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05.05.2025 à 09:42

Un préfet exemplaire, Maurice Papon

dev

Le procès Papon, histoire d'une ignominie ordinaire au service de l'Etat, par Jean-Jacques Gandini, préface de Johann Chapoutot, postface d'Arié Alimi
[Bonnes feuilles]

- 5 mai / , , ,
Texte intégral (4561 mots)

En 1997, s'est déroulé devant la Cour d'Assises de Bordeaux le procès de Maurice Papon, inculpé de crime contre l'humanité pour sa participation active à l'organisation de convois qui ont envoyé à la mort, entre 1942 et 1944, 1600 personnes d'origine juive, dont 223 enfants. En tant qu'observateur de la Ligue des droits de l'homme, Jean-Jacques Gandini a suivi le procès tout au long des six mois qu'il dura. Du livre qu'il tire aujourd'hui de cette expérience, on peut retenir, entre bien d'autres, cet enseignement : Papon a vécu, et est certainement mort, en ayant gardé jusqu'au bout la conscience du devoir accompli.

Tout comme on peut présumer que près de 28 ans après le procès de Bordeaux, dans cette préfecture de Gironde dont Papon fut secrétaire général, l'actuel préfet a eu et a toujours le sentiment de ne faire que son devoir en signant une note à destination des « gestionnaires d'hébergements accueillant des demandeurs d'asile », dans laquelle il les incite à pousser au départ les déboutés de l'asile pour éviter qu'ils tentent les voies de recours légales qui leur seraient pourtant encore ouvertes. Tout comme le préfet de la Seine-Saint-Denis a-t-il eu le sentiment de ne faire que son devoir en émettant une note [1] créant un fichier spécifique pour les « étrangers en situation régulière placés en garde à vue », y compris quand la garde à vue n'aboutit à rien ou à un classement de l'affaire. On songe aussi à ces préfets qui, dans un passé récent, n'ont pas hésité à mobiliser des associations de chasseurs, que ce soit en Seine-et-Marne pour faire respecter le confinement, ou dans le Haut-Rhin , avec des « chasseurs vigilants », pour surveiller les campagnes et les forêts. Bien entendu, le racisme systémique de l'Etat français en 2025 ne saurait être mis sur le même plan que la politique pétainiste au service de l'œuvre génocidaire des nazis, tout comme ces démangeaisons de mobilisation d'hommes en arme ont des allures infiniment plus civilisées que celles des S.A. ais à chaque fois qu'on retombe sur la fameuse nécessité de « faire la différence », on retrouve aussi l'interrogation : « différence de degré ou de nature ? »

Ce que la bonne conscience paponesque devrait nous aider à interroger, c'est le rapport entre les dynamiques institutionnelles et les mécanismes psychologiques et sociaux qui font glisser dans l'ignominie avec le sentiment du devoir accompli. Comprendre pour combattre, bien sûr. Mais combattre comment ? Incitation à la dissimulation de protections légales, création d'un fichier illégal ou de milices citoyennes au statut légalement discutable… cela pose la question : devrait-on recourir à la Loi pour décider si ces hauts fonctionnaires n'ont fait que la servir ? Le procès serait-il la bonne voie ?

C'est ici que l'histoire judiciaire du procès Papon peut fournir quelques indications utiles.
SQ

Extrait de la préface de Johann Chapoutot :

« Aux historiens, le procès Papon laissa un goût de bâclé. Le défilé des témoins de moralité de l'accusé, tous anciens résistants, gaullistes aux états de service impeccables, le talent de l'avocat de Papon, Me Varaut, les enfantillages navrants du fils Klarsfeld, entré dans le prétoire et les mémoires en patins à roulettes, aboutirent à un verdict mitigé, peu lisible et peu compréhensible – dix ans de réclusion criminelle. Henry Rousso le jugea très sévèrement : « En somme, il nous a parlé du présent, pas de l'histoire », (…) Ce procès parle bien du présent en ce qu'il illustre parfaitement le propos ­qu'Hannah Arendt, en se trompant toutefois d'objet [2], avait développé à propos d'Adolf Eichmann. Si le SS-Obersturmbannführer, chef de service au RSHA, était un nazi convaincu et un antisémite rabique, nullement, donc, ce médiocre soumis dont il joua admirablement le rôle pour sauver sa peau, Papon, quant à lui, incarne cette insuffisance (d'empathie, d'intelligence, de courage…), cette criminalité par défaut, et non par excès, dont Arendt, avec Günther Anders, Hans Jonas ou Heidegger, mais aussi Adorno et Jaspers, font l'essence du mal contemporain : ce n'est ni par obsession antisémite (non, certes, qu'il aimât démesurément les Juifs et les étrangers), ni par dilection éperdue pour le Reich que Papon fut un criminel, mais parce qu'il fallait bien déférer à l'ordre du jour, aux impératifs de la carrière et aux arcanes toujours mystérieux, parfois terribles, d'une raison d'État nébuleuse. »

[Henry Rousso, grand historien de la période, refusa de venir témoigner à ce procès, et Chapoutot expose les raisons de ce refus :]

« Plus fondamentalement, il est ici question de juridiction : celle du savant, ou du scientifique, est celle de la raison, non du Code pénal, de ses catégories frustes et de sa psychologie sommaire. La justice n'est qu'une institution sociale comme une autre, l'historien l'étudie comme objet, compulse volontiers ses archives, mais n'a pas à se plier à la fiction de sa mise en scène et de ses jeux de rôle, d'autant moins si le débat est mal pensé et peu problématisé. (…) La même observation, et la même conclusion, vaut au fond pour les plateaux de télévision où il n'est pas rare, finalement, de croiser les mêmes – sophistes rompus aux effets de manche, bateleurs superficiels sans culture, narcisses sans consistance –, à telle enseigne que les propos de Rousso sur le prétoire sont peut-être bien l'équivalent de ce que Bourdieu disait à peu près au même moment sur les médias. »

Quant à nous, vulgus pecus jetés dans l'arène d'une histoire contemporaine recrue d'horreur, nous qui n'avons ni la prétention à la scientificité des universitaires, ni celle de la légitimité juridique, nous pouvons utiliser les contradictions entre ces deux pouvoirs, celui du Savoir et celui de l'Etat et, en nous appuyant sur nos propres expériences de combat sur le terrain, déconstruire le second en utilisant le premier sans s'illusionner sur ses propres limites. La confrontation à l'ignominie d'aujourd'hui, quelle que soit son échelle, sera toujours l'un des meilleurs outils pour saisir l'ignominie d'hier. Le vrai trou noir de l'histoire contemporaine, le massacre à grande échelle en cours depuis deux ans et demi à Gaza avec la complicité non pas d'un secrétaire de préfecture et de son Etat croupion, mais de la majorité des gouvernants et des Etats d'Occident, est là pour le rappeler : il n'y aurait pas de crime contre l'humanité s'il n'y avait pas de préfets ou de généraux pour les mettre en œuvre.

Extrait du chapitre « Devoir de désobéissance contre raison d'Etat »

Hannah Arendt a lumineusement démonté ces arguments de l'« obéissance » et du « moindre mal » :

La technique qui consiste à faire accepter des maux moindres sert de manière délibérée à préparer par un conditionnement les hauts responsables de l'État ainsi que l'ensemble de la population à accepter le mal en tant que tel. Nous ne citerons qu'un seul exemple parmi d'autres : l'extermination des Juifs a été précédée d'une série graduée de mesures antijuives dont chacune a été acceptée parce que le refus de coopérer n'eût fait qu'aggraver les choses jusqu'à ce qu'on soit parvenu à un stade où rien qui fût plus grave encore ne risquait plus d'arriver [3]. 

Quant à l'obéissance, « seul un enfant obéit. Si un adulte “obéit”, il cautionne en fait l'instance, l'autorité ou la loi qui réclament “obéissance”, car sans ce soutien, sans cette obéissance, l'instance en question serait totalement démunie… Par conséquent, la question posée à ceux qui ont participé et obéi à des ordres ne devrait en aucun cas être : “Pourquoi avez-vous obéi ?”, mais bien plutôt : “Pourquoi avez-vous donné votre caution ?” ». Obéir c'est donc soutenir, et face à un régime d'exclusion, démissionner c'est résister [4].

Oui, quelles que soient les circonstances, tout individu doit conserver sa capacité de choix de dire non. Conformisme et servilité anéantissent la conscience. L'obéissance passive du fonctionnaire n'est pas de mise lorsque « l'ordre donné est manifestement illégal » selon les propres termes du statut des fonctionnaires, et doit céder le pas au « devoir d'alerte [5] » : le fonctionnaire n'est pas fait pour avoir l'encéphalogramme plat, pour être un simple porteur de serviette ou un domestique. L'éthique de conviction doit primer sur l'éthique de fonctionnement.

On n'est jamais obligé de prêter la main à des crimes en servant de près quelque pouvoir que ce soit, de nier par son soutien actif ou passif des convictions fondamentales. Dans la fonction publique, on peut toujours se mettre à l'abri des compromissions au prix de quelque courage, à l'appui d'un plus clair discernement. Or, nombre de nos contemporains ne l'ont pas fait faute d'avoir identifié en temps utile, selon des critères préalablement adoptés, le seuil de l'acte déshonorant […] Nul n'était obligé à quelque rang que ce fût d'aller à l'encontre de sa conscience [6]. 

L'article 8 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg l'a également précisé : « Le fait que l'accusé ait agi conformément aux instructions de son gouvernement ou d'un supérieur hiérarchique ne le décharge pas de sa responsabilité. » La condamnation de Maurice Papon signe la fin de l'immunité pour cette élite techno-bureaucratique – dont il est une figure de proue – qui se pensait investie d'une mission, « agir au nom de l'État », lui assurant par là même la jouissance du privilège régalien de l'irresponsabilité. Entre 1940 et 1944 [7], le devoir de désobéissance devait primer sur la raison d'État.

Mais, au-delà de Papon, c'est vous, c'est moi, qui devons nous sentir interpellés, comme le rappelle Robert Paxton en conclusion de La France de Vichy :

Lorsqu'il a fallu choisir entre deux solutions, faire son travail, donc courir des risques moraux et abstraits, ou pratiquer la désobéissance civile, donc s'exposer à des dangers physiques immédiats, la plupart des Français ont poursuivi leur travail. L'auteur et les lecteurs de cet ouvrage, hélas, auraient peut-être été tentés d'en faire autant [8].

Il faut le dire et le redire avec force :

Aucun régime totalitaire ne peut venir et se maintenir au pouvoir sans une multitude de petites lâchetés, compromissions, ralliements, reniements, renoncements ou actes d'obéissance d'hommes et de femmes, comme vous et moi, du plus petit citoyen au plus haut fonctionnaire. Non, ce n'est pas parce qu'il y a eu Hitler ou Pétain que nous avons eu des hommes comme Papon, mais parce qu'il y a eu des milliers d'hommes comme Papon que nous avons eu Hitler et Pétain [9].

[Jean-Jacques Gandini ne pouvait pas ne pas évoquer l'autre grand crime de Papon : son pilotage du massacre d'Algériens par la police française le 17 octobre 1961. A cette occasion, il revient sur le long combat que menèrent deux « historiens militants », c'est-à-dire non consacrés par l'Université mais tout à fait pourvus des qualités de rigueur et de solidité des sources nécessaires : Maurice Rajfus et Jean-Luc Einaudi. Papon ayant intenté un procès en diffamation à ce dernier, deux archivistes, sans tenir compte des consignes officielles de réserve, vinrent témoigner du sérieux des recherches d'Einaudi. Jean-Jacques Gandini rappelle le cas de ces « petits » fonctionnaires, Brigitte Lainé et Philippe Grand, qui osèrent remettre en cause l'obéissance aveugle au règlement.]

Extrait du chapitre « L'autre face de Papon, 17 octobre 1961 : la Nuit de cristal de la police parisienne. »

Brigitte Lainé, l'anti-Papon

Les témoignages en justice de Brigitte Lainé et de Philippe Grand ont mis littéralement hors de lui François Gasnault, le directeur des archives de Paris, qui se présente comme un homme de gauche. Sur la base de deux simples « notes de service », ils sont suspendus de toutes leurs attributions et délégations, parqués dans des bureaux dépouillés de tout équipement, n'ont même pas droit à une adresse électronique professionnelle… Tout contact avec le public leur est interdit. Bref, ils se sentent « mis au rebut comme un paquet de linge sale ». Ils sont ignorés, car « ils ont touché à un tabou majeur d'une profession censée sacrifier toute conscience morale et civique à la raison d'État [10] ».

En effet, au-delà de leur directeur, ils sont mis au ban de toute la profession au nom de l'obligation de réserve et du respect du secret professionnel auquel ils opposent la déontologie archivistique : ils auraient commis une faute s'ils n'étaient pas intervenus. Le soutien va venir du côté de la société civile avec une pétition demandant justice pour les deux archivistes, lancée par François Nadiras, militant de la Ligue des droits de l'homme (LDH) – animateur de la section et du site Internet de la LDH-Toulon, particulièrement actif sur les questions de mémoire coloniale [11] –, mais l'engagement de la LDH au niveau national restera des plus discrets. Pour l'historien Fabrice Riceputi, cela s'explique du fait du « légalisme républicain » de l'organisation et de la position de sa présidente d'honneur, l'historienne Madeleine Rebérioux, pour qui « la préservation de la vie privée des personnes était une priorité absolue et l'accès aux archives aux non-historiens un danger ».

La pétition […] eut un succès relatif : en quelques mois, elle recueillit près de 1 300 signatures, dont bien peu de personnalités de premier plan […] Chez les intellectuels, aucun très “grand nom” […] Les archivistes et historiennes étrangeres furent dix fois plus nombreuxses à le faire que leurs homologues françaises [12].

Le maire RPR Jean Tiberi ayant laissé la place en 2001 au socialiste Bertrand Delanoë, ils eurent une lueur d'espoir aussitôt éteinte, car ce dernier « ne leva pas le petit doigt pour faire cesser les sanctions déguisées » et ira même jusqu'à déclarer un jour, selon Philippe Grand : « Ces deux-là, je ne veux plus en entendre parler [13] ».

Comme finalement aucune faute professionnelle n'avait pu être retenue contre eux, ils demandèrent le rétablissement de toutes leurs attributions. En vain. Philippe Grand partit à la retraite en juillet 2004, et ce n'est qu'en septembre 2005 que Brigitte Lainé fut de nouveau autorisée à publier des travaux : 6 ans de placard ! Le 14 juillet 2015, seize ans après le début de cette affaire, elle est faite chevalier de la Légion d'honneur pour avoir « servi » – sans autre précision – 42 ans aux archives, et décédera le 2 novembre 2018. « Ce sont les élèves conservateurs du patrimoine qui sauvèrent l'honneur en baptisant “Brigitte Lainé” leur promotion 2020-2021, expliquant ainsi leur choix : “Le parcours de Brigitte Lainé nous éclaire. Il propose un modèle inspirant de conscience professionnelle pour les jeunes conservateurs et conservatrices du patrimoine que nous sommes. Nous croyons aux valeurs défendues par Brigitte Lainé et souhaitons que l'acte symbolique de lui donner le nom de notre promotion continuera à porter sa mémoire tout au long de notre carrière au service du patrimoine et des citoyens à qui il appartient” [14] ».

Au service du citoyen, et non du Pouvoir comme Papon ; tout est dit.

La reconnaissance encore inachevée du 17 octobre 1961 comme « crime d'État »

Commandé par Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, le 3 juin 1998, le Rapport Géronimi est remis au Premier ministre Lionel Jospin le 5 mai 1999 par Jean Géronimi, avocat général près la Cour de cassation, mais ne sera rendu public qu'en août. S'appuyant sur les documents judiciaires contenus dans les archives départementales de la région parisienne ainsi que sur les pièces de l'administration centrale du ministère de la Justice conservées aux archives nationales, il estime que « l'on peut évaluer à 48 le nombre de personnes tuées dans la nuit du 17 au 18 octobre », tout en soulignant les limites de son étude.

Ce même 5 mai, un communiqué des services du Premier ministre « décide de favoriser l'accès aux archives publiques ayant trait à cet événement en conformité avec les règles établies par la loi du 3 janvier 1979, la plupart de ces archives étant soumises à des délais d'accès supérieurs à trente ans. Le Premier ministre a demandé aux ministres responsables de ces archives d'accorder largement des dérogations individuelles permettant aux personnes effectuant des recherches d'y accéder. La demande de dérogation sera instruite dans un délai inférieur à trois mois. » Le lien ne peut pas ne pas être fait avec le procès Papon-Einaudi, et ce dernier va ainsi pouvoir poursuivre son travail de pionnier défricheur. On ne saura probablement jamais le nombre exact de morts cette nuit du 17 octobre, mais la communauté des historiens et des chercheurs, français et étrangers, s'accorde désormais à reconnaître la fiabilité des chiffres avancés par Jean-Luc Einaudi.

Dans les années 2000, plusieurs travaux d'historiens ayant notamment eu accès aux archives judiciaires et policières souligneront que cette période fut, pour les Algériens de France, celle d'une véritable « terreur d'État, coloniale et raciste ». Jim House et Neil MacMaster [15], dont c'est l'apport majeur dans l'historiographie du 17 octobre, ont montré que cette dernière commença à s'exercer bien avant le 17 octobre et que celui-ci ne fut pas un épisode isolé de violence incontrôlée, mais le pic le plus spectaculaire d'une répression sans limites érigée en système [16].

(…)
Ce que nous attendons aujourd'hui, c'est que soit reconnu explicitement que c'est un véritable pogrom qui s'est déroulé le 17 octobre 1961. Un crime d'État, qu'on peut aussi qualifier de crime contre l'humanité. Nous attendons également qu'il soit rappelé qu'au-dessus de Papon il y avait un ministre de l'Intérieur, Roger Frey, au-dessus de ce dernier un Premier ministre, Michel Debré, et au sommet le président de la République, Charles de Gaulle, qui devra en rendre compte devant le tribunal de l'Histoire.

Sera-ce le cas le 17 octobre 2025 ?


[1] Cf. Les Jours : « Cela pose de nombreuses questions : fichage illégal, présomption d'innocence foulée au pied, atteinte au secret judiciaire, fragilisation des titres de séjours… »

[2] . Bettina Stangneth, Eichmann vor Jerusalem. Das unbehelligte Leben eines Massenmörders, Arche, 2011.

[3] . Voir Hannah Arendt, « Responsabilité personnelle et régime dictatorial » in Penser l'événement, Belin, 1989, p. 93-105.

[4] .  C'est justement ce qu'a fait en juin 1940 celui que Papon prétend être son modèle : le général de Gaulle.

[5] .  Comme l'a qualifié le conseiller d'État Christian Vigouroux en application de la théorie dite des « baïonnettes intelligentes » (La Gazette du 16 décembre 1996, p. 6-10).

[6] .  François Bloch-Lainé, Claude Gruson, Hauts fonctionnaires sous l'Occupation, Odile Jacob, 1996.

[7] .  Aujourd'hui aussi : lorsqu'un parti politique prône et pratique ouvertement, là où il est au pouvoir, la discrimination envers une partie de la population, « pour ce qu'elle est », il est du devoir des fonctionnaires de se refuser à obéir à des directives légitimant cette discrimination.

[8] . Robert Paxton, La France de Vichy, Seuil, 1999.

[9] .  Jacques Fénimore, Le Passant ordinaire, octobre 1997.

[10] . Fabrice Riceputi (2021), Ici on noya les Algériens. La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961, le passager clandestin, 2024, p. 228.

[11] . Ce site a survécu au décès de François en 2017, sous l'intitulé histoirecoloniale.net hébergé par la LDH.

[12] . Ibid., p. 241.

[13] . Ibid., p. 242.

[14] . Ibid., p. 246-247.

[15] . Jim House, Neil MacMaster (2006), Paris 1961. Les Algériens, la terreur d'État et la mémoire, Gallimard, 2021.

[16] . Fabrice Riceputi, Ici on noya les Algériens, op. cit., p. 123.

05.05.2025 à 09:42

Nos yeux explosés

dev

Images envers et contre tout
Nicolas Klotz

- 5 mai / , , ,
Texte intégral (1665 mots)

Au solstice d'hiver
Les années que nous avions l'habitude de saluer
Ne passent plus
Elles s'accumulent, lourdement, chargées
Des méga-tonnes de bombes
Qui anéantissent les vies de milliers et
Milliers et milliers et milliers et…
De femmes, d'hommes, d'enfants, palestinienn.es
Massacré.es à Gaza.

Sous nos yeux.

L'humanité regarde
Elle voit tout
Sur nos écrans HD
Téléphones, ordinateurs
Réseaux sociaux, boucles WhatsApp
Elle voit tout, elle sait.

Grâce aux images
Filmées et diffusées
En direct, si directement
Si courageusement
Par les habitant.es de Gaza
Au risque de leurs vies
NOUS SOMMES LÀ POUR TOUJOURS
Résistance, résistance, résistance.

Les cœurs éclatés
Les enfants orphelins
Les jeunes gens arrachés à leurs avenirs
À leurs descendances
Les femmes réduites en cendres
Les familles démembrées
Les journalistes massacré.es
Les soignants, médecins, sauveteurs, assassiné.es
Résistance, résistance, résistance.

Bâches plastique en lambeaux
Recouvrant à peine
Les corps décapités
Les visages massacrés
Les cerveaux explosés des enfants
Anéantis dans leur sommeil
Hôpitaux carcasses fumantes
Les blessé.es opéré.es à même le sol
Combien gisent encore sous les
Tombeaux d'immeubles déchiquetés ?
Bombe après bombe après…
Résistance, résistance, résistance.

Mourir sous les bombes
AméricainesEuropéennesIsraéliennes
Par le tir d'un drone quadricoptère
Un logiciel de ciblage IA
Mourir de ses blessures
De faim
De froid
Par manque d'eau
Manque de médicaments
Par désespoir
Tout cela à la fois
Résistance, résistance, résistance.

Et nous, ici
Qui finassons
A L'INFINI sur les mots
Pour surtout ne rien dire
Rien écrire
Rien filmer
Rien hurler
Le devenir indifférent européen
En ces temps sur-infectés
Où un président US fétide interdit
L'usage de centaines de mots
Sans risquer d'être destitué
Où la Puissance brute et la Force de Mort
Excèdent le droit international
Saccagé par la Guerre de la Genèse
De Benjamin Netanyahu
Les milliardaires évangélistes antisémites US
Aux bras de Bardella Marechal Le Pen à Jérusalem
Remakes Bibliques
Propriété intellectuelle
De l'Extrême Droite israélienne
Qui ne recule devant rien
Pour mettre à mort la Palestine et Israël
Les descendants du peuple de la Terre Sainte
Et la splendeur révolue de la diaspora juive européenne.

VISAGE PALESTINIEN
CŒUR ARABE
Écrivait Jean-Luc Godard
Du temps où le cinéma
Tentait de retrouver son âme
Pour n'avoir pas filmé les chambres à gaz
Avec cette question au cœur
De son œuvre de plus de 150 films :
Comment filmer après Auschwitz ?

Nous, qui perdons les mots
À force de ne plus nommer le réel
Qui perdons les images
À force de les noyer dans leurs financements
Qui avons renoncé à croire à ce que nous voyons
Qui avons déserté l'Europe de la résistance
Qu'est-ce que notre misérable silence
Est en train de détruire ?

Des billets de 20 New Shekels
Et des cartes SIM
Tombent du ciel
Au-dessus du camp de réfugiés Alchati
Avec un numéro de téléphone :
Si vous voulez collaborer avec nous…
Clic 1 rester à Gaza et mourir tout de suite
Clic 2 accepter la déportation et mourir lentement.

Gaza, La Zone d'Intérêt
Riviera antisémite pour milliardaires américains
La bande de Gaza et ses habitant.es
Terre Sainte Déluge Métal Brûlant.

Si c'est un homme écrivait Primo Levi en 1947
La suite s'écrit 75 ans plus tard
Dans les cendres, le sang, les corps déchiquetés
De l'enfer de Gaza.

Qui mettra fin
A la Guerre de la Genèse
De Benjamin Netanyahu
Fleuve cauchemardesque de pétrole, de gaz, de cadavres
Sommes-nous encore loin d'un nouveau flash atomique ?

Nos yeux ont explosé à Gaza
Comme à Auschwitz, Hiroshima, Nagasaki
Le fantôme d'Yitzhak Rabin assassiné
Plane au-dessus des ruines calcinées
Avec Yasser Arafat et Mahmoud Darwich
Comme un mauvais sort
Lancé au visage de Benjamin Netanyahu :
Même si vous massacrez jusqu'au dernier des Palestiniens
Jamais vous ne ferez la paix avec les morts
Et ils vous hanteront
Jusqu'à ce que votre haine ait tout décimée
Autour de vous.

À combien de tonnes de bombes
Peut résister une famille ?
Un peuple ?
A partir de combien de morts
Le camp des « vainqueurs »
Explose lui aussi ?

Les images filmées et diffusée par les habitant.es de Gaza, ont en réalité, déjà vaincu Benjamin Netanyahu. Depuis le premier jour. Malgré le black-out médiatique militarisé imposé par le gouvernement d'extrême droite israélien, ces images héroïques documentent très précisément ce qu'est la destruction quasi-atomique du monde vivant dans la bande de Gaza, par cette armée massivement sur-armée, qui se vante d'être la plus « morale » du monde.

En 1945, les premières images des camps de concentration ont été filmées par l'armée US à leur libération. Une fois le cauchemar terminé.

À Gaza, nous assistons aux massacres en direct. Tout est superposé dans un même temps hyper-accéléré. Les images filmées, les éléments de langage, la censure, les intimidations, les manipulations, l'accusation lancée contre Israël par l'Afrique du Sud pour risque génocidaire, les prises de parole des juristes internationaux, les condamnations de la Cour Internationale de Justice, le travail des historiens, le déni, la négation, la propagande, les statistiques, la destruction / renouvellement des chefs religieux et militaires du Hamas, les déclarations du gouvernement Netanyahu ; la libération, le retour et la mort des otages israéliens sous les bombes israéliennes ; la libération des prisonniers otages palestiniens ; les descentes armées des colons fascistes de la Cisjordanie, les démissions, la désertion des soldats israéliens, les menaces de l'Iran, l'impossible négociation pour imposer la paix, l'élargissement des bombardements au Liban… Tout est vu, entendu, diffusé, en temps réel. Un réel massivement défiguré par le récit messianique-biblique-SF des « vainqueurs », ivres du cauchemar sanglant de Benjamin Netanyahu.

Mais les images sont là et les survivants continueront à filmer, à raconter. Avec les poètes, les écrivains, les juristes internationaux, les historiens, les chercheurs, les journalistes, les cinéastes - palestiniens, israéliens, libanais.

Combien de générations, des deux côtés, auront été sacrifiées au nom d'une guerre coloniale longue de plusieurs centaines d'années qui aurait pu ne jamais exister ?

Les Palestiniens épuisés par la destruction de leur pays et de leur peuple ; les Israéliens pris en otage par ce que leur pays, à peine né, est devenu en 70 ans.

Ne nous racontons pas d'histoires. Tout ce malheur, les millions de morts 1939-2025, victimes juives / victimes palestiniennes, ces continents d'illusions perdues, cette haine à l'état d'antiquité entretenue par les milliardaires antisémites, antimusulmans, du colonialisme génocidaire du fascisme « démocratique » des grandes puissances ; appartiennent aux vastes stocks du carburant fossile de l'impérialisme zombie, qui se partage aujourd'hui plus de 12 000 armes nucléaires et tente de survivre à sa propre démence nécro-techno-politique.

Saurons-nous en sortir collectivement, sans flash atomique ?

Nicolas Klotz

05.05.2025 à 09:33

Le « problème musulman » en France

dev

Une histoire de l'islamophobie
un lundisoir avec Hamza Esmili

- 5 mai / , , , ,
Texte intégral (5047 mots)

Autrefois cantonné aux cercles les plus assumés de l'extrême droite, le « problème musulman » a doucement mais sûrement conquis l'espace politique et médiatique. D'une partie de la gauche qui veut sauver une « république » en péril au ministre de l'Intérieur qui proclame « vive le sport, à bas le voile » la question de l'islamophobie est devenue un marqueur plus déterminant que jamais en France. Si certains assument cette peur des musulmans pendant que d'autres s'indignent des discriminations qu'elle engendre, personne ne s'interroge sur la manière dont s'est construit ce « problème musulman ». C'est ce à quoi s'attèle Hamza Esmili [1], socio-anthropologue, dans La cité des musulmans, une piété indésirable (Amsterdam). Le chercheur retrace la genèse et les différentes évolutions de l'islamophobie en France, de sa variante libérale de gauche à son déploiement conservateur actuel et ouvre la question en creux de ce « problème musulman » : comment l'histoire coloniale, la désindustrialisation et l'espace ségrégé de la cité, ont produit un phénomène de réaffiliation et de regain de piété qui vient mettre en crise le rapport dominant à la communauté, à l'État et à la société globalisée. Soit « une collision historique bien réelle,
une épreuve de modernité ».

À voir lundi 5 mai à partir de 20h :

00:00 Intro
2:58 1982, les ayatollahs infiltrent les grèves ouvrières
6:13 1989, trois lycéennes voilées à Creil, le Munich de l'éducation
9:23 Le « problème musulman », collision historique et épreuve de la modernité
11:23 De l'islamophobie libérale de gauche à l'islamophobie conservatrice
15:25 La question en creux du « problème musulman » : la non-assimilation
18:09 La différence entre l'islamophobie et le racisme anti-maghrébin
20:47 De la génération perdue des enfants d'immigrés à la réaffiliation pieuse
24:20 Désindustrialisation et multiplication des mosquées
28:06 Une forme singulière de collectifs d'individus 'un à un' pieux
33:06 L'influence méconnue de la prédication des « frères de l'effort » sur l'islam de France
37:09 L'attentat géopolitique et l'attentat antisémite : distinguer politiquement les phénomènes de violence
43:52 Islamophobie des gouvernants : calcul politique cynique ou déréliction morale sincère
44:43 Le « problème musulman » permet-il de produire « du français » ?
47:56 Pourquoi l'extrême droite ne rêve pas (même au Puy du fou)

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Combattre la technopolice à l'ère de l'IA avec Felix Tréguer, Thomas Jusquiame & Noémie Levain (La Quadrature du Net)

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Une histoire politique de l'homophobie - Mickaël Tempête

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Que peut le cinéma au XXIe siècle - Nicolas Klotz, Marie José Mondzain & Saad Chakali
lundi bonsoir cinéma #0

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LaDettePubliqueCestMal et autres contes pour enfants, une discussion avec Sandra Lucbert.

Pandémie, société de contrôle et complotisme, une discussion avec Valérie Gérard, Gil Bartholeyns, Olivier Cheval et Arthur Messaud de La Quadrature du Net

Basculements, mondes émergents, possibles désirable, une discussion avec Jérôme Baschet.

Au cœur de l'industrie pharmaceutique, enquête et recherches avec Quentin Ravelli

Vanessa Codaccioni : La société de vigilance

Comme tout un chacune, notre rédaction passe beaucoup trop de temps à glaner des vidéos plus ou moins intelligentes sur les internets. Aussi c'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous avons décidé de nous jeter dans cette nouvelle arène. D'exaltations de comptoirs en propos magistraux, fourbis des semaines à l'avance ou improvisés dans la joie et l'ivresse, en tête à tête ou en bande organisée, il sera facile pour ce nouveau show hebdomadaire de tenir toutes ses promesses : il en fait très peu. Sinon de vous proposer ce que nous aimerions regarder et ce qui nous semble manquer. Grâce à lundisoir, lundimatin vous suivra jusqu'au crépuscule. « Action ! », comme on dit dans le milieu.


28.04.2025 à 07:44

France

dev

je t'ai tout donné, et aujourd'hui, je ne suis rien.

- 28 avril /
Texte intégral (812 mots)

France, je t'ai tout donné, et aujourd'hui, je ne suis rien.
Même pas les moyens de me payer une chambre de bonne.
Je n'en peux plus de tes amours Tinder.
Va te faire foutre avec ton Jupiter.
Mayotte sans eau, Martinique sous chlordécone, Kanaky suffoquant sous placage ventral,
Bravo l'innovation cocorico !

Tes roublardises sont trop pour moi.
Je ne vis pas pour être ubérisée.
France « fière de Depardieu », vraiment ?
Es-tu sinistre ou est-ce encore une de tes blagues ?
Tu m'as fait militante queer-anarcho-pyromane.
Je survis à coups de pâtes Lidl, de glanages et de vols Peter Pan chez Sephora.
Il doit y avoir des moyens de résoudre ça dans le calme.
Je n'en peux plus de tes caprices d'enfant gâtée.
Chaque fois que je fais un pas en avant, tu me files une prune pour excès de vitesse.
Chaque fois que je ferme les yeux, tu inondes mes rêves de jambes épilées.
À la fête de la musique, tu m'as jetée dans la Loire, à sainte-Soline tu m'as prise en embuscade.
Depuis, j'ai démissionné de l'éducation nationale.
Vas-tu laisser Donal Trump décider de ton futur ?
Je suis obsédée par Elon Musk.
Je me connecte sur X dès que je peux.
Au réveil, dans les transports, les conseils de classe.
Les algorithmes me parlent de tatouages love is blind, de bitcoin et vidéos de chats.
Les vidéos de chats sont regardées.
Les vidéos de chattes sont regardées.
Toutes les minettes sont regardées, sauf moi.
Je ferais mieux d'évaluer mes ressources nationales.
Mes ressources nationales consistent en de délicieux croissants au beurre, quelques barrettes, Aya Nakamura parée d'or, valises LVHM, CRA cracras, HP HS, poudre de perlimpimpin.
Après avoir institutionnalisé Macdonald restaurant national, je m'attaque à l'obésity.
Il me semble de plus en plus clair que la France, it's me !
Je me fais de nouveau la conversation.
Après tout, France, c'est toi et moi qui sommes parfaites, pas le monde à venir.
Putain France,
Comment puis-je écrire un poème patriotique avec ton humour de larve ?
Bientôt le temps des cerises !
Il reste que j'admire ta télévision. Pascal Praud, Hanouna, de grands esprits libérateurs des consciences.
France #JesuisCharlie, pas de hashtag pour Luigi ?
Moi Présidente, je gracierai les arracheurs de chemises des dirigeants d'Air France.
France excrément qui sauve Benalla de la tourmente.
Si je ne craignais pas la censure, je ferais pipi sur ton hymne et ton drapeau.
Entre nous.... peut-être que c'est déjà fait, mais c'est notre petit secret ! Après maintes réflexions, mon psychiatre pense que de nous deux, c'est toi la folle.
Tu continues à t'arrimer aux croisades dans des soliloques naphtalines :
C'est de la faute aux méchants musulmans.
Aux musulmans, aux musulmans, et aux terroristes. Et aux musulmans.
La Musulmanie va nous manger tout cru. La Musulmanie folle de pouvoir. Elle veut s'accaparer nos plages et nos défilés de mode.
Elle vouloir prendre Cap d'Agde et première dame ! Elle vouloir faire de nous burkini.
Elle vouloir envoyer Femen dans désert. Elle gros émirats remplaçant choucroutes par couscous.
Ça pas bon. Hugh. Elle vouloir faire Mohamed prénom français. Elle vouloir libérer Palestine.
Ha. Elle nous vouloir avoir plusieurs femmes. Help.

Ô France,
Cher pays de mon enfance,
Ma mamounette retraitée pense que ça sert à rien d'écrire un poème, qu'ils en tous rien à foutre.
CNews a décidément bien fait son travail.

Juliette

28.04.2025 à 07:32

Feu et flammes

dev

Histoire de l'autonomie allemande

- 28 avril / , ,
Texte intégral (6469 mots)

Si le mouvement autonome italien a connu, ces dernières années, un véritable regain d'intérêt en France, permettant d'en saisir toute la richesse et la complexité, force est de constater que rien de comparable ne s'est encore produit pour le mouvement autonome allemand. Pourtant, de cette scène de squats foisonnante, de ces journées d'émeutes magnifiques, de ce mouvement antinucléaire massif et offensif, du black bloc lui-même — pratique avant tout allemande —, mais également de cette impressionnante capacité à se constituer en force matérielle, offrant un contre-monde antagoniste à la société capitaliste, il y aurait bien des choses que les francophones devraient apprendre. Grâce aux éditions La Tempête, il est enfin possible de lire — et de voir, grâce aux très nombreuses photographies contenues dans l'ouvrage — une histoire de ce mouvement explosif, écrite par un militant de la première heure.
Feu et Flamme, de Geronimo, est un livre qui ne se satisfait pas d'un discours objectif et neutre, mais analyse de l'intérieur les forces et les faiblesses de l'un des mouvements révolutionnaires les plus radicaux d'Europe. Son titre est une reprise d'un slogan utilisé dans les manifestations autonomes de l'Allemagne de l'Ouest : Du Feu, des flammes pour cramer cet État et ses prisons.

Tentatives d'organisation

À la fin de l'année 1982, le stationnement des missiles menaçant de se réaliser à l'automne 83, les camarades de Hambourg tentent de mettre en place une coordination interrégionale des groupes autonomes. Deux rencontres sont organisées à cette fin, à Hanovre en février et à Lutter en juin. Les débats qui ont lieu à Lutter tombent au moment où un affaiblissement des nouveaux mouvements sociaux (antinucléaire, anti-guerre, squats) se faisait ressentir. Les structures organisationnelles créées pour la préparation de la manifestation contre Reagan s'étaient par exemple totalement dissoutes peu après le 11 juin, avec pour conséquence un travail de solidarité et de soutien insuffisant en faveur des personnes arrêtées lors de l'action. Ce n'est qu'au prix de grands efforts qu'un minimum de soutien put être apporté aux prisonniers face aux procès qui se préparaient.

Cet état de fait s'inscrivait dans un contexte d'isolement croissant des autonomes au sein du mouvement pacifiste qui prenait de l'ampleur, rendant nécessaires une prise de position et une stratégie communes du camp autonome :

« La situation est la plupart du temps très similaire dans les différentes villes : le milieu de gauche vole en éclat, il n'y a presque plus d'assemblées unitaires ou de discussions politiques, les groupes se retrouvent lors des actions (le plus souvent des manifestations) et se perdent ensuite de vue. Nous ne faisons que réagir aux vacheries de l'État et allons d'une action à une autre, d'un sujet à l'autre… Il n'y a presque pas de liens et d'échanges entre les différents courants politiques, il n'y a pas d'analyse commune de la situation, pas de stratégie partagée à partir de laquelle choisir nos cibles et nos actions et développer des continuités… » (Vorbereitungsmaterialien)

Au sein du groupe de préparation, il fut proposé de discuter de ce que les autonomes avaient en commun, au-delà de tout débat stratégique sur les perspectives du mouvement anti-guerre. Voici ce qui fut dit :

« Aspirer à l'autonomie est avant tout lutter contre l'aliénation politique et morale de la vie et du travail – contre la fonctionnalisation des intérêts différents, contre l'intégration de la morale de nos ennemis – la tentative de se réapproprier la vie… Cette aspiration s'exprime lorsque des maisons sont squattées pour se loger dignement ou pour ne plus devoir payer des loyers exorbitants, lorsque les travailleurs se font porter pâle parce qu'ils ne supportent plus d'être surveillés au travail, lorsque les chômeurs pillent des supermarchés… Lorsqu'ils ne se contentent pas de rejoindre les revendications des syndicats pour plus d'emplois, qui ne signifient en réalité que plus d'intégration, d'oppression et d'exploitation. Partout où les gens commencent à saboter les structures de domination politique, morale et technique, un pas est fait vers une vie auto-déterminée. Notre aspiration à l'autonomie doit aller de pair avec des débats politiques ouverts à d'autres manières de penser… et des efforts permanents pour diffuser nos idées, qui sous-tendent notre vie et nos actions. »

Les débats lors de la rencontre de Lutter (du 18 au 24 juillet 1983) étaient cependant principalement marqués par les controverses sur la situation actuelle du mouvement pacifiste et les événements qui s'étaient déroulés lors d'une manifestation de groupes autonomes et anti-impérialistes à Krefeld.

La débâcle de Krefeld

Deux manifestations ont lieu à Krefeld à l'occasion de la visite du vice-président américain, George H. W. Bush. Le mouvement pacifiste appelle à un rassemblement dans un stade excentré contre le projet de déploiement de missiles de moyenne portée et auquel participent 25 000 personnes. De leur côté, les groupes autonomes mobilisent à travers toute l'Allemagne de l'Ouest sur une ligne clairement anti-impérialiste. Ils appellent à une manifestation indépendante, contre la doctrine martiale de l'OTAN, sans essayer d'intervenir dans l'organisation du rassemblement du mouvement pacifiste. La manifestation autonome devait passer à travers le centre-ville de Krefeld et se diriger vers le lieu où Bush était accueilli, mais presque immédiatement après le départ, les quelque 1 000 camarades se retrouvent bloqués par des commandos du SEK et se font attaquer. Il y eut plus de 60 blessés, dont plusieurs graves, 138 arrestations qui donnèrent lieu à plus de 50 condamnations allant d'amendes et de Strafbefehlen [1] jusqu'à des peines de prison de deux ans. La majorité du mouvement pacifiste se désolidarise de la manifestation le jour même.

La débâcle de Krefeld montre comment une offensivité politique et pratique mal préparée peut jouer en faveur du calcul étatique d'intimidation indistincte et de division politique. Les affrontements qui suivirent donnèrent des groupes autonomes l'image de victimes de la répression de l'État, mais aussi d'objet sans défense d'un « débat sur la violence » à charge au sein du mouvement pacifiste. À l'été 1983, ce « débat sur la violence » est de plus monté en épingle par des rapports officiels de différentes administrations de la sûreté d'État (Office fédéral de la police criminelle, le parquet général fédéral, l'Office fédéral de protection de la constitution, etc.), avec l'aide des médias de masse libéraux. C'est ainsi que paraît un numéro du STERN avec en couverture une main levée tenant un pavé, accompagnée du titre « Violence – non merci ! ».

Dans ce contexte des camarades d'Hambourg notent, avec autocritique, dans un article en vue de la rencontre de Lutter :

« L'objectif des groupes autonomes (l'abolition du système capitaliste, et pas uniquement du programme nucléaire) s'est souvent cristallisé dans la question des formes de résistance et a été monté en épingle à partir de la confrontation avec l'appareil policier. Surtout ces derniers temps, cette dernière est devenue le lien apparent entre des groupes très différents (squatteur.euse.s, groupes antinucléaires, groupes anti-impérialistes, etc.) et a, en plus d'avoir provoqué l'incompréhension et la méfiance de nombreux autres groupes, fait des “groupes autonomes” un concept que l'État utilise systématiquement et très consciemment afin de réduire nos positions à la question de la violence. »

Les discussions sur l'intervention dans le mouvement pacifiste voient émerger deux positions principales. La rédaction d'AUTONOMIE à Hambourg est plutôt sceptique :

« Les événements à Krefeld ont clairement montré à quel point les chances sont faibles que le mouvement pacifiste dans sa diversité soit favorable à un soutien mutuel entre différentes formes d'action et qu'il devienne un facteur déterminant contre le déploiement des missiles. »

À l'inverse, certains groupes autonomes s'expriment en faveur d'une participation aux actions d'automne, qu'ils conçoivent comme pouvant être un élément de « radicalisation » :

« Il nous semble important de combattre l'OTAN dans sa structure et ses installations militaires de toutes les manières possibles. Ce n'est qu'ainsi que les gens prendront conscience de la complexité de cet appareil de pouvoir militaire, et la résistance contre les missiles de moyenne portée peut elle aussi jouer un rôle stratégique de ce point de vue. Nous considérons notre résistance contre les trains transportant des bombes comme un pas dans cette direction. Elle offre la possibilité d'affrontements ininterrompus et concrets pour les groupes antimilitaristes… Une attitude offensive face au déploiement de missiles à l'automne ne sera in fine pas possible sans un travail antimilitariste au niveau régional et local. Les convois de matériel militaire auront leur importance dans ce contexte aussi. » (Autonome Gruppen aus Hannover in : Vorbereitungsmaterialien)

Les discussions à Lutter ne permettent pas de faire avancer l'organisation des autonomes par rapport à l'« automne des missiles ». Les autonomes avaient certes toujours réussi à s'organiser, même au-delà de l'échelle régionale, lorsqu'il s'agissait d'une action en particulier, mais les structures élaborées à cette fin se délitaient la plupart du temps rapidement après l'événement en question. Une des raisons était qu'une organisation nécessitant des rencontres fédérales régulières se retrouvait toujours confrontée au problème de la structuration hiérarchique, ce qui allait à l'encontre des principes de la plupart des autonomes. Ces tentatives devenaient par ailleurs souvent des substituts à l'absence de liens locaux et régionaux entre autonomes – ce qui compliquait le fait d'élaborer des analyses et des stratégies communes au-delà de certains événements. Après 1983, les groupes autonomes n'essayèrent plus de s'organiser au niveau fédéral – exception faite de la campagne contre le FMI.

Le contexte politique est par la suite marqué jusqu'à l'« automne des missiles » par le fait que le mouvement pacifiste – majoritairement dominé par de grandes organisations centralisées – parvient par une non-violence idéologisée à marginaliser toute dimension anti-impérialiste et révolutionnaire de la protestation. L'unique consensus portait sur des armes spécifiques et les actions visaient à exprimer auprès des dominants le souhait du maintien de la « paix », ou autrement dit du « statu quo impérialiste ». Ce faisant, les actions qui se voulaient protestataires se limitaient à des gestes symboliques de soumission à l'État et vides de sens, qui plus est prévisibles par la police. Les positions des autonomes gênaient le besoin d'harmonie du mouvement pacifiste et ces derniers devaient donc être écartés. Dans ce contexte, le mouvement pacifiste développe des formes nouvelles de collaboration avec l'État (discussions entre les flics et les « chefs du mouvement », ligne directe entre les flics et les organisateurs des manifestations), visant à contrôler les autonomes, voir à les livrer manu militari aux flics.

« Automne chaud » et café froid

Malgré toutes les contradictions, les autonomes participent massivement aux actions de blocage de Bremerhaven/Nordenham et du bâtiment des éditions Springer lors de la semaine d'actions du mouvement pacifiste, du 13 au 22 octobre 1983. Ils se reposent lors de ces deux événements sur le travail acharné des groupes antimilitaristes de la région d'Unterweser, qui s'étaient notamment réunis au sein du Komitee gegen die Bombenzüge (KGB), ainsi que sur les structures autonomes d'Hambourg.

Les forces bourgeoises et traditionnelles du mouvement pacifiste exercent cependant leur hégémonie politique tout au long des actions. Même l'approche régionale antimilitariste, contre l'infrastructure quotidienne de l'OTAN, des groupes du KGB fut intégrée par la stratégie d'alliance du mouvement pacifiste et put être rendue inopérante politiquement. Les autonomes réussissent à prendre la tête du cortège de la manifestation de Bremerhaven, mais une gestion habile de la manifestation isole le bloc autonome du reste des manifestant.e.s. Il se retrouve ainsi totalement seul, concrètement et politiquement, face à l'entrée du port qui est bloquée à la fois par les flics et des non-violent.e.s qui font un sit-in. Complètement désorienté, le bloc autonome erre pendant des heures, épuisé et fragmenté, dans la ville jusqu'à ce qu'il atteigne le soir les casernes américaines aux abords du port, dans une zone isolée, et devienne le jouet d'une police en supériorité numérique. L'ensemble de ce déroulé déprimant de la manifestation de Bremerhaven est caractéristique de l'impasse dans laquelle se trouvent les autonomes en ce qui concerne le mouvement pacifiste.

La « question de la violence », qui n'avait pas été résolue, est un point de blocage et les débats sur le fond qui avaient été évités ne peuvent plus être rattrapés. La participation des autonomes aux actions avait donc été perçue comme imposée au mouvement pacifiste, presque un putsch, ce que le déroulé de la manifestation démontre de manière on ne peut plus évidente. L'espoir nourri par de nombreux autonomes de tout de même pouvoir radicaliser le mouvement pacifiste rencontre un mur. Des autonomes de Berlin-Ouest commentent avec justesse et beaucoup de sarcasme : « Entre Brême et Bremerhaven, il y a 60 kilomètres et trois ans. »

Les craintes exprimées initialement d'un « piège de Bremerhaven » ou d'une « action de nettoyage à l'italienne » dans le cadre de l'automne des missiles ne se réalisent cependant pas non plus. L'isolement politique total des autonomes rend ce type de répression étatique superflue. Lorsque peu avant le rassemblement massif du 22 octobre à Hambourg, une manifestation de solidarité à la Hafenstraße [2] se fait attaquer par les flics et que 150 camarades se font arrêter, le mouvement pacifiste reste de marbre. La Hafenstraße n'avait rien à voir avec le désir de paix. Le mouvement exprima une dernière fois sa peur des nouveaux missiles nucléaires lors de sa semaine d'actions puis tout le monde rentra chez soi. Un mois plus tard, l'installation des missiles se fit sans résistance notable. En janvier 1984, Révolutionäre Zellen/Rota Zora constatent dans un article tonitruant intitulé « Krise – Krieg – Friedensbewegung » (Crise – Guerre – Mouvement pacifiste) :

« Les nouveaux mouvements sociaux – ça, le mouvement pacifiste l'a rendu très clair – avancent de plus en plus à contre-courant de la question des classes, parasitent toute question sociale et prennent un virage à droite. Il devient plus que douteux de se rapporter à eux comme seule référence de pratique révolutionnaire. Ce “on y va” qui donne plus d'importance à la mobilisation en tant que telle qu'à ses positions et ses objectifs, ne peut plus suffire. »

La retraite des autonomes et la fin du mouvement pacifiste

Malgré leurs expériences déprimantes lors de l'automne des missiles, les autonomes continuèrent à s'organiser encore un certain temps dans le mouvement pacifiste, mais leurs actions n'auront pas permis de radicaliser un mouvement qui touchait déjà à sa fin. À l'automne 1983, le mouvement pacifiste a déjà dépassé son apogée et ne parvient pas à se défaire de son obsession pour la « politique de paix et de désarmement » menée par l'État. Alors que sa prophétie d'une guerre imminente (« Ayez peur, la mort atomique nous menace tous ! », « Il est minuit moins cinq ! ») ne s'était pas réalisée et que la tendance mondiale était au contrôle de l'armement, ce sur quoi se fondait la légitimité de sa politique catastrophiste s'effondre. D'autre part, le déploiement sans accroc des missiles avait démontré l'inefficacité de leur stratégie légaliste. La répétition d'actions de masse aussi inefficaces que ritualisées (marche de Pâques de 84, plébiscite) n'aura pas pu stopper le processus de délitement du mouvement.

Quand bien même les actions de Hildesheim et de la région de l'Unterweser n'étaient pas vraiment des échecs, ils marquèrent la fin des actions d'ampleur des autonomes dans le domaine du pacifisme, en raison de l'absence de résonance à large échelle.

(…)

Qu'est-ce que l'autonomie ?

Dans cette petite fenêtre sur l'histoire, le terme aux multiples facettes d'« autonomie » n'occupe qu'une place périphérique. Il y a deux cents ans déjà, une poignée de penseurs des Lumières tout sauf insignifiants, parmi lesquels Kant et Hegel, s'acharnaient sur ce concept. Je ne le savais pas encore à la fin des années 80, car ma curiosité ne m'avait à l'époque (malheureusement) pas encore poussé à remonter aussi loin dans le passé. Le préciser permet du moins de souligner qu'il faudrait un jour s'intéresser sérieusement au concept d'autonomie. Il semble depuis peu avoir été réduit de manière simpliste au lieu commun d'indépendance. Or, se référer en permanence à une indépendance imaginaire, sans jamais nommer clairement de quoi ou pour quoi, est tout simplement une entreprise vide de sens, construite sur des bases bien fragiles. Il faut en effet comprendre, particulièrement aujourd'hui à l'aube du 21e siècle, que nous vivons dans un contexte où nous sommes plus que jamais dépendants les uns des autres. Ne pas inclure cet état de fait dans les réflexions sur le concept d'autonomie et à l'inverse s'adonner à un culte aveugle de l'indépendance se limite alors souvent à des pratiques d'un individualisme exacerbé, égoïste et bourgeois des plus désagréables. Ce sont précisément ces formes de circulation et de socialisation qui sont très concrètement nécessaires au système capitaliste. Pour le formuler encore plus clairement : certaines formes de circulation considérées sans recul sous le label d'une soi-disant indépendance ont toujours été subies avec beaucoup de brutalité par beaucoup de personnes évoluant dans le milieu autonome des années 80.

Peut-être faudrait-il réfléchir à la définition provocante de Bodo Schulze, selon laquelle : « l'autonomie est une chose fragile – ou plutôt : l'autonomie n'est pas une chose, mais une forme de circulation entre des individus, qui s'associent en vue de détruire l'ensemble des rapports de domination. Cette forme de circulation ne peut pas être théorisée. Les théories n'ont pas de prise sur ce type d'objets, qui ont une existence propre – qui existent en eux-mêmes. L'autonomie est un tel objet. L'autonomie a une existence en soi. Elle est seulement dans la mesure où les hommes agissent en vue de la révolution ».

D'un point de vue politico-historique, l'histoire des autonomes de RFA doit se pencher sur la position de certains camarades, selon lesquels l'autonomie serait une « exportation italienne » qui aurait en RFA et à Berlin-Ouest perdu son caractère prolétarien au profit d'une « expression petite-bourgeoise individualiste typiquement allemande ». Qu'en est-il ?

Peut-être une définition de l'autonomie de Johannes Agnoli, formulée précisément à l'intersection des expériences italienne et ouest-allemande, autour de 1975, peut-elle nous éclairer :

« L'autonomie dont je parle c'est l'autonomie de classe… à la fois en tant que mouvement de classe, le mouvement des ouvriers contre le capital, le mouvement du travailleur en tant que sujet de la production contre celui du travailleur en tant qu'objet de la mise en valeur ; et, au-delà de l'usine en tant que tendance ou mouvement des masses indépendantes contre la tentative du capital de les considérer comme des objets de la transformation de la plus-value en profit, comme des objets de consommation. Dans les deux cas, l'autonomie est la tentative… de la classe, dans la lutte pour son émancipation, de s'autonomiser du mouvement du capital, du mouvement cyclique du capital… L'autonomie de classe signifie… que le mouvement de classe en tant que mouvement d'émancipation, en tant que processus de prise de conscience, évolue de manière totalement indépendante du cycle économique… Si en RFA le soulèvement des ouvriers contre la mise en valeur est encore très en retard… dans la reproduction de l'ensemble de la société, le soulèvement en faveur de la valeur d'usage contre la valeur d'échange a plutôt pris des formes assez concrètes… L'autonomie du mouvement du capital peut s'exprimer, tel qu'en RFA, comme le refus que tout un chacun soit pris dans le processus de réalisation sur le marché… L'autonomie signifie… non un refus du principe d'organisation, mais bien un refus d'une quelconque organisation qui développe un intérêt propre qui n'est plus l'intérêt de classe… Ce que je veux dire c'est ceci : l'autonomie de classe n'est pas contre l'organisation. Ce sont bien plutôt les organisations traditionnelles qui ne sont plus en mesure de représenter les intérêts de classe. » (Langer Marsch, février 1976)

Peu importe. Lors de discussions, en particulier sur le passé, avec d'anciens camarades, ou d'autres encore actifs, il faut garder à l'esprit qu'ils ont parfois tendance à généraliser leurs expériences, qui sont parfois terminées depuis longtemps, dans tel ou tel jardin ouvrier. C'est une façon de faire : s'attribuer du moins a posteriori une grande importance. Or, ce qui réveille chez certains un souvenir agréable n'a aucune raison d'être pertinent pour d'autres personnes et encore moins dans un contexte différent. Celui qui résume donc l'histoire des autonomes d'aujourd'hui à un simple produit d'export italien, doit à juste titre accepter de se voir poser la question suivante : ces derniers n'existaient-ils pas déjà dans la société allemande des années 50 et 60, même s'ils ne s'appelaient eux-mêmes pas ainsi ? Remémorons-nous à ce titre simplement les émeutes des Halbstarken [3] dans les concerts de rock des années 50, ce qu'on appelle les Schwabinger Krawalle [4] à Munich en 1962 et les militants de la Subversive Aktion [5] du milieu des années 60. Ces cas montrent que l'esprit de l'autonomie dans ces contrées n'est pas uniquement d'origine italienne, mais en réalité bien plus ancien que ce que l'extrait historique que je vous propose laisse à penser. Cet esprit semble depuis un certain temps déjà avoir hanté les nuits des dirigeants et leur avoir provoqué des maux de tête. S'il s'agit cependant de l'influence politique réelle de la gauche radicale dans la société allemande, il semble plus pertinent de représenter l'histoire des autonomes comme résultat de conflits et d'affrontements politiques depuis 1967.

La description des autonomes des années 80 présente cependant une autre difficulté : l'utilisation indiscriminée de termes tels que « mouvement des autonomes », « radicaux de gauche », ou « puissance politique des autonomes ». Dans l'« étude » qui suit, il a ainsi été renoncé à une définition figée de l'objet mouvant que sont les « autonomes », notamment pour éviter de lui faire violence par l'usage aussi autoritaire qu'arbitraire d'un seul terme.

L'on peut tout de même dire, avec prudence, que le terme de gauche radicale est compris dans les années 60 et 70 comme ce qui se situe résolument à gauche des organisations du mouvement ouvrier classique, sans tout à fait se recouper avec les formes et les théories traditionnelles de l'anarchisme. Son sens a évolué dans les années 80 : à cette époque il décrivait plus précisément ce qui se situait à gauche du parti des Verts. Il existait dans les années 80 toutefois d'autres groupes qui se définissaient eux-mêmes comme de gauche radicale, mais qui se distinguaient volontairement des autonomes.

Ce livre n'a pas la prétention d'être une représentation exhaustive de toute l'histoire de la gauche radicale allemande. Il manque ainsi un chapitre, initialement prévu, sur l'histoire de la gauche radicale à Berlin-Ouest. Cette ville a été, avec Francfort, l'épicentre de l'agitation et de l'action de la révolte étudiante de 68. Cela est notamment perceptible à travers le foisonnement de la culture des revues – qui se poursuit depuis Linkeck, 883, Fizz, Info-Bug, Radikal jusqu'à Interim aujourd'hui. Il est encore possible de nos jours de lire avec enthousiasme certains passages du livre Die Gücklichen de P. P. Zahl, dans lesquels il décrit en détail l'organisation et le déroulé des « manifestations de lutte » massives de mai 1970 contre l'invasion des impérialistes américains au Cambodge. Ici et là, lors de manifestations, on chante encore quelques phrases percutantes de la chanson légendaire Rauch-Haus des Scherben. Et il y a aussi le Blues, le Tommy Weisbecker Haus, les procès d'Agit, la lutte pour des maisons des jeunes autogérées, la présence sur le terrain contre la destruction de logements et les loyers exorbitants et la présence sur le terrain tout court…

Le milieu de gauche radicale des années 70 et 80 n'a à aucun moment disposé d'un organe de communication commun et transversal, par exemple sous la forme d'un journal ou d'une organisation contraignante. Certains aspects d'événements offensifs-spontanéistes et anarchistes-individualistes sont ainsi difficiles à retracer chronologiquement, comme le serait l'histoire d'une organisation, et donc à retranscrire. Nombre de camarades qui prenaient part à tel ou tel conflit ou telle ou telle lutte dans les années 70 avaient mieux à faire que de s'enfermer dans un bureau pour faire un bilan bien propret de leurs efforts politiques. Et comment généraliser dans un récit le fait qu'il arrivait constamment qu'à un endroit des camarades laissent tomber la politique par frustration et qu'à un autre endroit, au même moment, d'autres camarades commençaient quelque chose de totalement nouveau ? Peut-être que cette sorte de désorganisation a justement permis une grande diversité d'initiatives et de tentatives qui n'instrumentalisaient pas la politique. Face à cela, le désir de systématiser cette histoire dans un récit historique est secondaire.

Pour des raisons de logique et de lisibilité, des idées seront développées, qui n'ont peut-être jamais existé telles quelles en pratique. Par ailleurs, la répartition en trois blocs temporels – la révolte de 68, les années 70 et les années 80 – est simplement une béquille choisie arbitrairement pour mieux identifier certains axes de développement. Dans ce contexte, on ne peut suffisamment souligner que tous les liens existent 1. « en soi », 2. sont « complexes » et 3. « contradictoires », et qu'ils sont bien entendu toujours étroitement « liés », de la même manière que toutes les frontières sont difficiles à tracer.

La rédaction de la première version de Feu et Flammes était motivée, entre autres et de manière sous-jacente, par la volonté de faire une liste des nombreuses erreurs de départ, accompagnée d'une description précise du lieu, voire même de l'heure où ces erreurs avaient été commises. Avec un recul que seul le temps permet, je dirais aujourd'hui que les dispositions petites-bourgeoises de ma conscience antiautoritaire m'ont parfois poussé à traiter le royaume de la liberté comme une petite propriété privée, faisant ainsi mien le principe douteux du droit de possession d'un territoire sans maître. Qu'on veuille bien me le pardonner, et tout particulièrement Hans Jürgen Krahl qui m'a inspiré cette réflexion. Cette nouvelle conclusion m'encourage pourtant à en appeler aux lecteur.ice.s : reconstituons aujourd'hui notre histoire, non comme anecdote ou événement particulièrement héroïque, mais en tant que processus animé et à tout point de vue surprenant, afin que demain notre intervention dans la société soit plus pertinente encore.

(...)

Appendice : « Thèses autonomes 1981 »

En 1981, à l'occasion d'une réunion dans la ville italienne de Padoue, des militants autonomes ont formulé huit thèses visant à identifier les dénominateurs communs entre les différents groupes qui commençaient à se faire appeler « autonomes ». Ces thèses n'ont jamais été vraiment formalisées, et différentes versions remaniées et actualisées ont été publiées – par exemple dans le n° 97 extra de radikal (août 1981) ou dans le livre de 1995 Der Stand der Bewegung (voir la postface) – mais les idées et les sentiments mentionnés dans le texte original restent à ce jour au cœur de l'identité autonome, bien que chacun de ces points ait été âprement débattu et parfois rejeté avec conviction par certaines branches du mouvement.

1. Nous nous battons pour nous-mêmes, d'autres se battent pour eux-mêmes, et ensemble nous devenons plus forts. Nous refusons de prendre part aux « luttes par procuration ». Nos activités s'appuient sur la participation de chacun, « la politique à la première personne ». Nous ne nous battons pas pour une idéologie, ni pour le prolétariat, ni pour « le peuple ». Nous nous battons pour une vie autodéterminée dans tous les aspects de notre existence, en gardant à l'esprit que la liberté de tous est la condition de notre propre liberté.

2. Nous ne dialoguons pas avec le pouvoir ! Nous ne faisons que formuler des revendications, auxquelles le pouvoir peut décider de répondre, ou non.

3. Nous ne nous sommes pas rencontrés sur nos lieux de travail. Le travail reste pour nous une exception. Nous nous sommes rencontrés à travers le punk, la « scène » et la sous-culture qui l'entoure.

4. Nous nous reconnaissons tous dans un « anarchisme diffus » mais nous ne sommes pas des anarchistes au sens traditionnel. Certains d'entre nous considèrent le communisme/marxisme comme une idéologie d'ordre et de domination – une idéologie qui désire l'État, tandis que nous le rejetons. D'autres ont la conviction que la véritable idée communiste a été dénaturée. Quoi qu'il en soit, le terme de « communisme » nous pose tous problème, en raison de son affiliation avec des expériences comme la RDA ou les K-Gruppen.

5. Le pouvoir pour personne ! Ni « pouvoir ouvrier », ni « pouvoir au peuple », ni « contrepouvoir », le pouvoir pour personne !

6. Sur le fond, nous n'avons rien à voir avec la « scène alternative », même si nous empruntons ses infrastructures et ses moyens techniques. Nous sommes conscients du fait que le capitalisme utilise la scène alternative au service d'un nouveau cycle de capital et de travail, comme champ d'activité pour la jeunesse au chômage, mais aussi comme champ d'expérimentation pour tenter de résoudre les difficultés économiques et de pacifier les relations sociales.

7. Nous n'avons pas tranché entre nous si nous sommes une révolte ou si nous voulons une révolution. Certains appellent de leurs vœux une « révolution permanente », mais d'autres pensent que cela reviendrait de fait à une « révolte permanente ». Ceux qui se méfient du terme de « révolution » pensent qu'il contient l'idée qu'adviendra un jour le règne de la liberté, chose à laquelle ils refusent de croire. Pour eux, la liberté ne peut exister qu'un court instant, entre le moment où le pavé quitte la main du lanceur et celui où il atteint sa cible. En tout cas, ce que nous désirons tous en priorité, c'est abolir et détruire, et non pas formuler quoi que ce soit de positif.

8. Nous n'avons pas d'organisation en tant que telle. Nos formes d'organisation sont toutes plus ou moins spontanées. Réunions d'occupation, chaînes téléphoniques, assemblées autonomes et plein de petits groupes, qui peuvent se former à court terme, le temps d'une action ou d'une manifestation, ou à plus long terme pour des projets comme radikal, Radio Utopia ou des actions plus illégales. Il n'existe aucune structure plus solide que cela, rien qui ressemble à un parti, et aucune hiérarchie. Le mouvement n'a par exemple produit aucun représentant à ce jour, comme Negri, Dutschke ou Cohn-Bendit, etc.


[1] Procédure juridique simplifiée en cas de délits de faible gravité, similaire à l'ordonnance pénale en France.

[2] La Hafenstraße est une rue de Hambourg, dans le quartier de St Pauli, qui comptait plusieurs squats qui se font perquisitionner et dont les habitants se font arrêter en 1983.

[3] Groupes de jeunes qui rappellent les « Blousons noirs » en France à la même époque. Le terme de « Halbstarke » désigne dès le début du XXe siècle la jeunesse « corrompue » issue du prolétariat.

[4] Il s'agit d'émeutes provoquées par l'intervention de la police pour disperser un concert de rue. Elles durent quatre jours et mobilisent jusqu'à 5 000 jeunes.

[5] Groupe de réflexion qui avait également l'habitude de rédiger des tracts.

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