LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie Blogs REVUES Médias
Souscrire à ce flux
En kiosque le premier vendredi du mois.

▸ les 10 dernières parutions

11.10.2025 à 00:30

Nicolas Framont : « Quand la peur change de camp, le rapport de force devient favorable »

Gaëlle Desnos

Dans son dernier ouvrage Saint Luigi, Nicolas Framont repose la question de la violence en politique à partir d'une réflexion sur l'affaire Luigi Mangione aux États-Unis. Pas d'appel à tuer des PDG ni à manger des riches, mais une invitation au débordement, par la base, de nos orgas mortifères. Comment répondre à la violence du capitalisme ? C'est la question que se pose Nicolas Framont, dans son récent ouvrage Saint Luigi (Les liens qui libèrent, 2025). Pour répondre, l'auteur revient sur (…)

- CQFD n°245 (octobre 2025) / ,
Texte intégral (1880 mots)

Dans son dernier ouvrage Saint Luigi, Nicolas Framont repose la question de la violence en politique à partir d'une réflexion sur l'affaire Luigi Mangione aux États-Unis. Pas d'appel à tuer des PDG ni à manger des riches, mais une invitation au débordement, par la base, de nos orgas mortifères.

Comment répondre à la violence du capitalisme ? C'est la question que se pose Nicolas Framont, dans son récent ouvrage Saint Luigi (Les liens qui libèrent, 2025). Pour répondre, l'auteur revient sur l'affaire Mangione : le 4 décembre 2024, à New York, Brian Thompson, PDG de UnitedHealthCare (UHC), est abattu alors qu'il se rend à l'assemblée générale des actionnaires de son entreprise. L'assassin présumé s'appelle Luigi Mangione : un jeune homme d'une banalité désarmante, que rien ne semblait conduire à un tel geste. Brian Thompson, lui, n'est pas le dirigeant de n'importe quelle entreprise : 29 millions d'Américains dépendent de son bon vouloir pour le remboursement de leurs soins et ces dernières années, l'assureur privé s'est spécialisé dans les refus de prise en charge. Les jours qui suivent l'assassinat, vent de panique parmi la bourgeoisie américaine : certaines grosses boîtes tiennent leurs assemblées d'actionnaires en distanciel, d'autres retirent les photos de leurs dirigeants sur leurs sites. Partant de là, Nicolas Framont entreprend une réflexion sur le recours à la force et à la menace dans la lutte des classes. On ne lui a pas fait l'offense de lui demander s'il condamnait les violences, mais plutôt quelles leçons il tirait de cet événement. Entretien.

Tu dis que la lutte des classes est une lutte des corps. Mais tu expliques aussi que dans l'arène sociale, les corps bourgeois ont tendance à se dérober. Peux-tu préciser cette pensée ?

« Le 10 septembre a suffi à réactiver le traumatisme des Gilets jaunes au sein de la classe bourgeoise »

« Dans l'éducation de la grande bourgeoisie, il y a une véritable injonction à l'effacement du corps. Je l'ai appris malgré moi, lorsqu'étudiant, en vacances chez les parents d'une amie issue d'un milieu très aisé, j'ai eu la spontanéité de lâcher un “bon appétit” avant un repas. Selon mes hôtes, la formule était un rappel trop cru de l'acte de manger. Ce jour-là, j'ai réalisé que beaucoup de codes de la bienséance bourgeoise visaient en fait à éclipser tout ce qui trahit les nécessités du corps. Cela s'observe aussi dans l'habillement avec le port du très sobre et inconfortable costard-cravate. Ces codes sont un héritage de l'aristocratie d'antan, que la grande bourgeoisie actuelle reprend à son compte. Mais ils sont surtout la manifestation, à un niveau individuel, d'un escamotage à plus grande échelle : celui de l'invisibilisation du corps social bourgeois et de sa domination de classe. »

Justement, l'affaire Mangione fait brutalement éclater cette vérité au grand jour. Elle rappelle également que les bourgeois ont un corps, et qu'ils peuvent mourir. Cette mise à nu les terrorise. Quel rôle cette peur peut-elle jouer dans l'instauration d'un rapport de force ?

« Je ne considère pas le meurtre comme une option stratégique pour gagner contre la classe bourgeoise. Mais le fait de susciter la peur, oui. Dans mon livre, je décris plusieurs moments où la menace de la violence dans l'histoire a eu pour effet de faire avancer nos intérêts. En 2017 par exemple, des ouvriers de l'usine GM&S menacée de fermeture y ont eu recours pour peser sur les négociations. En fixant un dispositif explosif sur une immense cuve de gaz barrée d'un “on va tout faire péter”, et en allumant des feux de pneus autour du site pour donner l'impression qu'il brûlait, ils ont réussi à effrayer directions, journalistes et autorités réunis. La supercherie était spectaculaire, mais elle a fonctionné ! L'usine n'a pas fermé.

J'en conclus que quand la peur change de camp, le rapport de force devient favorable. On l'a encore vu cette rentrée, lorsque Bayrou s'est autosaboté : la simple menace d'un mouvement social le 10 septembre a suffi à réactiver le traumatisme des Gilets jaunes au sein de la classe bourgeoise. »

Tu cites les Gilets jaunes, mais pas le mouvement contre la réforme des retraites de 2023, pourtant massif. Dans ton livre, tu rappelles qu'aujourd'hui tous les modes d'action du répertoire radical ont été abandonnés. C'est ce qui fait que la bourgeoisie n'a plus peur ?

« Ce qui effraie vraiment, c'est l'imprévisibilité »

« Lorsqu'un mouvement social est piloté par les centrales syndicales, les interlocuteurs sont identifiés, les parcours des manifestations négociés à l'avance et la grève reconduite – au mieux – dix jours plus tard. La bourgeoisie peut cocher les dates sur son calendrier, adapter la production et se frotter les mains en pensant aux journées de salaire économisées.

Ce qui effraie vraiment, c'est l'imprévisibilité. Tout comme les Gilets jaunes, le 10 septembre était insaisissable : personne ne savait ce que nous allions faire, nous-même, nous ne le savions pas ! Les médias tentaient désespérément d'analyser la situation, tandis que Retailleau prévoyait de mobiliser un nombre de flics aberrant sur le terrain. Le jour J, nous étions moins nombreux que pendant la réforme des retraites. Pourtant la peur était bien là. Celle-ci ne tient donc pas nécessairement au nombre, mais à la capacité de nuisances potentielles : des manifestations ritualisées tous les quinze jours n'en présentent quasiment aucune. »

On comprend que, quand les classes laborieuses usent de menaces et se rendent imprévisibles, elles ont de meilleures chances de gagner. Comment expliques-tu que cette stratégie ne soit pas davantage du goût des syndicats et des partis ?

« Ces organisations ont fait émerger une petite caste de professionnels de l'action revendicative. Qu'ils officient dans le syndicalisme ou la politique, ces gens prétendent maîtriser la “science” du rapport de force. Ils fréquentent le pouvoir, ses hautes sphères et finissent par en tirer une certaine fierté. Leurs structures leur offrent des trajectoires professionnelles et une place dans l'ordre existant. Ils déclarent vouloir changer la société, mais un mouvement insurrectionnel, par définition incontrôlable, pourrait menacer leurs carrières. D'où leur préférence pour des stratégies compatibles avec le statu quo. »

Depuis le début de l'entretien, on parle de radicalité en un sens collectif. L'acte présumé de Luigi Mangione, lui, relève de l'initiative individuelle. Dans ton livre, tu dis que Lénine n'aurait sans doute pas été très emballé par cette affaire : il y aurait vu un acte sacrificiel, détaché de toute dynamique collective d'émancipation. Mais tu ne retiens pas complètement cet argument. Pourquoi ?

« Mon propos n'est pas de faire passer l'assassinat d'un PDG pour une solution. D'abord, c'est moralement catastrophique. Et puis je pense que le terrorisme d'extrême gauche n'a globalement jamais vraiment donné grand-chose. Mon point est ailleurs : je cherche à comprendre ce qui, dans un geste individuel, peut produire des effets collectifs. Dans l'affaire Mangione, l'acte a fabriqué une icône populaire. Ce n'est pas rien : une culture collective a besoin d'images, d'exemples qui donnent envie de se battre. Cela ne signifie pas que l'on souhaite imiter l'acte, mais plutôt que celui-ci met en lumière un problème – ici, le système de santé américain – et la nécessité de hausser le ton. C'est vrai pour de nombreuses luttes : dans les années 1950 par exemple, quand Rosa Parks a refusé de céder sa place à un passager blanc dans un bus soumis à la ségrégation raciale, son acte, isolé, a eu des effets collectifs considérables.

« Si une personne lambda peut commettre un acte aussi inattendu, alors l'ordre des choses n'est plus entièrement verrouillé »

Selon moi, Luigi Mangione est devenu une icône populaire, parce qu'il est un jeune homme ordinaire, sans véritable ancrage idéologique. Il incarne une forme de banalité et c'est précisément ce qui facilite l'identification. S'il s'agissait d'un militant d'extrême gauche bardé de lectures marxistes, il n'aurait sans doute pas suscité la même sympathie. Sa banalité confrontée à l'extraordinaire du geste a produit un effet de rupture – un “bug dans la matrice”. Si une personne lambda peut commettre un acte aussi inattendu, alors l'ordre des choses n'est plus entièrement verrouillé. L'histoire peut encore dévier. »

Est-ce que tu sous-entends que la gauche intello agace un peu tout le monde ?

« J'ai l'impression qu'il y a comme une fracture croissante. La production de la pensée critique est de plus en plus accaparée par l'université, comme s'il y avait une division du travail entre ceux qui pensent et ceux qui agissent. Ça énerve tout le monde. D'où, je crois, ce désir du primat de l'action et ce détachement vis-à-vis d'une forme d'avant-garde éclairée. On l'a nettement vu à l'époque des Gilets jaunes. Ce mouvement était à l'opposé des rigidités doctrinales, des représentants qui parlent une langue morte et de leur répertoire folklorique d'actions. C'est aussi ce que j'ai perçu du 10 septembre : dans les AG, on ne prenait même plus le temps d'exposer les raisons de la colère, seuls les meilleurs moyens de tout bloquer étaient à l'ordre du jour. »

Propos recueillis par Gaëlle Desnos

À lire aussi :

>>> Nicolas Framont : « Les parasites ne sont pas ceux que l'on croit »

>>> Pourquoi les Américains adorent-ils l'assassin de United Healthcare ?

>>> Mathieu Rigouste : « Les empires s'épuisent avant les peuples »

PDF

11.10.2025 à 00:30

« Rembourser la dette comme on fait pénitence »

Gaëlle Desnos

En juillet 2025, Bayrou proposait une année blanche, la suppression de deux jours fériés et tout un tas de mesures austéritaires pour échapper à la « malédiction de la dette ». Rien que ça. On débunke ce discours mystico-religieux avec Maxime Menuet, économiste et professeur à l'Université Côte d'Azur. Récemment, le Premier ministre et son gouvernement démissionnaire ont tenu des propos alarmistes sur la dette de la France. Selon vous, la situation est-elle aussi grave qu'ils le disent ? (…)

- CQFD n°245 (octobre 2025) /
Texte intégral (1880 mots)

En juillet 2025, Bayrou proposait une année blanche, la suppression de deux jours fériés et tout un tas de mesures austéritaires pour échapper à la « malédiction de la dette ». Rien que ça. On débunke ce discours mystico-religieux avec Maxime Menuet, économiste et professeur à l'Université Côte d'Azur.

Récemment, le Premier ministre et son gouvernement démissionnaire ont tenu des propos alarmistes sur la dette de la France. Selon vous, la situation est-elle aussi grave qu'ils le disent ?

« Non, elle est loin d'être aussi catastrophique. D'abord, rappelons qu'une dette publique n'est pas comparable à une dette privée – celle des ménages ou des entreprises. L'État a ce qu'on appelle un “horizon infini”. Les ménages et les entreprises doivent solder leurs créances parce qu'ils peuvent mourir. L'État, lui, ne meurt jamais, et peut donc indéfiniment se refinancer en réempruntant : on dit qu'il “fait rouler la dette”. En revanche, il doit s'acquitter des intérêts : il s'agit de la fameuse “charge de la dette”.

Pour comprendre, il faut toujours raisonner en ratio de PIB : c'est le poids de la dette par rapport à la richesse nationale qui compte. En France, celui-ci se situe aujourd'hui autour de 113–115 % du PIB. Le chiffre peut impressionner parce qu'il dépasse 100 %, mais il doit être mis en perspective : certains pays développés sont nettement plus endettés (le Japon dépasse 200 %, les États-Unis sont à 124 %) et, historiquement, les ratios ont déjà été bien plus élevés, notamment pendant les guerres mondiales. Quant à la charge de la dette, c'est-à-dire les intérêts versés chaque année aux créanciers, elle représente environ 2 % du PIB. C'est relativement faible par rapport aux années 1990 et 2000 par exemple.

Pour évaluer la trajectoire de la dette, sa “soutenabilité”, les économistes observent l'écart entre le taux d'intérêt auquel le pays emprunte et son taux de croissance. Si le premier dépasse la second, cela signifie que la dette augmente plus vite que la richesse nationale, ce qui peut poser problème. Aujourd'hui, la croissance française est faible (autour de 0,4–0,5 %), tandis que les taux auxquels elle emprunte sont un peu au-dessus de 3 %. La dette risque donc de progresser plus vite que le PIB. Mais à mon avis, le cœur du sujet est surtout le manque de croissance : c'est l'insuffisance d'activité et de création de richesse qui pose problème. »

Raison pour laquelle la note de la France a été baissée par l'agence de notation Fitch ?

« Oui et pour autant, les taux d'intérêt ne sont pas montés en flèche. En réalité, notre dette est toujours considérée comme un actif sûr. Un signe révélateur est la stabilité des porteurs : une part croissante des investisseurs conserve les titres de dette française sur la durée, au lieu de les céder rapidement sur les marchés secondaires pour spéculer. Cette rétention de long terme constitue, en finance, un marqueur clair de confiance.

« Nous sommes tous, ­collectivement, propriétaires d'environ un quart de notre propre dette »

Un autre aspect souvent négligé concerne la répartition des détenteurs. Environ 45 % des titres sont aujourd'hui entre les mains de résidents et 55 % de non-résidents, un niveau parmi les plus élevés des pays développés. Cela traduit l'attractivité de la dette française, que fonds de pension, banques et assureurs achètent volontiers. À noter enfin : près d'un quart de l'encourt est détenu par la Banque de France, c'est-à-dire par une institution publique. Nous sommes donc tous, collectivement, propriétaires d'environ un quart de notre propre dette ! »

Dans une tribune signée dans Le Monde, vous pointez le récit « moral » entourant la dette. Qu'entendez-vous par là ?

« Tout à fait. C'est un discours qu'a fortement incarné François Bayrou récemment : la dette serait une “malédiction” collective. Cette représentation s'inscrit dans un héritage religieux et moral bien particulier, forgé dès les XVIIe et XVIIIe siècles. Dans la tradition biblique, le même mot sert souvent à désigner la “dette” et la “faute” – en grec, en araméen, en hébreu. Et cette vieille équivalence imprègne encore nos imaginaires : la dette serait un péché à expier, qu'il faudrait rembourser comme on fait pénitence. Les efforts demandés prennent alors la forme d'une repentance collective. Il faut déconstruire ce mythe de toute urgence !

« Les cures d'austérité sont un remède pire que le mal, la BCE le sait et a changé d'attitude depuis la Grèce »

Dans nos économies capitalistes, la dette publique constitue un débouché pour les gros patrimoines. Elle n'est pas une faveur généreusement accordée par des prêteurs charitables à des États impécunieux, mais un placement pour des épargnants aisés en quête de rendement. Et du point de vue de l'État, il s'agit d'un instrument de financement parmi d'autres ! Ailleurs, dans certaines cultures africaines par exemple, la dette est dédramatisée : loin d'être perçue comme une faute, elle est une simple méthode de répartition. »

Le registre moral ne sert-il pas surtout à fabriquer du consentement à l'austérité ?

« Oui, c'est avant tout politique. En réalité, les finances publiques disposent de leviers pour alléger ou étaler la dette : renégociations, allongement des maturités, interventions des banques centrales, etc. Et si, par hypothèse, les taux s'envolaient et qu'une véritable crise survenait, la Banque centrale européenne (BCE) interviendrait. L'épisode grec l'a montré : les cures d'austérité sont un remède pire que le mal, elles compriment fortement la croissance et font mécaniquement augmenter le ratio dette/PIB. La BCE le sait, et a changé d'attitude depuis. D'autant que la France est l'un des pays moteurs de la zone et que l'euro est une monnaie solide : l'Eurosystème ne laisserait pas une telle déstabilisation mettre en péril l'ensemble.

Par ailleurs, l'austérité n'est pas seulement dangereuse d'un point de vue financier. Elle l'est aussi pour l'investissement dans des secteurs clés comme la transition écologique. Or, ce qui se creuse de manière inexorable, c'est bien la dette écologique ! Le voilà le vrai passif. Aucun tour de passe-passe comptable ni sauvetage institutionnel ne pourra l'effacer. »

À gauche, une contre-proposition aux économies prévues par Bayrou pour sortir la France de la banqueroute a émergé : l'emblématique « taxe Zucman ». Qu'en pensez-vous ?

« De nombreux travaux en économie ont montré que l'impôt est progressif jusqu'à un certain seuil au-delà duquel il se met à régresser. Ainsi, les 0,0008 % les plus fortunés s'acquittent d'environ 26 % d'impôts, tandis les 0,1 % les plus riches paient autour de 46 %. L'économiste Gabriel Zucman propose d'instaurer un plancher d'imposition de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches au-delà de 100 millions d'euros. D'après ses calculs, cela rapporterait près de 20 milliards d'euros. Ce n'est pas les 44 milliards que cherchait Bayrou, mais c'est déjà ça.

« Les aides publiques en faveur des entreprises sont un véritable capharnaüm : la France a empilé les mesures et Bercy peine à en dresser un inventaire exhaustif »

Toutefois, plusieurs juristes estiment que le Conseil constitutionnel pourrait censurer une telle mesure au nom du caractère potentiellement “confiscatoire” de l'assiette (environ 1 800 personnes). En 2012, il avait déjà retoqué des éléments de l'ISF pour un motif similaire1.

Quoiqu'il en soit, je comprends pourquoi la gauche érige cette mesure en totem : elle vise à changer de cap et à trouver des ressources ailleurs que dans la poche des plus précaires. Mais au-delà des modalités de financement de la dépense publique, il faut aussi de toute urgence examiner les effets de cette dépense. Et là, c'est tout le logiciel de l'État qu'il faut revoir ! Les aides publiques en faveur des entreprises par exemple : ces dispositifs sont devenus un véritable capharnaüm… Une commission d'enquête du Sénat a récemment avancé le fameux chiffre de 211 milliards d'aides (sans compter celles des collectivités). Depuis les années 1980, la France a empilé les mesures et Bercy peine à en dresser un inventaire exhaustif. Les évaluations montrent des effets quasi nuls sur l'emploi et la croissance ; l'impact principal tenant surtout en une reconstitution des marges. D'où une piste évidente : cartographier et simplifier ces dispositifs, puis les orienter dans une logique de planification en définissant, à 20 ou 30 ans, les filières et secteurs à soutenir. La planification écologique, les services publics, les secteurs stratégiques…Il y a beaucoup de chantiers ! »

Propos recueillis par Gaëlle Desnos

À lire aussi :

>>> Nicolas Framont : « Les parasites ne sont pas ceux que l'on croit »

>>> 60 milliards de mensonges

>>> Hausse des droits de douanes : le capitalisme en crise


1 À part ces éléments précis, l'ISF touchait plusieurs centaines de milliers de ménages qui, chaque année, devait s'acquitter d'un impôt direct calculé sur la valeur du patrimoine, avec un barème progressif dès 1,3 million d'euros. Loin d'être un « matraquage fiscale », la mesure avait quand même un certain panache. La taxe Zucman, elle, ne vise que les immenses patrimoines et est surtout corrective : on fixe un minimum d'impôt de 2 % puis, chaque année, on regarde ce que la personne a déjà payés et si c'est inférieur à 2 % de sa fortune, on lui demande de compléter. Elle est donc beaucoup moins transformatrice pour l'ensemble du système fiscal.

PDF

11.10.2025 à 00:30

« Tradwives » : elles lavent leur linge sale en public

Thelma Susbielle

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Alors qu'on pensait le mouvement tradwife en pleine expansion, certaines anciennes adeptes prennent la parole sur Tiktok ou Instagram pour alerter sur cette forme réchauffée d'exploitation. « Être une épouse traditionnelle est un piège ». Enitza, alias @emergingmotherhood sur Instagram, a embrassé le mode de vie tradwife il y a une (…)

- CQFD n°245 (octobre 2025) / ,
Texte intégral (692 mots)

Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Alors qu'on pensait le mouvement tradwife en pleine expansion, certaines anciennes adeptes prennent la parole sur Tiktok ou Instagram pour alerter sur cette forme réchauffée d'exploitation.

« Être une épouse traditionnelle est un piège ». Enitza, alias @emergingmotherhood sur Instagram, a embrassé le mode de vie tradwife il y a une décennie. Cette mère de quatre enfants raconte ses difficultés et a lancé un podcast afin d'aider d'autres femmes à sortir de relations d'emprise ou de mariage traditionnel. Et elle n'est pas la seule.

Ces dernières années, le mouvement tradwife, venu des États-Unis a déferlé sur les réseaux sociaux. La recette du succès ? Des vidéos à l'esthétique léchée, vantant un quotidien digne d'une pub des années 1950 : après une journée passée à gérer enfants, ménage et cuisine, les épouses se montrent dans des robes impeccables, prêtes à accueillir leur mari avec le sourire. Cet imaginaire, tout droit sorti de l'univers réactionnaire et conservateur de l'extrême droite, promet aux femmes une vie plus douce et simple que celle offerte par le capitalisme libéral. Sur Instagram ou TikTok, les plus connues s'appellent @EstéecWilliams, @Ballerinafarm ou @naraaziza. Mais derrière cette vie « de rêve » se cachent d'autres réalités : précarité, isolement, emprise, violences conjugales… Depuis quelques mois, d'ex-tradwives déconstruisent le vernis pastel de leurs anciennes consœurs et exposent l'envers du décor.

Car après une séparation, beaucoup se retrouvent sans diplôme ni expérience professionnelle, avec plusieurs enfants à charge. « Quand tu as été une tradwife pendant dix ans, que tu as un énorme trou dans ton CV et que tu deviens maman solo de quatre enfants…Tu n'as aucune idée par où commencer pour chercher un travail ! » résume Enitza sur son compte Instagram. Après dix ans passés sans carte bleue, sans amis, coupée du monde, la mère de famille a décidé de divorcer : « Une fois que vous aurez quitté votre mari colérique et dominateur, vous vous sentirez progressivement mieux à oublier à quoi ressemblait cette vie. »

Beaucoup de témoignages pointent les difficultés financières traversées après la séparation. À 25 ans, @Mickay_Mouse11 s'est retrouvée seule avec quatre enfants à élever, sans diplôme ni expérience : « Je n'avais rien ». Même parcours pour @joannadahlseidofficial : « J'ai été tradwife. Et j'ai aussi été sans domicile pendant un moment. Malgré ma formation, j'ai travaillé chez Starbucks pour 9 dollars de l'heure à 31 ans. »

Morale de l'histoire : la tradwife, loin d'être une alternative au capitalisme, n'est qu'un produit marketing de plus. Ménagère docile ou girlboss épuisée se révèlent être les deux facettes d'une même pièce : celle de l'exploitation patriarcale des femmes au service de la production.

Thelma Susbielle

À lire aussi :

>>> L'agro-industrie à l'assaut de l'influence

>>>Les coulisses acides de l'influence beauté

>>> Circulez y a rien à voir

PDF

11.10.2025 à 00:30

Circulez, y'a rien à voir !

Laëtitia Giraud

Fin août, le ministère de l'Intérieur publie en catimini un nouveau texte pour donner un cadre à l'intervention des forces de l'ordre lors de « violences urbaines ». Problème : la protection des journalistes est remise en cause. Récit d'une nouvelle tentative de censure de la liberté de la presse. De nouvelles entraves au travail des journalistes Alors qu'à la fin de l'été plane une atmosphère de mobilisation sociale dans tout le pays, le gouvernement mijote lui aussi un mauvais tour. (…)

- CQFD n°245 (octobre 2025) /
Texte intégral (901 mots)

Fin août, le ministère de l'Intérieur publie en catimini un nouveau texte pour donner un cadre à l'intervention des forces de l'ordre lors de « violences urbaines ». Problème : la protection des journalistes est remise en cause. Récit d'une nouvelle tentative de censure de la liberté de la presse.

De nouvelles entraves au travail des journalistes

Alors qu'à la fin de l'été plane une atmosphère de mobilisation sociale dans tout le pays, le gouvernement mijote lui aussi un mauvais tour. Le ministère de l'Intérieur et la police nationale publient le 31 juillet dernier un Schéma national des violences urbaines (SNVU), sans aucune concertation préalable. Censé fournir un cadre d'intervention aux forces de l'ordre en contexte de « violences urbaines », le document, au statut juridique flou, contient une disposition qui fait sauter au plafond les syndicats de journalistes et les organisations de défense de la liberté de la presse. Il indique que « la prise en compte du statut des journalistes telle que consacrée par le schéma national du maintien de l'ordre ne trouve pas à s'appliquer dans un contexte de violences urbaines ».

« La prise en compte du statut des journalistes ne trouve pas à s'appliquer dans un contexte de violences urbaines »

Le texte « pose problème autant sur la forme que sur le fond, explique Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières (RSF). Cette phrase revient à considérer les journalistes professionnels, mandatés pour couvrir les évènements, comme de simples manifestants, voire comme des émeutiers parmi d'autres. C'est extrêmement dangereux, car cela les expose directement aux violences et entrave leur travail ».

Un air de déjà-vu ?

Une première manœuvre contre nos droits fondamentaux ? Que nenni, ils n'en sont pas à leur coup d'essai. La loi « Sécurité globale », en 2021, qui « contenait plusieurs dispositions allant dans le sens de restreindre la visibilité des interventions policières plutôt que de protéger les journalistes sur le terrain », rappelle Thibaut Bruttin. Objet des crispations, le très conversé article 24 de la loi visait à punir la « provocation à l'identification » des forces de l'ordre. En d'autres termes, à empêcher les journalistes de diffuser des images d'interventions policières.

Quelques mois auparavant, en septembre 2020, un travail collectif engagé entre les syndicats, les ONG et la police avait pourtant abouti à la publication du Schéma national du maintien de l'ordre (SNMO). « Le SNMO nous a apporté quelques garanties », observe Thibaut Bruttin. On y trouve par exemple la reconnaissance de la nécessaire protection du « droit d'informer », ou encore la mise en place de mécanismes comme la désignation d'un « officier référent » chargé d'assurer la liaison avec les journalistes dans les manifestations. La loi « Sécurité globale », adoptée définitivement en mai 2021, marquera une nouvelle tentative de passage en force.

Rester sur le qui-vive
Devant le tollé que provoque la situation, le gouvernement rétropédale le matin même où le jugement doit être prononcé

Dans ce contexte, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et d'autres organisations comme RSF, ne se sont pas faites attendre pour déposer devant le Conseil d'État un référé-liberté à l'annonce de la sortie du SNVU. Cette procédure d'urgence permet de demander au juge de prendre des mesures pour préserver une liberté fondamentale. Devant le tollé que provoque la situation, le gouvernement rétropédale le matin même où le jugement doit être prononcé, le 11 septembre, et décide de republier le document sous le nouveau petit nom de Guide opérationnel des violences urbaines (GOVU) – comme si on était dupes – en supprimant la disposition litigieuse. Pas complètement satisfaits, les syndicats ont également saisi le Conseil d'État sur le fond de l'affaire.

Contacté à ce sujet, le SNJ explique demander à la juridiction de se prononcer sur la dimension attentatoire à la liberté de la presse du document. L'objectif : que le texte « puisse garantir explicitement la protection des journalistes, quel que soit le contexte, afin qu'ils puissent exercer leur mission d'informer ». Pour lui, comme pour les autres organisations de journalistes, l'intention initiale reste problématique et implique de rester vigilants face à ce glissement toujours plus autoritaire. Une façon polie de dire que nous ne laisserons rien passer.

Laëtitia Giraud

À lire aussi :

>>> La marmite sous les directions syndicales

>>> Eurolinks : un grain dans la machine militaire

>>> Une kermesse comme quartier général

PDF

04.10.2025 à 00:30

Au sommaire du n°245 (en kiosque)

Ce numéro d'octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d'actions. Le sociologue Nicolas Framont et l'homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et (…)

- CQFD n°245 (octobre 2025) / ,
Texte intégral (1974 mots)

Ce numéro d'octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d'actions. Le sociologue Nicolas Framont et l'homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.

Quelques articles seront mis en ligne au cours du mois. Les autres seront archivés sur notre site progressivement, après la parution du prochain numéro. Ce qui vous laisse tout le temps d'aller saluer votre marchand de journaux ou de vous abonner...

En couverture : « Si nous tirons tous, il tombera » par Marina Margarina

***

Dossier « Si nous tirons tous, il tombera »

Se rendre ingérables – L'intro du dossier signé par la rédac.

Au péage de Lançon-de‑Provence, pas de pitié pour Vinci – Dimanche 7 septembre, une centaine de joyeux lurons bariolés s'est retrouvée au péage de Lançon-de-Provence pour une action « péage gratuit ». Pendant une heure, ils ont maintenu les barrières ouvertes, distribué des tracts et récolté des deniers pour soutenir la mobilisation du 10 à venir.

Bloc parti – Pour transformer le doux fantasme du blocage général en une réalité palpable, quatre points de rendez-vous avaient été fixés à Marseille. La prise d'initiative et l'audace remarquable n'ont pourtant pas suffi à paralyser la ville.

Eurolinks : un grain dans la machine militaire – Des centaines de personnes se sont relayées tout au long de la journée pour bloquer l'usine Eurolinks, mettant ainsi à l'arrêt la production de l'entreprise exportatrice de maillons de munitions en Israël. Récit d'une action réussie.

Une kermesse comme quartier général – À Marseille, le 10 septembre n'a pas seulement vu des tentatives – plus ou moins abouties – de blocages, sabotages et autres réjouissances. En centre-ville, une kermesse militante s'est tenue pour la journée, véritable base arrière. Petit tour de cette initiative festive.

La marmite sous les directions syndicales – Ça devient une habitude : cette rentrée, alors qu'enfin la mobilisation reprend, l'intersyndicale la discrédite, avant de s'empresser de calmer le jeu. Alors oui, elle parvient encore à entraver les secteurs qui se reposent sur elle. Mais dans ses bases, les grévistes ont des revendications de plus en plus politiques. Avec risque de débordement.

Nationaliser l'énergie – Quand on fait grève, en général, on ne se repose pas. À courir de manif en piquet, de réunion en AG, le cerveau est dopé et ne s'arrête plus de tourner. Le 17 septembre dernier, on débattait avec les grévistes de la CGT Mines et Énergie de la nationalisation de leurs outils de production.

Convergences en divergences – Le jeudi 18 septembre, les militant·es qui bloquaient l'usine Eurolinks ont rejoint par hasard le piquet de grève des salariés sous-traitants en charge du nettoyage des métros et bus marseillais de la RTM, la Régie des transports métropolitains. Une rencontre entre deux univers de lutte.

Circulez, y'a rien à voir ! – Fin août, le ministère de l'Intérieur publie en catimini un nouveau texte pour donner un cadre à l'intervention des forces de l'ordre lors de « violences urbaines ». Problème : la protection des journalistes est remise en cause. Récit d'une nouvelle tentative de censure de la liberté de la presse.

Nicolas Framont : « Quand la peur change de camp, le rapport de force devient favorable » – Dans son dernier ouvrage Saint Luigi, Nicolas Framont repose la question de la violence en politique à partir d'une réflexion sur l'affaire Luigi Mangione aux États-Unis. Pas d'appel à tuer des PDG ni à manger des riches, mais une invitation au débordement, par la base, de nos orgas mortifères.

Olivier Besancenot : « En prenant un bain d'anarchisme, le marxisme d'aujourd'hui peut sortir régénéré » – Dans leur dernier livre Marxistes et libertaires : affinités révolutionnaires, Olivier Besancenot et Michael Löwy retracent l'histoire des alliances et solidarités entre ces deux courants, avec l'espoir de voir advenir un futur rouge et noir. Entretien.

***

Actualités d'ici & d'ailleurs

« Rembourser la dette comme on fait pénitence » – En juillet 2025, Bayrou proposait une année blanche, la suppression de deux jours fériés et tout un tas de mesures austéritaires pour échapper à la « malédiction de la dette ». Rien que ça. On débunke ce discours mystico-religieux avec Maxime Menuet, économiste et professeur à l'Université Côte d'Azur.

Solidarité à la française – « Nous avons, aujourd'hui, un taux de chômage qui est le plus bas depuis quinze ans », fanfaronnait Emmanuel Macron quelques mois avant sa réélection. Sa solution : réduire la durée d'indemnisation et allonger celle nécessaire pour ouvrir des droits. Résultat : des demandeurs d'emploi sous pression, contraints d'accepter un job « quoi qu'il en coûte ».

« Créer de la vie au milieu de la mort » – On avait eu le bonheur de le croiser à Vienne, au printemps, en marge d'un concert de soutien aux victimes du génocide de Gaza. Membre du groupe de shamstep 47SOUL et auteur d'une œuvre en solo aussi prolifique que bouleversante, le chanteur palestinien en exil El Far3i, Tareq Abu Kwaik de son vrai nom, est de ces artistes qui raniment la flammèche de l'humanité au cœur des temps obscurs. ***

Côté chroniques

Lu dans... | La Vuelta gagnée par le mouvement pro-Palestine en Espagne - Le 14 septembre, 100 000 manifestants ont occupé le centre de Madrid et arrêté avec succès la dernière étape de la Vuelta, course cycliste nationale espagnole. Le journal Viento Sur revient sur les leçons politiques de l'évènement1.

Sur la Sellette : L'intérêt des allocataires – En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.

Échec scolaire | Le fantôme du retour du serpent de mer de la grève générale – Loïc est prof d'histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d'une institution toute pétée. Ce mois-ci il nous emmène dans les AG du secteur de l'éduc' qui peinent à construire une grêve reconductible.

« Tradwives » : elles lavent leur linge sale en public – Les bas-fonds des réseaux sociaux, c'est la jungle, un conglomérat de zones de non-droits où règnent appât du gain, désinformation et innovations pétées. Alors qu'on pensait le mouvement tradwife en pleine expansion, certaines anciennes adeptes prennent la parole sur Tiktok ou Instagram pour alerter sur cette forme réchauffée d'exploitation.

***

Côté culture

Alcool ou pas cool ? – Alors que les drogues non légalisées sont stigmatisées, l'alcool est plutôt encouragé tant qu'il ne déborde pas. Et il est rarement interrogé avec finesse. Les rapports que l'on entretient avec lui sont pourtant éminemment pluriels, de même que les ressorts de l'addiction. C'est ce que souligne Fracasse, fanzine collaboratif évitant l'écueil de la culpabilisation.

De l'annexion au génocide – Le recueil de textes Gaza, génocide annoncé, présente des décennies de réflexions du chercheur Gilbert Achcar à propos de la Palestine. Un ouvrage dense, mais cohérent : le génocide à Gaza n'est pas le fruit du hasard, il est latent depuis la fondation de l'État d'Israël.

Frénésie de dissolutions - Contre-pouvoir essentiel en régime démocratique, les associations politiquement engagées subissent les assauts de l'État et de collectivités territoriales bien décidés à les faire taire. Antonio Delfini et Julien Talpin recensent et dénoncent ce bâillonnement croissant dans L'État contre les associations – Anatomie d'un tournant autoritaire.

***

Et aussi...

L'édito – La tatane entre les dents !

Ça brûle ! – Mettez-nous le feu !

L'animal du mois – Espiègle fouisseur

Abonnement - (par ici)


1 « Situación y lecciones de una victoria política que abre camino más allá del gobernismo », Viento Sur (17/09/2025).

PDF

04.10.2025 à 00:30

Se rendre ingérables

L'équipe de CQFD

Alors qu'il pensait passer ses réformes budgétaires en douce pendant les vacances, François Bayrou a soufflé sur le brasier de la colère. Durant l'été, le mouvement Bloquons tout a fait les choux gras dans les médias qui ont tenté de le définir alors qu'il n'avait pas commencé... Retour sur ce mois de septembre agité. On ne va pas se mentir, au début, on y croyait moyen. Décidé par on ne sait qui, au creux d'un été chaud et somnolent, ça paraissait un peu loin. Bayrou venait d'annoncer les (…)

- CQFD n°245 (octobre 2025) / ,
Texte intégral (1039 mots)

Alors qu'il pensait passer ses réformes budgétaires en douce pendant les vacances, François Bayrou a soufflé sur le brasier de la colère. Durant l'été, le mouvement Bloquons tout a fait les choux gras dans les médias qui ont tenté de le définir alors qu'il n'avait pas commencé... Retour sur ce mois de septembre agité.

On ne va pas se mentir, au début, on y croyait moyen. Décidé par on ne sait qui, au creux d'un été chaud et somnolent, ça paraissait un peu loin. Bayrou venait d'annoncer les premières mesures de la casse sociale qu'il comptait mettre en œuvre pour échapper à la « malédiction » de la banqueroute nationale et nous, nous partions (pour les plus veinard·es) sur nos lieux de villégiature préférés, la mine déconfite. Mais c'était sans compter sur les Françaises et les Français, toujours prompt·es à conspirer contre leur gouvernement. Ça a commencé par pépier en AG. D'abord à 30, puis à 50, puis à 300. Des mots d'ordre grattés sur des tracts semés aux quatre vents se sont mis à circuler, tandis que les murs se tapissaient de « on ne veut plus » et « bloquons tout ». Plus on avançait, plus le message tournait qu'une grève dans le monde du travail serait la bienvenue. Dans le même temps, des boucles Signal en veux-tu en voilà ourdissaient des plans secrets pour paralyser voies, villes et flux. Au sommet, le Premier ministre apparaissait toujours plus seul avec son budget honni sur les bras. Deux jours avant la date fatidique, alors que rien de vraiment concret n'avait encore commencé, boum : il est forcé de démissionner… Puis, le 10 septembre a eu lieu.

À Marseille : 80 000 personnes sont descendues dans la rue ce jour-là selon la CGT, 8 000 selon la préfecture. Classique. Partout en France, 197 000 selon le ministère de l'Intérieur, 250 000 selon la CGT. Un beau score pour une mobilisation spontanée. Plus encore si l'on mesure la timidité de la position prise par l'intersyndicale qui, sentant le vent du 10 septembre souffler de plus en plus fort, s'était réunie en catastrophe le 29 août, pour finalement n'appeler qu'à une journée de mobilisation nationale le 18 septembre1. De son côté, le jour J, Retailleau a quasiment vidé Beauvau de ses flics : 80 000 forces de l'ordre casquées et harnachées ont été déployées dans toute la France2. Mais, imperturbable, la journée s'est déroulée, joyeuse et déter. À Lyon, les grévistes de la raffinerie Total de Feyzin ont été rejoint·es par des manifestant·es sur leur piquet. À Saint-Hilaire-Bonneval, en Haute-Vienne, des agriculteur·ices ont barré l'autoroute avec leurs tracteurs. À Strasbourg, une « vélorution » (un cortège de cyclistes bloquant) a filé sur les routes et ronds-points. À Paris, les portes de Bagnolet, de Clignancourt, d'Aubervilliers, ont été prises d'assaut au petit matin, pendant que les élèves du lycée Hélène Boucher envoyaient des poubelles à la figure des flics. Partout, des blocages stratégiques, des manifs qui essayent de sortir des codes, une fluidité dans les modes d'action et une idée fixe : se rendre ingérables.

Au sortir du 10, suivi du 18, dans la myriade d'AG globales, de groupes thématiques et de rassemblements de quartier, on commence à stratégiser. Qu'est-ce qui marche le mieux ? Qu'est-ce qui coince encore ? Les blocages sont galvanisants, mais ne durent pas. Les grévistes sont trop peu, mais débrayent, secteur par secteur, avec quelques bonnes poussées autogestionnaires. Comment faire le lien entre l'étincelle et l'artillerie lourde ? Des mains se tendent, des ponts se font, sans pleinement réussir à dissiper les vieux antagonismes. Pour autant, si chacun joue sa partie, tous se complètent dans la pression qu'ils mettent sur le gouvernement, plus instable que jamais.

À Marseille, la rédaction de CQFD a bien sûr sauté à pieds joints dans la journée du 10 – les plus vaillant·es participent toujours aux AG, commissions, et vivent leur grève par procuration sur les piquets. Et elle en a tiré quelques réflexions stratégiques à partager. Certaines actions l'ont épatée, d'autres l'ont laissée un peu sceptique. Tour d'horizon critique, mais fraternel, des initiatives aperçues dans la cité phocéenne.


1 Malgré tout, certaines organisations locales, ou de secteur, ont franchement appelé au 10, telle que l'Union départementale de la CGT du Nord (gloire à elle).

2 À titre de comparaison, au plus fort de la mobilisation contre la réforme des retraites, le 28 mars 2023, 13 000 membres des forces de l'ordre avaient été mobilisés dans toute la France. La mobilisation des Gilets jaunes du 8 décembre 2018, avait quant à elle, mobilisé 89 000 policier·es.

PDF
6 / 10
  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  Idées ‧ Politique ‧ A à F
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  Idées ‧ Politique ‧ i à z
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  ARTS
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
Fiabilité 3/5
Slate
Ulyces
 
Fiabilité 1/5
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
🌓