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04.05.2025 à 11:18

Le pape François, conservateur ou progressiste ? Ça dépend du magistère…

Clément Ménard, Doctorant et enseignant en science politique, Université de Bordeaux
Le pape François est mort, progressistes et conservateurs débattent de son héritage. Mais peut-on vraiment penser l’Eglise catholique selon nos repères politiques ?
Texte intégral (2222 mots)

Depuis la mort du pape François, les observateurs peinent à le situer politiquement, entre progressisme sur les questions migratoires et sociales et conservatisme sur les sujets de société comme l’avortement ou la contraception. Et si les catégories politiques propres à nos clivages politiques nationaux s’avéraient en réalité inadaptées pour comprendre l’Église catholique et la figure du pape ?


Pour établir le bilan du pontificat de François, de nombreux médias mettent l’accent sur les enjeux migratoires et économiques. Sur ces thèmes, le pape argentin est vu comme un pontife progressiste, qui a su dénoncer « l’idolâtrie de l’argent » et a surtout fait de la question migratoire une priorité de son pontificat en rappelant l’exigence de l’accueil et critiquant les politiques restrictives de l’immigration. Souvenons-nous que c’est à Lampedusa que François a choisi de se rendre pour sa première sortie officielle hors du Vatican. C’est ce positionnement sur l’immigration qui a cristallisé l’opposition entre les catholiques conservateurs et progressistes.

Du côté de la droite conservatrice, on loue un pape qui a su rester ferme sur les questions morales : sur l’avortement, l’euthanasie, ou le mariage homosexuel. L’héritage de François trouble les repères habituels, au point que certains ne s’embarrassent pas et définissent même le pape comme un « conservateur révolutionnaire », une manière de jouer sur les deux tableaux du progressisme et du conservatisme.

Pour mieux comprendre l’ambiguïté politique du dernier pontificat, il est nécessaire de se recentrer sur son aspect religieux et de se demander : quel est le rôle du pape et de l’Église ?

 » Mort du pape François : portrait d’un pontife réformateur et engagé pour les plus démunis » YouTube/France 24 (21 avril 2025).

Les degrés du magistère de l’Église

Le catholicisme enseigne que le pape est le successeur de l’apôtre saint Pierre, à qui le Christ aurait confié les « clefs du royaume des Cieux » : « Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. » (Évangile selon saint Matthieu, 16, 18-19). En tant que chef de l’Église fondée par Jésus-Christ, le pape a pour mission de préserver et transmettre la foi. À travers sa personne, l’Église exerce ainsi une fonction essentielle d’enseignement, appelée « magistère ». Ce magistère de l’Église comporte trois degrés :

  • Le premier : le magistère extraordinaire, ou la plus haute expression de l’enseignement du pape. Ce magistère définit solennellement et définitivement un point de doctrine, portant sur la foi ou les mœurs – c’est-à-dire la morale. L’Église estime que ce magistère est infaillible : le pape, à qui il a été confié la mission de garder et transmettre le dépôt de la foi, ne peut pas se tromper.

Le Code de droit canonique affirme ainsi : « Le Pontife Suprême, en vertu de sa charge, jouit de l’infaillibilité dans le magistère lorsque, comme Pasteur et Docteur suprême de tous les fidèles auquel il appartient de confirmer ses frères dans la foi, il proclame par un acte décisif une doctrine à tenir sur la foi ou les mœurs. » (§749). Lorsque le pape use de son magistère extraordinaire, son infaillibilité doit emporter « l’assentiment de foi » de la part des catholiques. Ce magistère est donc extrêmement engageant pour le fidèle. Il est rare que le pape engage pleinement son infaillibilité en usant de ce magistère extraordinaire. La dernière mise en pratique de cette infaillibilité prononcée solennellement remonte à 1950, lorsque le pape Pie XII proclama le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie.

  • Le deuxième degré correspond au magistère ordinaire qui prolonge et complète le magistère extraordinaire. Mais contrairement à ce dernier, le magistère ordinaire ne revêt pas de caractère solennel : il se réfère à l’enseignement habituel et constant du pape et des évêques. On y retrouve la même portée et la même valeur : l’enseignement doit obligatoirement porter sur la foi ou les mœurs, il est considéré comme infaillible lorsqu’il est unanime, et il doit alors engager une adhésion de foi des fidèles.

  • En dernier, le magistère authentique. Il fait référence à tous les enseignements du pape qui sont prononcés directement sans que la foi de l’Église ne soit engagée. Ce magistère constitue une immense part de l’activité pontificale et peut porter sur des objets très divers : des questions ecclésiales, des questions éthiques et sociales, mais aussi plus largement des problématiques contemporaines qui ne sont pas directement religieuses. Ce magistère n’est pas l’apanage du pape : chaque évêque dans son diocèse dispose du magistère authentique. Le pape, lorsqu’il en use, s’exprime donc en tant qu’évêque de Rome. L’attitude requise par les fidèles vis-à-vis de ce magistère est bien inférieure aux magistères précédents : l’Église demande « l’assentiment religieux de l’esprit », c’est-à-dire « l’assentiment de la volonté et de l’intelligence ». En d’autres termes : les fidèles doivent respecter ce magistère et mettre tout en œuvre pour le comprendre et y adhérer, mais il est toujours possible, en conscience, de ne pas y adhérer.

Le magistère est-il conservateur ou progressiste ?

  • Sur l’avortement et l’euthanasie – qui relèvent des deux plus hauts degrés du magistère (extraordinaire et ordinaire)- l’Église met en avant un enseignement constant et définitif qui ne dépend pas de la volonté du pape. L’Église enseigne que la vie doit être « respectée et protégée de manière absolue depuis le moment de la conception » jusqu’à la mort naturelle et conclut radicalement : « Depuis le premier siècle […] l’enseignement de l’Église n’a pas changé. Il demeure invariable. L’avortement direct […] est gravement contraire à la loi morale ». Suivant cette logique, on comprend que les propos du pape François sur l’avortement relèvent moins de convictions personnelles que d’une fidélité au magistère infaillible de l’Église : « Un avortement est un homicide » a-t-il déclaré en septembre 2024.
“Le pape en Belgique : les propos du pape François sur l’avortement font réagir – RTBF Info” YouTube/RTBF Info (septembre 2024)
  • Sur la famille et le mariage : les deux sont défendus comme une réalité naturelle « ordonnés au bien des époux et à la procréation et à l’éducation des enfants » (§2201). On pourrait également évoquer la question de l’homosexualité (§2357) ou de la contraception (§2370), considérée par le magistère comme « intrinsèquement désordonnées » : ces questions de mœurs et de morale appartiennent à l’enseignement « infaillible » de l’Église et ne peuvent faire l’objet d’une révision sur leur statut moral. C’est ce magistère moral qui doit emporter une adhésion de foi des fidèles catholiques.

  • Sur l’écologie, le pape montrait davantage une sensibilité progressiste, relevant du magistère authentique. L’encyclique – lettre solennelle adressée par le pape aux fidèles – de François Laudato si’ sur « la sauvegarde de la maison commune » appartient à ce registre. Consacrée à la question écologique, cette seconde encyclique du pape était très attendue et a produit de nombreux effets dans la doctrine de l’Église et chez les catholiques de France. Pour autant, il est simplement demandé aux fidèles de recevoir cette encyclique avec l’« assentiment religieux de leur esprit ». Autrement dit, les positions défendues par le pape peuvent être après examen contestées par le catholique, ce qui n’est pas le cas des positions en matière de mœurs.

  • Sur la question migratoire, des tendances contraires s’affrontent également au sein des plus hautes hiérarchies ecclésiastiques et le pontificat de Benoît XVI a souvent été cité en contre-exemple de celui de François sur le rapport à l’immigration. Alors que le pape allemand proclamait que « les États ont le droit de réglementer les flux migratoires et de défendre leurs frontières », le pape argentin s’était fait le chantre de l’accueil inconditionnel des migrants et défendait « le droit tant d’émigrer que de ne pas émigrer ».

“ Pape François : un pontificat marqué par le combat en faveur des migrants C dans l’air 21.04.2025” YouTube/C Dans l’air France (21 avril 2025)

Le magistère moral de l’Église fait donc l’objet d’une continuité historique et d’une supériorité sur le magistère authentique. On comprend mieux l’ambiguïté qu’il y a à se référer à notre clivage politique nationale pour expliquer le pontificat de François. Devant cette difficulté, les médias se sont montrés parfois bien embarrassés pour qualifier le dernier pontificat. Libération titrait au lendemain du décès du Saint-Père : « Le pape François est mort lundi à 88 ans, après un pontificat engagé sur les pauvres, les migrants et l’écologie mais décevant sur les questions sociétales ». Le Huffington Post peinait également à trouver un positionnement politique clair : le pape « laisse derrière lui un bilan jugé plutôt réformiste, en dépit évidemment de ses positions réfractaires sur l’IVG et l’homosexualité ».

Ces débats sur le progressisme ou le conservatisme du pape sont pertinents quand on tient compte du degré de magistère au sein duquel s’exprime le Souverain Pontife. Ses prises de position ne doivent pas masquer la véritable fonction magistérielle du pape, à savoir : préserver et transmettre le « dépôt de la foi ». Cette fonction essentielle semble cachée et invisible pour le non-catholique, auquel ne sont montrés que les aspects médiatisés, et donc politiques, du pontificat. À l’inverse, les catholiques français jettent un autre regard sur la parole papale. S’ils se montrent sensibles aux déclarations politiques et peuvent s’en revendiquer, ou au contraire les critiquer, le magistère moral reste une marque décisive d’appartenance à l’Église et de continuité de son enseignement. Donc le pape François, conservateur ou progressiste ? On serait tenté de répondre en simplifiant : un pape progressiste au sein d’une Église conservatrice.

The Conversation

Clément Ménard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

04.05.2025 à 11:17

Pourquoi il ne faut jamais laisser un homme d’affaires gouverner un État, ni un politicien diriger une entreprise…

Michel Villette, Professeur de Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS
, professeur de sociologie, AgroParisTech – Université Paris-Saclay
Qui qu’il soit au départ, quels que soient leurs buts, tous finissent obsédés par la même exigence : protéger et accumuler le capital en maximisant la rentabilité des investissements.
Texte intégral (2084 mots)
Instruit par l’expérience, l’homme d’affaires finit par adopter une forme particulière de morale. Au lieu de faire ce qu’il doit, il fait ce qui marche. ZigmundsDizgalvis/Shutterstock

Donald Trump, Silvio Berlusconi, Bernard Tapie, les exemples d’hommes d’affaires devenus hommes politiques sont légion. Qui qu’il soit au départ, quels que soient leurs buts, leur conception du monde, leurs valeurs morales, tous sont exposés à la même déformation professionnelle, et tous finissent obsédés par la même exigence : protéger et accumuler le capital en maximisant la rentabilité des investissements.


Donald Trump est un homme d’affaires, il en est fier et il s’en vante. Il entend diriger l’Amérique comme il dirige ses affaires immobilières. Quel que soit le sujet, il prétend faire des deals et se comporte en stratège tout puissant, supposé briser toute opposition sur son passage.

Pour un chercheur qui a étudié de près des hommes d’affaires comme Francis Bouygues, Ingvar Kamprad (Ikea), François Pinault ou Bernard Arnault, d’abord comme doctorant de Pierre Bourdieu, puis comme consultant, et enfin, comme chercheur universitaire, les conduites de Donald Trump paraissent familières. Même si, dans son cas, elles prennent un tour extrême… voire, caricatural.

Dans le livre que j’ai publié en 2005 avec l’historienne Catherine Vuillermot, nous avons étudié 25 hommes d’affaires qui, en moins de vingt ans, ont fait passer leurs entreprises d’un chiffre d’affaires en millions à des comptes en milliards. En étudiant ces réussites spectaculaires, nous avons compris que le plus important n’est jamais ce que sont les hommes d’affaires, ni d’où ils viennent, ni ce qu’ils disent, mais ce qu’ils font.

Le capital tient le dirigeant

En prenant du recul, on peut avancer une thèse qui s’applique aussi bien aux grands qu’aux petits patrons, à ceux qui réussissent comme à ceux qui sont au bord de la faillite. Qui qu’il soit au départ, quels que soient leurs buts, leur conception du monde, leurs valeurs morales, tous sont exposés à la même déformation professionnelle, et tous finissent obsédés par la même exigence : protéger et accumuler le capital en maximisant la rentabilité des investissements.

Fourni par l'auteur

Au départ ils sont ingénieurs, financiers, avocats ou commerçants ; issus de familles catholiques, protestantes, musulmanes ou juives. Politiquement, ils sont de droite, mais aussi du centre, de gauche ou d’extrême gauche. Certains sont courtois et raffinés, d’autres grossiers et violents ; certains sont débauchés et d’autres de tranquilles pères de famille. Certains sont cyniques, d’autres sont des moralistes invétérés. Mais une fois à la tête d’un capital, ces personnes deviennent possédées par le capital qu’elles contrôlent, obsédées par les impératifs de sa défense et de sa prospérité. Ce n’est pas le dirigeant qui contrôle le capital, mais le capital qui tient le dirigeant et qui l’oblige.

Ethos des affaires

Instruit par l’expérience, l’homme d’affaires finit par adopter une forme particulière de morale. Au lieu de faire ce qu’il doit, il fait ce qui marche, c’est-à-dire ce qui permet de boucler chaque affaire dans les délais et avec la rentabilité prévue. C’est l’éthos des affaires, que nous avons définies dans les chapitres 4 et 5 de notre livre et que l’on peut évoquer ici brièvement :

« L’homme d’affaires, lorsqu’il se lance, prend des engagements vis-à-vis de tiers (associés, banquiers, salariés, fournisseurs, clients, administrations publiques, famille). S’il ne tient pas ses engagements, il sera discrédité. Le temps se présente pour lui comme un compte à rebours : il y a des échéances à tenir, des emprunts à rembourser, des impôts et des taxes à payer, des salaires à verser. Il lui faut donc tirer de l’entreprise suffisamment de ressources financières, dans les délais. »

Pour ce faire, il s’appuie sur un réseau d’alliés (co-investisseurs, banquiers, salariés, fournisseurs, clients…) dont il faut obtenir la loyauté de gré ou de force. Si leur contribution est insuffisante, il s’en débarrasse et noue d’autres alliances. Autrement dit, l’homme d’affaires se montre généreux avec ses amis et impitoyable avec ses ennemis. Ses amis sont ceux qui contribuent à la prospérité de l’entreprise et les ennemies, ceux qui y font obstacle. S’il s’écarte de l’éthos des affaires pour privilégier d’autres valeurs, il compromet le retour sur investissement des capitaux, et prend le risque d’être destitué ou de voir son entreprise être rachetée ou disparaitre.

Les affaires sont les affaires

Gagner suffisamment d’argent est une tâche difficile et ceux qui s’y livrent s’exposent à une déformation professionnelle qu’on qualifie de « dureté en affaire ». Il vaudrait mieux la nommer « intelligence des affaires ». Ceux qui s’y livrent avec succès, même s’ils ont été décriés, bénéficient en fin de carrière d’une réévaluation conséquentialiste de leur carrière. On oublie vite les débuts sulfureux de l’homme d’affaires pour célébrer les bénéfices tirés de sa réussite. (cf. les artistes et François Pinault).

La célèbre formule d’Octave Mirbeau : « Les affaires sont les affaires » est bien plus qu’une tautologie, c’est une explication de la manière dont le capitalisme modifie ceux qui s’y livrent.

Gouverner une cité, ce n’est pas être généreux avec ses amis et impitoyable avec ses ennemis. En politique, cela s’appelle du népotisme et de la corruption. Cela conduit à dresser les uns contre les autres jusqu’à ce que se développe la guerre de tous contre tous. L’obsession de la rentabilité des opérations ne peut suffire à entretenir le vivre ensemble. Maintenir la liberté, l’égalité et la fraternité à des seuils acceptables n’a rien à voir avec accumuler du capital.


À lire aussi : Trump 2.0 : l’arrivée au pouvoir d’une élite « anti-élite »


Il est étrange que des idées aussi simples soient si difficiles à faire partager, avec d’un côté l’idée stupide de gouverner un état comme on gouverne une entreprise. De l’autre, l’idée non moins stupide de transformer les chefs d’entreprises en entrepreneurs moraux censés prendre en compte « les intérêts de toutes les parties prenantes », et de faire de la RSE au lieu de faire leur métier : investir le capital pour en tirer le maximum de rendement !

Sans doute les états ont-ils besoin d’être administrés de façon plus efficace et plus efficiente, mais l’efficacité et l’efficience sont des problèmes d’ingénieurs, pas d’hommes d’affaires !

Trump et Berlusconi

Donald Trump apparaît comme une caricature de l’homme d’affaires. Elle n’est pas sans rappeler les attitudes de patron qu’adoptait Silvio Berlusconi lorsqu’il dirigeait l’Italie. Ces deux personnages nous alertent sur les dangers du mélange des genres : prétendre gouverner un État comme on gouverne une entreprise, c’est souvent devenir un pitre grimaçant qui peut se permettre d’insulter ses partenaires. Ce n’est généralement pas ce que font les hommes d’affaires en ascension, qui restent discrets pour mieux réussir leurs coups. Berlusconi comme Trump ont accédé au pouvoir sur leur réputation de businessmen à succès. Une fois en politique, leur psychologie est restée bloquée dans une logique de pertes et profits.

Dans la Grèce antique, les personnages devenus trop puissants étaient ostracisés car on considérait qu’ils menaçaient l’ordre démocratique de la cité. Les États-Unis de Trump, comme l’Italie de Berlusconi, ont choisi d’avoir recours à des patrons vieillissants, censés rétablir l’ordre et la justice en transposant la logique des affaires à la réforme d’un État supposé corrompu par des élites décadentes. Leur réputation de milliardaire a fait office de preuve de leur compétence. Dommage que leur électorat ne se soit pas penché sur la façon dont ils ont bâti leur fortune.

Et en France ? Nos grands hommes d’affaires ont acheté la presse et les médias, financé des Think Tanks, aidé des présidentiables, mais pour l’instant, aucun n’a brigué la présidence. Nous sommes plutôt sujets à des transferts inversés : ce sont les hauts fonctionnaires et les membres des cabinets ministériels qui vont pantoufler dans nos grandes entreprises, comme ces jours-ci, Alexis Kohler à la Société Générale. C’est une autre forme de mélange des genres ou bien, pour parler comme Pierre Bourdieu, de transfert de capital d’un champ à un autre, comme si les enjeux et les règles du jeu étaient les mêmes : faire carrière ! Qu’on soit en Amérique ou en France, les élites passent leur temps à jouer au tennis sur un terrain de football, ou au football sur un terrain de tennis. Où est l’arbitre ?

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Michel Villette ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

02.05.2025 à 13:44

Comprendre le trumpisme au-delà de Trump

Jérôme Viala-Gaudefroy, Spécialiste de la politique américaine, Sciences Po
Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire. Sa réélection s’inscrit dans la droite ligne d’une évolution structurelle profonde de la société américaine, amorcée dès la fin de la guerre froide.
Texte intégral (1825 mots)

Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire. Sa réélection s’inscrit dans la droite ligne d’une évolution structurelle profonde de la société américaine, amorcée dès la fin de la guerre froide.

Un peu plus de cent jours après son retour à la Maison Blanche, le constat est sans appel : Donald Trump n’est plus le même président. Aux accents nationalistes et populistes de son premier mandat, s’ajoute désormais une dérive autoritaire assumée, sans précédent aux États-Unis. Il adopte aussi une vision néo-impériale de l’économie, dans un monde perçu comme un jeu à somme nulle fait de gagnants et de perdants. La coopération s’efface au profit d’une logique de domination, où seules la puissance et l’accumulation de richesse comptent.


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Ayant survécu à deux tentatives de destitution, à des procès multiples, des attaques politiques et à deux tentatives d’assassinat, Trump gouverne désormais en toute-puissance. Érigé en héros, en martyr, voire en figure messianique par ses partisans, il conçoit désormais la démocratie non comme un cadre à respecter, mais comme un simple instrument pour légitimer la conquête du pouvoir. Sa victoire électorale, sans appel cette fois, lui sert de justification pour rejeter toute contrainte institutionnelle.

Trois traits structurent sa gouvernance

Trois traits structurent sa gouvernance : la centralisation extrême du pouvoir exécutif, fondée sur la théorie controversée de « l’exécutif unitaire » ; la politisation de l’appareil judiciaire, utilisé pour régler des comptes ; et l’instrumentalisation du pouvoir fédéral pour s’attaquer aux contre-pouvoirs culturels, médiatiques et éducatifs. Sa méthode est celle du chaos : déstabiliser les adversaires, saturer l’espace médiatique, brouiller les normes démocratiques. Impulsif, réactif, gouvernant parfois au gré des émissions de Fox News ou des tendances sur Truth Social (la plateforme qu’il détient), le président a fait de l’instabilité une arme politique.

Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire

Mais Donald Trump n’est pas un accident de l’histoire. Si son élection en 2016 avait pu sembler improbable, sa réélection est le signe d’une évolution structurelle profonde que l’on peut faire remonter à la fin de la guerre froide.

La disparition de l’Urss, et donc d’un ennemi extérieur structurant, a réorienté la confrontation politique vers la désignation d’un ennemi intérieur. La guerre culturelle est devenue la nouvelle matrice idéologique du conflit.

Deux dynamiques majeures, souvent entremêlées, la nourrissent. D’un côté, une radicalisation religieuse animée par des courants nationalistes chrétiens – comme la Nouvelle Réforme apostolique – qui rejettent les évolutions sociétales et appellent à l’instauration d’une véritable théocratie. De l’autre, une crispation raciale, attisée par la peur du déclin démographique blanc et l’hostilité aux avancées en matière de droits civiques.

Une guerre culturelle

Dès les années 1990, Pat Buchanan annonçait cette mutation. Dans son discours à la convention républicaine de 1992, il déclarait :

« Une guerre culturelle est en cours pour l’âme de l’Amérique […] aussi cruciale que la guerre froide elle-même. »

Trop radical pour son époque, Buchanan prônait déjà une « Amérique blanche », chrétienne et conservatrice, opposée aux élites cosmopolites. Ses idées, marginalisées alors, ont préparé le terrain du trumpisme.

Newt Gingrich, président républicain de la Chambre des représentants de 1995 à 1999, a lui aussi joué un rôle central dans la transformation du parti conservateur et la vie politique américaine. Avec son initiative du « Contrat avec l’Amérique », il introduit une stratégie fondée sur l’affrontement permanent. Il fait notamment distribuer à tous les candidats républicains une brochure intitulée « Langage : un mécanisme clé de contrôle », qui énumère des mots valorisants à utiliser pour se décrire, et, ceux, fortement péjoratifs – comme « corrompus », « immoraux » ou « traîtres » – à employer pour discréditer les adversaires.

Cette rhétorique agressive a contribué à faire de l’opposition politique un ennemi, ouvrant ainsi la voie à une droite où la quête de victoire prime sur le respect des normes démocratiques.

Des mondes parallèles de désinformation et d’indignation

Parallèlement, l’émergence d’un nouvel écosystème médiatique a amplifié ces tensions. Avec la création de Fox News en 1996, l’explosion des talk-shows conservateurs, comme celui de l’animateur Rush Limbaugh dans les années 1990, puis des réseaux sociaux dans les années 2000, la droite états-unienne s’est dotée d’outils puissants pour radicaliser l’opinion.

Les bulles informationnelles, alimentées par les algorithmes enferment aujourd’hui les citoyens dans des mondes parallèles, où la désinformation et l’indignation l’emportent sur le débat rationnel. Ceci a contribué à la polarisation du paysage politique, voire de la société tout entière.

À cette recomposition idéologique et médiatique s’ajoute une crise plus large : celle du consensus néolibéral adopté après la guerre froide. Les promesses de prospérité ont laissé place à la désindustrialisation, aux inégalités croissantes et à un ressentiment profond. Les chocs successifs – du 11-Septembre à la crise financière de 2008, jusqu’à la pandémie de Covid-19 – et les guerres permanentes sans véritables victoires ont renforcé la défiance envers les élites.

La nostalgie d’une Amérique triomphante blanche, chrétienne et masculine

Trump incarne cette colère. Il promet la reconquête d’une Amérique idéalisée, l’effacement des avancées sociales récentes, et l’affirmation d’une identité nationale fondée sur la religion et la race. Son populisme est d’abord une réponse émotionnelle à un sentiment d’injustice, d’humiliation et de perte de repères.

Donald Trump n’est pas seulement un produit de la crise démocratique des États-Unis : il en est la cristallisation spectaculaire. Il incarne la synthèse des années 1990, décennie fondatrice du ressentiment identitaire, de la guerre culturelle et de la dérégulation médiatique. Hors norme, perçu comme un outsider, il n’a jamais été jugé comme un politicien traditionnel, mais comme l’incarnation d’un « self-made man », businessman à succès et vedette de téléréalité.

Sa parole, transgressive et provocatrice, fonctionne comme un retour du refoulé, y compris la cruauté et l’humiliation de l’adversaire. Elle est jouissive pour sa base, car elle bouscule les codes, piétine le politiquement correct et flatte le fantasme d’une reconquête identitaire.

Trump promet la puissance, la revanche, la nostalgie d’une Amérique triomphante blanche, chrétienne et masculine.

L’histoire n’est pas écrite

Et il n’est plus seul. Le soutien actif d’acteurs économiques et technologiques comme Elon Musk, désormais figure clé de la droite radicalisée sur le réseau X, renforce cette dynamique. Ensemble, ils ont dessiné les contours d’un nouveau pouvoir autoritaire culturel et numérique, où l’influence prime sur l’institutionnel.

Ce n’est pas seulement un homme que l’Amérique a élu à nouveau. C’est un style, une époque, et une vision du monde fondée sur la domination, la disruption et le rejet des règles. Toutefois, l’histoire n’est pas écrite : grisé par l’hubris et miné par l’incompétence, le trumpisme pourrait se fracasser contre le mur du réel, laissant derrière lui des conséquences pour les États-Unis comme pour le reste du monde.

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Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

30.04.2025 à 17:28

Canonisation : être saint à l’heure d’Internet, le cas de Carlo Acutis

Allane Madanamoothoo, Associate Professor of Law, EDC Paris Business School
Carlo Acutis, décédé à 15 ans en 2006, sera bientôt proclamé saint. La canonisation du « cyber-apôtre » va-t-elle rafraîchir l'image de l'Église catholique ?
Texte intégral (3341 mots)
Des enfants devant une représentation de Carlo Acutis tenant un ordinateur portable à la Covent Garden Corpus Christi Catholic Church, Londres. Diocèse de Westminster

Carlo Acutis va bientôt devenir le premier saint catholique issu de la génération des millenials. Comment comprendre l’engouement que suscite la figure de ce jeune geek qui évangélisait sa génération sur Internet ? Et qu’est-ce que « devenir saint » signifie exactement du point de vue de la doctrine catholique ?


Carlo Acutis, un jeune Italien né le 3 mai 1991 à Londres et décédé d’une leucémie foudroyante à l’âge de 15 ans, devait être canonisé à Rome le 27 avril dernier. La cérémonie a été reportée à un peu plus tard à cause du décès du pape François.

Surnommé « le saint patron du Web », « le cyber-apôtre » ou encore « l’influenceur de Dieu », il deviendra le premier saint catholique ayant vécu au XXIe siècle à l’exception du pape Jean Paul II, mort en 2005 et canonisé en 2014.

Mais comment devient-on un saint ? Combien y a-t-il de saints ? Qui sont-ils et sont-ils tous populaires ? Que signifie devenir saint à l’heure d’Internet ou du numérique ? Enfin, Carlo Acutis est-il un modèle pour les jeunes ?

Le procès de canonisation

Une personne est reconnue officiellement comme « sainte » au terme d’une procédure juridique rigoureuse appelée « procès de canonisation ». La décision de canonisation relève de l’autorité du pape, qui l’inscrit officiellement sur le Canon des saints – communément appelé « Catalogue des saints » – et permet qu’un culte universel lui soit rendu une fois la canonisation officialisée.


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Toutefois, l’apanage du souverain pontife dans la décision de canonisation n’a pas toujours existé. Pendant des siècles les personnes étaient désignées « saintes » par la vox populi. Leur sainteté était ensuite confirmée par l’évêque local. La première canonisation effectuée par un pape remonte au Xe siècle avec celle de l’évêque Ulrich d’Augsbourg, par Jean XV, le 4 juillet 993. Depuis le XIIIe siècle, la décision de canonisation est réservée au pape, avec la mise en place d’un vrai procès en canonisation.

Ce procès de canonisation – qui a connu différentes réformes au fil des siècles – se déroule en plusieurs étapes :

  • Au service de Dieu

L’ouverture de la Cause de canonisation du futur saint – une personne ayant une solide renommée de sainteté – débute en principe au bout de cinq ans au niveau du diocèse où a vécu le futur saint, après l’accord d’une autorité ecclésiastique compétente. Une enquête diocésaine est alors menée afin d’évaluer la réputation de sainteté de ce futur saint. Témoignages et preuves documentaires sont recueillis. À cette étape, le futur saint est appelé « serviteur de Dieu ». Après la clôture de l’enquête diocésaine, le dossier est transmis au Dicastère des causes des saints – anciennement, « Congrégation pour les causes des saints » –, à Rome.

  • La vénérabilité

Une fois le dossier parvenu au Dicastère, celui-ci examine le dossier de la Cause déjà instruite sur le fond et la forme. Puis il émet un jugement sur le fond de la Cause avant de la transmettre au pape. Si le pape reconnaît les vertus héroïques –- la foi, l’espérance, la charité, la force d’âme, la prudence, la tempérance et la justice – du « serviteur de Dieu », il signe le « décret d’héroïcité des vertus » et le déclare « vénérable ».

  • La béatification

Après la reconnaissance d’un premier miracle – dont le caractère inexplicable est reconnu et validé par des experts médicaux – à l’intercession du « vénérable », ce dernier est déclaré « bienheureux » par le pape. Pour rappel, un chrétien martyrisé (tué en haine de la foi) peut être déclaré « bienheureux » sans l’exigence d’un miracle.

  • La canonisation

L’attribution d’un second miracle à l’intercession du bienheureux ouvre la voie à la reconnaissance de sa sainteté après l’approbation du décret de sa canonisation par le pape. Celui-ci le proclame officiellement « saint » par un acte de canonisation qui a lieu au cours d’une cérémonie.

Notons que, sur les trois conditions requises pour être déclaré « saint » – l’héroïcité des vertus, l’ouverture de la Cause après cinq ans et l’accomplissement d’au moins deux miracles –, les deux dernières peuvent être exceptionnellement assouplies. En effet, l’ouverture de la Cause a été lancée avant la durée des cinq ans pour le pape Jean Paul II et Mère Teresa. L’exigence d’un premier miracle comme préliminaire à la canonisation n’a pas non plus été indispensable dans le cadre de la canonisation du pape Jean XXIII.

« À quoi sert la canonisation et quelles en sont les étapes », La Croix Africa.

Par ailleurs, il faut rappeler qu’il existe une autre forme de canonisation dite « équipollente » (« par équivalence ») - bien qu’elle soit rare. Moins formelle, elle ne nécessite pas de « procès » préalable. La procédure s’appuie sur la renommée des grâces obtenues par l’intercession de la personne. Celle-ci est déclarée « sainte » seulement sur un décret du pape et sans cérémonie particulière.

Enfin, il est important de préciser que la canonisation n’a pas pour objectif de « faire » d’une personne un saint mais de « reconnaître » sa sainteté.

Nombre, panorama et popularité des saints

En 2000 ans, l’Église compte près de 10 000 saints dont : des papes ((Jean Paul II, Jean XXIII, 2014)) ; des religieux et des religieuses (Antoine de Padoue (1232), Rita de Cascia (1900), Thérèse de Lisieux (1925), Maximilien Kolbe (1982), Padre Pio (2002), Mère Teresa (2016), Charles de Foucauld (2022)) ; des rois (Louis IX, 1297) ; des couples (Zélie et Louis Martin, 2015) ; des enfants (Jacinthe et François, 2000).

Durant son pontificat, le pape François aura canonisé 929 personnes (dont les 800 martyrs italiens d’Otrante canonisés en une seule fois en 2013).

« Saint-François d’Assise recevant les stigmates », Domínikos Theotokópoulos, dit le Greco (avant 1595). Musée des Beaux-Arts de Pau/Wikipedia

François d’Assise figure parmi les saints les plus populaires du monde entier. Né à Assise, en Italie, vers 1181, dans une riche famille de drapiers, il abandonne son ambition d’être adoubé chevalier à la suite d’un songe. Peu à peu, il change de vie. Il commence par aider les plus démunis, puis soigne les lépreux. Il ne comprend le sens réel de sa vocation qu’en 1208. En 1210, il fonde l’ordre des Frères mineurs, communément appelé ordre des Franciscains. François est également connu comme étant le premier saint à avoir reçu les stigmates de la crucifixion du Christ. Il est aussi considéré comme le précurseur du dialogue islamo-chrétien. Décédé en 1226, il est canonisé deux ans après sa mort par Grégoire IX. En 1979, Jean Paul II le proclame saint patron de l’écologie. Le pape François – de son vrai nom Jorge Mario Bergolio – avait d’ailleurs choisi « François » comme nom symbolique en référence à François d’Assise, connu comme le saint des pauvres.

Moins connue est la sainte Joséphine Bakhita. Née vers 1869 au Darfour (Soudan), elle est capturée durant son enfance en 1877. Vendue en tant qu’esclave à plusieurs reprises, elle finit par être achetée par le consul d’Italie qui l’emmènera avec lui à son retour au pays, en 1885, à sa demande. Elle y deviendra domestique dans une famille amie du consul. À la suite d’une action en justice intentée à son encontre par sa « maîtresse » à Venise – cette dernière prétendait détenir un droit de propriété sur sa personne –, Bakhita est officiellement affranchie grâce à une décision du 29 novembre 1889 rendue en sa faveur dans laquelle le Procureur du roi déclara :

« N’oubliez pas, Madame, que nous sommes ici en Italie où, Dieu merci, l’esclavage n’existe pas, seule la jeune fille peut décider de son sort avec une liberté absolue. »

Libre, elle embrasse la vie religieuse chez les Sœurs canossiennes à Venise. Décédée en 1947, elle est béatifiée en 1992 puis canonisée en 2000 par le pape Jean Paul II, devenant la première sainte soudanaise. En France, un livre poignant, Bakhita, de Véronique Olmi, a permis de mieux la connaître.

« Bakhita, de Véronique Olmi ou le parcours d’une esclave devenue sainte », TV 5 Monde.

Carlo Acutis, le cyber-apôtre : le premier saint millénial

Sans doute plus connu que Joséphine Bakhita mais pas encore aussi populaire que François d’Assise, Carlo Acutis est né dans une famille catholique non pratiquante. Selon sa mère, son fils était engagé dans de nombreuses activités caritatives en faveur des plus démunis et était habité par une foi précoce et profonde.

Passionné d’Internet, il met, à l’adolescence, ses connaissances d’informaticien au service de l’évangélisation à travers la création d’expositions numériques sur les miracles eucharistiques – la réelle présence du Christ dans l’eucharistie selon les croyants – et les apparitions de la Vierge Marie. D’où les surnoms de « saint patron du Web », « cyber-apôtre » ou encore « influenceur de Dieu » qui lui ont été attribués.

En 2020, Carlo est déclaré bienheureux à la suite de la reconnaissance d’un premier miracle par son intercession : la guérison d’un enfant atteint d’une déformation du pancréas. En 2024, un deuxième miracle lui ayant été attribué ouvre la voie à sa canonisation. Une jeune femme grièvement blessée et dont le pronostic vital est engagé guérit rapidement après que sa mère est allée se recueillir auprès de la tombe de Carlo en Assise. Il deviendra le premier saint millénial (génération Y) après sa canonisation par le successeur du pape François.

Carlo Acutis : un modèle pour les jeunes ?

L’évangélisation conduite par Carlo Acutis à travers ses expositions virtuelles, traduites dans plus d’une vingtaine de langues et accessible partout dans le monde, l’a rendu célèbre. En 2019, le pape François a fait son éloge dans son exhortation apostolique Christus Vivit, l’érigeant en modèle pour la jeunesse. Son histoire est également relayée sur différents réseaux sociaux (Facebook, Tiktok, Instagram, etc.) et est racontée dans des livres pour enfants et jeunes adultes. Sa popularité s’est accrue depuis l’ouverture de son procès en canonisation. Dans ce cadre, son corps, préalablement transféré à Assise, lieu de pèlerinage pour les fidèles du monde entier, a été exhumé et exposé à la vénération des fidèles, vêtu d’un jean, d’un sweat de sport et de baskets, « uniforme » habituel des adolescents.

La dépouille de Carlo Acutis est exposée au-dessus de sa tombe au sanctuaire de la Spoliation à Assise, Italie. Dulceridentem/Wikipedia, CC BY-NC-SA

En faisant l’éloge de Carlo, le pape François a sans doute aussi voulu promouvoir une nouvelle figure de sainteté et dépoussiérer l’image des saints traditionnels de l’Église et ayant vécu à d’autres époques. Avec sa canonisation, la sainteté ne relève plus du passé mais du présent. En ayant eu une adresse mail, un portable ou encore un ordinateur, Carlo apparaît ainsi comme un (futur) modèle de saint moderne et accessible à la génération connectée.

Pour Clément Barré, prêtre du diocèse de Bordeaux, il ne faut néanmoins pas s’arrêter à sa modernité car cela risque de masquer l’essentiel : « son témoignage eucharistique radical qui transcende les catégories d’âge ». Par ailleurs, il souligne également qu’il est important de ne pas le cantonner au rôle de « Saint des jeunes », puisqu’un adulte ou un senior peut aussi être interpellé par le style d’évangélisation de Carlo…

The Conversation

Allane Madanamoothoo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

29.04.2025 à 17:30

Trump face aux juges : le bras de fer

Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste des États-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump s’en prend avec virulence aux juges, qu’il accuse de s’opposer à sa volonté par parti pris politique. Mais ceux-ci refusent de plier.
Texte intégral (3084 mots)

Selon Donald Trump, les décisions rendues contre ses décrets les plus controversés s’expliquent par le fait que les juges ayant pris ces décisions seraient tous de gauche et déterminés à l’empêcher de mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu. Des accusations qui ne résistent pas à l’examen : en réalité, les juges tentent d’exercer leur rôle de contre-pouvoir face à un exécutif qui considère les lois du pays, et même la Constitution, comme des obstacles irritants et injustifiés.


Pendant quarante ans, Donald Trump a eu des dizaines de démêlés avec la justice. Jusqu’en 2020, il apparaissait comme un justiciable difficile guidé par Roy Cohn, son avocat sans scrupule ; mais après sa défaite à la présidentielle de novembre 2020, il a basculé dans une dénonciation violente, systématique et populiste du système judiciaire.

Alors que 60 juges différents ont conclu à l’absence de fraude électorale et estimé que la victoire de Joe Biden ne souffrait d’aucune contestation, le perdant s’est lancé dans de multiples diatribes accusant les juges d’être des « gauchistes » maladivement hostiles à sa personne. Poursuivi au niveau fédéral pour des faits graves (ses tentatives de s’opposer à la certification des résultats de l’élection de novembre 2020 et la conservation à son domicile privé de Floride de documents classés secret défense) ainsi qu’au niveau des États (deux affaires pénales et plusieurs au civil, pour fraude financière, harcèlement et diffamation), Trump passe aux insultes et menaces contre les procureurs qui osent le poursuivre et contre les magistrats qui se prononcent sur les diverses motions fantaisistes et manœuvres spécieuses de ses avocats.

Mais grâce à ses habituelles manœuvres dilatoires et à l’aide d’une juge nommée par lui (Aileen Cannon en Floride) et l’appui de la Cour suprême (rappelons que durant son premier mandat, il a nommé au sein de ce cénacle de neuf juges trois juges très conservateurs), il n’est condamné que dans une affaire mineure à New York – l’affaire Stormy Daniels – dans laquelle le juge, en raison de son élection, a renoncé à prononcer une peine.

Sa réélection en novembre 2024 annonçait une nouvelle salve d’attaques contre les institutions judiciaires du pays ; et au bout de cent jours, on peut constater que le bras de fer est bel et bien enclenché.

Le pouvoir judiciaire, cible de toutes les attaques

Depuis son retour à la Maison Blanche, le 20 janvier 2025, Trump a signé plus de 130 décrets dont bon nombre sont contraires à la loi : limogeages massifs de fonctionnaires, gel des subventions fédérales aux agences et aux États ou à la Constitution par la tentative de mettre fin au droit du sol sans amendement à la Loi fondamentale. Ce qui a suscité une avalanche de référés et d’actions en justice afin d’éviter le « préjudice irréparable », qui est le critère d’intervention des juridictions en procédure d’urgence.


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Une soixantaine de juges a déjà statué contre Trump, suspendant l’application de plusieurs décrets, exigeant la réintégration de fonctionnaires limogés en violation de leurs droits, la levée du gel sur les sommes votées par le Congrès et destinées à certaines agences dont l’agence de développement international Usaid, ou encore l’interdiction temporaire (par la Cour suprême) de la poursuite des expulsions vers le Venezuela en vertu de la loi sur les ennemis étrangers (Alien Ennemies Act).


À lire aussi : Trump et la lutte contre les migrants : ce qu’il a fait, ce qu’il veut faire… et ce qu’il peut faire


Il est difficile de s’y retrouver car, souvent, les recours sont intentés devant plusieurs juges et, selon les cas, la décision émane d’un juge de première instance, d’une cour d’appel ou même de la Cour suprême, saisie en procédure d’urgence, qui a déjà statué plusieurs fois en matière d’immigration en particulier.

Trump est entouré de radicaux extrémistes partisans de la doctrine de l’exécutif unitaire (c’est-à-dire favorables à un pouvoir exécutif tout-puissant), qui le poussent à ne pas se plier aux décisions de justice et qui inondent les réseaux sociaux de critiques et de menaces de mise en accusation et de destitution de ces juges.

Pourtant, tous ne sont pas des « juges Obama » ou d’affreux gauchistes, loin de là. Bon nombre ont été nommés par Ronald Reagan (John C. Coughenour), par George W. Bush ou par Trump lui-même (Carl J. Nichols). Le juge James E. Boasberg, au centre du contentieux sur l’expulsion d’immigrés vers l’Amérique latine, a été nommé en 2002 par George W. Bush à la Cour supérieure du district de Columbia, puis promu par Obama ; le très respecté juge J. Harvie Wilkinson a, quant à lui, été nommé en 1984 par Ronald Reagan à la Cour d’appel du quatrième circuit, où il siège depuis quarante ans.

Le fait qu’il faille « préciser » le cursus d’un juge afin de justifier ses décisions est d’ailleurs en soi un signe de la polarisation doublée de désinformation qui caractérise les États-Unis aujourd’hui. Tâche quasi impossible quand une juriste accomplie, comme la juge Paula Xinis, nommée en 2015, donc par Obama, rend une décision rejetant l’expulsion d’un immigré salvadorien, pourtant fondée sur le droit et non sur ses opinions personnelles. Le juge Engelmayer, nommé par Obama, qui a refusé à Elon Musk l’accès aux données privées et confidentielles du Trésor, a même été accusé de « fomenter un coup d’État contre le gouvernement élu », tweet repris par de nombreux abonnés et retweeté par Musk.

Post d’Elon Musk sur X, 8 février 2025.

Selon les membres de l’administration, les commentateurs de Fox News et les troupes Maga (Make America Great Again), ces juges sont des activistes qui n’auraient pas le droit de s’opposer à l’action « légitime » du président. C’est ce qu’a déclaré le vice-président J. D. Vance, qui, dès 2021, citait le 7e président Andrew Jackson, furieux d’une décision rendue par la Cour suprême de l’époque, qui aurait déclaré : « Le président de la Cour a rendu sa décision. Qu’il se débrouille maintenant pour la faire appliquer. »

Depuis qu’il est redevenu président, Trump dispose du soutien logistique et de la chambre d’écho de cette blogoshère de droite qui répercute critiques, accusations et demandes de destitution afin de délégitimer le pouvoir judiciaire et, par la répétition permanente, d’acclimater l’idée que les juges sont des militants de gauche empêchant le président de faire ce que lui ont demandé des électeurs qui lui ont offert en novembre dernier « une victoire écrasante » – en fait, un peu plus de 49 % des suffrages.

Ces accusations sont un bel exemple des retournements de logique dont Trump est passé maître. Ce sont les juges qui violeraient la Constitution et mettraient la démocratie en danger en s’opposant au chef de l’État. Trump et ses alliés cherchent à réécrire l’histoire de façon à inscrire leurs assauts contre le système judiciaire dans la lignée d’autres présidents, notamment le démocrate Franklin D. Roosevelt (en fonctions de 1932 à 1945). Ce dernier, confronté à l’opposition systématique de la Cour qui invalidait les lois du New Deal, avait envisagé d’y ajouter quelques membres. Devant l’opposition unanime des républicains et des démocrates, Roosevelt avait dû renoncer à son projet ; mais les juges de la Cour suprême avaient finalement évolué. Ce qui confirme que la Cour ne peut durablement être trop en avance (comme elle le fut, dans les années 1960, quand elle a jugé la ségrégation inconstitutionnelle et qu’elle a renforcé les droits civiques et les libertés individuelles) ou en retard (comme à l’époque du New Deal et, peut-être, actuellement) sur l’opinion majoritaire dans le pays.

Deux inconnues majeures subsistent : que fera la Cour suprême en dernier ressort ? Et l’administration Trump se pliera-t-elle à ses décisions ?

Menaces et intimidations inacceptables dans un État de droit

Trump et ses affidés ont menacé plusieurs juges de destitution. Il avait, dès 2017, déjà appelé à celle du juge Curiel – d’origine mexicaine mais né aux États-Unis – qu’il accusait d’être « un Mexicain qui le haïssait à cause du mur de frontière ».

En 2023, Trump a réclamé la destitution du juge Engoron, appelé à se prononcer sur les pratiques de fraude financière massive au sein de l’empire Trump. Les juges fédéraux, nommés à vie, peuvent faire l’objet de la même procédure de mise en accusation que le président en cas de « trahison, corruption ou autres faits graves ».

Au cours de l’histoire des États-Unis, seuls 15 juges ont été mis en accusation par la Chambre et seulement huit ont été destitués par le Sénat — pour alcoolisme ou fraude fiscale, mais pas pour la teneur de leurs décisions. En d’autres termes, cette procédure exceptionnelle n’a jamais été et ne saurait être mise en œuvre en cas de désaccord avec les décisions rendues par le juge.

C’est ce qu’a souligné le président de la Cour suprême, John Roberts, le 19 mars dernier, intervenant une nouvelle fois dans le débat pour rappeler qu’en cas de désaccord avec une décision, il y a la voie normale de l’appel.

Or, il est difficile de ranger John Roberts parmi les « gauchistes » : c’est lui qui a, entre autres, accordé une immunité quasi totale à Donald Trump dans la décision rendue par la Cour, le 1er juillet 2024.


À lire aussi : Donald Trump, une candidature aidée par la justice américaine


Son intervention est bien un signe de la gravité de la situation. Le président de la Cour suprême se sent obligé de rappeler l’indépendance de la justice, les juges ne pouvant être l’objet de menaces, de pressions et d’accusations diverses de la part des membres de l’administration et de la blogoshère de droite.

Le Chief Justice Roberts avait déjà repris le président Trump en 2018, lui expliquant qu’il n’y avait pas de « juges Obama » ou de « juges Trump », mais des juges compétents et dévoués qui font de leur mieux pour appliquer le droit en toute justice. Puis, dans son rapport annuel, rendu le 31 décembre 2024, le président de la Cour avait dénoncé les attaques personnelles visant les juges :

« La violence, l’intimidation et la défiance sont totalement inacceptables, car elles minent notre république et la primauté du droit. »

Ces menaces sont effectivement inacceptables dans un État de droit et dans un système où les contre-pouvoirs fonctionnent, mais elles mettent le doigt sur une vraie difficulté. Le pouvoir judiciaire a été créé comme étant « le plus faible », expliquait Alexander Hamilton dans le Fédéraliste. Il ne dispose ni de l’épée (l’exécutif) ni du porte-monnaie (le législatif). Dès lors, si l’exécutif viole la loi ou la Constitution et refuse d’exécuter ses décisions lui ordonnant d’agir ou de ne pas agir, il n’y a pas grand-chose que le pouvoir judiciaire puisse faire de lui-même.

Quels contre-pouvoirs ?

La Cour suprême a accepté plusieurs saisines en urgence et a rendu plusieurs décisions temporaires et nuancées dans les affaires d’expulsion de migrants vers le Venezuela, mais qui ont été présentées par l’administration Trump comme des victoires politiques. Sur le fond, il n’est pas certain qu’elle invalide certains des actes du président, y compris le décret, clairement inconstitutionnel, qui prétend abolir le droit du sol sans amender la Constitution. Peut-être pour éviter une crise constitutionnelle dans l’hypothèse où l’administration refuserait de se plier à ses décisions.

Le Congrès est pour le moment aux ordres, mais il semble se réveiller sur la question des droits de douane : plusieurs sénateurs républicains ont tenté de revenir sur les habituelles délégations de pouvoir au président en matière de politique commerciale. La résolution bipartisane en ce sens n’a aucune chance d’être adoptée, mais c’est un signal fort qui montre que les élus ont entendu le mécontentement des citoyens. Or, les élections de mi-mandat (Midterms) auront lieu en novembre 2026, et une bonne partie des élus se présenteront de nouveau. Au cours des deux années à venir, le Congrès pourrait bloquer de nombreuses velléités autoritaires du président.

Aux États-Unis, les sursauts viennent toujours de la base et du peuple. C’est à l’opinion publique de pousser les élus à agir, d’inciter la Cour suprême à jouer son rôle de contre-pouvoir et de garant de la Constitution et des libertés, et de faire comprendre à l’administration Trump qu’elle doit respecter la Constitution et les valeurs de la primauté du droit (Rule of Law).

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Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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