Raconte-moi la France. L'année précédente, c'est le coup d'éclat de la collectionneuse Sandra Hegedüs qui démissionne du conseil d'administration de l'association des Amis du Palais de Tokyo, fustigeant le « wokisme pro-palestinien » du centre d'art. Des attaques auxquelles s'ajoutent nombre de concerts et spectacles annulés sous pression de groupes identitaires et catholiques. Ceux-ci vont même jusqu'à cyberharceler les artistes racisé·es comme Rébecca Chaillon ou, à l'instar du groupuscule Sword of Salomon (« l'Épée de Salomon »), menacer de mort un artiste gazaoui accueilli à l'école supérieure des Beaux-arts d'Aix-en-Provence, dans le cadre du Programme national d'accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil, sans que cela n'émeuve les pouvoirs publics. Au pays de l'exception culturelle, les politiques dézinguent le budget de la culture – celui de la région PACA a baissé de 7,7 % par rapport à 2024 –, tandis que l'empire médiatico-éditorial de Bolloré se charge de donner une légitimité intellectuelle aux thèses du grand remplacement et de la déculturation.

Chasse aux sorcières

Face à la violence brute des réseaux de l'extrême droite, une simple charte « républicaine » paraît inoffensive. D'ailleurs, Trajectoire Valeurs aurait provoqué peu de remous si elle n'avait pas servi à cibler d'emblée l'école Kourtrajmé de Marseille en mettant fin à la subvention régionale de 75 000 euros.

Nombre ­d'intermittent·es isolé·es se sont vu·es renvoyer ou refuser leurs demandes de subvention car les dossiers étaient écrits en écriture inclusive

Depuis 2018, à l'initiative du réalisateur primé Ladj Ly, l'association offre des formations aux métiers du cinéma à destination d'un public éloigné du sérail, dans un but d'insertion sociale et de lutte contre les inégalités. « On a reçu un communiqué de presse qui disait qu'on était wokistes et islamistes », témoigne Marie Antonelle Joubert au micro des « Pieds sur Terre » sur France Culture. La directrice de l'école marseillaise apprend la décision suite à une séance du conseil régional qui « a commencé avec un hommage à Jean-Marie Le Pen ». Elle n'a jamais obtenu de rendez-vous avec Renaud Muselier.

Kourtrajmé n'est qu'un arbre qui cache la forêt. Nombre d'intermittent·es isolé·es se sont, comme elle, vu·es renvoyer ou refuser leurs demandes de subvention car les dossiers étaient écrits en écriture inclusive – interdite par la charte Trajectoire Valeurs – indice d'un dangereux « islamogauchisme ». Les demandes d'aides d'autres collectifs comme Les Têtes de l'art ont tout simplement été écartées : leur site internet était en inclusif. « Sur le fond, votre plan “Valeurs” est un marqueur politique, dicté par le Rassemblement national, et ne répond pas aux véritables défis de la langue française, comme l'appauvrissement du vocabulaire ou la polarisation de la pensée, réagit le directeur Sam Khebizi dans une vidéo publiée sur leur site. Cette décision pénalise non seulement notre association, mais aussi les centaines d'artistes et d'opérateurs culturels que nous accompagnons […] En validant la démarche du Rassemblement national, vous prenez le risque de fragiliser l'ensemble du tissu associatif et de rompre la confiance avec les partenaires engagés à vos côtés. »

OPA idéologique

Le chantage idéologique aux aides publiques pousse les acteur·ices du secteur culturel dans les griffes du privé. Kourtrajmé prévoit de se tourner vers Netflix. Les intermittent·es courent derrière les cachets et vont aux plus offrants. En PACA, c'est Rocher Mistral qui recrute à tour de bras. Ce parc à thème, construit sur le modèle du Puy du Fou du royaliste Philippe de Villiers, promeut la « Provence éternelle » (sic). Là-bas, « la Bible est plus importante que le code du travail », de l'aveu d'un ancien employé.

Le spectacle historique est désormais la chasse gardée de l'extrême droite

Et, bien que sous le coup de multiples procès, il reste applaudi et soutenu à hauteur de sept millions d'euros par la Région : dans le plus vieux château provençal, des spectacles contre-révolutionnaires rendent gloire à l'aristocratie blanche et catholique menacée par des hordes de péquenots incendiaires ou encore un éloge son et lumière à l'empereur Napoléon. Son propriétaire, Vianney d'Alençon, est par ailleurs à l'initiative du rachat de l'École supérieure de journalisme de Paris, aux côtés de Bolloré, Arnault, Saadé et Dassault, dont il est sacré directeur. Le spectacle historique est désormais la chasse gardée de l'extrême droite. Et pour cause, le directeur du château de Chambord vient d'annuler la création de l'historien Patrick Boucheron et du metteur en scène Mohamed El Khatib autour « des Renaissances » arguant ne pas vouloir être « l'otage d'un discours militant » – gauchiste donc.

La résistance s'organise

Contrairement aux institutions culturelles, des syndicats et collectifs d'artistes ont dénoncé la purge aux accents trumpistes de la Région à l'ouverture du Printemps de l'Art Contemporain à Marseille. « Le directeur du Réseau PAC nous avait invités à venir lire un texte sur les coupes budgétaires. Le plan Trajectoire Valeurs était tombé juste avant, donc il fallait qu'on en parle, retrace l'artiste Emmanuel Simon, membre du Syndicat des Travailleur·euses Artistes Auteur·ices (STAA CNT-SO). Le directeur de la culture à la Région était là. Il y a eu des prises de paroles de la Mairie, de la DRAC, etc. Dans l'expo, il y avait une vidéo de Trump. Tout le monde s'enorgueillissait “Trump met des murs, nous on construit des ponts”. On a modifié au dernier moment notre texte, en disant que les élus pouvaient bien faire des blagues, ils faisaient la même chose que Trump. Le mec de la Région a fait son caca nerveux en direct. Il s'est retourné vers le directeur hyper énervé, en disant qu'il était pris au piège. Ça a été une première réaction, après on a lancé une tribune. » Ces collectifs ont bien compris que le nerf de la guerre reste économique. Appuyés par la commission culture du PCF à l'Assemblée et au Sénat, ceux-ci militent pour « la continuité de leurs revenus »1. « Une autre piste émerge, conclut Emmanuel Simon, une sécurité sociale de la culture, portée par Réseau salariat. Il s'agit de créer des enclaves communistes dans la société capitaliste pour ne plus dépendre des financements étatiques et privés – soit l'extrême droite. C'est utiliser démocratiquement la valeur de notre travail. » Autrement dit, la mutualisation : un véritable horizon politique qui a déjà fait ses preuves. Pour l'heure, la Région n'a pas répondu à nos sollicitations. Renaud Muselier s'est contenté d'avouer, dans la presse locale, « être allé trop loin » sur l'écriture inclusive et préfère désormaiscirconscrire cette interdiction aux documents adressés à la collectivité.

Orianne Hidalgo-Laurier

1 Lire « Tribune : pour une continuité de revenus des artistes auteur·ices », sur le site du Syndicat des travallieur·euses artistes-auteur·ices CNT-SO (16/03/2024).

22.11.2025 à 00:30

Exarchia sans les condés

Émilien Bernard

« Vivre sans police ? […] C'est bien beau mais comment ? […] Et pourquoi ? Tout le monde trouve-il vraiment la police superflue ? ». Voilà quelques-unes des interrogations qui traversent Vivre sans police (Agone, octobre 2025), de l'ami Victor Collet, consacré aux lendemains des émeutes de décembre 2008 à Athènes. Pour focale, le mythique quartier d'Exarchia niché au cœur de la capitale, qui a un temps résisté à l'invasion policière. 6 décembre 2008, Athènes brûle. Pour étincelle, (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) / ,
Texte intégral (1844 mots)

« Vivre sans police ? […] C'est bien beau mais comment ? […] Et pourquoi ? Tout le monde trouve-il vraiment la police superflue ? ». Voilà quelques-unes des interrogations qui traversent Vivre sans police (Agone, octobre 2025), de l'ami Victor Collet, consacré aux lendemains des émeutes de décembre 2008 à Athènes. Pour focale, le mythique quartier d'Exarchia niché au cœur de la capitale, qui a un temps résisté à l'invasion policière.

6 décembre 2008, Athènes brûle. Pour étincelle, l'assassinat par un policier d'Alexandros Grigoropoulos, 15 ans. Les jours suivants, l'ardeur émeutière ne faiblit pas, avec pour épicentre le quartier athénien d'Exarchia, déjà auréolé d'une tradition de résistance – à la dictature puis au néolibéralisme vampire. La décennie qui suit s'inscrit pleinement dans cet héritage, Exarchia expérimentant un quotidien quasiment exempt de gent policière. Formidable ? Bien sûr. Mais cela ne va pas sans heurts, tant « le mythe n'a rien du long fleuve tranquille », écrit Victor Collet, qui ausculte l'évolution d'un quartier où l'auto-organisation devient centrale. Ayant résidé sur place à de multiples reprises, de 2014 à 2021, il offre le récit vivant d'une expérience où le slogan « Batsi ! Ghourounia ! Dolofoni ! » [« Flics ! Porcs ! Assassins ! »] se double d'une concrétisation pleine d'enseignements.

6 décembre : l'étincelle

« Le 6 décembre et ses suites ont souvent été comparés à la lutte des Gilets jaunes. J'y vois plutôt une ressemblance avec les émeutes de banlieue, comme celles de 2024 après la mort de Nahel. Dans les deux cas, ça part d'un meurtre policier. Et on retrouve ici et là-bas une conflictualité très marquée dès le départ, alors que l'éruption est totalement inattendue.

Exarchia est un refuge, un îlot de tranquillité

À Athènes, les flics se pensaient tout puissant, d'où les circonstances de ce meurtre policier : Alexis a été tué de sang-froid dans un quartier très politisé, au beau milieu d'une rue prisée par la jeunesse radicale. Le mouvement anar est alors beaucoup plus conflictuel qu'ailleurs en Europe. Rappelons que la démocratie grecque est très jeune, le régime des colonels étant tombé en 1973-1974. Le mouvement antiautoritaire se développe donc tardivement, auprès de jeunes qui pour beaucoup ont eu des parents communistes et/ou exilés par un régime soutenu par la police. Il n'a pas eu le temps d'être adouci par des compromis avec les institutions ou des vagues de répression. De plus, l'explosion se déroule dans un pays où l'État est alors affaibli et en pleine course en avant néolibérale.

Point important : ce n'est pas un mouvement coupé du reste du pays. Les secousses du 6 décembre 2008 se communiquent à toutes les grandes villes. Idem pour Athènes : si Exarchia fait office de lieu emblématique, beaucoup de quartiers sont en lutte. D'autant que l'antagonisme envers l'État est déjà présent partout. En cette période de délitement économique, attisé par la crise des subprimes, beaucoup ont dû faire sans lui. L'auto-organisation est une réponse à cette absence. Basiquement : nous contre la police et l'État. »

Urbanisme favorable

« En 2008, Athènes a un côté motor city, avec une pollution sonore omniprésente et des périphéries désindustrialisées. Délaissé par les plans d'urbanisme, Exarchia est donc un refuge, un îlot de tranquillité à dix minutes à pied du Parlement. Cela s'accompagne d'une multiplicité de lieux squattés, pour la plupart ouverts sur l'extérieur et n'accueillant pas que des militants : beaucoup d'exilés et de familles y sont installés.

Par ailleurs, l'urbanisme du quartier est propice à la lutte urbaine, avec des petites ruelles et des intersections très rapprochées. Parfait pour se replier quand ça chauffe. En 2017, j'ai assisté à une manifestation mêlant antifas et queers contre Aube dorée1. Quand les mats (les CRS locaux) ont chargé, tout le monde s'est replié sur Exarchia, avec quelques camarades postés à l'entrée du quartier des Molotov à la main. Une situation permise notamment par le refus de la logique sécuritaire et des caméras de surveillance. Celles installées dans le quartier à l'occasion des JO d'Athènes en 2004 n'ont pas tardé à être explosées. »

Police en retrait

« Au fil du temps, Exarchia est globalement déserté pas la police. Les flics savent que le niveau d'antagonisme sera élevé s'ils s'y aventurent en masse. Ils restent donc en retrait, sauf pour quelques incursions ciblées. D'autant qu'ils redoutent une extension hors d'Exarchia de cette conflictualité exacerbée.

Deux militants du parti néonazi sont abattus en pleine rue. Le message est clair : cela peut tomber sur n'importe qui

Et si beaucoup craignaient le chaos, la vie sans police est tout le contraire d'un bordel permanent. Quand je m'y rends pour la première fois en 2014, je suis d'abord étonné par le calme ambiant. En dehors des événements symboliques comme les manifs annuelles du 6 décembre, l'atmosphère est plutôt bon enfant.

Il y a par contre divers points de tension, à commencer par la lutte contre Aube dorée. Alors que les ratonnades racistes ou politiques se multiplient au début des années 2010, la contre-attaque ne tarde pas. Elle culmine quand le rappeur antifa Pávlos Fýssas est abattu en 2013. Cela déclenche des manifestations de plusieurs milliers de personnes. Dans la foulée, deux militants du parti néonazi sont abattus en pleine rue. Le message est clair : cela peut tomber sur n'importe qui. Et les militants d'Aube dorée finissent par raser les murs. Il y a clairement un gouffre avec ce qui s'est passé quand Clément Méric a été tué par des fascistes. En France, l'État a fait en sorte que la colère soit très encadrée. Alors qu'en Grèce, le double assassinat a été revendiqué sans qu'il y ait la moindre arrestation. Là aussi, cela se doublait d'une lutte contre la police, qui avait souvent pris le parti d'Aube dorée dans les affrontements de rue.

Suite à ça est arrivé un autre ennemi : la mafia et ses dealers, devenus omniprésents à Exarchia à partir de 2016. En réponse, des groupes d'autodéfense ont commencé à patrouiller dans les rues. Face à la démission étatique, l'autogestion s'est imposée. Cela n'a rien d'anodin, comme je l'écris dans le livre : “[C'est] l'une des rares preuves en actes de la possibilité concrète de se passer de l'État, de la police, et de renverser l'idée dominante de leur nécessité.” Par contre, c'est rapidement devenu hors de contrôle, avec la présence accrue de commerçants, de hooligans ou d'experts en sécurité autoproclamés. Une situation complexe, qui a provoqué l'atomisation de nombreux groupes militants. Certains étaient dégoûtés par la militarisation affichée et l'exhibition des armes à feu. Autre reproche adressé aux manifestants anti-dealers : leur tendance à vouloir pacifier le quartier jusque dans les actions politiques des tenants de l'insurrection permanente, avec une forme de lissage du radicalisme. »

Le crépuscule d'Exarchia

« Est-ce que l'histoire du quartier est celle d'une défaite ? Oui si l'on se focalise sur la situation actuelle. Il y a par contre eu un cumul d'expériences assez bluffant. Si on prend la question de la solidarité avec les exilés, ça a pris des proportions impressionnantes, avec l'accueil de milliers de personnes. Idem pour l'occupation de lieux : il y en avait entre 50 et 60 en 2019, avant la vague d'expulsions. Ça a été une longue décennie de luttes instructives. Jusqu'à ce que le capitalisme reprenne la main, notamment via l'explosion du tourisme et d'Airbnb. Dans le même temps, la police s'est modernisée : en 2008, ils étaient complètement dépassés par la conflictualité des manifestants, en chemisettes et armés de gazeuses. Aujourd'hui, ce sont des Robocops.

Dernier point qui a précipité le délitement de l'expérience : la folklorisation de la lutte. Il y a très vite eu une forme de riot-porn qui a attiré des gens de toute l'Europe.

Des commerçants ont commencé à vendre des t-shirts ACAB et les hipsters fans de street-art ont déboulé en masse.

Il faut dire que c'était plus vendeur qu'une zone humide paumée où tu te cailles. Le quartier est devenu aussi bien symbole de rébellion que d'atmosphère authentique en plein centre-ville. Ça a eu des effets délétères, dont l'invasion de touristes. Des commerçants ont commencé à vendre des t-shirts ACAB et les hipsters fans de street-art ont déboulé en masse. La gentrification a logiquement accompagné ces transformations, avec une hausse du prix du logement. Une évolution similaire en certains points à celle observée à Marseille, passée de ville qui fait peur à attraction pour touristes.

Lors de mon dernier séjour en 2021, juste après la crise Covid, je n'ai plus retrouvé le parfum de liberté que j'associais au quartier. Ce qui m'avait tant plu dans ces rues avait disparu, d'autant qu'il y régnait désormais une omniprésence policière. Il reste pourtant des lieux occupés et une solidarité active, par exemple envers les exilés. Comme beaucoup le disent là-bas : la lutte ne meurt jamais. Mais la vie sans police n'est pour l'instant plus d'actualité. »

Propos recueillis par Émilien Bernard

1 Aube dorée est un parti politique grec néonazi.

22.11.2025 à 00:30

Tuanbo : danse ou crève

Thelma Susbielle

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Dernière nouveauté sur Douyin, la version chinoise de TikTok : des jeunes aspirant·es idoles crament leur santé pour danser non-stop en live. Dans notre société du spectacle bien pourrie de l'intérieur, les corps jeunes finissent toujours par se faire exploiter. Sur le réseau Douyin, la version chinoise de TikTok, un nouveau format vidéo (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) / ,
Texte intégral (759 mots)

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Dernière nouveauté sur Douyin, la version chinoise de TikTok : des jeunes aspirant·es idoles crament leur santé pour danser non-stop en live.

Dans notre société du spectacle bien pourrie de l'intérieur, les corps jeunes finissent toujours par se faire exploiter. Sur le réseau Douyin, la version chinoise de TikTok, un nouveau format vidéo est en pleine expansion : le tuanbo, ou livestream de groupe. Dans ces shows en direct, des escouades de cinq à sept danseur·ses enchaînent les chorégraphies, tandis que les spectateur·ices envoient des cadeaux virtuels payants pour influencer la danse. Les algorithmes dictent en temps réel qui reste sous les projecteurs et qui disparaît, transformant la scène en arène numérique où l'attention est une marchandise et les êtres humains des pantins désarticulés.

Né de l'interdiction des émissions de télé-­réalité d'idoles1 en 2021, le tuanbo s'est vite imposé comme un marché colossal : plus de 5 000 studios se disputent la visibilité, et le secteur devrait dépasser 15 milliards de yuans (environ deux milliards de dollars) cette année. Les performances se vendent comme des actions en bourse : chaque clic, chaque cadeau numérique compte. Ce n'est plus seulement un spectacle. C'est une économie de l'attention où le corps et l'énergie des jeunes artistes deviennent capitaux.

Mais derrière les chiffres et les lumières colorées, la réalité est beaucoup moins glamour. Comme le raconte le média chinois Sixth Thtone, des centaines de jeunes femmes – et d'hommes – s'abîment la santé en espérant se faire repérer. Lu Yingcheng, 20 ans, a abandonné ses études et un contrat d'idole pour rejoindre un studio, oscillant entre anxiété, épuisement et espoirs de célébrité. Après avoir investi des années dans des cours de danse ou de comédie, ces aspirant·es stars se retrouvent à conjuguer lives interminables et performances épuisantes pour un salaire modeste et une reconnaissance limitée.

Dans les studios comme ceux de Peach Island, les journées peuvent durer de six à sept heures de direct, suivies de réponses aux messages et de répétitions supplémentaires, avec interdiction de contacts privés avec les fans. Le rythme est infernal : chaque geste, chaque sourire, chaque note de musique doit être calibré pour maintenir l'algorithme attentif et les spectateur·ices engagé·es. La créativité est oubliée, tandis que la fatigue devient une norme.

Au final, le tuanbo n'est pas seulement un phénomène culturel : il est la vitrine la plus crue de l'exploitation capitaliste. Les rêves d'idoles sont transformés en performances interchangeables, destinées à nourrir un flux numérique insatiable. Derrière les paillettes et les pétales virtuels, c'est surtout une course aux dons financiers. Tandis que les plateformes et les studios empochent les gains en exploitant l'énergie et la fragilité de ces jeunes qui rêvent de devenir des stars. Pendant ce temps, le marché, lui, ne s'épuise jamais.

Thelma Susbielle

1 En Asie, la fabrique des idoles transforme la jeunesse et le talent en produit commercial standardisé, en contrôlant leur image, formation et interaction avec les fans.

21.11.2025 à 12:08

Abandon du 49.3 : merci patron !

Léo Michel

La macronie, ou du moins ce qu'il en reste, nous avait promis un budget « du dialogue ». Le 49.3 ? Mis au placard, juré craché, foi de Lecornu. Mais pourquoi s'en servir et risquer la censure quand on dispose d'un arsenal juridique complet pour neutraliser le Parlement ? Évitant de justesse la censure grâce au soutien de députés qui ne partagent avec le socialisme qu'un substantif, Lecornu promettait lors de sa déclaration de politique générale du 14 octobre de renoncer à l'utilisation de (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025)
Texte intégral (584 mots)

La macronie, ou du moins ce qu'il en reste, nous avait promis un budget « du dialogue ». Le 49.3 ? Mis au placard, juré craché, foi de Lecornu. Mais pourquoi s'en servir et risquer la censure quand on dispose d'un arsenal juridique complet pour neutraliser le Parlement ?

Évitant de justesse la censure grâce au soutien de députés qui ne partagent avec le socialisme qu'un substantif, Lecornu promettait lors de sa déclaration de politique générale du 14 octobre de renoncer à l'utilisation de l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le budget de l'État. En laissant ­l'Assemblée nationale et le Sénat débattre des recettes et des dépenses publiques pour l'année 2026, la macronie agonisante s'évite un nouveau risque de censure et s'offre un ripolinage démocratique à moindre frais. Après avoir malmené les institutions de la démocratie bourgeoise, elle assure « changer de méthode » dixit son Premier ministre. En réalité, l'exécutif a simplement changé d'outil. Même logique, autre tournevis.

D'abord, la LOLF, la fameuse Loi organique relative aux lois de finances. Son acronyme fleure bon le sigle de comptable heureux, mais son effet tient plus de la camisole que du tableur. Elle range les dépenses en missions et programmes soigneusement verrouillés, plafonnés. Le Parlement peut y toucher, certes – à condition de ne pas toucher aux murs porteurs. En d'autres termes, il peut décider de supprimer des dépenses ou de redéployer de l'argent d'une politique publique vers une autre mais seulement si elles sont dans le même bloc. Interdit de supprimer trois canons Caesar pour financer l'éducation. Envie de plus de moyens pour l'école primaire ? Il faudra rogner sur le secondaire.

Ensuite, l'inusable article 40 de la Constitution, le cadenas en or massif de la Ve République. Il interdit à tout député ou sénateur de faire passer un amendement ou une proposition qui augmenterait la dépense publique, même d'un ticket de métro. Vous pouvez toujours inventer des recettes : taxe « trucmuche », impôt plus progressif, contribution de justice ou redevance sur les yachts de luxe – rien n'y fera. Pourquoi ? Parce que le gouvernement garde la main sur le montant des dépenses publiques et sur leur répartition. Résultat : le débat parlementaire sur les dépenses devient un exercice d'équilibrisme dans une cage à chiffres.

Coquetterie institutionnelle

Et surtout, ultime carte dans la manche du gouvernement : l'article 47 de la Constitution. Soixante-dix jours, pas un de plus : passé ce délai, que les élus ne soient pas parvenus à voter un budget pour l'année à venir, et hop ! le gouvernement boucle tout par ordonnance. Sans vote, sans honte, sans Parlement. Et dans une Assemblée sans majorité claire, l'affaire est probable. Pour Macron c'est l'opportunité de se replacer en garant de la « stabilité des institutions ». Depuis sa création en 1958, l'article 47 n'avait jamais été utilisé, les gouvernements disposant jusqu'alors d'une majorité à l'Assemblée nationale, ou à tout le moins d'assez de députés pour éviter une censure en cas de 49.3. Si la macronie se passe de ce dernier, ce n'est pas par vertu, c'est qu'elle a trouvé plus sournois encore.

Léo Michel

15.11.2025 à 00:30

Recueil des peines Mirabeau

Laëtitia Giraud

Au nord de Marseille, dans la commune des Pennes-Mirabeau, un projet de data center affole les riverain·es. Une enquête publique collecte les contributions en ligne jusqu'au 22 décembre. L'occasion de comprendre avec quels mots la contestation sociale se révèle sur la plateforme. Vous en redemandez ? Voilà qu'un nouveau projet d'installation de data center vient s'ajouter à la douzaine des gigantesques boîtes à machines qui ronronnent déjà à Marseille. Pour une fois, l'aventure est tentée (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) /
Texte intégral (1021 mots)

Au nord de Marseille, dans la commune des Pennes-Mirabeau, un projet de data center affole les riverain·es. Une enquête publique collecte les contributions en ligne jusqu'au 22 décembre. L'occasion de comprendre avec quels mots la contestation sociale se révèle sur la plateforme.

Vous en redemandez ? Voilà qu'un nouveau projet d'installation de data center vient s'ajouter à la douzaine des gigantesques boîtes à machines qui ronronnent déjà à Marseille. Pour une fois, l'aventure est tentée au-dehors du port de la ville qui a accueilli la plupart des derniers chantiers. La société japonaise Telehouse, aux manettes, a jeté son dévolu sur une parcelle de six hectares qui longe l'autoroute A7, proche du quartier des Pallières aux Pennes-Mirabeau. Les habitant·es, quant à elleux, ont seulement été informé·es « dix ou quinze jours avant le début de l'enquête publique, via un article de La Provence début septembre », explique Jean Reynaud de l'association Bien vivre aux Pennes-Mirabeau (BVPM), avant de souffler : « Les conseillers municipaux de l'opposition n'étaient même pas au courant. » La raison se trouve peut-être dans la crainte de s'attirer les foudres des riverain·es, « car pour qu'un data center puisse s'implanter quelque part, il faut non seulement des réseaux électriques et de communication importants, de l'eau et du foncier abordable, mais aussi un risque de contestation citoyenne réduit »1.

« C'est sans illusion que j'écris ces quelques lignes »

Passage obligatoire avant de valider la construction, une enquête publique a été lancée en ligne le 22 septembre, afin de récolter les observations citoyennes sur le projet2. Comme d'habitude, lorsqu'il s'agit d'infrastructures de ce type, les « consultations » composent un recueil de critiques souvent bien étoffé, mais tout aussi souvent ignoré. Alors, pourquoi s'y intéresser ? Parce qu'elles ont au moins le mérite de rendre visible la parole des concerné·es. Et de révéler autant de façons d'exprimer son ras-le-bol.

Les « pas content·es »

Il y a d'abord les personnes qui n'y vont pas par quatre chemins. Un·e anonyme écrit ainsi : « C'est intolérable ! Marre des data centers et de l'intelligence artificielle qui détruisent les espaces naturels et agricoles, qui suppriment massivement les emplois et qui ne servent à rien sauf à nous pourrir la vie. » Sur le même ton, on trouve des avis tranchés en version poétique : « Esthétiquement ce bâtiment est une BOUSE, au secours », ou biblique : « Il ne faudrait pas en rajouter sous peine de voir les populations migrer vers d'autres cieux. » Dans cet idéal type des « pas content·es », il est aussi possible de lire, à contre-courant des pourfendeur·euses de la tech, des diatribes soutenant corps et âme le projet. Christophe, par exemple, critique les « oppositions de pacotille » et encourage plutôt à « laisse [r] la France redorer son blouson [sic] comme nouvel eldorado techno sans faire tout ce chichi sur des investissements ».

Les bon·nes élèves

Une autre stratégie consiste à relever très rigoureusement les manquements du projet vis-à-vis des obligations environnementales ou des documents réglementaires du territoire. Christine a consulté une lettre du maire des Pennes-Mirabeau qui tente de montrer en quoi l'installation du data center répond aux conditions détaillées dans le Plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). Elle expose ensuite dans un document de neuf pages et « point par point » pourquoi « les affirmations développées dans ce courrier ne sont pas recevables ». Avant de conclure, laconiquement, que « le permis de construire sollicité par la société Telehouse ne peut lui être délivré en l'état ».

Celleux qui doutent

Enfin, on trouve une litanie de réserves poliment formulées, s'enquérant : « Quel prix pour notre petit coin de campagne où il fait bon vivre ? » D'autres, moins polies, remettent en question l'enquête publique et s'approchent, peut-être, de la vérité : « C'est sans illusion que j'écris ces quelques lignes, persuadée que tout est déjà acté et que cette consultation n'est qu'une mascarade ! »

Sous son noble habit de démocratie participative, l'enquête publique risque une nouvelle fois de trahir ses promesses. Et les Pennes-Mirabeau de voir surgir, entre « l'église, le moulin et l'usine Coca-Cola », un nouveau monstre. Alors, Monsieur le commissaire-enquêteur, qu'en dira-t-on ?

Laëtitia Giraud

1 « Méga ordi en surchauffe », CQFD n° 338 (février 2025).

2 À l'écriture de cet article, 38 contributions avaient été déposées sur la plateforme.

15.11.2025 à 00:30

Serbie : hooligans, criminels et police main dans la main

Eliott Dognon

Depuis son accession au pouvoir, le président serbe Aleksandar Vučić joue les gros bras en intégrant des hooligans et des criminels dans son système répressif. Mais depuis un an les Serbes n'ont plus peur et occupent la rue. Son système mafieux perd pied ! Le 1er novembre, les Serbes ont commémoré le premier anniversaire de l'effondrement du auvent de la gare de Novi Sad qui a fait 16 morts. Depuis ce drame, un mouvement de protestation inédit fait rage. Étudiant·es et citoyen·nes de toute (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) /
Texte intégral (1952 mots)

Depuis son accession au pouvoir, le président serbe Aleksandar Vučić joue les gros bras en intégrant des hooligans et des criminels dans son système répressif. Mais depuis un an les Serbes n'ont plus peur et occupent la rue. Son système mafieux perd pied !

Le 1er novembre, les Serbes ont commémoré le premier anniversaire de l'effondrement du auvent de la gare de Novi Sad qui a fait 16 morts. Depuis ce drame, un mouvement de protestation inédit fait rage. Étudiant·es et citoyen·nes de toute la Serbie s'organisent horizontalement au sein de plénums et de zborovi – sorte d'assemblées populaires qui fonctionnent comme les plénums1. Iels occupent ensemble la rue pour réclamer justice, la fin de la corruption, la dissolution du Parlement et le départ du président Aleksandar Vučić.

« Jamais durant l'histoire moderne de notre pays, nous avions eu 5, 10, 15 manifestations le même jour »

Comme tout dirigeant autoritaire qui se respecte, ce dernier répond à la colère par la matraque. Rien de surprenant : « D'après les sondages, le pouvoir a compris qu'il perdrait si de nouvelles élections parlementaires avaient lieu, et que ce serait la fin d'un système bâti pendant dix ans sur la relation entre l'administration publique, des influences privées, des flux financiers et la violation systématique des lois. Pour l'éviter, le pouvoir recourt à des moyens de plus en plus violents pour gagner du temps et espère de nouvelles circonstances plus favorables » souligne Milan Igrutinović, chercheur associé à l'Institut des études européennes de Belgrade dans le média indépendant Mašina2. Pour ce faire, Vučić n'hésite pas à utiliser des hooligans et ses connexions mafieuses.

Vrai poulet aime faux poulet

« Jamais durant l'histoire moderne de notre pays, nous avions eu 5, 10, 15 manifestations le même jour. Il n'y a simplement pas assez d'agents. Donc le pouvoir a appelé en renfort n'importe qui d'un peu violent avec un passé criminel », analyse Anastasija* étudiante à l'université de Belgrade. Et naturellement beaucoup d'agents sont devenus impossibles à identifier à cause de la généralisation illégale du port de masques, casques ainsi que de la disparition des numéros d'identification pourtant obligatoire. Du coup, « plusieurs hooligans et criminels se procurent des uniformes et prétendent faire la police », explique Dinko Gruhonjić, journaliste et chercheur basé à Novi Sad, fréquemment harcelé par le pouvoir et ses soutiens pour ses positions antinationalistes.

En août dernier, lors d'affrontements dans différentes communes serbes comme Vrbas, Bačka Palanka ou Novi Sad, de nombreux médias et organisations de défense des droits de l'homme témoignent d'affrontements violents entre des manifestant·es et des groupes cagoulés, armés d'objets contondants. Ces derniers étaient ostensiblement défendus par un cordon de bleus. Le média radio Slobodna Evropa (d'obédience américaine) en a ainsi identifié cinq : un ancien membre du Parti progressiste serbe (SNS) au pouvoir condamné pour trafic d'armes, un hooligan condamné pour le meurtre d'un policier en passant par un gestionnaire de business opaques et un ultranationaliste prorusse.

« Plusieurs hooligans et criminels se procurent des uniformes et prétendent faire la police »

Parmi eux il y a surtout Đorđe Prelić condamné à 35 ans de prison, réduit à 10 ans, après une cavale de 4 ans pour le meurtre du supporter de foot toulousain Brice Taton en 2009. Depuis sa sortie de prison sous condition en 2021, sa présence est régulièrement remarquée lors d'événements en soutien au SNS. Le 13 août dernier, il a été aperçu bien en vue à Ćacilend3, un campement proche du parlement serbe à Belgrade censé rassembler les soutiens du président. Ce dernier y faisait une brève apparition, aux côtés de son frère, Andrej Vučić, fréquemment accusé de fricoter avec le crime organisé (notamment avec Zvonko Veselinović, un criminel bien connu au nord du Kosovo).

Rien de nouveau à l'horizon

L'usage de hooligans et de criminels pour faire les basses besognes de l'État serbe n'a rien de nouveau. Dans les années 1990, le président Slobodan Milošević avait confié au criminel Željko Ražnatović, alias Arkan, le soin de recruter dans les tribunes les soldats qui fonderaient la « Garde des volontaires serbes » pour faire du nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Et Vučić sait d'où il vient ! Avant de devenir le ministre de l'information de Milošević en 1998, il a fait ses armes dans le Parti radical serbe (SRS), ultranationaliste et dirigé par le criminel Vojislav Šešelj. Milošević s'était notamment servi de ce parti pour faire peur à l'Ouest, montrer qu'il était le plus à même de gouverner et cacher ses propres projets nationalistes. « Durant les guerres de Yougoslavie, le SRS était sous perfusion de l'État et organisait certains groupes paramilitaires plein de voleurs et de criminels de guerre. Le parti a gardé des liens forts avec les milieux criminels », explique Dinko Gruhonjić.

En 2017, lors de investiture présidentielle d'Aleksandar Vučić, des hooligans aux connexions mafieuses du Partizan, un grand club de Belgrade, avaient agressé des opposant·es et des journalistes

Il faut ajouter, que le président serbe n'a jamais caché son passé de fan de l'Étoile rouge de Belgrade. Il fréquentait même les Delije (les Braves), le principal groupe de supporters du club, fer de lance du nationalisme dans les années 1990 dans lequel Arkan a recruté le principal contingent d'hommes pour son groupe paramilitaire.

Aleksandar Vučić n'a pas attendu le mouvement de contestation démarré fin 2024 pour mettre ses connexions à profit, quitte à changer d'allégeance footballistique. Lors de son investiture présidentielle en 2017, des hooligans aux connexions mafieuses du Partizan, l'autre grand club de Belgrade, agressent des opposant·es et des journalistes. Plusieurs médias et organismes de lutte contre la corruption identifient alors plusieurs personnes liées au pouvoir. En 2021, le pouvoir tremble ! Le leader des Janjičari ou Principi (groupe de supporters du Partizan), Veljko Belivuk, est arrêté après une enquête internationale4. Avec d'autres membres, il est accusé de sept meurtres, de kidnappings, de torture, de trafic de drogues et de possession illégale d'armes. Vexé d'être mis au placard alors qu'il se pensait intouchable, « Velja le problème » balance lors de son procès en 2022 : « Avec Aleksandar Stanković [l'ancien leader des Janjičari, ndlr], j'ai dirigé un groupe qui servait les besoins de l'État jusqu'à son assassinat [en 2016, ndlr], après quoi j'ai continué à le faire. »

« Vučić place aux postes importants uniquement des gens qui lui sont loyaux »

L'intimidation d'opposant·es politiques et la sécurité étaient son rayon. Il déclare même avoir rencontré Aleksandar Vučić en personne à plusieurs reprises. Le pouvoir nie, mais comment faire semblant quand des messages déchiffrés par l'agence européenne de police criminelle Europol prouvent une relation amicale entre Belivuk et Danilo Vučić, le fils du président. Une affaire de famille finalement !

Face à l'affaiblissement du pouvoir et donc du crime organisé, les criminels et les hooligans s'intègrent très bien au système répressif serbe car Vučić « place aux postes importants uniquement des gens qui lui sont loyaux », rappelle Dinko Gruhonjić. Ils complètent ainsi la surveillance algorithmique, l'usage illégal de canon à son, la pression psychologique, le public shaming, les détentions arbitraires... Mais aujourd'hui, les Serbes ne se laissent plus faire ! « Chacun a sa manière de lutter, certains le font légalement devant la justice, d'autres préfèrent descendre dans la rue et combattre de front en arrachant notamment les gazeuses et les boucliers des flics », explique Anastasija. Les questions qui se posent désormais concernent l'après Vučić. Et les étudiant·es « jouent les arbitres dans la constitution de listes électorales citoyennes pour de potentielles prochaines élections législatives. » précise Dinko Gruhonjić. Ces dernier·es trient les candidat·es en prenant soin d'avoir uniquement des personnes de la société civile pour garder l'indépendance de leur mouvement non partisan. Iels excluent ainsi toutes les figures des partis d'opposition jugés co-responsables de la faillite de ce système. « Ce pays et cette société sont en ruines mais les étudiants donnent de l'espoir et nous montrent que nous sommes des gens normaux qui méritent de vivre des vies normales. Ceci est un prérequis pour penser la suite », conclut le journaliste.

Eliott Dognon

1 Voir « Balkans : Tout le pouvoir aux plénums ! », Lundi matin (21/03/2025).

2 Lire « No, This Is Not a Civil War In Serbia », Mašina (20/08/2025).

3 « Ćaci » est le sobriquet donné aux soutiens d'Aleksandar Vučić par les manifestant·es, Ćacilend est donc une moquerie qui peut être traduite par « le parc d'attractions des supporteurs de Vučić ».

4 Les janissaires étaient les esclaves de confession chrétienne qui formaient l'élite de l'infanterie de l'Empire ottoman. En 2018, le groupe change de nom pour Principi qui fait référence à Gavrilo Princip, assassin de l'archiduc François Ferdinand en 1914, qui est devenu un symbole du nationalisme serbe.

15.11.2025 à 00:30

L'école-usine

Loïc

Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ? Dernière semaine avant les vacances. La timide ambiance révolutionnaire du mois de septembre est retombée comme un soufflet. Aux dernières semaines d'été, entrecoupées par les (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) / ,
Texte intégral (749 mots)

Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ?

Dernière semaine avant les vacances. La timide ambiance révolutionnaire du mois de septembre est retombée comme un soufflet. Aux dernières semaines d'été, entrecoupées par les grèves, se succèdent les longues journées d'automne, à regarder tomber les feuilles depuis la salle de classe. Sur les chaises, dès le matin, certains gigotent, pressés que la Toussaint arrive. D'autres n'attendent même plus cinq minutes pour écraser leur tête sur la table et récupérer les heures de sommeil manquantes. « Vous savez que je dors pas vraiment monsieur ! J'écoute en dormant, j'enregistre mieux ! » ironise l'un d'eux. Je n'ai plus l'énergie de la rentrée pour les réveiller, moi aussi je comate. « En vrai monsieur cette dernière semaine elle passe lentemeeeeennt », geint un élève.

Alors que le temps s'étire pour tout le monde, je décide qu'on étudie un ouvrage à propos. Dans son roman À la ligne (La Table Ronde, 2019), Joseph Pontus raconte, sous forme de versets, son expérience d'ouvrier intérimaire dans une usine où il dépote des crevettes. Il y écrit « l'usine est/plus qu'autre chose/un rapport au temps/qui ne passe/qui ne passe pas/Éviter de trop regarder l'horloge/rien ne change des journées précédentes ». Un des élèves endormis entre-ouvre l'œil « Monsieur, c'est pareil qu'en classe, l'usine ! et pointe l'horloge au-dessus du tableau, Faut pas trop la regarder ! » Les autres acquiescent : « Monsieur l'ennui c'est horrible, ya pas pire, je pense qu'à rentrer chez moi toute la journée », confie un autre que je vois souvent le regard dans le vide, comme anesthésié.

La lecture continue : « Tu rentres/Tu zones/Tu comates/Tu penses déjà à l'heure qu'il faudra mettre sur ton réveil/Peu importe l'heure/Il sera toujours trop tôt ». Ici, comme à l'usine, l'ennui et la fatigue n'empêchent pas l'anxiété. « Ça fait flipper, même quand on est chez nous l'école est dans notre tête, même pendant notre temps libre », analyse le même élève le regard grave. Et la séance prend les airs d'une thérapie collective : « C'est vrai ! Et du coup ça génère du stress, t'y penses tout le temps ! » renchérit un autre. J'en profite pour rappeler que c'est pareil pour les profs : « Même si on passe moins de temps que vous en classe, on stresse aussi, et je me lâche, Moi aussi j'en peux plus de ces salles toutes blanches ! » Plus personne ne dort. La discussion glisse du manque de compréhension des parents aux dénigrements et aux pressions de certains profs, pour retomber sur l'usine où ils vont parfois faire des stages : « C'est comme l'école mais en pire, soit le travail est répétitif et ça rend fou, soit il est dur physiquement et ça fait mal, soit carrément le patron t'en donne pas et t'attends dans un coin ! » Quand on est prof, on minimise souvent les pressions qu'on fait porter sur les élèves et on n'écoute que trop peu les souffrances qu'ils vivent. C'est pourtant l'âge où apparaissent souvent les premiers signes de mal-être. Selon une étude de Santé publique France datant de 2022, 25 % des lycéens déclarent avoir eu des pensées suicidaires dans la dernière année. L'école-usine n'y serait-elle pour rien ?

Loïc

08.11.2025 à 00:30

Au sommaire du n°246 (en kiosque)

Ce numéro de novembre s'attaque de front à la montée de l'extrême droite et à ses multiples offensives dans le milieu associatif et culturelle. On enquête sur les manœuvres des milliardaires réactionnaires, l'entrisme dans la culture et les assauts contre les assos dans le dossier central. Hors-dossier, on vous parle des les alliances nauséabondes entre hooligans, criminels et pouvoir en Serbie, on prend des nouvelles des luttes, de Bruxelles aux États-Unis, en faisant un détour par Exarchia (…)

- CQFD n°246 (novembre 2025) / ,
Texte intégral (2153 mots)

Ce numéro de novembre s'attaque de front à la montée de l'extrême droite et à ses multiples offensives dans le milieu associatif et culturelle. On enquête sur les manœuvres des milliardaires réactionnaires, l'entrisme dans la culture et les assauts contre les assos dans le dossier central. Hors-dossier, on vous parle des les alliances nauséabondes entre hooligans, criminels et pouvoir en Serbie, on prend des nouvelles des luttes, de Bruxelles aux États-Unis, en faisant un détour par Exarchia et par la Fada Pride qui renaît à Marseille. Et pendant qu'on documente la bagarre, le Chien rouge tire la langue : nos caisses sont vides. On lance donc une grande campagne de dons. Objectif : 30 000 euros, pour continuer à enquêter, raconter, aboyer. CQFD compte sur vous !

Quelques articles seront mis en ligne au cours du mois. Les autres seront archivés sur notre site progressivement, après la parution du prochain numéro. Ce qui vous laisse tout le temps d'aller saluer votre marchand de journaux ou de vous abonner...

En couverture : « Bataille culturelle : l'extrême droite entre en scène » par Elias

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Dossier « Bataille culturelle : l'extrême droite entre en scène »

Nuit du Bien Commun : main basse des fachos sur les assos – Le 6 octobre devait se tenir à Aix-en-Provence la Nuit du Bien Commun, une soirée de levée de fonds pour des assos initiée par le milliardaire d'extrême droite Pierre-Édouard Stérin. Pas de charité désintéressée ici, mais une énième opération d'influence au service de son projet bien réactionnaire. Décryptage.

De l'art et des cochons – Au pays de l'exception culturelle, les politiques publiques sabordent le budget de la culture, ouvrant un boulevard aux fortunes privées et à l'extrême droite pour faire de l'entrisme. Dans ce secteur, l'union des droites est déjà consommée. En Provence-Alpes-Côte-d'Azur, la « Trajectoire Valeurs » de Renaud Muselier déclare la guerre au « wokisme ».

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Actualités d'ici & d'ailleurs

Pour le chien rouge : le flouze ou la piquouze – On a regardé partout : sous le matelas, dans les bas de laine, sur les comptes helvètes. Le constat est sans appel, CQFD est à sec, plus un kopeck. Alors, nous lançons une grande campagne de levée de fonds durant les trois prochains mois. Objectif : 30 000 euros. Pour que vive le chien rouge, donnez-lui des croquettes !

Exarchia sans les condés - « Vivre sans police ? […] C'est bien beau mais comment ? […] Et pourquoi ? Tout le monde trouve-il vraiment la police superflue ? ». Voilà quelques-unes des interrogations qui traversent Vivre sans police (Agone, octobre 2025), de l'ami Victor Collet, consacré aux lendemains des émeutes de décembre 2008 à Athènes. Pour focale, le mythique quartier d'Exarchia niché au cœur de la capitale, qui a un temps résisté à l'invasion policière.

Serbie : hooligans, criminels et police main dans la main – Depuis son accession au pouvoir, le président serbe Aleksandar Vučić joue les gros bras en intégrant des hooligans et des criminels dans son système répressif. Mais depuis un an les Serbes n'ont plus peur et occupent la rue. Son système mafieux perd pied !

8 millions dans la rue – et après ? – Suite aux massives manifestations organisées un peu partout aux États-Unis le samedi 18 octobre, notre correspondant dans le pays, John Marcotte, nous a fait parvenir quelques pistes de réflexion. Il y est question des résistances au triomphe du fascisme et des moyens de hisser la lutte à un niveau supérieur.

Recueil des peines Mirabeau – Au nord de Marseille, dans la commune des Pennes-Mirabeau, un projet de data center affole les riverain·es. Une enquête publique collecte les contributions en ligne jusqu'au 22 décembre. L'occasion de comprendre avec quels mots la contestation sociale se révèle sur la plateforme.

Football social à l'irlandaise – Face à la décadence du sport professionnel soumis aux règles capitalistes, des Irlandais·es luttent à contre-courant pour bâtir un autre modèle. À Dublin, le Bohemian Football Club, détenu entièrement par ses fans, se mobilise pour redéfinir l'utilité sociale du sport en soutenant diverses causes, dont celle des Gazaoui·es.

Grève lucide pour la Palestine – Après une décennie blanche, le syndicalisme combatif de nos voisins d'outre-Pyrénées a renoué avec la stratégie de la grève nationale le 15 octobre dernier pour s'opposer au génocide en Palestine. Nous revenons sur ces mobilisations depuis la banlieue madrilène de Getafe.

Abandon du 49.3 : merci patron ! – La macronie, ou du moins ce qu'il en reste, nous avait promis un budget « du dialogue ». Le 49.3 ? Mis au placard, juré craché, foi de Lecornu. Mais pourquoi s'en servir et risquer la censure quand on dispose d'un arsenal juridique complet pour neutraliser le Parlement ?

L'État belge assassine les enfants de Gaza – À Bruxelles, un jeune palestinien et militant, Mahmoud Ezzat Farag Allah, est mort le 7 octobre dernier. Il était détenu depuis trois mois dans un centre fermé. Son décès survient alors que, depuis septembre, la police multiplie les rafles en marge des rassemblements quotidiens pour la Palestine.

Fiertés folles – Après près de dix ans d'absence, la Fada Pride marseillaise renaît. À la barre : les fous, les folles, les fatigués de la psy et de ses éternels dysfonctionnements, les énervés de la violence sociale sans cesse reconduite.

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Côté chroniques

Lu dans... - Le média d'investigation indépendant allemand Correctiv révèle ce mois-ci les dessous d'un plan de lutte contre l'antisémitisme soutenu par le ministre de la Recherche qui cible spécifiquement les jeunes musulmans.

Sur la Sellette | Protéger les consommateurs – En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.

Échec scolaire – Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu'on s'est planté ?

Capture d'écran – Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Dernière nouveauté sur Douyin, la version chinoise de TikTok : des jeunes aspirant·es idoles crament leur santé pour danser non-stop en live.

Peine perdue – Luno est bénévole en prison, et nous en livre un aperçu chaque mois. Un regard oblique sur la taule et ses rouages, par quelqu'un qui y passe mais n'y dort pas. Premier épisode : trouver ses marques.

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Côté culture

On n'achève pas les punks – D'aucuns disent de lui qu'il est « l'écrivain inconnu le plus connu d'Amérique ». Et qu'on ne saurait trouver meilleur conteur de l'histoire des squats bordéliques et des boucans punks. Pas faux. Ajoutons qu'après avoir lancé son iconique et pétaradant fanzine Cometbus au début des années 19801, Aaron Cometbus n'a rien lâché. Dans Post-mortem, il déroule l'une de ses obsessions : que reste-t-il des utopies underground fréquentées au fil des décennies ?

Décathlon K.O. par abandon face à Oxygène – Empêcher la construction d'un méga centre commercial porté par Décathlon, mission impossible ? Après sept ans de lutte, de réunions, de mobilisations, de recours judiciaire, le collectif Oxygène a réussi à faire plier le géant du sport à Saint-Clément-de-Rivière. La BD Une victoire sur le béton (Le Passager clandestin) raconte leur combat acharné.

Abysses au pays des merveilles - Invitée à documenter le travail de scientifiques explorant les fonds marins, Corinne Morel-Darleux en a tiré un petit livre aussi révolté que vivifiant : Du fond des océans, les montagnes sont plus grandes. Alors que les océans sont saccagés par les activités humaines, elle livre un plaidoyer vibrant pour leur sauvegarde. Plongée sous-marine.

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Et aussi...

L'édito – Le brame du chef

Ça brûle ! – Et ça gratte

L'animal du mois – L'inestimable hirondelle

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1 Pour une description énamourée de son approche de la micro-édition, lire « Les fanzines ont des ailes (les punks et les bouquinistes aussi) », CQFD n°205 (janvier 2022).

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