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01.08.2025 à 18:49
À Gaza, l’illusion humanitaire ne nourrit pas une population affamée
Texte intégral (1346 mots)
Alors que la situation humanitaire à Gaza atteint un niveau de gravité sans précédent, les annonces de reprise ou de largage d’aide humanitaire internationale masquent la réalité d’un dispositif insuffisant et strictement encadré par les autorités israéliennes, pourtant responsables du blocus. Plutôt que de mobiliser les leviers politiques et diplomatiques nécessaires pour lever ce blocus, les interventions se limitent à des actions symboliques, laissant perdurer une crise humanitaire profonde et structurelle.
Sous l’effet des pressions internationales, une timide reprise des approvisionnements humanitaires s’amorce à Gaza.Toutefois, les responsables israéliens, comme c’est le cas depuis 2005, prolongent une fois encore la « stratégie de la perfusion contrôlée ». Les mécanismes qui aboutissent à la crise actuelle sont ainsi connus et dénoncés depuis plus d’un an . Les flux alimentaires vitaux ont été maintenus, à la limite constante de la suffocation ; juste suffisants pour éviter une mortalité massive qui viendrait parachever le drame qui se joue depuis octobre 2023.
Avec une telle mortalité, le risque serait trop grand pour qu’enfin se dégage un consensus qui pourrait balayer l’incroyable inertie qui prévaut dans la gouvernance des relations internationales. Les autorités israéliennes le savent.
Les livraisons cosmétiques annoncées ne sont pourtant en rien résolutives du drame que connaît la population civile de ce territoire depuis plus de dix-huit mois maintenant.
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Les largages alimentaires : une aide dérisoire face à une population dévorée par la famine
Elles empruntent des modalités qui, dans le sillage du calamiteux dispositif de la Fondation humanitaire pour Gaza, continuent de déroger à toute préoccupation d’efficacité et de respect des principes humanitaires à l’égard d’une population civile qui vit dans un territoire occupé par une puissance extérieure. Car les mesures annoncées contreviennent à la mise en œuvre effective d’une sécurité alimentaire qui repose sur quatre piliers.
Premier pilier, la disponibilité des denrées. C’est sur ce seul axe que porte l’accroissement annoncé des volumes d’aide délivrée. Avec une volumétrie qui soulève cependant des doutes : 100 camions annoncés là où, avant le conflit massif, plus de 500 étaient mobilisés chaque jour. L’ONU estime à 62 000 tonnes par mois la nécessaire disponibilité de denrées alimentaires.
Le deuxième pilier concerne l’accessibilité effective de la population civile aux denrées ayant franchi la frontière. Une accessibilité qui porte sur la capacité à se déplacer pour parvenir jusqu’à la nourriture : accessibilité géographique particulièrement cruciale pour les malades, pour les blessés et les personnes âgées, pour des dizaines de milliers de personnes en l’occurrence ; l’exposition à la violence militaire met en jeu l’accessibilité sécuritaire ; et, selon les circuits de répartition ensuite empruntés par les aliments, des coûts qui peuvent être prohibitifs si livrés à la dérégulation d’un marché noir favorisé par l’absence d’encadrement sur le terrain (accessibilité financière).
Le troisième pilier repose sur la capacité des populations à utiliser effectivement les produits entrés sur le territoire. C’est-à-dire de pouvoir disposer des ustensiles de cuisine, du combustible et des autres ingrédients dont l’eau, qui permettent la préparation des aliments qui nécessitent une cuisson. Les blessés graves ou inconscients nécessitent par ailleurs une nutrition parentérale spécialisée (administration par voie intramusculaire ou intraveineuse, ndlr) et contrôlée par des professionnels de santé dont la mortalité a également été massive depuis octobre 2023.
Enfin, quatrième composante de la sécurité alimentaire : la stabilité dans le temps des trois piliers précédents et non, comme cela est le cas depuis dix-huit mois, des livraisons erratiques dans le temps et dans l’espace.
La sous-nutrition aiguë, qui peut conduire à la mort, résulte ainsi d’un déséquilibre entre les apports qui construisent la sécurité alimentaire et les excès de pertes, le plus souvent liées à des diarrhées aiguës très fréquentes là où la qualité de l’eau de boisson ne peut être garantie. Tel est le cas pour la population de Gaza, dont la densité était avant le conflit l’une des plus élevées au monde (6 090 habitants au km2 en 2023, ndlr).
Sous le siège israélien, les Gazaouis abandonnés à une famine dévastatrice
La population, dont plus de 80% est poussée à une errance perpétuelle, est aujourd’hui concentrée sur de faibles surfaces territoriales, vivant au milieu des déjections humaines et animales, sans non plus les moyens d’une hygiène corporelle minimale, et alors même que la sous-alimentation chronique expose, en particulier les enfants, à une plus grande mortalité par déficit immunitaire.
Ce sont toutes ces composantes vitales que ne peut résoudre la seule augmentation modeste en volume qui est annoncée par les autorités israéliennes. Cette décision relève du marketing humanitaire si elle reste isolée.
Cette punition collective n’a que trop duré pour les 2 millions de personnes qui errent sur un territoire de 40 km de long sur 10 km de large. Malgré les récentes annonces, la vigilance reste de mise pour que les approvisionnements dérisoires – largement médiatisés – ne soient pas érigés en solution généreuse et durable… Une mobilisation inédite de grandes ONG internationales ne cesse d’interpeller sur la situation catastrophique que vivent la population comme les équipes d’acteurs humanitaires.
Un véritable cessez-le-feu doit être instauré, et des décisions politiques prises pour qu’enfin se dégagent les perspectives d’une paix durable.
La prochaine Assemblée générale des Nations unies en septembre 2025 à New York constitue une opportunité de prendre des décisions pour « le jour d’après » la période de conflit. Des initiatives politiques se multiplient, en particulier autour de la reconnaissance de l’État de Palestine par un nombre croissant de pays.

Pierre Micheletti est membre : Président d'honneur d'Action Contre la Faim Ancien président de Médecins du Monde Administrateur de SOS Méditerranée Membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme