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05.12.2025 à 13:07

Enjeux environnementaux : en quoi l’éducation transforme-t-elle les comportements des jeunes ?

Magali Jaoul-Grammare, Chargée de Recherche CNRS en Economie, Université de Strasbourg
Anne Stenger, Directrice de recherche en économie, Inrae
L’éducation, formelle ou informelle, transmet connaissances et valeurs écologiques, renforçant pensée critique et conscience durable.
Texte intégral (1618 mots)

L’entrée dans le monde étudiant bouleverse les habitudes de vie des jeunes. Cette transition vers l’autonomie est-elle alors propice à l’adoption de comportements respectueux de l’environnement ? Quelques éclairages à partir des derniers résultats d’enquête de l’Observatoire de la vie étudiante.


Au-delà des incitations monétaires, souvent temporaires, l’éducation peut constituer un levier durable en faveur des comportements pro-environnementaux (CPE). Si un niveau d’éducation élevé favorise la compréhension des enjeux écologiques, ses effets sur les CPE restent toutefois variables, voire parfois négatifs. D’autres facteurs interviennent : genre, âge, revenu, milieu social ou style de vie.

Nous nous sommes penchées sur les déterminants des pratiques alimentaires et de mobilité des étudiant·es à partir de l’enquête 2023 « Conditions de vie des étudiants », incluant les deux questions suivantes : « Pour des raisons écologiques, avez-vous changé vos habitudes alimentaires (moins de viande, manger bio…) ? » ; « Pour des raisons écologiques, avez-vous changé vos habitudes de transport (moins de déplacements, autres modes de transports) ? »

Connaissances et émotions, des facteurs de changement

Une personne soucieuse de l’environnement peut réduire sa consommation, privilégier une alimentation végétale, locale ou de saison, et adopter des régimes à faible impact. Dans les transports, elle choisira des modes à faibles émissions ou limitera ses déplacements. Toutefois, la santé, les habitudes, les normes sociales et les contraintes économiques influencent aussi ces choix, où les motivations environnementales se mêlent à des dimensions sociales et éducatives.

Les individus mieux informés adoptent plus facilement des comportements pro-environnementaux. L’éducation, formelle ou informelle, transmet connaissances et valeurs écologiques, renforçant pensée critique et conscience durable. Le milieu social reste déterminant : les foyers aisés accèdent plus aisément aux produits bio ou aux véhicules électriques, tandis que les plus modestes dépendent des transports publics.

Le mode de vie étudiant influe aussi : la transition vers l’autonomie modifie les habitudes et conduit à distinguer différents profils, de l’engagé à l’indifférent, etc. Enfin, le sport diffuse de plus en plus des valeurs écologiques.

Fourni par l'auteur

Les émotions, notamment négatives, constituent un levier important du changement de comportement. L’écoanxiété – mal-être et inquiétude face au réchauffement climatique – influence les comportements, bien que ses effets varient selon les études.

Des diplômés écoanxieux

Depuis 2020, l’enquête « Conditions de vie des étudiants » mesure ce phénomène via une question sur l’inquiétude climatique. En 2023, 87 % des répondants se disent inquiets, surtout les femmes, et cette proportion reste stable malgré l’aggravation des crises. L’écoanxiété diffère également selon le milieu social et scolaire.

Enfin, les conditions de vie influencent aussi les comportements : les étudiants vivant chez leurs parents changent moins, tandis que les difficultés financières favorisent l’adaptation alimentaire mais freinent la mobilité durable.

Fourni par l'auteur

Parmi les étudiants interrogés en 2023, un tiers a modifié à la fois ses habitudes alimentaires et de transport pour des raisons environnementales. Ces changements varient selon le sexe, le milieu social, le niveau d’études et la sensibilité au climat.

Les étudiantes adaptent davantage leur alimentation (18 % contre 9 % des hommes), tandis que les étudiants modifient plus souvent leurs transports (23 % contre 18 %). Les plus diplômés, issus de milieux aisés, écoanxieux ou engagés, changent plus fréquemment leurs comportements : 35 % des étudiants inquiets du climat modifient les deux, contre 7 % des non inquiets.

La participation à des conférences ou à des manifestations, ainsi que la pratique sportive, favorisent les comportements pro-environnementaux : 34 % des sportifs ont changé leurs habitudes, tandis que les effets du tabac ou de l’alcool restent incertains. Les contraintes matérielles jouent aussi : les urbains adaptent davantage leurs transports (21 % contre 15 % en zones rurales) mais moins leur alimentation (14 % contre 21 %). Les étudiants autonomes (38 %) changent plus souvent que ceux vivant chez leurs parents (19 %).

Des freins économiques et géographiques

Les facteurs associés aux changements alimentaires et de transport sont similaires : les femmes, les étudiants sportifs, inquiets du climat ou mieux éduqués sont plus enclins à modifier leurs pratiques. Le niveau d’études reste déterminant : les étudiants de master adoptent plus souvent des comportements durables, étayant le rôle de l’éducation.

Le cadre de vie compte également : la ruralité favorise les changements alimentaires mais freine la mobilité durable, tandis que vivre seul ou en résidence les encourage. Les contraintes financières, en revanche, limitent surtout les changements de transport. Enfin, 34 % des étudiants souhaiteraient changer leur alimentation et 27 % leurs transports sans y parvenir, freinés par leurs conditions économiques ou géographiques : vivre chez ses parents restreint les marges de manœuvre alimentaires, tandis que l’éloignement urbain et le manque de moyens limitent la mobilité durable.

Certaines caractéristiques – milieu social aisé, bon niveau scolaire, engagement environnemental, inquiétude climatique ou pratique sportive – favorisent les comportements pro-environnementaux dans l’alimentation et le transport.

L’enquête « Conditions de vie des étudiants » reste toutefois limitée : elle ne détaille ni les actions concrètes ni la chronologie des changements, rendant difficile l’évaluation des effets leviers ou rebonds. Toutefois l’éducation, formelle ou informelle, demeure un levier central pour encourager les comportements pro-environnementaux, par la sensibilisation, la diffusion de connaissances et la transmission intergénérationnelle.

Le renforcement de l’éducation environnementale, l’accès gratuit à des ateliers ou conférences, surtout dans les zones défavorisées, illustrent cette voie. D’autres leviers peuvent compléter cette action : sport durable, mobilités actives et politiques sociales réduisant les inégalités.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

04.12.2025 à 15:15

Face à la fonte des glaces de l’Antarctique, le niveau de la mer n’augmente pas au même rythme partout

Shaina Sadai, Associate in Earth Science, Five College Consortium
Ambarish Karmalkar, Assistant Professor of Geosciences, University of Rhode Island
Si mers et océans fonctionnaient comme une immense baignoire, l’eau s’élèverait partout de la même façon. Ce n’est pas ce qui se passe, du fait notamment de la gravité et du rôle du manteau terrestre.
Texte intégral (2205 mots)

Si les mers et les océans fonctionnaient comme une immense baignoire, l’eau s'élèverait partout de la même façon. Ce n’est pas ce qui se passe. La fonte des glaces en Antarctique, influencée par le réchauffement climatique, entraîne une élévation inégale du niveau de la mer, notamment du fait de la gravité et du rôle du manteau terrestre.


Quand les calottes polaires fondent, les effets se répercutent dans le monde entier. La fonte de la glace élève le niveau moyen des mers, modifie les courants océaniques et affecte les températures dans des régions très éloignées des pôles. Mais cette fonte n’influence pas le niveau de la mer et les températures de la même manière partout.

Dans une nouvelle étude, notre équipe de scientifiques a examiné comment la fonte des glaces en Antarctique affecte le climat mondial et le niveau de la mer. Nous avons combiné des modèles informatiques de la calotte glaciaire antarctique, de la Terre et du climat global, incluant les processus atmosphériques et océaniques, afin d’explorer les interactions complexes entre la glace en train de fondre et les autres composantes de la Terre.

Comprendre ce qui arrive à la glace de l’Antarctique est essentiel, car elle contient suffisamment d’eau gelée pour élever le niveau moyen des mers d’environ 58 mètres. Lorsque cette glace fond, cela devient un problème existentiel pour les populations et les écosystèmes des communautés insulaires et littorales.

Changements en Antarctique

L’ampleur de la fonte de la calotte glaciaire antarctique dépendra de l’importance du réchauffement de la planète. Réchauffement qui dépend des futures émissions de gaz à effet de serre provenant notamment des véhicules, des centrales électriques et des industries. Des études suggèrent qu’une grande partie de la calotte glaciaire antarctique pourrait subsister si les pays réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre conformément à l’objectif de l’accord de Paris de 2015 visant à limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Cependant, si les émissions continuent d’augmenter et que l’atmosphère et les océans se réchauffent beaucoup plus, cela pourrait provoquer une fonte importante et des niveaux marins bien plus élevés.

Nos recherches montrent que les fortes émissions présentent des risques non seulement pour la stabilité de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental, qui contribue déjà à l’élévation du niveau de la mer, mais aussi pour la calotte glaciaire de l’Antarctique oriental, beaucoup plus vaste et plus stable. Elles montrent aussi que les régions du monde connaîtront des niveaux différents de montée des eaux à mesure que l’Antarctique fond.

Comprendre l’évolution du niveau de la mer

Si les mers se comportaient comme l’eau dans une baignoire, alors le niveau de l’océan s’élèverait de la même manière partout. Mais ce n’est pas ce qui se passe. Au contraire, de nombreux endroits enregistrent une élévation du niveau de la mer supérieure à la moyenne mondiale, tandis que les zones proches de la calotte glaciaire peuvent même voir le niveau de la mer baisser. La raison principale tient à la gravité.

Les calottes glaciaires sont énormes, et cette masse exerce une forte attraction gravitationnelle qui attire l’eau océanique environnante vers elles, de manière similaire à la façon dont l’attraction gravitationnelle entre la Terre et la Lune influence les marées.

À mesure que la calotte glaciaire diminue, son attraction gravitationnelle sur l’océan diminue, ce qui entraîne une baisse du niveau de la mer dans les régions proches des banquises et une hausse dans les régions plus éloignées. Mais les variations du niveau de la mer ne dépendent pas uniquement de la distance à la calotte glaciaire en train de fondre. Cette perte de glace modifie également la rotation de la planète. L’axe de rotation est attiré vers cette masse de glace disparue, ce qui redistribue à son tour l’eau autour du globe.

Deux facteurs qui peuvent ralentir la fonte

À mesure que la massive calotte glaciaire fond, le manteau terrestre situé en dessous se soulève. Sous le socle rocheux de l’Antarctique se trouve ce manteau, qui s’écoule lentement, un peu comme du sirop d’érable. Plus la calotte glaciaire fond, moins elle exerce de pression sur la Terre solide. Avec ce poids réduit, le socle rocheux peut se soulever. Cela peut éloigner certaines parties de la calotte glaciaire des eaux océaniques réchauffées, ralentissant ainsi le rythme de la fonte. Ce phénomène est plus rapide dans les régions où le manteau s’écoule plus vite, comme sous la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental. Cet effet de rebond pourrait contribuer à préserver la calotte glaciaire – à condition que les émissions mondiales de gaz à effet de serre restent faibles.

Un autre facteur susceptible de ralentir la fonte peut sembler contre-intuitif.

Alors que l’eau de fonte antarctique contribue à l’élévation du niveau de la mer, les modèles montrent qu’elle retarde également le réchauffement induit par les gaz à effet de serre. En effet, l’eau glacée provenant de l’Antarctique réduit la température de surface des océans dans l’hémisphère Sud et le Pacifique tropical, emprisonnant la chaleur dans les profondeurs et ralentissant l’augmentation de la température moyenne globale de l’air.

Mais même si la fonte ralentit, le niveau de la mer continue d’augmenter.

Cartographie de nos résultats sur le niveau de la mer

Nous avons combiné des modèles informatiques simulant ces comportements et d’autres caractéristiques de la calotte glaciaire antarctique, du manteau terrestre et du climat pour comprendre ce qui pourrait arriver au niveau de la mer dans le monde à mesure que les températures globales augmentent et que la glace fond.

Par exemple, dans un scénario modéré où le monde réduit ses émissions de gaz à effet de serre, mais pas suffisamment pour maintenir le réchauffement global en dessous de 2 °C d’ici à 2100, nous avons constaté que l’élévation moyenne du niveau de la mer due à la fonte de la glace antarctique serait d’environ dix centimètres d’ici à 2100. En 2200, elle dépasserait un mètre.

Il faut garder à l’esprit qu’il ne s’agit ici que de l’élévation du niveau de la mer causée par la fonte de l’Antarctique. La calotte glaciaire du Groenland et l’expansion thermique de l’eau de mer due au réchauffement des océans contribueront également à l’élévation du niveau de la mer. Les estimations actuelles suggèrent qu’au total, l’élévation moyenne du niveau de la mer – incluant le Groenland et l’expansion thermique – serait comprise entre 30 centimètres et 60 centimètres d’ici à 2100 dans le même scénario.

Deux cartes de la Terre montrant des niveaux de hausse du niveau de la mer différents
Les modèles indiquent la contribution de l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer en 2200, selon un scénario d’émissions moyen (en haut) et élevé (en bas). L’élévation moyenne mondiale du niveau de la mer est en violet. Les zones où le niveau de la mer dépasse la moyenne régionale apparaissent en bleu foncé. Sadai et coll., 2025

Nous montrons également comment l’élévation du niveau de la mer due à l’Antarctique varie à travers le monde. Dans le scénario d’émissions modérées, nous avons ainsi constaté que la hausse la plus importante du niveau de la mer provenant uniquement de la fonte des glaces antarctiques, jusqu’à 1,5 m d’ici à 2200, se produit dans les bassins océaniques Indien, Pacifique et Atlantique occidental – des régions éloignées de l’Antarctique.

Ces régions abritent de nombreuses populations vivant dans des zones côtières basses, notamment les habitants des îles des Caraïbes, comme la Jamaïque, et du Pacifique central, comme les îles Marshall, qui subissent déjà des impacts néfastes liés à la montée des mers.

Dans un scénario d’émissions élevées, nous avons constaté que l’élévation moyenne du niveau de la mer due à la fonte de l’Antarctique serait beaucoup plus importante : environ 30 centimètres en 2100 et près de 3 mètres en 2200.

Dans ce scénario, une large partie du bassin Pacifique au nord de l’équateur, incluant la Micronésie et Palau, ainsi que le centre du bassin Atlantique, connaîtrait la plus forte élévation du niveau de la mer, jusqu’à 4,3 m d’ici à 2200, uniquement en raison de l’Antarctique.

Bien que ces chiffres puissent sembler alarmants, les émissions actuelles et les projections récentes indiquent que ce scénario d’émissions très élevées est peu probable. Cet exercice montre néanmoins les conséquences graves de fortes émissions et souligne l’importance de les réduire.

Nos conclusions

Ces impacts ont des répercussions sur la justice climatique, en particulier pour les nations insulaires qui ont peu contribué au changement climatique mais subissent déjà les effets dévastateurs de l’élévation du niveau de la mer.

De nombreux États insulaires perdent déjà des terres à cause de la montée des eaux et ont été à l’avant-garde des efforts mondiaux pour limiter le réchauffement. Protéger ces pays et d’autres zones côtières nécessitera de réduire les émissions de gaz à effet de serre plus rapidement que ce à quoi les nations s’engagent aujourd’hui.

The Conversation

Shaina Sadai a reçu des financements de la National Science Foundation et de la Hitz Family Foundation.

Ambarish Karmalkar a reçu des financements de la National Science Foundation.

04.12.2025 à 13:03

L’« effet Lazare », ou quand certains êtres vivants ressurgissent après des millions d’années

Violaine Nicolas Colin, Maitre de conférence en systématique et phylogéographie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
L’« effet Lazare » désigne un phénomène bien plus fréquent qu’on ne le pense : la réapparition de certaines espèces, genres ou familles du vivant que l’on croyait éteintes.
Texte intégral (2259 mots)
Les lézards iguanidés ( ici, _G. longicaudatus_) étaient très répandus et diversifiés en Europe durant l’Éocène (entre 56 millions et 33,9 millions d’années). On les pensait totalement disparus du continent après la transition Éocène-Oligocène. Jusqu’à la découverte, en 2012, de spécimens du genre _Geiseltaliellus_ dans le sud de la France. Chris Woodrich, CC BY

Nommé d’après la figure biblique revenue d’entre les morts, l’« effet Lazare » désigne un phénomène bien plus fréquent qu’on ne le pense : la réapparition de certains groupes d’organismes que l’on croyait éteints.


Tout le monde connaît Lazare, ce personnage du Nouveau Testament que Jésus aurait ramené à la vie. C’est de cette image symbolique qu’est né le terme d’« effet Lazare », utilisé aujourd’hui dans différents domaines de la biologie.

En paléontologie et en phylogénie (l’étude des relations évolutives entre les organismes), il désigne un phénomène fascinant : celui de groupes d’organismes – espèces, genres ou familles – qui semblent avoir disparu pendant des millions d’années si l’on se fie à l’ensemble des fossiles découverts à ce jour, avant de réapparaître comme par miracle.

Le concept a été introduit dans les années 1980 par les scientifiques états-uniens Karl Flessa et David Jablonski, puis affiné par la suite. Toutefois, les scientifiques ne sont pas toujours d’accord sur la manière de le définir : certains, comme Jablonski, y voient une simple absence temporaire dans les archives fossiles pendant un intervalle de temps donné, d’autres le réservent aux retours spectaculaires après les grandes crises d’extinction massive.

Pourquoi ces « résurrections » apparentes ?

L’effet Lazare demeure de fait étroitement lié à la qualité du registre fossile, c’est-à-dire à l’ensemble des fossiles découverts à ce jour, qui n’offre qu’une image partielle du passé de la vie. La fossilisation est un processus rare et sélectif : certains organismes se fossilisent mieux (par exemple, ceux dotés de coquilles ou d’os) et certains milieux (comme les fonds marins) favorisent la conservation des restes biologiques. De plus, les roches peuvent être détruites, transformées ou tout simplement jamais explorées. Résultat : de larges pans de l’histoire du vivant nous échappent encore.

L’absence d’un taxon (unité de genre, de famille ou d’espèce) dans le registre fossile pendant des millions d’années peut donc avoir deux explications :

  • une cause « stratigraphique », autrement dit un trou dans les archives. Le taxon a bien survécu, mais nous n’en avons conservé aucune trace ;

  • une cause « biologique » signifiant qu’il s’agit d’un véritable événement évolutif.

Plusieurs scénarios peuvent alors expliquer cette disparition apparente :

→ Le taxon a pu trouver refuge dans des zones isolées, de petite taille ou mal explorées. Après une longue période d’isolement dans ces refuges, le taxon a ensuite envahi de nouveau son territoire originel et est réapparu dans le registre fossile.

→ Il a pu subsister à très faible densité, en dessous du seuil nécessaire pour laisser des traces fossiles. En dessous de ce seuil, la population reste viable, mais nous n’avons tout simplement aucune trace de son existence. Malheureusement, ce seuil varie selon les environnements et les taxons, et il est quasiment impossible à quantifier.

La distinction entre les alternatives stratigraphique et biologique est souvent difficile. L’intensité des fouilles, la qualité de l’identification des fossiles et le niveau taxonomique (espèce, genre, famille…) jouent tous un rôle crucial dans l’interprétation de ces cas. Il faut aussi noter que l’interprétation de l’effet Lazare est une procédure asymétrique, car l’alternative biologique n’est privilégiée que lorsque l’alternative stratigraphique ne peut être documentée. Par conséquent, les techniques analytiques évaluant l’exhaustivité des archives fossiles sont essentielles pour comprendre la signification des taxons Lazare.

Origines de l’effet Lazare mettant en évidence les alternatives stratigraphique et biologique qui soit empêchent la préservation, soit limitent le nombre de restes préservés encore non découverts en raison d’un échec d’échantillonnage. Adapté de Fara (2001). Fourni par l'auteur

Quand la vie joue à cache-cache : quelques exemples

Une chose reste elle certaine, les exemples de taxons Lazare sont bien moins rares qu’on pourrait le penser.

Les lézards iguanidés, par exemple, étaient très répandus et diversifiés en Europe durant l’Éocène (de -56 millions à -33,9 millions d’années). On pensait qu’ils avaient totalement disparu du continent après la transition Éocène-Oligocène. Pourtant, la découverte, en 2012, de spécimens du genre Geiseltaliellus dans le sud de la France a montré qu’ils avaient survécu quelque temps en faible abondance avant de s’éteindre définitivement, probablement à la fin de l’Oligocène, il y a 23 millions d’années.

Autre cas remarquable : le gastéropode du genre Calyptraphorus. Longtemps considéré comme disparu à la fin de l’Éocène, il a refait surface au Pliocène (de -5,3 millions à -2,6 millions d’années) dans des gisements des Philippines (Asie du Sud-Est), prolongeant son existence fossile d’environ 30 millions d’années ! Cette longévité cachée suggère qu’il aurait survécu discrètement dans des zones refuges du Pacifique tropical.

La redécouverte d’espèces vivantes appartenant à des groupes que l’on pensait éteints constitue une expression rare et spectaculaire de l’effet Lazare. Parmi les exemples les plus emblématiques on peut par exemple citer, le cœlacanthe, véritable icône de l’effet Lazare. Ce poisson, que l’on croyait éteint depuis 66 millions d’années, a été redécouvert vivant en 1938 au large de l’Afrique du Sud (Afrique australe).

Un autre cas remarquable est celui de Laonastes, un petit rongeur découvert en 2005 au Laos, en Asie du Sud-Est, sur les étals d’un marché local de viande sauvage. Au départ, les chercheurs pensaient avoir affaire à une nouvelle famille de rongeurs, qu’ils ont appelée Laonastidæ.

Le kanyou (Laonastes aenigmamus) est un rongeur découvert au Laos dans la province de Khammouane. Décrit en 2005 il est le seul représentant vivant de la famille de Diatomyidæ ; famille que l’on pensait disparue depuis plus de 11 millions d’années
Le kanyou ou khan-you (Laonastes aenigmamus) est un rongeur découvert au Laos, dans la province de Khammouane. Décrit en 2005, il est le seul représentant vivant de la famille des Diatomyidæ ; famille que l’on pensait disparue depuis plus de 11 millions d’années. Jean-Pierre Hugot, CC BY

Cette classification reposait sur des analyses génétiques basées sur un nombre limité de gènes et sur la comparaison de sa morphologie avec celle d’espèces actuelles. Mais un véritable bouleversement scientifique est survenu lorsque les scientifiques ont intégré des fossiles dans leurs analyses morphologiques. En comparant en détail le crâne, la mandibule, les dents et le squelette de Laonastes avec des rongeurs fossiles et actuels, ils ont découvert qu’il appartenait en réalité à la famille des Diatomyidæ, que l’on croyait éteinte depuis plus de 11 millions d’années.

Ces analyses ont également révélé que les plus proches parents actuels de cette famille sont les goundis Ctenodactylus gundi. Des études génétiques plus poussées sur les espèces actuelles ont ensuite confirmé ce lien de parenté entre Laonastes et les goundis, et révélé que ces deux lignées auraient divergé il y a environ 44 millions d’années. Laonastes représente donc un exemple frappant de taxon Lazare.

Pourquoi ces découvertes sont-elles si importantes ?

Les taxons Lazare sont ainsi bien plus que des curiosités de la nature. Ils offrent aux scientifiques des clés uniques pour comprendre l’évolution du vivant, la résilience des espèces face aux crises et surtout les limites du registre fossile.

En phylogénie, leur réapparition peut modifier notre compréhension des liens de parenté entre les espèces, des dates de divergence et d’extinction ou encore de la vitesse d’évolution morphologique.

En paléontologie, ils rappellent à quel point le registre fossile est biaisé et incomplet, et combien il faut être prudent avant de déclarer une espèce « disparue ».

Enfin, les taxons Lazare montrent que la vie ne disparaît pas toujours là où on le croit. Parfois, elle se retire simplement dans l’ombre pour ressurgir des millions d’années plus tard, comme un témoin silencieux de la longue histoire de l’évolution.

Parce que dans les usages de nomenclature biologique, seuls les noms de rangs générique et infra-générique (genre, espèce, sous-espèce) se composent en italique, tandis que les noms de familles et au-dessus (famille, sous-famille, ordre, etc.) se composent en romain. Ainsi, Laonastidæ a parfois été perçu comme un nom de genre par confusion et mis en italique à tort, alors que Diatomyidæ est un nom de famille correctement laissé en romain.

The Conversation

Violaine Nicolas Colin a reçu des financements de l'ANR.

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