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30.09.2025 à 16:58
Face à sa crise politique, la France a-t-elle des leçons à tirer de l’Italie ?
Texte intégral (2085 mots)
La stabilité politique et économique de l’Italie depuis l’arrivée au pouvoir en 2022 de Giorgia Meloni incite certains observateurs français à affirmer que sa gouvernance démontre la capacité d’un parti de droite radicale à gérer correctement un grand État d’Europe – ce qui devrait rassurer tous ceux qui redoutent une éventuelle victoire du Rassemblement national en France. Pourtant, quand on y regarde de plus près, les cas de Fratelli d’Italia et du RN sont très dissemblables, le parti italien ayant déjà eu, avant que sa cheffe n’accède aux plus hautes responsabilités, une longue habitude de participer à des coalitions gouvernementales. Et sa politique ne se place pas vraiment en rupture avec celles des gouvernements précédents. En réalité, s’il y a des leçons à tirer du cas italien, elles ont trait moins à l’action de Giorgia Meloni qu’à certaines spécificités d’un système parlementaire pourtant longtemps décrié de ce côté-ci des Alpes.
La crise politique française suscite des comparaisons fréquentes avec le cas italien. Alors que la France est entrée depuis 2024 dans un profond cycle d’instabilité politique, l’Italie, par contraste, semble remarquablement stable.
Le 18 septembre dernier, pour la première fois, le taux d’intérêt exigé par les investisseurs pour détenir de la dette publique italienne s’est établi au même niveau que celui requis pour la dette publique française – une convergence qui traduit l’appréciation que font les marchés de la situation budgétaire et politique italienne par rapport au cas français.
La mise en perspective des deux pays conduit certains analystes à exprimer des jugements favorables à l’égard du gouvernement Meloni, présenté comme un garant de stabilité.
Tout d’abord il s’agit de vanter la stabilité politique et budgétaire italienne par rapport à l’instabilité française et à la tendance de la France à accumuler les déficits. Ensuite, le cas italien sert de prétexte à une légitimation de l’extrême droite dans son exercice du pouvoir : le succès de Giorgia Meloni démontrerait qu’un parti extrémiste pouvait évoluer et se transformer en force efficace de gouvernement.
Meloni, héritière d’une longue lignée de coalitions entre centre droit et droite radicale
Ces deux analyses apparaissent à bien des égards relever de projections des visions françaises sur la réalité italienne, plutôt que de véritables prises en compte des dynamiques à l’œuvre dans la péninsule.
Si nous nous intéressons à la trajectoire de la famille politique de Giorgia Meloni, on observe que c’est en janvier 1995 que le Movimento Sociale Italiano (MSI-DN), créé en 1946 sur une ligne clairement post-fasciste, prend un virage modéré et gouvernemental avec sa transformation en Alleanza Nazionale.
Ce tournant intervient dans un contexte où des coalitions de droite mises en place à partir de 1994 voient s’associer le parti de centre droit créé par Silvio Berlusconi, Forza Italia, avec les autonomistes septentrionaux de la Lega d’Umberto Bossi et la droite nationaliste réformée dirigée par Gianfranco Fini.
Pendant les trente années suivantes, on verra la droite italienne solidifier ses réflexes de coalition tripartite mais aussi se mouler dans le jeu institutionnel et parlementaire : Giorgia Meloni est à la fois l’héritière de Silvio Berlusconi lorsqu’elle récupère le leadership sur ce camp lors des élections de 2022, mais aussi le produit d’une culture parlementaire et gouvernementale, car elle a été ministre de 2008 à 2011.
Elle est donc la nouvelle leader d’un camp qui a été façonné par les neuf années de pouvoir exercé sous la direction de Silvio Berlusconi. Certes, son discours conserve des accents nationalistes et conservateurs, en particulier lors de la campagne électorale de 2022, mais la continuité du substrat institutionnel de sa famille politique est un élément fondamental, largement sous-évalué par les commentateurs.
L’accession au pouvoir de Giorgia Meloni représente un renouvellement au sein de la droite italienne car elle conquiert en 2022 le sceptre d’un Silvio Berlusconi diminué (il décédera quelques mois plus tard), mais ne constitue pas une rupture extrémiste.
À lire aussi : Italie : Silvio Berlusconi, ou la « révolution libérale » qui n’a jamais eu lieu
La coalition tripartite qu’elle met en place en 2022 est la même que celle qui avait été inventée par Silvio Berlusconi en 1994. Ainsi ne faut-il pas s’étonner des éléments de continuité que l’on constate dans la pratique gouvernementale de la droite italienne depuis Berlusconi jusqu’à Meloni.
Quant à l’affirmation selon laquelle la droite italienne aurait récemment vécu une sorte de déradicalisation, elle doit être fortement nuancée : on a assisté depuis 2013 à un durcissement de la Lega de Matteo Salvini, qui a redéveloppé un discours à la fois hostile à l’immigration et pro-russe. Il y a donc des effets de vases communicants à la fois en ce qui concerne les électorats et l’idéologie des différents partis de droite en Italie.
La continuité dans les actions de gouvernement constitue également la toile de fond d’une politique budgétaire prudente. Ici encore, il ne s’agit pas d’une nouveauté, car la politique de sérieux budgétaire est relativement traditionnelle en Italie. Elle avait déjà été observée sous le gouvernement précédent, celui de Mario Draghi.
En matière budgétaire, il convient de relever que l’un des principaux points noirs de la finance publique italienne a été la politique dite du « superbonus » pour les rénovations immobilières, un système de subventions créé par le gouvernement Conte II en 2020, qui a coûté plus de 127 milliards d’euros.
L’efficacité économique de cette dépense concentrée dans l’immobilier est largement critiquée et l’une des actions les plus remarquables du gouvernement Meloni a été d’arrêter l’hémorragie que la procrastination des mesures entraînait pour les finances publiques en modifiant la réglementation de l’allocation de subventions. Mais, dans le même temps, le gouvernement italien peine à dépenser les budgets obtenus dans le cadre du plan de relance européen (PNRR) – un indicateur négatif en matière d’efficacité qui est bien loin de représenter un « miracle ».
Enfin il faut relever que les finances publiques italiennes bénéficient de l’inflation, qui provoque une hausse des revenus et, donc, un effet seuil d’augmentation des recettes fiscales par le jeu du dépassement des tranches d’imposition.
En Italie, une habitude bien ancrée de création de coalitions
Les institutions italiennes sont caractérisées par leurs capacités d’adaptation – un facteur qui différencie profondément l’Italie de la France.
En 2018, les élections législatives italiennes n’ont pas permis de dégager une majorité, l’électorat s’étant réparti de façon relativement équilibrée entre la droite, la gauche et le Mouvement 5 étoiles. Après des semaines de tractations et d’errements, c’est finalement un accord original entre le Mouvement 5 étoiles et la Lega qui allait permettre la naissance de l’exécutif dirigé par Giuseppe Conte. Cette formule mettait en place un exécutif populiste qui s’est rapidement distingué par des mesures de dépenses (mise en place d’un revenu de citoyenneté), une position virulente en matière d’immigration mais aussi par une politique internationale marquée par les réflexes pro-russes et pro-chinois, ainsi que par une crise des rapports bilatéraux avec la France.
Face à cette poussée populiste, le jeu parlementaire d’une part et la fonction de garant exercée par le président de la Republique Sergio Mattarella de l’autre ont contribué non seulement à mitiger la portée des actions extrémistes, mais aussi à contribuer en 2019 à la mutation de la coalition de soutien du gouvernement Conte 2, qui associera le Mouvement 5 étoiles à la gauche classique en excluant la Lega, ce qui relancera une dimension bipolaire gauche/droite.
Cet exemple récent montre comment dans un système comme celui de l’Italie, caractérisé par l’absence de figure comparable à celle d’un président de la République française, se définit un jeu politique ouvert qui passe par la recherche de coalitions qui font des partis les acteurs centraux du jeu politique.
Certes, le président italien joue un rôle crucial lors des crises politiques, mais il apparaît comme un arbitre et non pas comme le chef d’un camp, ce qui lui permet d’exercer un rôle de médiation mais aussi de ne pas confondre ses missions avec celle du président du conseil des ministres, chef de l’exécutif.
La présidence de la République est une institution qui a repris en Italie certains traits de la monarchie constitutionnelle précédente, avec un rôle « au-dessus des partis » d’un président qui évite soigneusement de descendre dans la mêlée.
Les institutions de la république italienne, dont la Constitution a été adoptée en 1947, ne sont pas sans rappeler celles de la IVe république française. La comparaison entre l’Italie et la France permet de pointer du doigt le phénomène d’hyper-présidentialisation à l’œuvre en France, en particulier depuis la réforme constitutionnelle de 2000, une caractéristique qui apparaît comme un blocage dans un Parlement qui n’est plus bipolaire.
Pas de modèle Meloni, mais un modèle italien ?
L’exemple italien n’est pas celui d’une modération miraculeuse et récente d’une droite extrémiste sous l’effet d’une supposée « méthode Meloni ». Silvio Berlusconi a écrit l’histoire d’une droite italienne qui est d’abord passée par une hégémonie sur le centre avant d’arriver à un repositionnement des différentes forces politiques, un parcours dont Giorgia Meloni est l’héritière. Il ne s’agit donc pas d’un scénario que l’on puisse plaquer sur la trajectoire du Rassemblement national français.
En revanche, l’observation des institutions italiennes est riche d’enseignements, en faisant voir la possibilité d’un système sans président de la République à la française – une caractéristique qui est d’ailleurs commune à la majorité des pays membres de l’Union européenne. Ici encore, ce n’est probablement pas l’analyse de ceux qui à Paris voudraient voir dans Giorgia Meloni l’exemple d’un césarisme triomphant. Mais c’est la véritable leçon, parlementaire et démocratique, que l’Italie peut enseigner.

Jean-Pierre Darnis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.09.2025 à 13:10
Les cinq grands obstacles à la mise en œuvre du plan de paix de Trump pour Gaza
Texte intégral (1822 mots)
Un texte en 20 points pour mettre fin à la guerre de Gaza : c’est ce que Donald Trump a présenté ce 29 septembre 2025, aux côtés du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou. Le projet est ambitieux mais reste flou sur de nombreux points importants. Analyse.
Sur le papier, le plan en 20 points proclamé par Donald Trump le 29 septembre lors d’une conférence de presse conjointe avec le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à la Maison Blanche est à la hauteur des annonces tonitruantes que le président des États-Unis avait faites avant de le rendre public. Il s’agit indéniablement d’une tentative audacieuse visant à régler la plupart des causes du conflit, de façon à instaurer une paix durable à Gaza.
Ce projet pourrait-il être couronné de succès ? Ce qui est sûr, c’est que les deux camps sont fatigués de la guerre. Or, tout au long de l’histoire, bon nombre de guerres ont pris fin lorsque les deux parties belligérantes étaient simplement trop épuisées pour poursuivre les hostilités. Les deux tiers des Israéliens veulent que la guerre cesse, et bien que, dans le contexte actuel, il soit difficile de sonder l’opinion des Palestiniens, il est clair qu’eux aussi veulent que les ravages et les souffrances à Gaza cessent au plus vite. La proposition du 29 septembre survient donc à un moment propice à ce que la paix puisse s’imposer.
Il reste que le texte se caractérise également par de nombreuses lacunes. Et lorsque l’on y ajoute la très longue histoire de violence du Proche-Orient, on ne peut qu’opter pour la plus grande prudence au moment d’évaluer ses chances de réussite.
Nous avons identifié cinq principales raisons de se montrer circonspect à propos du « Plan Trump ».
1. Un manque de confiance réciproque
Aujourd’hui, le degré de confiance entre Israéliens et le Hamas est au plus bas. Or plusieurs aspects du plan sont tellement vagues qu’il est très vraisemblable que, s’il était adopté, les deux parties s’accuseraient mutuellement de ne pas avoir tenu leurs engagements.
Le dernier cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, conclu en janvier 2025, n’a duré que deux mois : Nétanyahou s’en était retiré en mars, accusant le Hamas de ne pas avoir libéré davantage d’otages avant le lancement des négociations qui étaient prévues sur la phase suivante du processus de paix.
2. Un plan asymétrique
L’accord est plus favorable à Israël qu’au Hamas. Fondamentalement, le texte exige que le Hamas libère tous les otages israéliens qu’il détient encore et dépose toutes ses armes, ce qui le laisserait totalement sans défense.
Le Hamas, qui n’a aucune confiance envers Israël en général et envers Nétanyahou en particulier, pourrait craindre que, une fois qu’il se sera désarmé, le dirigeant israélien l’attaque de nouveau avec force.
En outre, le Hamas n’a pas été associé à la rédaction des termes de l’accord. Il est désormais confronté à un ultimatum : accepter ce document ou s’exposer à ce qu’Israël « finisse le travail ».
Compte tenu de l’asymétrie du plan, le Hamas pourrait décider que les risques liés à son acceptation l’emportent sur les avantages potentiels, même si le texte prend soin de préciser que les combattants du Hamas qui auront déposé les armes bénéficieront d’une amnistie.
Le plan demande aussi à Israël de faire certains compromis ; mais il est douteux que ceux-ci soient réellement acceptés. Ainsi, l’accord envisage un avenir dans lequel l’Autorité palestinienne (AP) pourrait « reprendre le contrôle de Gaza de manière sûre et efficace ». Nétanyahou a déjà déclaré par le passé qu’un tel développement était à ses yeux inconcevable.
De même, il serait très difficile pour Nétanyahou d’accepter « une voie crédible vers l’autodétermination et la création d’un État palestinien », comme le prévoit le plan. Il a, à de multiples reprises, fermement rejeté toute création d’un État palestinien, y compris, le 27 septembre dernier, dans le discours bravache qu’il a tenu devant l’Assemblée générale des Nations unies.
3. Des aspects essentiels ne sont pas détaillés
La stratégie de mise en œuvre du plan est présentée d’une façon extrêmement vague. À ce stade, nous ne savons rien de la « force internationale de stabilisation », qui remplacerait l’armée israélienne après le retrait de celle-ci de Gaza.
Quels pays y participeraient ? Il s’agirait évidemment d’une mission très dangereuse pour les effectifs qui viendraient à être déployés sur le terrain. Nétanyahou a déjà évoqué la possibilité qu’une force arabe prenne le relais de Tsahal à Gaza, mais aucun État arabe ne s’est encore porté volontaire pour cela.
Le plan ne prévoit pas non plus de calendrier pour les réformes de l’Autorité palestinienne ni de détails sur ce que ces réformes impliqueraient. Il faudra probablement organiser de nouvelles élections pour désigner un dirigeant crédible à la place de l’actuel président Mahmoud Abbas. Mais on ignore encore comment cela se ferait, et si la population de Gaza pourrait prendre part à ce scrutin.
De plus, les détails concernant l’autorité civile qui superviserait la reconstruction de Gaza sont très flous. Tout ce que nous savons, c’est que Trump se nommerait lui-même président du « Conseil de paix » et que l’ancien premier ministre britannique Tony Blair sera également impliqué d’une manière ou d’une autre. Pour être efficace, ce comité devrait bénéficier de la confiance absolue aussi bien du gouvernement Nétanyahou que du Hamas. Mais, comme nous l’avons souligné, la confiance est une denrée rare au Proche-Orient…
4. Aucune mention de la Cisjordanie
La Cisjordanie est clairement un dossier essentiel pour tout règlement de paix. Des affrontements opposent quasi quotidiennement les colons israéliens et les résidents palestiniens, et rien n’indique que la situation ne va pas encore s’aggraver.
Le mois dernier, le gouvernement israélien a donné son accord définitif à un projet controversé visant à construire une nouvelle colonie qui diviserait de fait la Cisjordanie en deux, rendant impossible la création d’un futur État palestinien disposant d’une continuité territoriale.
La Cisjordanie doit être au cœur de tout accord global entre Israël et la Palestine.
5. Les membres les plus à droite du gouvernement Nétanyahou restent un obstacle à toute solution
Ce pourrait être le facteur décisif qui provoquera l’échec du plan Trump. Les leaders de l’extrême droite présents au sein du gouvernement Nétanyahou, Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, ont déclaré qu’ils n’accepteraient rien de moins que la destruction et l’élimination complètes du Hamas.
Or, bien que le plan prévoie que le Hamas soit désarmé et mis sur la touche politiquement, son idéologie resterait intacte, tout comme un nombre élevé de ses combattants.
Au final, ce plan peut-il réussir ?
Si le Hamas accepte le plan de Trump, nous pourrions bientôt avoir les réponses à plusieurs de ces questions.
Mais les États-Unis devront déployer des efforts considérables pour maintenir la pression sur Israël afin qu’il respecte les termes de l’accord. De même, les principaux médiateurs auprès des Palestiniens, le Qatar et l’Égypte, devront également maintenir la pression sur le Hamas pour que lui non plus ne viole pas les dispositions contenues dans le texte.
Nétanyahou part probablement du principe que si le Hamas ne se conforme pas à telle ou telle disposition, lui-même pourra en profiter pour sortir de l’accord. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait en mars dernier lorsqu’il s’est retiré du cessez-le-feu signé deux mois plus tôt et a repris les opérations militaires israéliennes à Gaza.
Dans le discours énergique qu’il a prononcé la semaine dernière devant une salle partiellement vide de l’Assemblée générale des Nations unies, Nétanyahou n’a pas laissé entendre qu’il envisageait de renoncer à l’une des lignes rouges qu’il avait précédemment fixées pour mettre fin à la guerre. Au contraire, même : il a condamné les États qui reconnaissent l’État palestinien, déclarant à leur intention :
« Israël ne vous permettra pas de nous imposer un État terroriste. »
Il semble clair que Nétanyahou n’aurait jamais accepté le plan de Trump si ce dernier n’avait pas fait pression sur lui. Dans le même temps, Trump a déclaré lors de sa conférence de presse conjointe avec Nétanyahou que si le Hamas refusait l’accord ou s’il l’acceptait mais ne respectait pas ses conditions, alors il offrirait son soutien total à Israël pour en finir avec le Hamas une bonne fois pour toutes.
Cette promesse pourrait suffire à Nétanyahou pour convaincre Smotrich et Ben-Gvir de soutenir le projet… du moins pour l’instant.

Ian Parmeter ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.09.2025 à 12:27
Nouvelle paralysie des administrations fédérales aux États-Unis : ce que nous enseigne le « shutdown » de 2013
Texte intégral (1945 mots)

Ce 1er octobre 2025, l’échec des négociations budgétaires au Congrès a mené à un shutdown. Concrètement, l’administration fédérale pourrait cesser de fonctionner. Une étude sur celui de 2013 – 16 jours durant – révèle des effets négatifs à long terme : un turnover plus élevé, des pertes de productivité mesurables et des coûts de recrutement exorbitants.
Alors que l’année fiscale fédérale touche à sa fin, une perspective malheureusement familière est discutée à Washington : une possible paralysie de l’administration fédérale. Pour les fonctionnaires fédéraux, cela ne pouvait arriver à un pire moment.
Dans le paysage politique divisé et polarisé des États-Unis, les démocrates et les républicains comptent sur des projets de loi de financement provisoires à court terme pour maintenir le gouvernement en activité, en l’absence d’accords budgétaires à plus long terme.
Alors que les partis sont éloignés d’un accord sur les termes d’une résolution budgétaire, même à court terme, le gouvernement doit cesser de fonctionner le 1er octobre 2025, à moins d’un accord de la dernière chance. Si ce shutdown se produit, cela marquerait un autre moment difficile cette année pour des fonctionnaires qui ont fait face à la suppression de plus de 300 000 emplois. Cette procédure de licenciement massif tient aux efforts de l’administration Trump pour restructurer ou supprimer en grande partie certaines agences gouvernementales. L’objectif : accroître leur efficacité.
Avec un potentiel shutdown, des centaines de milliers d’employés fédéraux seraient mis à pied – renvoyés chez eux sans salaire jusqu’à ce que le financement du gouvernement fédéral reprenne.
En tant qu’économistes spécialisés dans les marchés du travail et de l’emploi du secteur public, et ayant examiné des millions de dossiers du personnel fédéral liés à de telles fermetures gouvernementales dans le passé, nous avons constaté que les conséquences vont bien au-delà des images désormais familières de parcs nationaux fermés et de services fédéraux bloqués. Sur la base de notre étude du shutdown d’octobre 2013 au cours de laquelle environ 800 000 employés fédéraux ont été mis à pied pendant 16 jours, la fermeture des agences fédérales laisse un effet négatif durable sur ces fonctionnaires, remodelant leur composition et affaiblissant leur performance pour les années à venir.
Congé forcé pour les fonctionnaires fédéraux
Des millions d’États-Uniens interagissent chaque jour avec le gouvernement fédéral. Plus d’un tiers des dépenses nationales états-uniennes sont acheminées par le biais de programmes fédéraux, notamment Medicare. Les fonctionnaires fédéraux gèrent par exemple les parcs nationaux, rédigent des règlements environnementaux et aident à assurer la sécurité du transport aérien.
Quelles que soient les tendances politiques de chacun, si l’objectif est d’avoir un gouvernement qui s’acquitte efficacement de ces responsabilités, il est essentiel d’attirer et de retenir une main-d’œuvre compétente.
La capacité du gouvernement fédéral à le faire peut être de plus en plus difficile, en partie parce que les shutdown prolongées peuvent avoir des effets secondaires.
Lorsque le Congrès ne parvient pas à approuver des crédits, les agences fédérales doivent licencier des fonctionnaires dont les emplois ne sont pas considérés comme « exemptés » – parfois communément qualifiés d’essentiels. Ces fonctionnaires exclus continuent de travailler, tandis que d’autres n’ont pas le droit de travailler ou même de faire du bénévolat jusqu’à ce que le financement du gouvernement fédéral reprenne.
Le statut spécifique de ces « congés » imposés aux fonctionnaires pendant ce shutdown reflète les sources de financement de ces postes et les catégories de mission données, et non les performances d’un individu. Par conséquent, il ne donne aucun signal sur les perspectives d’avenir pour un fonctionnaire et agit principalement comme un choc pour le moral. Il est important de noter que les congés ne créent pas de pertes de richesse à long terme ; les arriérés de salaire ont toujours été accordés et, depuis 2019, sont légalement garantis. Les fonctionnaires touchent leur salaire, même s’ils peuvent faire face à de réelles contraintes financières à court terme.
Un observateur cynique pourrait qualifier les congés de congés payés, mais les données racontent une autre histoire.
Moral en berne des fonctionnaires
À l’aide de nombreux dossiers administratifs sur les fonctionnaires civils fédéraux du shutdown d’octobre 2013, nous avons étudié la façon dont ce choc moral s’est répercuté sur le fonctionnement des agences gouvernementales. Les fonctionnaires exposés à des congés lors du shutdown étaient 31 % plus susceptibles de quitter leur emploi dans l’année.
Ces départs n’ont pas été rapidement remplacés, ce qui a forcé les agences à compter sur des travailleurs temporaires coûteux et a entraîné des déclins mesurables dans les fonctions essentielles telles que les paiements, l’application des lois et les processus pour délivrer des brevets.
En outre, nous avons constaté que cet exode s’est renforcé au cours des deux premières années suivant un shutdown. Elle se stabilise ensuite par une baisse permanente des effectifs, ce qui implique une perte durable de capital humain. Le choc moral est plus prononcé chez les jeunes femmes et les professionnels très instruits qui ont beaucoup d’opportunités extérieures. En effet, notre analyse des données d’enquête d’un shutdown ultérieur en 2018-2019 confirme que c’est le moral, et non la perte de revenus, qui est à l’origine de ces départs massifs.
Les fonctionnaires qui se sont sentis les plus touchés ont signalé une forte baisse de leur capacité d’action, d’initiatives et de reconnaissance. De facto, ils étaient beaucoup plus susceptibles de planifier un départ.
L’effet de la perte de motivation est frappant. À l’aide d’un modèle économique simple où l’on peut s’attendre à ce que les travailleurs accordent de la valeur à la fois à l’argent et à leur objectif, nous estimons que la baisse de la motivation intrinsèque après un shutdown nécessiterait une augmentation de salaire d’environ 10 % pour compenser.
1 milliard de dollars pour des recrutements temporaires
Certaines personnes ont soutenu que ce départ de fonctionnaires est nécessaire, une façon de réduire le gouvernement fédéral pour « affamer la bête ».
Les preuves brossent un tableau différent. Les agences les plus durement touchées par les licenciements se sont tournées vers des entreprises de recrutement temporaire pour combler les emplois non pourvus. Au cours des deux années qui ont suivi le shutdown de 2016, ces organismes ont dépensé environ 1 milliard de dollars de plus en sous-traitants qu’ils n’ont économisé en salaires.
Les coûts vont au-delà des dépenses de remplacement, car la performance du gouvernement en souffre également. Les organismes qui ont été les plus touchés par le shutdown ont enregistré des taux plus élevés de paiements fédéraux inexacts pendant plusieurs années. Même après une récupération partielle de la main-d’œuvre fédérale, les pertes se sont élevées à des centaines de millions de dollars que les contribuables n’ont jamais récupérés.
Agences scientifiques sans scientifiques
D’autres postes nécessitant des compétences spécialisées ont également connu un déclin. Les poursuites judiciaires ont diminué dans les agences qui ont manqué d’avocats expérimentés, et les activités de brevetage ont chuté dans les agences scientifiques et d’ingénierie après le départ d’inventeurs clés.
Les estimations officielles des coûts du shutdown se concentrent généralement sur les effets à court terme sur le PIB et des arriérés de salaire. Nos résultats montrent qu’une facture encore plus importante se présente plus tard sous la forme d’un turnover plus élevé du personnel, de coûts de main-d’œuvre plus élevés pour combler les postes non pourvus et des pertes de productivité mesurables.
Chocs brutaux
Les shutdown sont des chocs brutaux et récurrents qui démoralisent les fonctionnaires et érodent leurs performances. Ces coûts se répercutent sur tous ceux qui dépendent des services gouvernementaux. Si le public veut des institutions publiques efficaces et responsables, alors nous devrions tous nous soucier d’éviter ces blocages gouvernementaux.
Après une année déjà mouvementée, il n’est pas clair si un shutdown à venir ajouterait considérablement la pression sur les fonctionnaires fédéraux ou aurait un effet plus limité. Beaucoup de ceux qui envisageaient de partir sont déjà partis par le biais de rachats de leurs congés ou de licenciements forcés cette année. Ce qui est clair, c’est que des centaines de milliers d’employés fédéraux sont susceptibles de connaître une autre période d’incertitude.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
29.09.2025 à 16:50
Atermoiements autour de l’avion du futur : quand l’Europe de la défense se heurte à ses contradictions
Texte intégral (2520 mots)
La « coopétition », c’est-à-dire la coopération sur un projet donné par deux acteurs se trouvant par ailleurs en compétition, est un processus complexe qui peut achopper à divers moments. C’est ce que l’on constate en examinant la difficile progression du projet d’avion du futur porté conjointement par Dassault et Airbus Defense and Space.
Alors que Dassault enchaîne les succès à l’international avec son Rafale, le projet de Système de combat aérien du futur (Scaf), censé incarner l’avenir de l’aviation de combat européenne, s’enlise. L’été 2025 a marqué un nouveau coup d’arrêt pour l’ambitieux programme d’avion de combat du futur qui réunit Dassault, représentant les intérêts français, et Airbus Defense and Space, représentant notamment les intérêts allemands.
Depuis ses débuts, le projet, qui se présente principalement comme une « coopétition » entre Dassault et Airbus Defense and Space, peine à avancer alors qu’il est annoncé comme le successeur du Rafale. Le 22 juillet, Éric Trappier, PDG de Dassault, a dénoncé une gouvernance de projet « sans vrai leader » et menacé de quitter le programme. Berlin a alors d’abord répliqué en avertissant contre tout changement de gouvernance au profit de l’industriel français avant de menacer à son tour de quitter le projet pour se tourner vers de nouveaux partenaires.
Le constat est celui d’une coopération à l’arrêt, dans un contexte géopolitique où l’Europe cherche pourtant à renforcer son autonomie stratégique. La question centrale est la suivante : comment concilier les intérêts de la défense des États européens, qui rend nécessaires des programmes européens ambitieux comme le Scaf, avec les intérêts des entreprises nationales ?
Qu’est-ce que le Scaf, et pourquoi est-il stratégique ?
Né en 2017, le projet Scaf vise à développer un avion de combat capable de rivaliser avec le F-35 Lightning II américain. Selon la France et l’Allemagne, qui en sont à l’origine, ainsi que l’Espagne, le F-35 représente une menace pour la souveraineté européenne et justifie le lancement d’un programme spécifiquement européen.
L’entrée en service du Scaf est prévue à l’horizon 2040, avec des objectifs ambitieux. C’est un système de système incluant un avion furtif, un « cloud de combat » et une flotte de drones, pensé afin de répondre à la montée en gamme technologique des autres puissances. Le projet est aujourd’hui en phase 1B, étape préparatoire avant la construction d’un démonstrateur de vol lors de la phase 2.
Pour Berlin, il s’agit de garantir la continuité de son industrie aéronautique militaire grâce à une coopération étroite avec la France et l’Espagne. « La réussite du projet est une condition essentielle à la compétitivité de l’industrie aéronautique militaire allemande et européenne », souligne le ministère fédéral allemand de la défense dans le 19e rapport allemand sur l’armement.
Coopétition et souveraineté : le dilemme européen du Scaf
La coopétition, c’est-à-dire la coopération avec un concurrent, repose sur une logique paradoxale. Les entreprises collaborent pour créer de la valeur, mais cherchent en même temps à en capter la plus grande part possible pour elles-mêmes. Cela les conduit à partager des connaissances pour progresser et co-innover, tout en protégeant leurs savoirs stratégiques afin d’éviter des transferts non désirés. La coopétition mêle donc confiance et défiance à parts égales et génère inévitablement des tensions.
À l’échelle européenne, la coopétition entre les États et entre les industriels apparaît comme un levier stratégique pour renforcer la souveraineté technologique. Mais cette stratégie comporte aussi des risques majeurs : transferts de connaissances sensibles, captation asymétrique de la valeur co-créée avec un partenaire… qui reste, malgré tout, un concurrent (Le Roy et coll., 2022).
Ces enjeux prennent une dimension particulière lorsqu’ils touchent à la souveraineté. Coopérer avec un industriel étranger, même européen, peut revenir à lui donner les moyens de vous concurrencer demain.
Dans le projet Scaf, ce dilemme coopétitif est particulièrement important. Dassault, côté français, et Airbus Defense and Space, côté allemand doivent coopérer pour développer l’avion du futur dans le cadre d’une ambition européenne. Mais Dassault et Airbus Defense and Space sont en concurrence sur le marché mondial, avec le Rafale pour Dassault et l’Eurofighter pour Airbus. Depuis son lancement, cette relation ambivalente nourrit des tensions persistantes qui fragilisent la progression du programme.
Les tensions « coopétitives » dans le cadre du projet Scaf
Les tensions entre Dassault et Airbus Defense and Space portent d’abord sur la répartition des tâches et la gouvernance du projet. Au départ, un accord prévoyait une répartition équitable (50/50), Dassault étant désigné maître d’œuvre en raison de son expertise. Mais en 2019, l’intégration de l’Espagne a conduit les États à proposer un partage en trois parts égales.
Le rééquilibrage, perçu comme une remise en cause du rôle central de Dassault, a marqué le début d’un conflit qui ne s’est jamais apaisé. Airbus juge la répartition inéquitable et conteste la maîtrise d’ouvrage française, tandis que Dassault refuse de céder. Faute d’accord, la phase 1B du programme, visant à construire un démonstrateur de vol, a été bloquée.
Les tensions concernent aussi le partage des connaissances, question directement liée aux enjeux de souveraineté. Berlin a réclamé à Dassault d’ouvrir l’accès à certaines technologies, ce que l’industriel français a refusé par crainte d’un transfert non désiré de connaissances. Airbus Defense and Space considère pourtant que, sans cet échange, elle ne pourra pas pleinement bénéficier du co-développement. Angela Merkel soulignait déjà en 2021 que « les questions de propriété industrielle, de partage des tâches et de leadership » restaient centrales. Le PDG de Dassault lui répondait en écho : « Si je donne mon background aujourd’hui et que le programme est annulé dans deux ans, comment serais-je protégé vis-à-vis de la concurrence ? »
Un compromis politique a bien été trouvé fin 2022 entre Paris et Berlin pour débloquer la phase 1B et confirmer le rôle de Dassault. Mais les désaccords persistent et ralentissent à nouveau le programme, au risque de compromettre la suite du projet. Dassault Aviation réclame une gouvernance plus claire, afin de disposer de la latitude nécessaire pour exercer son rôle de maître d’œuvre du pilier n°1 (le développement de l’avion).
« La question se pose pour l’efficacité du projet qui réunit trois pays […] où il n’y a pas un vrai leader mais trois “co-co-co”. […] Comment puis-je assurer un leadership alors qu’en face de moi, j’ai quelqu’un qui pèse deux fois plus ? Comment peut-on diriger un programme si je n’ai même pas le droit de choisir mes sous-traitants en France, en Espagne et en Allemagne ? Ce n’est pas la bonne méthode pour faire voler un avion », résumait Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, le 22 juillet dernier.
Airbus Defense and Space, de son côté, refuse tout changement de gouvernance. « Si les gens veulent que le Scaf existe, nous savons tous comment le faire. Il suffit de revenir à ce qui a été convenu et de s’y tenir. Mais si certains pensent que nous devons repartir de zéro, ce n’est pas acceptable », déclarait son PDG, Michael Schoellhorn, le 19 juin 2025 au salon du Bourget.
Résultat : le projet reste bloqué dans sa phase 1B, censée déboucher sur un démonstrateur de vol. Pour l’instant, le « système de combat aérien du futur » n’existe encore qu’au stade d’avion de papier. Un long chemin coopétitif reste donc à parcourir.
Le Scaf se trouve au cœur d’un débat où s’entremêlent souveraineté, coopétition entre États et entreprises et partage des savoir-faire technologiques. Les tensions coopétitives mettent en péril son avancement, tandis que les États, bien plus que de simples financeurs, apparaissent comme de véritables orchestrateurs politiques et arbitres de cette coopétition fragile. « Nous prendrons une décision sur l’avenir du projet à la fin de l’année », a prévenu Friedrich Merz fin août, rappelant que le processus « ne peut pas durer indéfiniment » et qu’il est désormais impératif de « sortir de l’impasse et accélérer, car le projet ne tolère plus aucun report ». Mais comment ?
Manager les tensions coopétitives
Les recherches sur la coopétition montrent que les projets coopétitifs sont traversés par des situations paradoxales que les firmes doivent apprendre à gérer (Le Roy et coll., 2024). Les coopétiteurs doivent à la fois partager et protéger leurs connaissances, co-créer de la valeur tout en cherchant à se l’approprier individuellement, développer la confiance tout en cultivant une certaine méfiance. Leurs intérêts stratégiques peuvent diverger, générant des tensions liées à des comportements opportunistes ou à la gouvernance du projet, comme l’illustre le cas du Scaf. Si elles ne sont pas anticipées et managées, ces tensions risquent d’entraver la dynamique collaborative et de freiner l’avancement des projets.
Le management des projets coopétitifs requiert ainsi des dispositifs adaptés : séparation structurelles entre les activités en coopération et les activités en compétition, intégration individuelle des paradoxes coopétitifs, et mise en place de mécanismes spécifiques à la fois formels et informels.
Dans certains cas, la littérature souligne également l’importance du recours à un acteur tiers, capable d’endosser le rôle d’orchestrateur neutre. Ainsi, une recherche sur le programme Européen Galileo, programme phare de l’industrie spatiale européenne, impliquant les compétiteurs OHB, Thales Alenia Space et Airbus Defence and Space, dévoile les tensions coopétitives au sein du projet qui ont nourri les tensions entre les coopétiteurs (Rouyre et coll., 2019).
Chaque acteur soupçonnait les autres d’être des « free riders » ou des « chasseurs de connaissances », freinant ainsi le partage d’informations stratégiques. Pour surmonter ces blocages, l’Agence spatiale européenne (ESA) a endossé un rôle d’orchestrateur neutre pour centraliser les flux de connaissances, diviser de manière claire des responsabilités industrielles, formaliser les processus et réaliser de la coordination technique. Cette gouvernance formelle a permis de limiter les tensions et d’assurer la réussite du projet.
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La nécessité de manager la coopétition et ses tensions met en évidence deux points de vigilance majeurs pour le Scaf. Premièrement, l’apparente absence de mécanismes adaptés au management d’un projet coopétitif (séparation des activités, intégration des paradoxes, dispositifs formels et informels). Deuxièmement, l’absence d’un orchestrateur neutre entre les deux coopétiteurs. S’inspirer des dispositifs de management de la coopétition identifiés par la recherche en sciences de gestion pourrait offrir des pistes concrètes pour mieux contenir ces tensions et redonner de l’élan à ce projet hautement stratégique pour la souveraineté Européenne.
Maîtriser le management de la coopétition, un enjeu clé pour l’avenir de la défense européenne
Le projet Scaf est le miroir des dilemmes européens : la nécessité de coopérer pour peser face aux grandes puissances, mais aussi la volonté de préserver les entreprises nationales.
Il montre qu’un des défis majeurs de la construction d’une défense européenne réside dans la capacité à manager des projets coopétitifs impliquant des entreprises et des États aux intérêts divergents. Deux scénarios sont possibles. Si le Scaf réussit, il pourrait devenir le symbole d’une souveraineté partagée et d’une innovation collaborative entre compétiteurs européens : un modèle transposable au spatial, à l’intelligence artificielle ou au cyber. En revanche, un échec enverrait un signal inquiétant. Il signifierait non seulement l’abandon d’un programme stratégique pour l’Europe, mais aussi la démonstration des limites structurelles de l’ambition de bâtir une véritable défense européenne.
L’enjeu de fond est donc clair : apprendre à manager la coopétition à l’échelle européenne sur des enjeux de souveraineté pour en faire un levier d’innovation, plutôt que de la laisser se transformer en champ de rivalités paralysantes.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
29.09.2025 à 15:49
Moins d’étudiants étrangers aux États-Unis : une baisse qui coûte cher aux universités
Texte intégral (1783 mots)
On estime à 150 000 la baisse du nombre d’étudiants étrangers sur les campus états-uniens cet automne en raison des politiques mises en place par l’administration Trump. Ce retournement de situation va peser sur les campus et sur leur économie locale.
C’est la période où les étudiants reprennent leurs marques à l’université et, comme tous les ans, les campus états-uniens, de Tucson (Arizona) à Tallahassee (Floride), bourdonnent d’activité. Une tendance nouvelle se dessine toutefois.
Par rapport aux évolutions de l’année universitaire 2024-2025, on estime que 30 à 40 % d’étudiants internationaux de moins sont attendus en cet automne 2025, selon la NAFSA-Association of International Educators – une organisation à but non lucratif spécialisée dans l’éducation internationale – et JB International, une entreprise à but lucratif spécialisée dans les technologies éducatives.
Au total, on estime à 150 000 le nombre d’étudiants internationaux en moins qui doivent arriver ces prochaines semaines, en raison des nouvelles restrictions en matière de délivrance de visas et de l’annulation de rendez-vous administratifs dans les ambassades et consulats états-uniens de nombreux pays, tels que l’Inde, la Chine, le Nigeria et le Japon.
Il y avait plus de 1,1 million d’étudiants internationaux – dont plus de la moitié venaient de Chine ou d’Inde – dans les universités états-uniennes au cours de l’année universitaire 2023-2024, selon l’Institute for International Education, qui surveille les programmes destinés aux étudiants étrangers et qui partage les données récentes les plus complètes.
Cette forte baisse du nombre d’étudiants internationaux pourrait coûter 7 milliards de dollars à l’économie des États-Unis au cours de l’année scolaire 2025-2026, selon les estimations de la NAFSA.
Pour trois étudiants internationaux aux États-Unis, un nouvel emploi américain est créé, ou soutenu, par les 35 000 dollars en moyenne que ces étudiants dépensent localement pour le logement, la nourriture, les transports et d’autres frais.
En qualité de chercheuse à la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’université Tufts et ancienne sous-secrétaire d’État à la diplomatie publique dans l’administration Obama, j’ai supervisé de nombreux programmes d’échanges étudiants impliquant de nombreux pays à travers le monde. Je pense que des conséquences économiques majeures se profilent du fait de cette crise des mobilités étudiantes, et qu’elles pourraient s’étirer sur des années.
Une rapide inversion de courbe
Les étudiants étrangers ont commencé à venir aux États-Unis au début du XXe siècle, lorsque des philanthropes, tels que les familles Carnegie, Rockefeller et Mott, ont cherché à envoyer des universitaires états-uniens à l’étranger. Ils ont contribué à la création de bourses internationales qui, par la suite, ont souvent été financées par le gouvernement fédéral, comme le programme Fulbright, qui accorde des bourses à des étudiants états-uniens pour leur permettre de passer du temps et de faire des recherches à l’étranger.
En 1919, des organisations à but non lucratif, telles que l’Institute for International Education, servaient d’intermédiaires entre les étudiants étrangers et les universités américaines.
Le nombre d’étudiants étrangers inscrits aux États-Unis n’a cessé d’augmenter à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’émergeait un monde où il était devenu plus facile et moins coûteux de voyager. Alors que 26 000 étudiants étrangers sont venus aux États-Unis au cours de l’année scolaire 1949-1950, ce nombre est passé à 286 343, trois décennies plus tard.
Dans les années 1990, plus de 400 000 étudiants internationaux fréquentaient chaque année les établissements états-uniens. Ce nombre a continué d’augmenter pour dépasser les 500 000 au début des années 2000. Le nombre d’étudiants internationaux inscrits aux États-Unis a passé pour la première fois le cap du million au cours de l’année scolaire 2015-2016.
Alors que les étudiants internationaux ne représentaient que 1 % des 2,4 millions d’étudiants aux États-Unis en 1949-1950, ils représentaient environ 6 % des 18,9 millions d’étudiants en 2023-2024, selon le Migration Institute, un organisme de recherche non partisan. Ce pourcentage est toutefois relativement faible par rapport à la proportion d’étudiants étrangers dans les universités d’autres pays.
Les étudiants internationaux représentaient 38 % des inscriptions totales dans les universités canadiennes, 31 % de l’ensemble des étudiants universitaires en Australie et 27 % de l’ensemble des étudiants au Royaume-Uni au cours de l’année scolaire 2024-2025.
Les avertissements de Trump aux étudiants étrangers
Dans les 90 jours suivant son retour au pouvoir, le président Donald Trump a invoqué la loi de 1952 sur l’immigration et la nationalité, qui donne au secrétaire d’État le pouvoir d’expulser les étudiants étrangers dont le comportement pourrait menacer les intérêts de la politique étrangère américaine.
Depuis, le gouvernement états-unien a révoqué les visas de 6 000 étudiants étrangers, a rapporté le département d’État en août 2025.
Plusieurs arrestations très médiatisées d’étudiants internationaux ont également eu lieu, notamment celle de Rumeysa Ozturk, une étudiante turque de l’Université Tufts (Massachusetts). Les agents des services de l’immigration et des douanes ont arrêté Mme Ozturk en mars 2025, peu après que l’administration a révoqué son visa. Son arrestation est survenue un an après qu’elle a co-rédigé un article d’opinion appelant l’Université Tufts à reconnaître le génocide dans la bande de Gaza et à se désengager de toutes les entreprises ayant des liens avec Israël.
Le secrétaire d’État Marco Rubio a pris parti pour l’arrestation d’Ozturk, déclarant en mars que le gouvernement n’accordera pas de visas aux personnes qui viennent aux États-Unis dans l’intention de « vandaliser des universités, [de] harceler des étudiants, [d’]occuper des bâtiments, [de] semer le trouble ».
En mai 2025, un juge fédéral a statué qu’il n’y avait aucune preuve démontrant qu’Ozturk représentait une menace crédible pour les États-Unis. Elle a alors été libérée du centre de détention pour immigrants.
Mais son arrestation a coïncidé avec celle d’autres étudiants étrangers dans des affaires très médiatisées, comme celle de Mahmoud Khalil, étudiant de troisième cycle à Columbia (New York) et résident permanent aux États-Unis, arrêté après avoir participé à des manifestations sur le campus en faveur des droits des Palestiniens. Ces arrestations ont envoyé le message suivant aux étudiants étrangers, « Il n’est plus aussi sûr qu’avant de venir aux États-Unis ».
L’administration a annoncé d’autres changements qui rendront plus difficile le séjour des étudiants étrangers aux États-Unis, comme une politique de restriction des voyages à partir de 2025, qui bloque ou restreint l’entrée des personnes de 19 pays, principalement du Moyen-Orient et d’Afrique.
L’administration a également annoncé, en août, son intention de limiter à quatre ans la durée de séjour des étudiants étrangers. Actuellement, ceux-ci bénéficient d’un délai de soixante jours après l’obtention de leur diplôme pour rester aux États-Unis, avant de devoir obtenir un visa de travail ou un autre type d’autorisation pour rester légalement dans le pays.
Une simple équation mathématique
L’Université de New York, l’Université Northeastern de Boston (Massachusetts) et l’Université Columbia sont celles qui ont accueilli le plus grand nombre d’étudiants internationaux en 2023-2024. Mais ceux-ci ne se concentrent pas uniquement dans les grandes villes à tendance démocrate.
L’Université d’État de l’Arizona a accueilli le quatrième plus grand nombre d’étudiants internationaux cette année-là, et l’Université Purdue dans l’Indiana et l’Université du Texas du Nord figurent également parmi les dix établissements qui accueillent le plus grand nombre d’étudiants internationaux.
Tous ces établissements, ainsi que d’autres, comme les universités de Kansas City (Missouri) – qui ont accueilli beaucoup moins d’étudiants internationaux que prévu au printemps, certains d’entre eux n’ayant pas pu obtenir de visa – subiront les conséquences financières du refus d’accueillir des étudiants internationaux aux États-Unis.
En raison de toutes ces évaluations, je pense qu’il existe des arguments solides en faveur d’une augmentation du nombre d’étudiants étrangers accueillis aux États-Unis plutôt que d’une réduction.

Tara Sonenshine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.