13.10.2025 à 08:00
Trois classiques pour lutter contre la fatigue
Alors que nous l’éprouvons tous les jours, la fatigue a rarement été abordée par les philosophes. Pourtant, cet état épouse l’histoire de la pensée, comme nous vous proposons de le découvrir dans notre nouveau numéro avec Sénèque, Simone Weil et Jonathan Crary.

12.10.2025 à 08:00
Un philosophe chrétien face à “quatre mousquetaires” : Denis Moreau a lu le “Manifeste pour un nouvel athéisme”
Denis Moreau était en retraite dans un monastère quand nous lui avons adressé ce Manifeste pour un nouvel athéisme de quatre esprits brillants et polémiques qui mettent à l’index le renoncement des croyants à argumenter. Dans notre nouveau numéro, le philosophe chrétien, qui publie en cette rentrée Tous hérétiques ?, a accepté de les lire et de se faire l’avocat… de Dieu.

11.10.2025 à 07:00
Clotilde Leguil : “Il faut comprendre ce qui dans l’amour peut mener à l’emprise”
Comment s’ouvrir à l’autre, se risquer à aimer, s’engager dans l’action sans s’y abîmer ? Avec son nouvel essai La Déprise, Clotilde Leguil prend ces questions à bras-le-corps. Dans notre dernier numéro à retrouver également chez votre marchand de journaux, elle nous expose sa démarche, au croisement de la littérature, du cinéma, de la philosophie et de la psychanalyse.

10.10.2025 à 17:42
“Nouvelle Vague”, de Richard Linklater : le mythe de la jeunesse
Nouvelle Vague, le dernier film de Richard Linklater à l’affiche en ce moment, ne trompe pas son monde avec un tel titre. Il y est bien question de Godard, Seberg, Belmondo… et de toute la bande, en retraçant la genèse d’une petite révolution au cinéma : le tournage d’À bout de souffle. Pour Ariane Nicolas, le cinéaste réussit à proposer une mise en scène joueuse et rythmée, qui évoque la patte Godard sans tomber dans le pastiche.
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Ce texte est extrait de notre newsletter hebdomadaire « Par ici la sortie » : trois recommandations culturelles, éclairées au prisme de la philosophie, chaque vendredi soir. Abonnez-vous, elle est gratuite !
« Ah, la jeunesse ! La grande affaire de Richard Linklater. Le réalisateur de Dazed and Confused, de la trilogie des Before (Sunrise, Midnight, Sunset) et de Everybody Wants Some filme à nouveau une bande de jeunes avec Nouvelle Vague, présenté au dernier Festival de Cannes. Et pas n’importe quelle bande : celle qui a tourné À bout de souffle, le premier long-métrage de Jean-Luc Godard (incarné ici par le remarquable Guillaume Marbeck). En 1959, Godard n’a que 28 ans mais se sent déjà vieux : “C’est trop tard”, se lamente-t-il devant la troupe des Cahiers du cinéma. Ses acolytes Truffaut, Rohmer ou Chabrol ont déjà sorti leurs premières œuvres. Lui, plus exigeant et crâne, attend son moment. Gauguin, qu’il cite, disait : “L’art, c’est soit du plagiat, soit la révolution.” Godard trouve un producteur, pique une idée dans le Nouveau Détective et fait enfin sa révolution. Vingt jours de tournage avec Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo, pas de scénario ni de prise de son directe, des acteurs déboussolés par un cinéaste parlant en aphorismes et qui fait ce qu’il veut. L’improvisation, seule méthode pour “saisir la réalité au hasard” ? Godard, qui filme un voleur en cavale, est lui-même un petit filou. S’il prétend rechercher la “spontanéité” et “l’inattendu”, son film fonce en sens inverse : les dialogues ont l’air artificiels, le son est rajouté en post-production, le montage est saccadé. Il veut incarner un nouveau présent mais vise surtout “l’immortalité”... Le titre choisi témoigne de ces paradoxes : jeune, son personnage est déjà à bout de souffle ! “Prouvons que le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés”, disait Sartre – cité aussi. Dans Nouvelle Vague, la jeunesse apparaît pour ce qu’elle est : un mythe élaboré en temps réel. Toute jeunesse s’invente et se déploie en fonction du mythe qu’elle entend (plus ou moins consciemment) devenir. Comme tout mythe, montre Linklater, la jeunesse est un mensonge. Mais un mensonge qui dit vrai. »
Nouvelle Vague, de Richard Linklater, avec Guillaume Marbeck, Zoey Deutch et Aubry Dullin. En salles.

10.10.2025 à 15:22
María Corina Machado : prix néolibérale de la paix
Trump espérait le recevoir, mais c’est finalement la Vénézuélienne María Corina Machado qui s’est vu décerner le prestigieux prix Nobel de la paix pour son combat « en faveur d’une transition juste et pacifique de la dictature à la démocratie ». Portrait d’une dissidente qui bouscule les repères de la politique… et du Nobel.
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Selon le président du comité Nobel norvégien Jørgen Watne Frydnes, « María Corina Machado est l’un des exemples les plus extraordinaires de courage civique en Amérique latine ces derniers temps ». Née en 1967, fille d’un riche homme d’affaires à la tête d’une grande compagnie d’électricité et d’entreprises sidérurgiques, María Corina Machado est devenue, au fil des années, une opposante acharnée au régime de Nicolás Maduro. Elle « a été une figure clé de l’unité au sein d’une opposition politique autrefois profondément divisée ». En 2002, elle participe à la tentative de coup d'État contre Hugo Chavez. En octobre 2023, elle remportait la primaire de l’opposition en vue de l’élection présidentielle, avant que sa candidature ne soit interdite. Dès lors, « Madame Machado a été contrainte de vivre dans la clandestinité. Malgré les graves menaces qui pèsent sur sa vie, elle est restée dans son pays, un choix qui a inspiré des millions de personnes ».
L’héritage ambigu de Bolivar
Elle est depuis surnommée la libertadora (« libératrice »), en référence au libertador Simón Bolívar, le père de l’indépendance des nations sud-américaines. Si l’héritage de ce dernier est également revendiqué par le camp adverse, qui voit en lui un symbole de la lutte contre l’impérialisme étranger, les convictions politiques de Bolívar se rapprochent davantage de celles de Machado que des politiques socialistes de Maduro et de son prédécesseur Hugo Chavez. Influencé par la philosophie des Lumières, Bolívar était un partisan du libéralisme, critique du dirigisme économique. S’il fut tout particulièrement lecteur de Rousseau - parfois considéré comme un précurseur du socialisme -, il en retint surtout le « pouvoir des lois, plus puissant que celui du tyran, parce que plus inflexible », mais il se défiera des idées de participation directe du peuple au pouvoir politique. Du point de vue de Machado, le régime de Maduro emprunte à Bolívar ce qu’il y a de plus contestable et en rejette ce qu’il y a de meilleur : alors qu’il se présente comme un démocrate, Maduro n’a aucun respect pour la souveraineté populaire ; à la force de la loi, son régime autoritaire et policier a substitué le règne de l’arbitraire.
Une opposante néolibérale
À ce régime défaillant, qu’elle accuse d’avoir ruiné le pays, María Corina Machado oppose une « philosophie [qui] met l’accent sur la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la presse libre et la protection des libertés civiles », écrit Alex Pierceman dans Maria Corina Machado and The Struggle for Democracy in Venezuela (« María Corina Machado et le combat pour la démocratie au Vénézuela »). Présentée comme une défenseur de la démocratie et de l’État de droit – elle avait déjà été récompensée du prix des droits de l’homme Václav-Havel en 2024 en tant que porte-voix des « aspirations claires du peuple vénézuélien à des élections libres et équitables, au respect des droits civils et politiques et à l’État de droit » –, Machado est avant tout une libérale ou, selon certains observateurs, une néolibérale. On ne s’en étonnera pas : l’Amérique du Sud a été l’un des premiers espaces d’expérimentation du néolibéralisme, sous la houlette des Chicago Boys. La philosophie de Machado « est enracinée dans les principes du capitalisme de libre marché, qu’elle considère comme le moyen le plus efficace de restaurer l’économie ébranlée du Vénézuela et d’améliorer la qualifie de vie de ses citoyens », résume Alex Pierceman. « Sa philosophie est fondée sur la croyance que les marchés, quand on leur permet de fonctionner librement, sont le mécanisme le plus efficace pour l’allocation des ressources et la génération de richesses. »
Admiratrice de Javier Milei… et proche de partis d’extrême droite
Plus qu’à Bolívar, c’est à l’ultra-libérale Margaret Thatcher, la « dame de fer » britannique, Première ministre de 1979 à 1990, qu’on la compare le plus souvent. Machado lui rendait hommage dans un tweet de 2013 : « Margaret Thatcher a eu le courage de défendre ses valeurs toute sa vie contre tous ceux qui s’opposaient à elle. » Elle ne cache pas son affection pour les autres grandes figures du néolibéralisme : la philosophe Ayn Rand et les économistes Ludwig von Mises et Milton Friedman. Dans un post hommage de 2019, elle écrivait : « Aujourd’hui, nous nous souvenons du lauréat du prix Nobel d’économie Milton Friedman à l’occasion de son 107e anniversaire, pour sa grande contribution à la liberté économique et à ses idées qui fonctionnent ! Il suffit de regarder ce qu’elles ont accompli au Royaume-Uni, au Chili et aux États-Unis, en créant de la richesse au bénéfice de la société dans son ensemble. » Autant de figures partageant à différents degrés un rejet de l’interventionnisme étatique et la promotion d’une liberté économique qui, si elle trouve à se coupler à la défense de la liberté politique dans certains contextes autoritaires dirigistes, finit souvent par buter à l’exigence démocratique. La poursuite des intérêts particuliers, dans son individualisme, se heurte aux contraintes de l’intérêt collectif. Le droit, garantie de la libre entreprise soustraite à l’emprise de l’État, peut vite devenir un « problème » dès lors que la loi, enracinée dans la souveraineté populaire, entend réguler, réglementer.
Parmi ses contemporains, María Corina Machado a également salué la victoire de Javier Milei, et en août dernier, a remercié le président libertarien d’Argentine pour son « ferme soutien » pour « la liberté et la démocratie ». Que les deux trouvent à s’entendre face à un ennemi commun – le « régime narco-terroriste » de Maduro – ne fait évidemment pas de Machado une libertarienne sans concession. Mais sa philosophie s’inscrit, assurément, dans cette constellation de pensées plus ou moins radicales qui défendent d’abord, au nom de la liberté et de la démocratie, une libéralisation de l’économie. Comme Milei, Machado soutient le parti Vox, qui entend fédérer les droites radicales d’Espagne et d’Amérique latine – elle a été, en 2020, signataire de la charte de Madrid initiée par la formation politique. Bref, si Trump n’a pas remporté le Nobel de la paix, le prix a échu à une femme politique qui partage à certains égards sa vision du monde. Dans un contexte international tendu, Machado soutient d'ailleurs une intervention américaine pour renverser le régime de Maduro.
