URL du flux RSS
La Lettre de Philosophie Magazine

▸ les 10 dernières parutions

01.07.2025 à 17:00

Omar el-Akkad : “Quand les idéaux politiques s’effondrent, l’incarnation du courage peut être contagieuse”

nfoiry
Omar el-Akkad : “Quand les idéaux politiques s’effondrent, l’incarnation du courage peut être contagieuse” nfoiry

Auteur d’un essai remarqué, One Day, Everyone Will Have Always Been Against This (2025, non traduit), l’écrivain et journaliste Omar el-Akkad a grandi sous le pouvoir censeur qatari après être né en Égypte. Il livre depuis les États-Unis le récit d’une rupture avec l’idéal politique occidental. Cet effondrement commence le 25 octobre 2023, après trois semaines de bombardements intensifs de la bande de Gaza…

[CTA2]


Vous écrivez que le bombardement de Gaza a provoqué chez vous une rupture avec l’Occident. Comme cela s’est-il produit ?

Omar el-Akkad : Même si l’enclave palestinienne est très fermée, les informations qui nous parviennent sont d’une violence extrême. Depuis la fin octobre 2023, je vis au quotidien dans l’intimité de l’atrocité, dans son immédiateté également. J’ai déjà vu d’innombrables fois une bombe déchirer un enfant en deux et, parfois, j’accède à ces images quelques minutes après les faits. Je suis né en Égypte et j’ai grandi au Qatar, où les films et les livres auxquels j’avais accès étaient introduits clandestinement. Avec une lumière, j'essayais de lire les lignes caviardées par la censure dans les magazines. Je me suis accroché à l’idée d’un ailleurs différent dans lequel j’ai fini par vivre. Et quand je me réveille aujourd’hui, je suis assis du côté des lanceurs de bombes. Je suis complice de tout cela, je le finance avec mes impôts. Je ne peux me défaire de cette idée que ces enfants, c’est moi qui les tue. Avant, je pouvais détourner le regard mais là, la violence est trop forte, trop présente. 

 

“Les drones américains utilisés à Gaza servent une stratégie coloniale, expansionniste”

Ce sentiment de culpabilité est-il grandissant dans la société américaine ?

La majorité des personnes avec qui j'interagis quotidiennement sont assez indifférentes par rapport à tout cela. Ils ont ce privilège. Si vous vivez aux États-Unis et que vous ne consommez que les grands médias, il est tout à fait possible de vivre dans l’ignorance de ce qui se passe à Gaza. Dans le même temps, si vous m’aviez dit il y a deux ans que le sort du peuple palestinien allait influencer la prochaine élection américaine, je vous aurais pris pour un fou. Pourtant, il est indéniable que les démocrates ont perdu des électeurs en continuant de soutenir le gouvernement israélien. Même si ce n'est pas encore massif, il apparaît que de plus en plus de citoyens occidentaux commencent à réfléchir à leur rôle au sein de cet empire qui soutient leur mode de vie. 

 

Comment percevez-vous les récentes attaques contre le régime iranien ?

C’est la continuité de tous nos récits politiques que nous tenons pour acquis. Par exemple, on nous dit qu’Israël est un rempart démocratique dans une région remplie de barbares. Ou que la guerre au Proche-Orient sera circonscrite à la Palestine pour éliminer le Hamas. Cela est manifestement faux quand on regarde ce qui s’est passé en Iran ou au Liban. Désormais, une partie de la classe médiatique et politique explique que l’Iran est l’agresseur, alors que, dans le même temps, personne ne conteste que Téhéran était engagée dans des discussions diplomatiques quand les bombardements ont commencé. J’accepterais plus facilement ces récits si je n’avais pas, chaque jour, des contre-exemples flagrants. Et, encore une fois, nous sommes complices de cela. Les drones américains utilisés à Gaza n’ont jamais été achetés par la police américaine ou employés contre des manifestants américains mais ils servent une stratégie coloniale, expansionniste. 

 

“Tout s’est effondré avec Gaza. Cette guerre est venue incarner une rupture entre la proclamation des valeurs et le recours, de facto, à la brutalité”

On pourrait rétorquer que la politique est irréductible à la morale.

J’adhère profondément au libéralisme philosophique mais je pense qu’il y a un seuil au-delà duquel les contradictions qu’impliquent nos modes de vie sont insupportables. Je peux vous dire qu’en tant que journaliste pendant les années de la “guerre contre le terrorisme”, à couvrir ce qui se passait en Afghanistan ou dans la prison de Guantánamo, j'ai quand même réussi à imposer une certaine distance entre moi et ce que je voyais. Je me disais que c’était une anomalie mais que les fondations politiques de ma société restaient solides. C’étaient les droits de l’homme, l’égalité de tous devant la justice. Mais tout s’est effondré avec Gaza. Cette guerre est venue incarner cette rupture entre la proclamation des valeurs et le recours, de facto, à la brutalité. Je vois cette violence partout désormais. Nous parlons d’égalité et de justice internationale tout en bénéficiant de l’exploitation de la main-d’œuvre de pays pauvres : ils extraient les ressources et fabriquent nos biens de consommation. Nos démocraties reposent sur ces ateliers, ces mines, ces tanneries, ces populations esclavagisées à l’autre bout du monde.

 

N’y a-t-il pas aussi chez vous une prise de conscience que l’idéal politique est impossible ?

La colère que je ressens est difficile à décrire. Je ne la ressens pas autant quand on me demande pourquoi je ne retourne pas dans mon pays si je ne suis pas content. En tant qu’Arabe musulman vivant aux États-Unis, je l’ai entendu tant de fois… Comme cette interpellation : « Êtes-vous, vous qui ressemblez à ces individus qui se font exploser, pour ou contre cela ? Le condamnerez-vous, sans relâche ? Êtes-vous l'un de ceux qui nous haïssent, ou l’un de ceux qui dénoncent ceux qui nous haïssent ? » Mais je peux vivre avec cela. Je m’en fiche. Bizarrement, je ne ressentais même pas autant de rage envers les dictatures sous lesquelles j’ai vécu. J’ai grandi dans une région du monde où les murs ont des oreilles, où il y a des choses dont on ne parle pas, où l’on apprend à se taire, à garder la tête basse. Et l’Occident, les États-Unis, c’était l’espace négatif de l'autoritarisme et de la répression, tout ce qui se cachait derrière le noir des censeurs sur les pochettes des albums de Nirvana qui passaient miraculeusement les frontières. En fin de compte, je crois que cette indescriptible colère vient d’un sentiment de profonde trahison. J’ai fui l’autoritarisme et j’exècre désormais la duplicité du pouvoir. 

 

Quels motifs d’espoir reste-t-il ?

Je ne suis pas quelqu’un de courageux. Alors je puise le courage où je le trouve. Si les institutions ne sont plus capables d’inspirer les citoyens, certaines personnes ou communautés peuvent servir de modèle. Mon espoir tient à ces gens qui acceptent de risquer leur vie pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme des comportements odieux et horribles. Cela m’a guidé vers l’écriture de ce livre. Qui s’en soucie ? Peu importe. C’est mon nouveau chemin. Chaque matin, je vois les images d’un cauchemar absolu mais je vois aussi des images de personnes qui s’enchaînent aux portes des usines d’armes, d’autres qui risquent leur carrière ou leur diplôme pour aller manifester contre l’administration Trump sur les campus des universités. Je vois des dockers refuser de charger des missiles sur des navires. Je vois le marionnettiste gazaoui qui, blessé et chassé de chez lui, continue à fabriquer des poupées pour les enfants, comme cette députée qui tient bon face aux attaques et à l’indifférence de ses propres collègues. Quand les idéaux politiques s’effondrent, l’incarnation du courage peut être contagieuse. 

Retirer le paywall

01.07.2025 à 15:43

Erik Satie : les 100 ans de la mort du musicien-philosophe

nfoiry
Erik Satie : les 100 ans de la mort du musicien-philosophe nfoiry

À l’occasion du centenaire du décès du musicien et compositeur Erik Satie, nous vous invitons à découvrir l’écrivain qu’il a aussi été à travers l’anthologie de ses textes que vient de publier le compositeur et musicologue Karol Beffa sous le titre Erik Satie de A à Z. Un musicien à la plume fantasque (Flammarion).

[CTA1]


« Mon rêve : être joué n’importe où, mais pas à l’Opéra », écrit Erik Satie. Célèbre pour ses musiques – les Gymnopédies (1888) ou encore les Gnossiennes (1890) –, le compositeur l’est moins pour ses textes. C’est cette autre musique de Satie qu’a voulu faire entendre le pianiste, compositeur et musicologue Karol Beffa en les réunissant dans une anthologie publiée à l’occasion des 100 ans de son décès, Erik Satie de A à Z. Un musicien à la plume fantasque. Le compositeur était régulièrement sollicité par les éditeurs de revue pour sa plume et publiait des « articles », qu’il qualifiait de « causeries », de « divagations » ou encore de « papillons ». Les écrits choisis sont, pour la plupart, des textes en tous genres réunis et publiés à titre posthume, en 1977, par la musicologue et biographe de Satie, Ornella Volta. Ils révèlent une langue malicieuse, cocasse et aphoristique, ainsi qu’une personnalité hors norme, irrévérencieuse et pétrie d’autodérision.

 

Du “Chat noir” à l’avant-garde

Ma « musique n’a aucun sens et provoque le rire et le haussement d’épaules », affirme Satie dans une lettre, assumant son avant-gardisme musical. S’il a connu des débuts difficiles en tant que pianiste dans les cabarets de Montmartre, notamment au Chat noir, le compositeur a été célébré par les artistes de son temps – Pablo Picasso, Jean Cocteau, Francis Picabia, Tristan Tzara… Le ballet Parade (1917) est une belle illustration de collaboration artistique avec Cocteau, qui en a écrit le thème, Pablo Picasso, qui en a réalisé la scénographie, Léonide Massine des Ballets russes, qui l’a chorégraphié et Guillaume Apollinaire, qui en a conçu le programme. Ce dernier y décèle une tonalité « sur-réaliste » et encense « un esprit nouveau qui se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs dans l’allégresse universelle ». 

“Comme dans un problème philosophique, Erik Satie investit l’auditeur de la charge de la tension, l’obligeant à en chercher une issue, un dépassement”

Erik Satie était-il un musicien philosophe autant qu’un « musicien humoriste », formule que l’on doit à son confrère Georges Auric dans la Revue française ? Si Satie ne s’est jamais revendiqué comme tel, la lecture de l’anthologie de Karol Beffa tend à le suggérer. D’abord, en tant qu’il est l’instigateur d’une musique dite « conceptuelle », « graphique » ou encore « minimaliste », il mène une réflexion très moderne sur la nature de la musique, qui offre avec lui une place plus importante à l’auditeur. Karol Beffa note : « Ce langage musical met en jeu un travail d’harmonie grâce aux enchaînements de septièmes et de neuvièmes qui suspendent la tension, laissant à l’auditeur le soin d’en décider ou non la résolution. » Comme dans un problème philosophique, Erik Satie investit l’auditeur de la charge de la tension, l’obligeant à en chercher une issue, un dépassement.

 

“Vive Platon !”

Ensuite, au milieu de cet héritage foisonnant, Erik Satie nous laisse une pièce philosophique composée en 1917-1918, qui porte sobrement le titre de Socrate. Ce drame polyphonique retrace la vie du philosophe à travers des extraits chantés des œuvres de Platon (Le Banquet, Phèdre et Phédon) dans la traduction intégrale réalisée par le philosophe et homme politique Victor Cousin. Visiblement très enthousiasmé par sa création, Erik Satie s’exclame dans une lettre : « Vive Platon ! Vive Victor Cousin ! Je suis libre ! très libre ! Quel bonheur ! »

Enfin, c’est la personnalité même de Satie qui semble nous être tendue comme une énigme. Le philosophe et musicien Vladimir Jankélévitch (1903-1985), qui a consacré à son compositeur de prédilection un essai intitulé Le Nocturne. Fauré, Chopin et la nuit, Satie et le matin (1957), nous fournit une clé de lecture. Au micro de la productrice de radio Claude Maupomé, le 11 octobre 1972, il suggère que les Airs à faire fuir (1897) ont un titre trompeur par lequel Satie cherche à mieux nous retenir, soulignant toute sa difficulté à intéresser le public. De même, s’il compose les Nocturnes (1919), c’est pour « chercher la nuit » ! « Homme problématique » pour Jankélévitch, « le paradoxe fait homme » pour Karol Beffa, Satie continue cent ans après sa mort de nous fasciner par son art de l’antiphrase.

POUR ALLER PLUS LOIN
 Réécouter l’émission Dits et écrits sur la musique, enregistrée le 11 octobre 1972 et archivée sur le site de France Musique, dans laquelle le philosophe Vladimir Jankélévitvh analyse l’homme et l’artiste Erik Satie.
 Relire notre article La journée d’un mélomane sur les temporalités musicales.
 Lire Erik Satie de A à Z. Un musicien à la plume fantasque, de Karol Beffa (Flammarion).

Retirer le paywall

01.07.2025 à 13:00

Boualem Sansal en 2013 : ”Je m’érige contre le régime dictatorial par mes écrits, quand d’autres prennent les armes”

nfoiry
Boualem Sansal en 2013 : ”Je m’érige contre le régime dictatorial par mes écrits, quand d’autres prennent les armes” nfoiry

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal vient d'être condamné à cinq ans de prison en appel en Algérie. Nous nous associons aux voix qui réclament sa libération. En guise de soutien, nous vous invitons à relire l'entretien qu'il nous avait donné en 2013, pour notre hors-série consacré à Albert Camus, dans lequel il évoque son enfance, son lien à l'Algérie et sa lutte pour la liberté.

Retirer le paywall

01.07.2025 à 08:00

Pourquoi est-il si difficile de changer la société ? Un extrait de Herbert Marcuse commenté

nfoiry
Pourquoi est-il si difficile de changer la société ? Un extrait de Herbert Marcuse commenté nfoiry

La société industrielle et de consommation a anesthésié notre capacité à protester et à nous révolter, rendant caduque toute métamorphose sociale et politique, constate le philosophe Herbert Marcuse dans son essai L’Homme unidimensionnel. Dans notre nouveau numéro, nous vous en proposons un extrait commenté.

Retirer le paywall

30.06.2025 à 18:00

Face à “Trump-Calliclès”, s’incliner devant la raison du plus fort ?

nfoiry
Face à “Trump-Calliclès”, s’incliner devant la raison du plus fort ? nfoiry

« La scène qui s’est jouée entre Donald Trump et les dirigeants européens lors du sommet des pays membres de l’Otan la semaine dernière a reconduit le “clash” qui oppose Socrate et Calliclès autour de la question du “droit du plus fort”. Sauf que là où Socrate déployait une foule d’arguments pour neutraliser l’apologie de la force de son adversaire, les Européens ont paru tétanisés devant le président américain. Y a-t-il donc une raison du plus fort ?

[CTA1]

Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.

De l’avis de nombreux observateurs, c’est avec une forme d’obséquieuse servilité que les alliés européens ont accueilli Donald Trump à La Haye, au lendemain de l’intervention éclair de l’aviation américaine contre l’arsenal nucléaire iranien et de la fin des hostilités entre Israël et l’Iran décrétée par les États-Unis. Mark Rutte, le Secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), a emprunté le style “trumpien” pour le signifier à l’intéressé : “Félicitations et merci pour votre action décisive en Iran. C’était vraiment extraordinaire, et quelque chose que personne d’autre n’avait osé faire.” Et d’ajouter : “L’Europe va payer un prix énorme, ce sera votre victoire”, comme si les efforts budgétaires annoncés par les Européens pour leur propre défense étaient une concession à l’Amérique de Trump et pas un objectif stratégique. Les Européens ont ainsi donné quitus au maître de Washington du “succès monumental” qu’il revendique au service de son ambition d’instaurer “la paix par la force”.

S’affirmer comme “maître de la force” face aux faibles et aux modérés prêts à subir les pires avanies sans réagir : cette posture de Donald Trump fait penser à celle qu’adopte Calliclès dans la célèbre joute qui l’oppose à Socrate dans le Gorgias. Dans ce dialogue platonicien, Socrate commence par soutenir qu’il vaut mieux subir l’injustice plutôt que la commettre. Un temps silencieux, Calliclès sort de ses gonds. Il est outré par les arguments présomptueux et fallacieux de Socrate au service de la vertu – des “arguties” qui ne tiennent pas la route face “la belle science des affaires” dont il est le fin connaisseur. Soyons sérieux, s’énerve-t-il : dans le monde réel, tout individu normalement constitué préférera, s’il est assuré de son impunité, commettre une injustice plutôt que la subir. Car les hommes cherchent à tirer leur avantage. “Que le plus fort commandât au moins fort et fût mieux partagé que lui”, voilà la loi véritable de la nature, celle qui règne “dans le monde animal, dans le genre humain, dans les cités et les races entières”. Si elle ne s’impose pas toujours, c’est que les conventions sociales sont faites “pour les faibles” et “par le grand nombre”. Avec, pour résultat, un mélange brumeux de force contenue et de conventions fragiles où les forts sont empêchés d’agir à leur guise et les faibles dotés d’un pouvoir de nuisance infondé. 

Comment échapper à cet imbroglio ? La réponse passe par une expérience de pensée. Imaginons que surgisse un homme suffisamment confiant dans son propre génie pour mettre à bas les préventions collectives contre la force et suffisamment éclairé pour en faire un bon usage. Que se passera-t-il ? “Nous verrons apparaître notre maître, dans cet homme qui était notre esclave, et alors le droit de la nature brillera dans tout son éclat.”

N'est-ce pas le personnage que Donald Trump compose devant nous, celui d’un “homme d’une nature assez forte” pour secouer les préventions qui empêchent d’asseoir la suprématie de la force dans le champ des relations internationales ? À ses alliés européens qui étaient encore en train de négocier avec l’Iran alors que l’ordre d’envoyer les bombardiers furtifs B2 avait été donné, il a livré une leçon politique : tant que vous ne vous donnerez pas les moyens de vous défendre par vous-mêmes, il ne vous appartient plus d’empêcher, par vos gesticulations diplomatiques, la force de s’exercer. À son protégé israélien qui l’a habilement embarqué dans cette aventure risquée, il s’est donné le pouvoir de décider la fin d’une guerre dont il n’avait pas pris l’initiative. À toutes les autres puissances – Russie et Chine en tête –, il a réaffirmé que l’Amérique restait l’unique puissance mondiale sans qui rien ne peut se faire. Sans oublier ses propres troupes, à qui il a montré que son action n’était bridée par aucune doctrine préétablie. Difficile de ne pas reconnaître que du seul point de vue de l’acteur et de ses ambitions, l’opération est un franc succès. Mais, du côté de ses alliés, fallait-il courber l’échine à ce point ? Face à un personnage aussi infatué de son pouvoir, n’était-il pas envisageable d’être un peu plus… socratique ? 

Tout en créditant Calliclès d’être un adversaire “à sa mesure”, Socrate invite celui qui n’a d’yeux que pour “le luxe, l’incontinence et la liberté soutenue par la force” à mieux définir ce qu’il entend par “la justice selon la nature”. “Est-ce le droit qu’aurait le plus puissant de prendre par force les biens du plus faible, ou le meilleur de commander au moins bon, ou celui qui vaut plus d’avoir plus que celui qui vaut moins ? […] Faut-il que les plus faibles obéissent au plus fort et que les grands États attaquent les petits en vertu du droit naturel, parce qu’ils sont plus puissants et plus forts, ce qui suppose que plus puissant, plus fort et meilleur, c’est la même chose, ou bien se peut-il qu’on soit meilleur tout en étant plus petit et plus faible ?” Socrate ne s’oppose pas par principe à la force, il lui demande de se définir. Les plus forts sont-ils plus forts en force physique, en intelligence, en courage, en capacité de commander et de diriger les affaires de l’État ? 

C’est la grande leçon socratique : la force doit donner ses raisons ; à défaut de se justifier, elle s’exercera à l’aveugle. Elle ne peut se manifester “sans autre forme de procès”, selon la formule de La Fontaine dans Le Loup et l’Agneau. Voilà un message que les Européens auraient été avisés de faire passer à la puissance américaine… au lieu de rendre les armes de la raison. »

Retirer le paywall
6 / 10

 

  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Monde Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  Idées ‧ Politique ‧ A à F
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  Idées ‧ Politique ‧ i à z
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  ARTS
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
Fiabilité 3/5
Slate
Ulyces
 
Fiabilité 1/5
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
🌞