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24.11.2025 à 16:37

Les ressorts irrationnels de l'adhésion au fascisme

dev
Texte intégral (2720 mots)

Tout est dans le titre : ce court article aborde le problème, très tôt identifié par Wilhelm Reich, que pose l'irrationalisme revendiqué de l'idéologie d'extrême droite pour sa critique, et s'appuie sur les travaux d'Alice Miller et d'Alain Bihr pour identifier de manière aussi schématique et terre-à-terre que possible ses racines psychologiques.

L'irrationalisme est un caractère explicitement revendiqué par le fascisme historique : la réflexion devait céder le pas à l'action, et cette action n'être dirigée que par l'interprétation, par le chef inspiré, du « juste sentiment du peuple ». Les porte-parole de l'extrême droite, jusqu'à aujourd'hui, prétendent toujours « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas », révéler à eux-mêmes les sentiments inavoués et défendre leur droit : y compris celui des mauvais sentiments, puisque leur rhétorique écarte d'un même geste dédaigneux, avec les objections techniques, la morale charitable du « parti du bien ». Comment en vient-on ainsi à rejeter la logique et les bons sentiments ? D'où vient la force de séduction de l'idéologie d'extrême droite ? L'antifascisme peut-il faire l'impasse sur la compréhension des ressorts irrationnels de l'adhésion au fascisme ?

Ce problème a été posé très clairement par le psychanalyste marxiste Wilhelm Reich dans un livre intitulé Psychologie de masse du fascisme, écrit à chaud entre 1930 et 1933, c'est à dire au moment même de l'essor du nazisme. Je commence donc par rappeler le contenu de ce livre, et par évoquer les prolongements qu'il a trouvé dans le travail d'Alice Miller sur la « pédagogie toxique ». Cependant la solution qu'ils proposent me semble bien trop générale pour être satisfaisante. Les études du sociologue Alain Bihr rassemblées en 1998 sous le titre L'Actualité d'un archaïsme, à partir d'une description plus serrée de la pensée d'extrême droite, suggèrent des réponses plus précises.

Le problème de la "Psychologie de masse du fascisme"

L'analyse de Wilhelm Reich part d'une critique interne de l'impuissance des mouvements socialistes contre le fascisme. Le socialisme allemand du début des années 1930, notamment, est incapable de s'expliquer pourquoi les masses paupérisées, censées être les plus concernées par la révolution prolétarienne, se déportent plutôt vers la droite à l'occasion de la crise la tant attendue du capitalisme et de la démocratie libérale. On leur montrait pourtant par a + b que les revendications du fascisme étaient contraires à leur intérêt objectif ; pourquoi ces démonstrations avaient-elles si peu d'effet ? Cette évolution semblait prendre en défaut leur théorie politique tout entière, et donner raison aux nationalistes qui leur reprochaient d'avoir exclu « l'esprit » de leurs analyses. De même qu'ils échouèrent à comprendre l'adhésion populaire, ils n'expliquèrent pas comment le fascisme avait pu être d'abord opposé à la grande bourgeoisie, incapables qu'ils étaient de voir en lui autre chose qu'un « gardien du Capital ». Ils furent pris de court par son caractère de mouvement de masse. Le rejet en bloc de l'idéologie et le strict déterminisme économique de l'analyse marxiste a conduit à négliger les facteurs psychologiques : ce matérialisme grossier interdisait aux socialistes de comprendre ce qui fait le succès des théories « idéologiques » (comme le nationalisme) auprès des masses. Ils ne voyaient pas qu'une idéologie, lorsqu'elle produit un caractère psychologique, peut à son tour devenir une puissance matérielle et agir en retour sur le cours de l'histoire. Or, lorsque des conditions largement partagées produisent des caractères communs chez un grand nombre de personnes, une psychologie de masse est possible qui rende compte de ce facteur subjectif des processus historiques. La psychologie de masse complète l'analyse socio-économique en expliquant les comportements qui à ses yeux ne sont pas rationnels, et qui découlent de l'inertie des structures psychiques héritées par rapport aux transformations des conditions économiques.

Faisant fond sur la thèse freudienne selon laquelle le désir sexuel est le moteur le plus profond et général des processus psychiques, Reich recherche l'origine des comportements irrationnels dans la répression des désirs sexuels dès l'enfance, dans la famille autoritaire d'abord, puis dans la communauté religieuse. Son argumentation prend par conséquent deux directions : d'un côté, Reich veut montrer que l'inhibition sexuelle produit un caractère en général réfractaire à la révolte ; de l'autre, que le fascisme propose un exutoire pervers à ces désirs refoulés. De la servilité apprise à l'égard du père autoritaire à la soumission au chef politique qui en prend l'aspect, l'attitude est la même : aussi le pouvoir patriarcal au sein de la famille est-il indirectement le premier soutien de l'autoritarisme d'État. Or cette suprématie du père dans la famille s'exprime tout particulièrement par le contrôle qu'il exerce sur la sexualité de sa femme et de ses enfants, avec l'appui de la religion qui associe à la sexualité les angoisses de la faute. Réciproquement, le mythe nationaliste mobilise l'imaginaire issu de la répression sexuelle : l'attachement des hommes à la « mère-patrie » rejoue l'attachement problématique du garçon à sa mère, la représentation de la civilisation occidentale en Athéna menacée de viol par les satrapes orientaux rejoue la situation de conflit où l'idéal de pure abstinence est constamment menacé par des désirs bestiaux. Dans la concurrence des socialistes et des fascistes pour toucher les masses « apolitiques », l'argumentation économique des premiers, quelque fondée qu'elle soit, se heurte au fait que nombre de gens qui refusent positivement de prendre parti le font parce que des problèmes plus urgents les occupent, problèmes « personnels » en apparence seulement, puisqu'ils ont trait à la vie de famille et à la vie amoureuse. Le fascisme à l'inverse, quelle que soit la faiblesse de ce qu'il propose sur le plan économique, fournit non pas la solution de ces problèmes sexuels, mais une forme de sublimation, à la manière de la religion.

Je me suis contenté de reproduire le profil général de l'argumentation de Reich, et je n'ai pas voulu parler de ses détails, qui à mon avis sont le plus souvent ridicules. Une autre interprétation de même veine (et moins extravagante dans ses élaborations secondaires) a été plus récemment proposée par une autre thérapeute de formation psychanalytique, Alice Miller. Dans C'est pour ton bien, Miller soutient que les caractères des chefs nazis, comme l'adhésion populaire qu'ils ont réussi à susciter, découlent de la « pédagogie noire » à laquelle les enfants allemands étaient et sont encore quotidiennement exposés. A la différence de Reich, Miller ne se focalise pas sur la seule répression sexuelle, mais étend sa critique à toutes les formes de traitement cruel, violent et méprisant dans le cadre de la famille patriarcale. Ce n'est pas simplement qu'une pédagogie entièrement et explicitement destinée à briser la volonté de l'enfant, à lui interdire toute émotion et toute réflexion propre, produit des êtres terrifiés à l'idée de penser par eux-mêmes et qui auront facilement tendance à s'en remettre à un dictateur qui prend le rôle du père, et imite jusqu'à ses rages incompréhensibles. L'enfant blessé, dans l'interdiction d'exprimer sa haine et sa colère, et plus encore de la comprendre, la refoule, sans l'éliminer : devenu adulte, il ou elle sera tenté⋅e lui trouver un objet de substitution sur lequel la diriger sans enfreindre l'interdit. Les personnes qui sont déjà discriminées dans la société, et que l'on peut haïr sans crainte du jugement, sont alors des boucs-émissaires tout désignés. Typiquement, on les affublera, par projection, de ces mêmes caractères de méchanceté, saleté, que l'enfant a dû dans un premier temps dissocier de lui-même en intériorisant le jugement cruel de ses parents. Le caractère épidémique de la « pédagogie noire » explique que la masse de la population allemande, et y compris ses intellectuels, ait adhéré à la « solution » découverte par quelques hommes particulièrement violentés dans leur enfance, sans découvrir son irrationalité.

Sans rien enlever aux mérites de ces théories psychanalytiques, il me semble clair que la solution qu'elles proposent est trop générale : tout comme la répression sexuelle, l'oppression des enfants est millénaire, et les caractères qu'elles produisent pourraient servir d'appui à n'importe quelle forme d'autoritarisme. Le fascisme au contraire est propre à l'époque contemporaine, et il est seulement une forme particulière du nationalisme.

Trois ressorts irrationnels de l'adhésion au fascisme

Dans L'Actualité d'un archaïsme, Alain Bihr soutient que la pensée d'extrême droite, souvent présentée par ses détracteurs comme archaïque et délirante, présente en fait une logique originale qui ne pouvait apparaître qu'avec la « crise de la modernité ». Il ramène la structure commune à toutes les manifestations de l'idéologie d'extrême droite à trois éléments essentiels. Premièrement, toutes les pensées d'extrême droite affirment l'existence d'une identité collective éternelle et sacrée. L'appartenance d'un individu à sa communauté n'est pas négociable, sa vie ne prend sens que pour autant qu'il endosse les valeurs de sa communauté. Toute différence, à l'extérieur ou à l'intérieur, doit être interprétée comme une menace et la menace est donc constante. Deuxièmement, toutes représentent l'univers comme un ordre hiérarchique inégalitaire, où non seulement les forts dominent les faibles, mais où il est bon qu'il en soit ainsi. Reconnaître une différence conduit immanquablement à établir la prééminence d'un côté sur l'autre. Troisièmement, toutes décrivent la vie comme une lutte permanente pour la défense de son identité et sa suprématie sur les autres. C'est par la guerre que les forts révèlent leur valeur au détriment des faibles. Une vision de la nature, où chaque organisme cherche à persévérer dans son être dans une compétition à mort avec les autres, et peut être situé dans une unique échelle des êtres en raison de ses succès, constitue le modèle récurrent où sont réunis ces trois aspects. De ceux-ci découlent les axes typiques de la politique d'extrême droite, notamment le fait de demander à l'État de défendre l'identité menacée contre ses ennemis intérieurs et extérieurs, en laissant à une volonté unique le soin de définir cette identité. Ses ennemis aussi sont tout désignés : ce seront à la fois le libéralisme, pour sa mise en avant de la liberté individuelle au détriment des normes communautaires ; le socialisme, pour sa promotion d'une égalité conquise au prix d'une lutte au sein de la communauté ; et l'humanisme enfin, pour sa promotion d'une fraternité universelle par delà les limites de la communauté. « A la triade républicaine « liberté, égalité, fraternité », elle oppose sa propre triade : « identité, inégalité, pugnacité » ». On comprend qu'un tel programme suppose de laisser de côté certains bons sentiments. Mais qu'est-ce qui fait l'attrait de cette vision du monde ? Les chapitres qui suivent sont autant de coups de sonde dans la pensée d'extrême droite : Bihr analyse tour à tour un roman à forte coloration autobiographique du fasciste français Drieu La Rochelle, les discours politiques de l'ancien président du Front National Jean-Marie Le Pen, la rhétorique de l'inspirateur de l'Action Française Maurice Barrès, et les conditions sociales et psychologiques de réception de ces discours. Je ne rends pas compte de chacune de ces études, mais j'ai cru pouvoir dégager de leur ensemble trois ressorts irrationnels de l'adhésion au fascisme.

En premier lieu, la solitude de l'individu dans la société moderne. La constitution des grandes nations a disloqué à la fois les communautés villageoises et les grands cadres de pensée notamment religieux. Elle leur substitue davantage d'anonymat, de mobilité, et la perspective d'un bonheur individuel souvent identifié au simple confort matériel. A la souffrance de la solitude mentale s'ajoute le sentiment de l'absurdité des efforts demandés. La réponse psychologique correspondante est un désir d'appartenir à une communauté chaleureuse, dans laquelle la vie prenne un sens, et l'idée d'une décadence de la société moderne. Cette réponse devient proprement irrationnelle lorsque l'on demande à des sociétés composées de milliers d'individus de remplir ce rôle de « communauté » nationale, raciale ou régionale. Exacerbé, ce communautarisme peut produire l'idée qu'il n'y a de salut que dans le sacrifice de soi pour l'avènement ou la défense de cette communauté. Aucun écart ni aucune objection de conscience aux valeurs de la communauté ne sauraient être tolérés.

En deuxième lieu, l'insécurité des hommes vis-à-vis de leur propre virilité. Les hommes apprennent à réprimer l'expression de leurs sentiments et l'empathie à l'égard des sentiments des autres, à se focaliser sur le travail au détriment de leurs relations affectives : un conditionnement qui ne peut qu'aggraver leur solitude. Réciproquement, l'idéal d'une virilité inaccessible, liée à la réussite sociale, reste chez la plupart d'entre eux une source continuelle d'humiliation. La réponse psychologique correspondante est que la communauté idéale est par eux fantasmée sur un modèle spartiate, où les hommes se reconnaissent entre eux dans leur commune virilité. L'irrationalité de cette réponse, de manière plus évidente encore que dans le cas précédent, consiste à vouloir chercher le remède dans le mal. Exacerbé, ce virilisme peut produire l'idée que les hommes doivent être des guerriers, et les femmes, des mères et des épouses de guerriers. Aucun handicap, non plus qu'aucune dérogation aux normes traditionnelles du genre, ne sauraient être tolérés.

En troisième lieu, la culpabilité qui accompagne le privilège blanc. Les personnes blanches savent qu'une partie de leur confort provient de l'exploitation coloniale et de ses héritages. La réponse psychologique correspondante consiste à se cacher à soi-même cette injustice en dénigrant les gens et les cultures associées aux pays colonisés. Mais cette représentation se colore des éléments précédents. Pour une communauté de guerriers, les étrangers sont des ennemis, prêts à coloniser à leur tour. Les barbares africains ou orientaux sont crédités les uns d'une virilité extraordinaire et menaçante, les autres d'une effémination lascive. La figure du juif enfin prend une importance particulière par son association réelle ou fantasmée aux milieux intellectuels ou financiers : elle devient l'incarnation de la froide abstraction de la société moderne. Exacerbé, ce racisme peut produire l'idée que la communauté doit rester pure et au besoin se purifier des éléments ethniques étrangers. Aucun membre, ni aucune influence culturelle venue de l'extérieur du groupe ne saurait être tolérés.

Si cette analyse est correcte, la conclusion en est que les personnes qui travaillent aujourd'hui à promouvoir la convivialité à petite échelle, et à déconstruire la masculinité et la blanchité à un niveau personnel, contribuent à la lutte antifasciste. En fait, en reconnaissant l'importance du domaine de l'intime, elles font ce que n'ont pas su faire les socialistes des années 1930.

Tristan Lefort-Martine

  • Wilhelm Reich La Psychologie de masse du fascisme
  • Alice Miller, C'est pour ton bien
  • Alain Bihr, L'Actualité d'un archaïsme

24.11.2025 à 16:23

À qui profite le Bouyon ?

dev

Théodora & l'industrie culturelle : terrain de jeu diasporique ou chaîne de montage algorithmique ?

- 24 novembre / , ,
Texte intégral (2807 mots)

La semaine dernière, nous publiions un article intitulé À qui profite le BBL ? Théodora : traîtresse pop au service du capital ou nouvelle icône révolutionnaire afro-queer. Il s'agissait pour l'autrice d'analyser le succès de la nouvelle icône pop Théodora à l'aune du triptyque marxiste et matérialiste « race, classe, genre » et de sa récupération au moins partielle par l'industrie et la presse « blanche ». A priori, pas de quoi casser trois pattes à un canard mais l'article a suscité une vive polémique sur les réseaux sociaux. Il est toujours délicat dans ce genre de situation de parvenir à démêler ce qui relève de l'incompréhension (du lecteur comme de l'auteur), de la mesquinerie opportune et de la critique sincère et étayée. L'autrice s'y est attelé et revient ici sur ce qu'elle considère être des biais et des angles morts dans son analyse. Une manière de corriger et d'approfondir son article précédent.

Bon. Oui, j'ai bien reçu la rafale des critiques. Certaines sont à côté de la plaque et d'autres m'ont forcée à revoir ma méthode. Je ne défends donc pas le premier texte, mais je ne le retire pas non plus : je le reprends là où il a échoué. Ce qui m'intéresse ici n'est pas de m'excuser, mais de préciser les outils critiques avec lesquels lire les musiques populaires aujourd'hui. Parce que si l'on critique l'industrie culturelle sans écouter les scènes qui lui résistent, on passe à côté du nerf de la musique : ce qu'elle fait aux corps, aux colères et aux imaginaires. J'ai donc repris ce texte non pour renoncer à la critique matérielle du pop féminisme, mais pour la redéployer au bon endroit : non contre les publics ni contre les artistes, mais contre la structure qui capte, recycle et revend les formes de vie en les privant souvent de leurs conditions d'existence.

Une partie des critiques n'est pas une affaire de malentendu : elles révèlent des angles morts méthodologiques. Si l'effet produit contredit l'intention, il faut reprendre le terrain. C'est ce que je fais ici : non pas pour me dédire, mais pour préciser les outils de critique et les déplacements nécessaires lorsque la position d'énonciation infléchit l'analyse plus qu'on ne le croit. Donc je expliquer pourquoi je me suis plantée, sur quelles bases théoriques je croyais m'appuyer et comment je réécris cet article en assumant que certains passages relèvent objectivement du mépris, d'une positionnalité de dominante et qu'ils ont charrié des accents racistes et misogynes même s'ils se présentaient comme critique du capitalisme.

Le dérapage

Le ton général « vous croyez faire la révolution en dansant sur TikTok, en réalité vous êtes la vaseline du capital » relève du marxisme académique hors-sol qui regarde les cultures populaires depuis le balcon. C'est exactement ce que je reproche à certains héritiers paresseux du concept d'industrie culturelle pour traiter les publics comme des zombies et les artistes comme de simples marionnettes de label. Or, l'“industrie culturelle” désigne un système qui tend à standardiser les œuvres, les formats et les usages. Son usage ne sera jamais une permission illimitée d'insulter tout ce qui passe à la radio.

Mon texte penchait trop souvent du mauvais côté. Sur ce point, les lecteurs et lectrices qui parlaient de « mépris de la jeunesse » avaient raison. Deuxième problème : j'ai voulu analyser le BBL comme motif marchand (chirurgie fessière, hyperféminité instagrammable, tout ça capté par la machine à hits) en traitant le corps d'une jeune femme noire comme un cas d'école, sans précautions, sans citer un seul travail de féministes noires et sans resituer les enjeux spécifiques autour des corps noirs et de leur hypersexualisation. Or on sait très bien que le sigle « BBL » renvoie à la fois à une chirurgie (Brazilian Butt Lift) et à tout un imaginaire autour des corps noirs que Théodora détourne aussi dans sa propre mythologie en jouant sur Brazilian Butt Lift / Big Boss Lady / Bad Boy Lovestory

Résultat : là où je prétendais analyser une marchandisation de l'esthétique, j'ai surtout rejoué un vieux schéma colonial : poser un regard froid sur un corps racisé et en tirer des thèses abstraites. C'est bien ce que beaucoup ont entendu comme « raciste et misogyne ».

Et franchement, il n'y a pas grand-chose à objecter. Troisième problème : le féminisme matérialiste. Cette tradition a passé quarante ans à expliquer que le patriarcat ne se réduit pas au capitalisme et que les rapports sociaux de sexe sont des rapports de classe spécifiques, irréductibles à la seule exploitation salariale.

Mon article donnait pourtant l'impression inverse : le racisme, le sexisme et l'homophobie apparaissaient surtout comme décors biographiques servant à alimenter le storytelling de la self-entrepreneuse et pas assez comme des rapports sociaux autonomes à combattre en tant que tels. J'ai fait exactement ce que je reproche moi-même aux marxismes paresseux : ramener toutes les oppressions aux seules catégories économiques tout en me donnant une posture radicale. Donc oui : quand certaines disent « on devrait interdire aux gauchistes class-first de parler d'art, surtout quand ils parlent des noirs et des arabes », ça tape là où ça fait mal.

Reposer le terrain : Théodora, le bouyon, et ce qui change vraiment en 2024

Avant la théorie : les faits. Théodora est bel et bien ce que la presse dominante appelle « la révélation pop de l'été » : festival Yardland, Vieilles Charrues, Cabaret Vert, Zéniths, interviews à la chaîne et surtout ce tube : « Kongolese sous BBL », morceau de bouyon hybride qui devient viral sur TikTok puis Spotify, jusqu'à décrocher la certification de premier single d'or bouyon en France en 2024. Le morceau, inclus ensuite dans la mixtape Bad Boy Lovestory, mêle rythmiques bouyon caribéennes, esthétique pop française, rap et amapiano.

Le bouyon, lui, n'est pas sorti d'un board marketing : genre musical apparu à la fin des années 1980 en Dominique, porté par des groupes comme WCK, il se caractérise par un mélange de soca, cadence-lypso, influences zouk et dancehall, avec une dimension électronique et festive forte. Autrement dit : on a affaire à un style né dans une périphérie coloniale, longtemps porté par des scènes locales précarisées, qui arrive aujourd'hui dans la pop hexagonale via une artiste afro-diasporique signée et fortement médiatisée.

Que l'industrie française sacre une artiste non antillaise comme première détentrice d'un single d'or en bouyon pose des questions de centre/périphérie, d'appropriation et de hiérarchie matérielle entre scènes ultra-précarisées et artistes plus facilement intégrables dans le marché hexagonal. Ce débat existe déjà dans les Antilles et sur les réseaux sociaux, depuis bien avant mon article ; je n'ai rien inventé.

Ce qui manquait cruellement dans ma première version, c'est le double mouvement : reconnaître les rapports de domination très réels (labels, plateforme et géopolitique des styles) sans transformer automatiquement l'artiste racisée qui perce en collaboratrice objective du capital, comme si elle avait les clés des serveurs de Spotify dans sa poche.

Pop féminisme, postféminisme néolibéral : de vraies grilles, mal utilisées

Je ne suis pas partie de nulle part. Je m'appuyais sur un ensemble de travaux critiques sur le féminisme pop et le postféminisme néolibéral : Sandrine Galand montre comment des icônes pop (Beyoncé & co) incarnent un féminisme médiatique fait de slogans d'empowerment, de mise en avant de soi et de récits biographiques inspirants ; féminisme réel mais pris dans la logique du divertissement et du branding. Une large littérature anglophone parle de neoliberal postfeminism : un climat idéologique où les femmes sont supposées déjà « libérées », invitées à optimiser leur corps, leur carrière ou leurs émotions à coup de self-care, de coaching et d'auto-entrepreneuriat, pendant que les structures d'inégalité restent intactes.

Mon texte tentait de plaquer ces grilles sur Théodora : Boss Lady = fempreneur, BBL = pur motif marchand, TikTok = usine à subjectivité rentable. Le problème, c'est que je l'ai fait au marteau-pilon. Les meilleurs travaux sur le féminisme pop insistent justement sur l'ambivalence : ces figures peuvent être à la fois des vecteurs de libération symbolique pour des jeunes femmes racisées qui s'y reconnaissent et des rouages d'une économie de marque qui renforce l'individualisme. La question n'est pas « vraie icône politique ou imposture », mais : comment se jouent les frictions, les ratés ou encore les réappropriations. En refusant cette complexité, ma première version donnait exactement ce qui a été moqué : une pose d'intello de plateau télé persuadée d'avoir tout compris à la pop culture parce qu'elle a lu deux livres sur les industries culturelles et deux tribunes contre Beyoncé.

Positionnalité : qui parle, et depuis où ?

Autre point aveugle : d'où je parle. Les travaux sur la positionnalité dominante rappellent qu'on ne critique pas la même chose quand on est chercheure blanche de classe moyenne, quand on écrit depuis une position racisée ou quand on parle depuis une scène ultra-précarisée qui n'a pas accès aux mêmes canaux. Ignorer cette asymétrie produit souvent des analyses qui prétendent dénoncer les structures tout en reconduisant les angles morts de ces structures.

Dans mon cas précis (femme kurde, passée par l'université, avec les codes de la critique savante) : je parlais de la façon dont une jeune femme noire et queer se met en scène au nom d'un matérialisme pseudo-rigoureux mais sans jamais citer les critiques noires du féminisme pop, ni les analyses antillaises du bouyon, ni les voix des premières concernées. J'ai donc refait ce que le féminisme matérialiste reprochait au vieux marxisme masculin : parler à la place de, au nom d'un universel de classe, en calmant les particularismes au passage. Là encore, les accusations de « vieux boomer dépassé » étaient moins une attaque ad hominem qu'un diagnostic politique.

Reprendre le fil : musique populaire, luttes et industrie culturelle en 2025

Reprenons proprement. Les musiques populaires ne sont pas des produits comme les autres. Elles sont aussi des pratiques sociales, une manière de dire le monde quand on n'a pas les colonnes de Mediapart ou du Monde diplo. Les travaux de Raymond Williams, Stuart Hall ou Paul Gilroy l'ont montré depuis longtemps : la culture n'est pas un vernis sur le monde matériel, elle est l'un des terrains où se jouent les conflits de classe, de race et de genre. Si le capital formate, les publics et les artistes ne sont pas automatiquement des zombies. Des études sur le dancehall jamaïcain, la trap, la drill ou les musiques « urbaines » en France le montrent bien : la musique peut-être langage, satire ou solidarité. L'expérience précarisée circule à travers l'industrie, parfois de manière déformée, parfois de manière explosive.

Côté industrie, ce que la tradition de l'industrie culturelle avait vu juste (Adorno/Horkheimer, Dialectique de la Raison) reste pertinent : standardisation des formes, concentration du capital dans les structures de diffusion et réduction de la subjectivité à un signe consommable. Ce qui s'est ajouté depuis, c'est la financiarisation du secteur : festivals sponsorisés par des banques, rachetés par des groupes comme LiveNation ; plateformes de streaming qui transforment les morceaux en flux optimisés ; TikTok qui fonctionne comme un extracteur algorithmique de tendances à haute rotation. Dans ce contexte, Théodora ne « lubrifie » pas le système. Elle témoigne d'un régime où la performance artistique devient métrique : on calcule en vues, en streams, en taux de complétion de vidéo et en placements de playlists. Son succès en est une illustration même si certains aimeraient y voir une exception.

Le centre du problème ne sera jamais Théodora

Le souci, c'est le régime où la différence devient un produit scalable. C'est le capitalisme qui recycle les périphéries en valeur ajoutée. C'est l'industrie qui a besoin des marges comme de sources de renouvellement esthétique, tout en maintenant la propriété, les droits et les profits au centre. Le bouyon antillais, en ce sens, illustre un schéma bien connu : un genre né dans une île caribéenne dominée, développé par des artistes locaux sous-payés, devient tout à coup bankable.

Cela ne signifie pas que la musique de Théodora serait politiquement nulle, ni que celles et ceux qui s'y reconnaissent seraient manipulés. Cela signifie que leur joie, leur fierté, leur identification coexistent avec une structure de propriété et de profit qui, elle, reste remarquablement stable.

Alors : faut-il aimer ou détester Théodora ?

Ni l'un ni l'autre. Ce n'est pas la bonne question. La bonne question est : que peut-on faire de cette musique-là ? Peut-elle devenir un espace de détournement ? Peut-elle servir de contre-canal ? Est-elle seulement un symptôme ou peut-elle devenir un outil ? L'histoire des musiques populaires montre que même depuis les chaînes de montage, certaines chansons s'échappent. On danse parfois contre ce qui nous écrase, pas simplement avec. On peut être afro, queer, anticapitaliste et bouyon sans demander la permission à la théorie. On peut faire des TikTok sur « Kongolese sous BBL » en pensant très sérieusement à la colonisation, au racisme, au genre ou à la précarité et en rigolant en même temps.

De mon côté, qui suis plutôt du genre à lire Federici dans les trains de nuit, je retiens une chose : on peut bouger la tête sur « Kongolese sous BBL » en lisant Marx, Federici ET des féministes noires contemporaines. Ce qui est indéfendable, c'est de traiter celles et ceux qui le font comme des imbéciles instrumentalisés, sous prétexte qu'on a mis « industrie culturelle » dans le titre.

Promesse de méthode

Oui, certaines phrases de ma première version sont racistes dans leurs effets, même si elles se croyaient critiques. Oui, il y a du mépris de classe et de génération dans la manière dont je parlais de la jeunesse qui écoute Théodora. J'ai traité un corps noir comme matériau théorique sans précautions suffisantes. En tant que femme racisée, je présente mes excuses à celles et ceux que ce texte a blessé, et surtout aux premières concernées, qu'on prétendait défendre contre l'industrie tout en leur parlant comme l'industrie parle souvent d'elles. Mais je ne vais pas arrêter de critiquer l'industrie culturelle, le féminisme pop, le postféminisme néolibéral ni les majors qui font leur beurre sur le dos des scènes périphériques.

Cependant, je vais arrêter de le faire contre les personnes racisées, les femmes, les queers, les jeunes, en leur jetant à la figure ma panoplie d'arguments de séminaire. La prochaine enquête que je mènerai ne commencera ni dans les bureaux d'Universal, ni dans les colonnes du Monde. Elle commencera dans des studios précaires de Fort-de-France, dans des chambres de Mamoudzou, dans des caves de Saint-Denis, avec celles et ceux qui jouent le bouyon comme outil de survie et pas comme « asset émergent » dans la stratégie 2026 de Spotify France. On ne combat pas l'industrie culturelle avec du cynisme. On la combat en écoutant d'où viennent vraiment les basses.

Amara

24.11.2025 à 15:49

S'armer pour sauver le capitalisme financier !

dev

La leçon de Rosa Luxemburg, Kalecki, Baran et Sweezy
Maurizio Lazzarato

- 24 novembre / , ,
Texte intégral (5261 mots)

Dans ce nouvel article, Maurizio Lazzarato soutient que le réarmement des Etats-Unis (et de l'Europe) doit se comprendre comme réponse à la crise du capitalisme financier et des bulles spéculatives au bord de l'implosion. Soit que la guerre n'est pas un accident de parcours au milieu de la paix perpétuelle promue par l'économie mais son coeur même ou au moins sa roue de secours. Il vient compléter la série d'articles publiés les semaines dernières : Pourquoi la guerre ?, Les conditions politiques d'un nouvel ordre mondial, Les impasses de la pensée critique occidentale et Les États-Unis et le « capitalisme fasciste ».

« Si grande que soit une nation, si elle aime la guerre, elle périra ; si pacifique que soit le monde, s'il oublie la guerre, il sera en danger »
Wu Zi, ancien traité militaire chinois

« Quand nous parlons de système de guerre, nous entendons un système tel que celui qui est en vigueur et qui suppose que la guerre, même si elle n'est que planifiée et non combattue, est le fondement et le sommet de l'ordre politique, c'est-à-dire des relations entre les peuples et entre les hommes. Un système où la guerre n'est pas un événement mais une institution, pas une crise mais une fonction, pas une rupture mais une pierre angulaire du système, une guerre toujours décriée et exorcisée, mais jamais abandonnée comme une possibilité réelle »
Claudio Napoleoni, 1986

L'avènement de Trump est apocalyptique, au sens premier de ce terme, celui de dévoilement. Son agitation convulsive a le grand mérite de montrer la nature du capitalisme, le rapport entre la guerre, la politique et le profit, entre le capital et l'État habituellement voilé par la démocratie, les droits humains, les valeurs et la mission de la civilisation occidentale.

La même hypocrisie est au cœur du récit construit pour légitimer les 840 milliards d'euros de réarmement que l'UE impose aux États membres par le recours à l'état d'exception. S'armer ne signifie pas, comme le dit Draghi, défendre « les valeurs qui ont fondé notre société européenne » et qui ont « garanti pendant des décennies à ses citoyens la paix, la solidarité et, avec notre allié américain, la sécurité, la souveraineté et l'indépendance », mais cela signifie sauver le capitalisme financier.

Il n'y a même pas besoin de grands discours et d'analyses documentées pour masquer l'indigence de ces récits, il a suffi d'un nouveau massacre de 400 civils palestiniens pour mettre en évidence la vérité du bavardage indécent sur l'unicité et la suprématie morale et culturelle de l'Occident.

Trump n'est pas un pacifiste, il ne fait que reconnaître la défaite stratégique de l'OTAN dans la guerre d'Ukraine, alors que les élites européennes refusent l'évidence. Pour elles, la paix signifierait le retour à l'état catastrophique auquel elles ont réduit leurs nations. La guerre doit continuer car pour elles, comme pour les démocrates et l'État profond usaméricain, c'est le moyen de sortir de la crise qui a commencé en 2008, comme ce fut le cas pour la grande crise de 1929. Trump pense pouvoir la résoudre en donnant la priorité à l'économie sans renier la violence, le chantage, l'intimidation, la guerre. Il est très probable que ni l'un ni les autres ne réussiront car ils ont un énorme problème : le capitalisme, dans sa forme financière, est en crise profonde et c'est précisément de son centre, les USA, qu'arrivent les signaux “dramatiques” pour les élites qui nous gouvernent. Au lieu de converger vers les USA, les capitaux fuient vers l'Europe. Une grande nouveauté, symptôme de grandes ruptures imprévisibles qui risquent d'être catastrophiques.

Le capital financier ne produit pas de biens, mais des bulles qui gonflent toutes aux USA et éclatent au détriment du reste du monde, se révélant être des armes de destruction massive. La finance usaméricaine aspire de la valeur (les capitaux) du monde entier, l'investit dans une bulle qui tôt ou tard éclatera, obligeant les peuples de la planète à l'austérité, au sacrifice pour payer ses échecs : d'abord la bulle internet, puis la bulle des subprimes qui a provoqué l'une des plus grandes crises financières de l'histoire du capitalisme, ouvrant la porte à la guerre. Ils ont aussi tenté la bulle du capitalisme vert qui n'a jamais décollé et enfin celle, incomparablement plus grosse, des entreprises de haute technologie. Pour colmater les brèches des désastres de la dette privée déchargée sur les dettes publiques, la Réserve fédérale et la Banque européenne ont inondé les marchés de liquidités qui, au lieu de “ruisseler” dans l'économie réelle, ont servi à alimenter la bulle des hautes technologies et le développement des fonds d'investissement, connus sous le nom de “Big Three” : Vanguard, BlackRock et State Street (le plus grand monopole de l'histoire du capitalisme, gérant 50 000 milliards de dollars, actionnaire principal de toutes les plus importantes sociétés cotées en bourse). Aujourd'hui, même cette bulle est en train de se dégonfler.

Si l'on divise par deux la capitalisation totale de la bourse de Wall Street, on est encore loin de la valeur réelle des entreprises de haute technologie, dont les actions ont été gonflées par ces mêmes fonds pour maintenir des dividendes élevés pour leurs “épargnants” (les Démocrates comptaient aussi remplacer le welfare par la finance pour tous, comme ils avaient déliré auparavant sur la maison pour tous les USAméricains).

Aujourd'hui, le festin touche à sa fin. La bulle a atteint sa limite et les valeurs chutent avec un risque réel d'effondrement. Si l'on ajoute à cela l'incertitude que la politique de Trump, représentant d'une finance qui n'est pas celle des fonds d'investissement, introduit dans un système que ces derniers avaient réussi à stabiliser avec l'aide des Démocrates, on comprend les craintes des “marchés”. Le capitalisme occidental a besoin d'une nouvelle bulle car il ne connaît rien d'autre que la reproduction de l'identique (la tentative trumpienne de reconstruire l'industrie manufacturière aux USA est vouée à un échec certain).

L'identité parfaite de la “production” et de la destruction

L'Europe, qui dépense déjà de plus de 60 % les dépenses d'armement de la Russie (l'OTAN représente 55 % des dépenses d'armement dans le monde, la Russie 5 %), a décidé d'un grand plan d'investissement de 800 milliards d'euros pour augmenter encore les dépenses militaires.

La guerre et l'Europe où sont encore actifs des réseaux politiques et économiques, des centres de pouvoir qui se réfèrent à la stratégie représentée par Biden, battue à la dernière élection présidentielle, sont l'occasion de construire une bulle basée sur l'armement pour compenser les difficultés croissantes des “marchés” usaméricains. Depuis décembre, les actions des entreprises d'armement ont déjà fait l'objet de spéculations, allant de hausse en hausse et jouant le rôle de valeur refuge pour les capitaux qui jugent la situation usaméricaine trop risquée. Au cœur de l'opération, les fonds d'investissement, qui sont aussi parmi les plus gros actionnaires des grandes entreprises d'armement. Ils détiennent des participations importantes dans Boeing, Lockheed Martin et RTX, dont ils influencent la gestion et les stratégies. En Europe, ils sont également présents dans le complexe militaro-industriel : Rheinmetall, une entreprise allemande qui produit les chars Leopard et dont le cours de l'action a augmenté de 100 % au cours des derniers mois, compte parmi ses principaux actionnaires Blackrock, la Société Générale, Vanguard, etc.. Plus grand fabricant de munitions d'Europe, Rheinmetall a dépassé le plus grand constructeur automobile du continent, Volkswagen, en termes de capitalisation, dernier signe en date de l'appétit croissant des investisseurs pour les valeurs liées à la défense.

L'Union européenne veut collecter et canaliser l'épargne continentale vers l'armement, avec des conséquences catastrophiques pour le prolétariat et une nouvelle division de l'Union. La course aux armements ne pourra pas fonctionner comme un « keynésianisme de guerre » parce que l'investissement dans les armes intervient dans une économie financiarisée et non plus industrielle. Construite avec de l'argent public, elle profitera à une petite minorité de particuliers, tout en aggravant les conditions de vie de la grande majorité de la population.

La bulle de l'armement ne pourra que produire les mêmes effets que la bulle de la haute technologie usaméricaine. Après 2008, les sommes d'argent capturées pour être investies dans la bulle high-tech n'ont jamais “ruisselé” vers le prolétariat usaméricain. Au contraire, elles ont produit une désindustrialisation croissante, des emplois déqualifiés et précaires, des bas salaires, une pauvreté endémique, la destruction du peu de welfare hérité du New Deal et la privatisation de tous les services qui s'en est suivie. C'est ce que la bulle financière européenne ne manquera pas de produire en Europe. La financiarisation conduira non seulement à la destruction complète de l'État-providence et à la privatisation définitive des services, mais aussi à la poursuite de la fragmentation politique de ce qui reste de l'Union européenne. Les dettes, contractées par chaque État séparément, devront être remboursées et il y aura d'énormes différences entre les États européens quant à leur capacité à honorer leurs dettes.

Le vrai danger, ce ne sont pas les Russes, mais les Allemands avec leurs 500 milliards de réarmement et 500 autres milliards pour les infrastructures, des financements décisifs dans la construction de la bulle. La dernière fois qu'ils se sont réarmés, ils ont combiné des catastrophes mondiales (25 millions de morts dans la seule Russie soviétique, la solution finale, etc.), d'où la célèbre phrase de Maruriac : « J'aime tellement l'Allemagne que je suis ravi qu'il y en ait deux ». En attendant les développements ultérieurs du nationalisme et de l'extrême droite déjà à 21 % que le « Deutschland ist zurück » [L'Allemagne est retour] ne manquera pas de produire, l'Allemagne imposera aux autres pays européens son hégémonie impérialiste habituelle. Les Allemands ont rapidement abandonné le credo ordo-libéral qui n'avait pas de base économique, mais seulement politique, pour embrasser à pleine bouche la financiarisation anglo-usaméricaine, mais avec le même objectif, dominer et exploiter l'Europe. Le Financial Times parle d'une décision prise par Merz, l'homme de Blackrock, et Kukies, le ministre du Trésor venu de Goldman Sachs, avec l'aval des partis de “gauche” SPD et Die Linke, qui, comme leurs prédécesseurs en 1914, assument une fois de plus la responsabilité des carnages à venir.

De tout ceci, qui pour l'instant reste un projet, seul le financement allemand semble crédible, quant aux autres états, nous verrons qui aura le courage de réduire encore plus radicalement les pensions, la santé, l'éducation, etc. pour une menace fantasmée.

Si le précédent impérialisme intérieur allemand était fondé sur l'austérité, le mercantilisme des exportations, le gel des salaires et la destruction de l'Etat-providence, celui-ci sera fondé sur la gestion d'une économie de guerre européenne hiérarchisée selon les différentiels de taux d'intérêt à payer pour rembourser la dette contractée.

Les pays déjà lourdement endettés (Italie, France, etc.) devront trouver qui achètera leurs obligations émises pour rembourser leur dette, dans un “marché” européen de plus en plus concurrentiel. Les investisseurs auront intérêt à acheter des obligations allemandes, des obligations émises par des entreprises d'armement sur lesquelles la spéculation à la hausse jouera, et des titres de la dette publique européenne, certainement plus sûrs et plus rentables que les obligations des pays surendettés. Le fameux “spread” jouera encore son rôle comme en 2011. Les milliards nécessaires pour payer les marchés ne seront pas disponibles pour l'État-providence. L'objectif stratégique de tous les gouvernements et oligarchies depuis cinquante ans, la destruction des dépenses sociales pour la reproduction du prolétariat et leur privatisation, sera atteint.

27 égoïsmes nationaux s'affronteront sans enjeu, parce que l'histoire, dont « nous sommes les seuls à savoir ce que c'est », nous a mis au pied du mur, devenus inutiles et insignifiants après des siècles de colonialisme, de guerres et de génocides.

La course aux armements s'accompagne d'une justification martelée – « nous sommes en guerre » contre tous (Russie, Chine, Corée du Nord, Iran, BRICS) - qui ne peut être abandonnée et qui risque de se concrétiser parce que cette quantité délirante d'armes doit de toute façon « être consommée ».

La leçon de Rosa Luxemburg, Kalecki, Baran et Sweezy

Seuls les non-informés peuvent s'étonner de ce qui se passe. Tout est en fait en train de se répéter, mais dans le cadre d'un capitalisme financier et non plus industriel comme au XXe siècle.

La guerre et l'armement sont au cœur de l'économie et de la politique depuis que le capitalisme est devenu impérialiste. Ils sont aussi au cœur du processus de reproduction du capital et du prolétariat, en concurrence féroce l'un avec l'autre. Reconstituons rapidement le cadre théorique fourni par Rosa Luxemburg, Kalecki, Baran et Sweezy, solidement ancré, contrairement aux inutiles théories critiques contemporaines, sur les catégories d'impérialisme, de monopole et de guerre, qui nous offre un miroir de la situation contemporaine.

Commençons par la crise de 1929, qui trouve son origine dans la Première Guerre mondiale et la tentative d'en sortir en activant les dépenses publiques par l'intervention de l'État. Selon Baran et Sweezy (ci-après B&S), l'inconvénient des dépenses publiques dans les années 1930 était leur volume, incapable de contrer les forces dépressives de l'économie privée.

« Considéré comme une opération de sauvetage de l'économie américaine dans son ensemble, le New Deal a donc été un échec flagrant. Même Galbraith, le prophète de la prospérité sans engagements guerriers, a reconnu qu'au cours de la décennie 1930-1940, la “grande crise” n'a jamais pris fin ».

Ce n'est qu'avec la Seconde Guerre mondiale qu'elle a pris fin : « Puis vint la guerre, et avec la guerre vint le salut (...) les dépenses militaires ont fait ce que les dépenses sociales n'avaient pas réussi à faire », car les dépenses publiques sont passées de 17,5 milliards de dollars à 103,1 milliards de dollars.

B&S montrent que les dépenses publiques n'ont pas donné les mêmes résultats que les dépenses militaires parce qu'elles étaient limitées par un problème politique qui est toujours d'actualité. Pourquoi le New Deal et ses dépenses n'ont-ils pas atteint un objectif qui « était à portée de main, comme la guerre l'a prouvé par la suite » ? Parce que sur la nature et la composition des dépenses publiques, c'est-à-dire la reproduction du système et du prolétariat, la lutte des classes se déchaîne.

« Compte tenu de la structure du pouvoir du capitalisme monopoliste usaméricain, l'augmentation des dépenses civiles avait presque atteint ses limites extrêmes. Les forces qui s'opposaient à une nouvelle expansion étaient trop puissantes pour être vaincues ».

Les dépenses sociales ont concurrencé ou nui aux entreprises et aux oligarchies, les privant de leur pouvoir économique et politique. « Comme les intérêts privés contrôlent le pouvoir politique, les limites des dépenses publiques sont fixées de manière rigide, sans se soucier des besoins sociaux, aussi flagrants soient-ils ». Et ces limites s'appliquaient également aux dépenses, à la santé et à l'éducation, qui à l'époque, contrairement à aujourd'hui, n'étaient pas directement en concurrence avec les intérêts privés des oligarchies.

La course aux armements permet d'augmenter les dépenses publiques de l'État, sans que cela se traduise par une augmentation des salaires et de la consommation du prolétariat. Comment l'argent public peut-il être dépensé pour éviter la dépression économique qu'entraîne le monopole, tout en évitant le renforcement du prolétariat ? « Par des armements, par plus d'armements, par de plus en plus d'armements ».

Michael Kalecki, travaillant sur la même période mais sur l'Allemagne nazie, parvient à élucider d'autres aspects du problème. Contre tout économisme, qui menace toujours la compréhension du capitalisme par des théories critiques même marxistes, il souligne la nature politique du cycle du capital : « La discipline dans les usines et la stabilité politique sont plus importantes pour les capitalistes que les profits courants ».

Le cycle politique du capital, qui ne peut plus être garanti que par l'intervention de l'État, doit recourir aux dépenses d'armement et au fascisme. Pour Kalecki, le problème politique se manifeste également dans « l'orientation et les objectifs des dépenses publiques ». L'aversion pour la « subvention de la consommation de masse » est motivée par la destruction « du fondement de l'éthique capitaliste “tu gagneras ton pain à la sueur de ton front” (à moins que tu ne vives des revenus du capital) ».

Comment s'assurer que les dépenses de l'État ne se transforment pas en augmentation de l'emploi, de la consommation et des salaires, et donc en force politique du prolétariat ? L'inconvénient pour les oligarchies est surmonté avec le fascisme, car la machine d'État est alors sous le contrôle du grand capital et de la direction fasciste, avec « la concentration des dépenses de l'État sur l'armement », tandis que « la discipline d'usine et la stabilité politique sont assurées par la dissolution des syndicats et les camps de concentration. La pression politique remplace ici la pression économique du chômage ».
D'où l'immense succès des nazis auprès de la majorité des libéraux tant britanniques qu'usaméricains.

La guerre et les dépenses d'armement sont au cœur de la politique usaméricaine même après la fin de la Seconde Guerre mondiale, car une structure politique sans force armée, c'est-à-dire sans le monopole de son exercice, est inconcevable. Le volume de l'appareil militaire d'une nation dépend de sa position dans la hiérarchie mondiale de l'exploitation. « Les nations les plus importantes auront toujours les besoins les plus importants, et l'ampleur de leurs besoins (en forces armées) variera selon qu'une lutte acharnée pour la première place se déroulera ou non entre elles ».

Les dépenses militaires ont donc continué à croître dans le centre de l'impérialisme : « Bien entendu, la majeure partie de l'expansion des dépenses publiques a eu lieu dans le secteur militaire, qui est passé de moins de 1 % à plus de 10 % du PNB et qui a représenté environ deux tiers de l'augmentation totale des dépenses publiques depuis 1920. Cette absorption massive de l'excédent dans des préparatifs limités a été le fait central de l'histoire usaméricaine d'après-guerre »

Kalecki souligne qu'en 1966, « plus de la moitié de la croissance du revenu national provient de la croissance des dépenses militaires ».

Or, après la guerre, le capitalisme ne pouvait plus compter sur le fascisme pour contrôler les dépenses sociales. L'économiste polonais, “élève” de Rosa Luxemburg, souligne : « L'une des fonctions fondamentales de l'hitlérisme a été de surmonter l'aversion du grand capital pour une politique anticonjonturelle à grande échelle. La grande bourgeoisie avait donné son accord à l'abandon du laisser-faire et à l'accroissement radical du rôle de l'État dans l'économie nationale, à condition que l'appareil d'État soit sous le contrôle direct de son alliance avec la direction fasciste » et que la destination et le contenu des dépenses publiques soient déterminés par l'armement. Dans les Trente Glorieuses, sans que le fascisme n'assure l'orientation des dépenses publiques, les États et les capitalistes sont contraints au compromis politique. Les rapports de force déterminés par le siècle des révolutions obligent l'État et les capitalistes à faire des concessions qui sont de toute façon compatibles avec des profits atteignant des taux de croissance inconnus jusqu'alors. Mais même ce compromis est de trop car, malgré les profits importants, « les travailleurs deviennent alors “récalcitrants” et les “capitaines d'industrie” sont soucieux de leur “donner une leçon” ».

La contre-révolution, qui s'est développée à partir de la fin des années 1960, avait pour centre la destruction des dépenses sociales et la volonté farouche d'orienter les dépenses publiques vers les seuls et uniques intérêts des oligarchies. Le problème, depuis la République de Weimar, n'a jamais été une intervention générique de l'État dans l'économie, mais le fait que l'État avait été investi par la lutte des classes et avait été contraint de céder aux exigences des luttes ouvrières et prolétariennes.

Dans les temps “paisibles” de la guerre froide, sans l'aide du fascisme, l'explosion des dépenses militaires a besoin d'une légitimation, assurée par une propagande capable d'évoquer continuellement la menace d'une guerre imminente, d'un ennemi aux portes prêt à détruire les valeurs occidentales : « Les créateurs officieux et officiels de l'opinion publique ont la réponse toute prête : les USA doivent défendre le monde libre contre la menace d'une agression soviétique (ou chinoise)3.

Kalecki, pour la même période, précise : « Les journaux, le cinéma, les stations de radio et de télévision travaillant sous l'égide de la classe dirigeante créent une atmosphère qui favorise la militarisation de l'économie ».

Les dépenses d'armement n'ont pas seulement une fonction économique, mais aussi une fonction de production de subjectivités assujetties. En exaltant la subordination et le commandement, la guerre « contribue à la création d'une mentalité conservatrice ».

« Alors que les dépenses publiques massives en faveur de l'éducation et de la protection sociale tendent à saper la position privilégiée de l'oligarchie, les dépenses militaires font le contraire. La militarisation favorise toutes les forces réactionnaires, (...) un respect aveugle de l'autorité est déterminé ; une conduite de conformité et de soumission est enseignée et imposée ; et l'opinion contraire est considérée comme antipatriotique, voire comme une trahison ».

Le capitalisme produit un capitaliste qui, précisément en raison de la forme politique de son cycle, est un semeur de mort et de destruction, plutôt qu'un promoteur de progrès. Richard B. Russell, sénateur conservateur du Sud des USA dans les années 1960, cité par B&S, nous le dit : « Il y a quelque chose dans les préparatifs de destruction qui incite les hommes à dépenser l'argent plus inconsidérément que s'il était destiné à des fins constructives. Je ne sais pas pourquoi cela se produit, mais depuis une trentaine d'années que je siège au Sénat, je me suis rendu compte qu'en achetant des armes pour tuer, détruire, rayer des villes de la surface de la terre et éliminer de grands systèmes de transport, il y a quelque chose qui fait que les hommes ne calculent pas les dépenses aussi soigneusement qu'ils le font lorsqu'il s'agit de penser à un logement décent et à des soins de santé pour les êtres humains ».

La reproduction du capital et du prolétariat s'est politisée à travers les révolutions du XXe siècle. La lutte des classes a également engendré une opposition radicale entre la reproduction de la vie et la reproduction de sa destruction, qui n'a fait que s'approfondir depuis les années 1930.

Comment fonctionne le capitalisme

La guerre et l'armement, pratiquement exclus de toutes les théories critiques du capitalisme, fonctionnent comme des discriminants dans l'analyse du capital et de l'État.

Il est très difficile de définir le capitalisme comme un “mode de production”, comme l'a fait Marx, parce que l'économie, la guerre, la politique, l'État, la technologie sont des éléments étroitement liés et inséparables. La “critique de l'économie” ne suffit pas à produire une théorie révolutionnaire. Dès l'avènement de l'impérialisme, un changement radical dans le fonctionnement du capitalisme et de l'Etat s'est produit, mis en évidence par Rosa Luxemburg pour qui l'accumulation a deux aspects. Le premier « concerne la production de la plus-value - dans l'usine, dans la mine, dans l'exploitation agricole - et la circulation des marchandises sur le marché. Vue sous cet angle, l'accumulation est un processus économique dont la phase la plus importante est une transaction entre le capitaliste et le salarié ». Le second aspect a pour théâtre le monde entier, une dimension mondiale irréductible au concept de “marché” et à ses lois économiques. « Ici, les méthodes employées sont la politique coloniale, le système des prêts internationaux, la politique des sphères d'intérêt, la guerre. La violence, la tromperie, l'oppression, la prédation se développent ouvertement, sans masque, et il est difficile de reconnaître les lois strictes du processus économique dans l'enchevêtrement de la violence économique et de la brutalité politique ».

La guerre n'est pas une continuation de la politique mais a toujours coexisté avec elle, comme le montre le fonctionnement du marché mondial. Ici, où la guerre, la fraude et la prédation coexistent avec l'économie, la loi de la valeur n'a jamais vraiment fonctionné. Le marché mondial est très différent de celui esquissé par Marx. Ses considérations semblent ne plus s'appliquer, ou plutôt doivent être précisées : ce n'est que dans le marché mondial que l'argent et le travail deviendraient adéquats à leur concept, faisant fructifier leur abstraction et leur universalité. Au contraire, on constate que la monnaie, forme la plus abstraite et la plus universelle du capital, est toujours la monnaie d'un État. Le dollar est la monnaie des USA et ne règne qu'en tant que tel. L'abstraction de la monnaie et son universalité (et ses automatismes) sont appropriées par une “force subjective” et sont gérées selon une stratégie qui n'est pas contenue dans la monnaie.

Même la finance, comme la technologie, semble être l'objet d'une appropriation par des forces subjectives “nationales”, très peu universelles. Sur le marché mondial, même le travail abstrait ne triomphe pas en tant que tel, mais rencontre d'autres formes radicalement différentes de travail (travail servile, travail d'esclave, etc.) et fait l'objet de stratégies.

L'action de Trump, ayant fait tomber le voile hypocrite du capitalisme démocratique, nous révèle le secret de l'économie : elle ne peut fonctionner qu'à partir d'une division internationale de la production et de la reproduction définie et imposée politiquement, c'est-à-dire par l'usage de la force, ce qui implique aussi la guerre.

La volonté d'exploiter et de dominer, en gérant simultanément les relations politiques, économiques et militaires, construit une totalité qui ne peut jamais se refermer sur elle-même, mais qui reste toujours ouverte, scindée par les conflits, les guerres, les prédations. Dans cette totalité éclatée, tous les rapports de force convergent et se gouvernent eux-mêmes. Trump intervient sur l'usage des mots, mais aussi sur les théories du genre, en même temps qu'il voudrait imposer un nouveau positionnement mondial, à la fois politique et économique, des USA. Du micro au macro, une action politique à laquelle les mouvements contemporains sont loin de ne serait-ce que de penser.

La construction de la bulle financière, processus que l'on peut suivre pas à pas, se déroule de la même manière. Les acteurs impliqués dans sa production sont nombreux : l'Union européenne, les États qui doivent s'endetter, la Banque européenne d'investissement, les partis politiques, les médias et l'opinion publique, les grands fonds d'investissement (tous usaméricains) qui organisent le transport des capitaux d'une bourse à l'autre, les grandes entreprises. Ce n'est qu'après le verdict de l'affrontement/coopération entre ces centres de pouvoir que la bulle économique et ses automatismes pourront fonctionner. Il y a toute une idéologie de l'automatisme à déboulonner. Le “pilote automatique”, surtout au niveau financier, n'existe et ne fonctionne qu'après avoir été politiquement mis en place. Il n'a pas existé dans les années 1930 parce qu'il a été décidé politiquement, il fonctionne depuis la fin des années 1970, par une volonté politique explicite.

Cette multiplicité d'acteurs qui s'agitent depuis des mois est soudée par une stratégie. Il y a donc un élément subjectif qui intervient de manière fondamentale. En fait, il y en a deux. Du point de vue capitaliste, il y a une lutte féroce entre le “facteur subjectif” Trump et le “facteur subjectif” des élites qui ont été battues à l'élection présidentielle, mais qui ont encore de fortes présences dans les centres de pouvoir aux USA et en Europe.

Mais pour que le capitalisme fonctionne, il faut aussi tenir compte d'un facteur prolétarien subjectif. Il joue un rôle décisif car soit il deviendra le porteur passif du nouveau processus de production/reproduction du capital, soit il tendra à le rejeter et à le détruire. Compte tenu de l'incapacité du prolétariat contemporain, le plus faible, le plus désorienté, le moins autonome et indépendant de l'histoire du capitalisme, la première option semble la plus probable. Mais s'il ne parvient pas à opposer sa propre stratégie aux innovations stratégiques permanentes de l'ennemi, capables de se renouveler sans cesse, nous tomberons dans une asymétrie des rapports de force qui nous ramènera au temps d'avant la Révolution française, dans un “ancien régime” nouveau/ déjà vu.

Maurizio Lazzarato

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