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20.11.2025 à 11:22

Pourquoi la transformation numérique n’est pas une voie royale vers la neutralité carbone

Bisrat Misganaw, Associate Professor of Strategy and Entrepreneurship, Neoma Business School
Beniamino Callegari, Associate Professor, Kristiania University College
Mehdi Bagherzadeh, Professeur, Neoma Business School
Présenté comme une des voies vers la neutralité carbone, le numérique n’est pas une solution miracle : il s’accompagne d’un coût environnemental et humain conséquent.
Texte intégral (2280 mots)

Souvent présenté comme un levier indispensable pour décarboner nos économies, le numérique est loin d’être une solution miracle. Derrière ses promesses techniques et économiques se cachent des coûts environnementaux et humains croissants. La planète ne bénéficiera pas nécessairement d’une numérisation massive qui risque, au contraire, d’aggraver notre dépendance en termes de ressources et d’énergie.


Au cours des dernières années, la transformation numérique a souvent été présentée comme nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. Le Forum économique mondial de Davos, par exemple, estimait que le secteur des technologies numériques constitue le levier d’influence « le plus puissant pour accélérer l’action pour limiter la hausse des températures mondiales à moins de 2 °C ».

Lors de la COP29, fin 2024, la déclaration sur l’action numérique verte (Green Digital Action) affirmait « le rôle vital des technologies numériques dans l’action climatique », tout l’enjeu étant d’en tirer parti pour atténuer le changement climatique. Mais dans le même temps, cette même déclaration « prenait note avec inquiétude des effets néfastes pour le climat dus aux […] technologies numériques et aux outils, dispositifs et infrastructures connexes ». Au final, le numérique est-il plutôt porteur de promesses ou de menaces pour l’atteinte des objectifs de neutralité carbone ? La déclaration ne le dit pas.

Dans une étude récente, nous avançons que le problème au cœur de l’idée d’un secteur numérique allié du climat repose sur plusieurs hypothèses clés, discutables à bien des égards.

Certes, il existe déjà – et existera à l’avenir – de nombreux exemples qui montrent que la numérisation peut soutenir la cause de la neutralité carbone. Par exemple, lorsqu’il s’agit de solutions qui permettent des gains d’efficacité énergétique, le pilotage de la production décentralisée d’électricité renouvelable, ou encore lorsqu’elles accélèrent les processus de recherche et développement (R&D).


À lire aussi : Impact environnemental du numérique : l’inquiétant boom à venir


Mais l’argument selon lequel la numérisation de l’économie permettra d’atteindre la neutralité carbone repose sur quatre hypothèses implicites, selon lesquelles elle entraînerait nécessairement :

  • davantage de dématérialisation,
  • des gains d’efficacité énergétique,
  • une réduction des coûts de main-d’œuvre,
  • enfin, des décisions économiques plus respectueuses de l’environnement de la part des acteurs économiques.

Or nous montrons qu’aucune de ces hypothèses n’est réaliste.

Ne pas confondre numérisation et dématérialisation

Le lien entre numérisation et dématérialisation, souvent présenté comme allant de soi, doit être interrogé. En effet, la numérisation s’accompagne d’une dépendance aux infrastructures informatiques aux capteurs électroniques utilisés pour convertir et traiter toujours plus d’information sous forme numérique.

Cela implique de construire de nouvelles infrastructures et de nouveaux appareils informatiques. Ces derniers ont une matérialité : leur fabrication implique d’utiliser des ressources minérales limitées, en particulier des métaux rares. Ce problème est encore amplifié par la dépréciation et l’obsolescence plus rapide des appareils informatiques.

Certes, on pourrait dire que ces frais sont compensés par les avantages supplémentaires générés par les services numériques. Cependant, ces avantages ont eux-mêmes un coût pour l’environnement.


À lire aussi : Pourquoi l’IA générative consomme-t-elle tant d’énergie ?


Cela tient d’abord à leur consommation d’énergie. Par exemple, une seule requête ChatGPT consomme entre 50 et 90 fois plus d’énergie qu’une recherche Google classique. Le fonctionnement des systèmes d’intelligence artificielle (IA) nécessite aussi de grandes quantités d’eau pour le refroidissement des infrastructures informatiques, certains modèles consommant, à large échelle, des millions de litres pendant leurs phases d’entraînement et d’utilisation. Enfin, l’essor des IA génératives pourrait faire croître la demande en cuivre d’un million de tonnes d’ici 2030.

Selon un rapport du ministère de la transition écologique, le secteur du numérique représentait 2,5 % de l’empreinte carbone annuelle de la France et 10 % de sa consommation électrique en 2020. Sans intervention, les émissions de gaz à effet de serre du secteur pourraient croître de plus de 45 % d’ici à 2030. Selon un rapport des Nations unies, en 2022, les data centers du monde entier ont consommé 460 térawattheures d’électricité, soit l’équivalent de la consommation d’électricité annuelle de la France. Il est attendu que cette consommation sera multipliée quasiment par deux en 2026 pour atteindre 1 000 térawattheures.

Les risques d’effet rebond

La promesse de gains d’efficacité énergétique dans le numérique doit également être interrogée, car ces technologies produisent des effets rebond. Les gains d’efficacité font baisser les prix, ce qui augmente la demande, augmentant la consommation d’énergie et la quantité de déchets électroniques produits. La conséquence : une pression accrue sur les limites planétaires.

Ces effets rebond peuvent être directs ou indirects. Un exemple d’effet rebond direct tient à la facilité d’usage des services numériques : en témoigne par exemple l’augmentation constante du nombre de messages en ligne, de visioconférences, de photos et de vidéos stockées sur nos téléphones et/ou dans le cloud, etc.

On peut illustrer l’idée d’effet rebond indirect ainsi : lorsque l’argent, économisé par une entreprise grâce à la réduction des déplacements professionnels (grâce aux réunions virtuelles ou au télétravail), versé sous forme d’augmentations au salarié, lui sert à acheter un billet d’avion pour partir en vacances.

Les cryptomonnaies ont des effets rebond indirects considérables en termes de consommation d’énergie, et donc d’impact climatique. Jorge Franganillo/Flickr, CC BY-SA

Prenons enfin l’exemple des cryptomonnaies, souvent défendues pour leurs avantages en termes de décentralisation financière. Celle-ci s’accompagne d’un coût énergétique élevé : leur consommation d’électricité a dépassé celle de l’Argentine et devrait continuer à augmenter à mesure que la finance décentralisée se développe.

Moins de main-d’œuvre mais davantage d’impacts environnementaux

Le numérique est souvent vu par les décideurs comme une façon de réduire les coûts de main-d’œuvre, et cela dans la plupart des secteurs. La main-d’œuvre a un coût économique, mais elle est également la plus durable de tous les intrants :il s’agit d’une ressource abondante et renouvelable dont l’utilisation n’affecte pas directement les limites de la planète.

La numérisation du travail, si elle permet de réaliser des économies en remplaçant une partie de la main-d’œuvre humaine (et durable) par des machines gourmandes en énergie et en ressources, se fait donc au détriment de l’environnement et amoindrit la durabilité des activités économiques – et non l’inverse.

Même en considérant qu’une partie de la main-d’œuvre déplacée pourrait être absorbée par de nouveaux business models, ces derniers ne seront pas forcément plus durables que les business models d’aujourd’hui. De plus, cela ne ferait que renforcer les tendances actuelles en matière d’inégalités, qui ont des effets délétères sur la durabilité. Une neutralité carbone qui serait atteinte au prix d’un appauvrissement massif de la population et au mépris des objectifs de développement durable des Nations unies paraît inacceptable.

Enfin, l’argument selon lequel le numérique permettrait aux entreprises de prendre des décisions plus soutenables n’est pas fondé. Ces décisions sont prises en tenant d’abord compte de la maximisation des profits, des opportunités de croissance et de l’amélioration de son efficacité en interne, conformément aux structures de gouvernance en place. Les décisions en matière de numérique n’échappent pas à cette règle.

Tant que la maximisation de la valeur pour les actionnaires restera le principe directeur de la gouvernance d’entreprise, il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que la numérisation impulsée par les entreprises privilégie le développement d’une économie neutre en carbone plutôt que les préoccupations de rentabilité. Au contraire, les technologies de l’information semblent avoir jusque-là surtout renforcé les tendances actuelles.

Se méfier du solutionnisme technologique

Les arguments qui précèdent montre que la numérisation en soi ne soutient pas toujours la neutralité carbone. Comme toutes les innovations majeures, elle permet d’élargir l’éventail des possibles au plan économique. Cela signifie qu’il existe des opportunités significatives d’investissements durables et transformateurs.

Mais il convient de se méfier des solutions purement technologiques aux problèmes de durabilité, même si elles sont réconfortantes car elles n’impliquent aucun changement réel du statu quo. Ce faux sentiment de sécurité est pourtant précisément ce qui nous a conduits collectivement à épuiser les limites planétaires.

Le numérique peut soutenir la transition verte, mais, pour que ses opportunités puissent être exploitées, un véritable changement dans les processus décisionnels doit s’opérer. Pour l’heure, les États et quelques entreprises restent les seuls niveaux auxquels ces décisions sont prises. En d’autres termes, nous avons besoin d’un déclic collectif pour mieux appréhender les liens entre technologie, énergie et société, sans quoi atteindre la neutralité carbone grâce au numérique ne restera qu’un vœu pieux.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

19.11.2025 à 16:23

Sols appauvris : l’autre menace qui pèse sur l’agriculture ukrainienne

Mark Sutton, Honorary Professor in the School of Geosciences, University of Edinburgh
Sergiy Medinets, Biogeochemist, UK Centre for Ecology & Hydrology
Alors que l’Ukraine tente de maintenir sa production agricole malgré la guerre, ses sols souffrent d’un manque d’intrants. Une dégradation rapide qui peut avoir des conséquences mondiales…
Texte intégral (1631 mots)
Un usage du fumier plus efficace fait partie des mesures proposées pour lutter contre l’appauvrissement des sols ukrainiens. Oleksandr Filatov/Shutterstock

L’Ukraine a longtemps été l’un des piliers de l’approvisionnement alimentaire mondial, mais la guerre et des décennies de déséquilibres dans l’usage des engrais ont profondément appauvri ses sols. Une crise silencieuse qui menace la reprise agricole du pays.


Pendant des décennies, l’Ukraine était connue comme le grenier du monde. Avant l’invasion russe de 2022, elle figurait parmi les principaux producteurs et exportateurs mondiaux d’huile de tournesol, de maïs et de blé. Ces productions contribuaient à nourrir plus de 400 millions de personnes. Mais derrière l’enjeu actuel des blocus céréaliers se cache une crise plus profonde et plus lente : l’épuisement même des nutriments qui rendent si productive la terre noire d’Ukraine.

Alors que la guerre a attiré l’attention mondiale sur les chaînes d’approvisionnement alimentaires de l’Ukraine, on sait bien moins de choses sur la durabilité des systèmes agricoles qui les sous-tendent. Si on ne se penche pas rapidement sur l’état de son sol, le pays pourrait perdre son rôle d’acteur majeur de la production alimentaire. Et cela pourrait avoir des conséquences bien au-delà de ses frontières.

Pour nos recherches, nous avons examiné la gestion des intrants dans l’agriculture ukrainienne au cours des 40 dernières années et constaté un renversement spectaculaire. Pendant l’ère soviétique, les terres agricoles ukrainiennes étaient suralimentées en engrais. Des intrants comme l’azote, le phosphore et le potassium étaient appliqués à des niveaux bien supérieurs à ce que les cultures pouvaient absorber. Cela a engendré une pollution de l’air et de l’eau.


À lire aussi : Crimes contre l’environnement dans la guerre en Ukraine : que dit le droit ?


Mais depuis l’indépendance en 1991, le balancier est reparti dans la direction opposée. L’usage d’engrais, en particulier le phosphore et le potassium, s’est effondré à mesure que les importations diminuaient, que le cheptel déclinait (réduisant la disponibilité du fumier) et que les chaînes d’approvisionnement se désagrégeaient. En 2021, juste avant l’invasion, les sols ukrainiens montraient déjà des signes de fatigue. Les agriculteurs apportaient beaucoup moins de phosphore et de potassium que ce que les cultures prélevaient, environ 40 à 50 % de phosphore en moins et 25 % de potassium en moins, et la matière organique des sols avait chuté de près de 9 % depuis l’indépendance.

Dans de nombreuses régions, les agriculteurs utilisaient trop d’azote, mais souvent pas assez de phosphore et de potassium pour maintenir la fertilité à long terme. En outre, bien que le cheptel ait fortement diminué au cours des dernières décennies, notre analyse montre qu’environ 90 % du fumier encore produit est gaspillé. Cela équivaut à environ 2,2 milliards de dollars américains (1,9 milliard d’euros) d’engrais chaque année. Ces déséquilibres ne sont pas seulement un enjeu national. Ils menacent la productivité agricole de l’Ukraine à long terme et, par extension, l’approvisionnement alimentaire mondial qui en dépend.

La guerre a nettement aggravé le problème. L’invasion russe a perturbé les chaînes d’approvisionnement en engrais et endommagé des installations de stockage. Les prix des engrais ont flambé. De nombreux agriculteurs ont volontairement réduit leurs apports en engrais en 2022-2023 pour limiter les risques financiers, sachant que leurs récoltes pouvaient être détruites, volées ou rester invendue si les circuits d’exportation étaient fermés.

Nos nouvelles recherches mettent en lumière une tendance inquiétante au niveau national. En 2023, les cultures récoltées ont prélevé dans le sol jusqu’à 30 % d’azote, 80 % de phosphore et 70 % de potassium de plus que ce qu’elles recevaient via la fertilisation, les microbes du sol et l’air (y compris ce qui tombe avec la pluie et ce qui se dépose depuis l’atmosphère). Si cette tendance se confirme, le sol ukrainien, réputé pour sa fertilité, pourrait subir une dégradation durable, compromettant la capacité du pays à se relever et à approvisionner les marchés alimentaires mondiaux une fois la paix revenue.

Reconstituer la fertilité des sols

Certaines solutions existent et beaucoup sont réalisables même en temps de guerre. Notre équipe de recherche a élaboré un plan pour les agriculteurs ukrainiens qui pourrait rapidement faire la différence. Ces mesures pourraient améliorer sensiblement l’efficacité des intrants et réduire les pertes, en maintenant des exploitations productives et rentables tout en limitant la dégradation des sols et la pollution environnementale.

Ces solutions s’appuient sur :

  1. Une fertilisation de précision – appliquer les engrais au bon moment, au bon endroit et en bonne quantité afin de répondre efficacement aux besoins des cultures.

  2. Une meilleure valorisation du fumier – mettre en place des systèmes locaux pour collecter le fumier excédentaire et le redistribuer à d’autres exploitations, réduisant ainsi la dépendance aux engrais de synthèse (importés).

  3. Un meilleur usage des engrais – utiliser des engrais à l’efficacité renforcée, qui libèrent les nutriments lentement, limitant les pertes dans l’atmosphère ou dans l’eau.

  4. La plantation de légumineuses (comme les pois ou le soja). Les intégrer dans les rotations améliore la santé des sols tout en apportant naturellement de l’azote.

Certaines de ces actions nécessitent des investissements, notamment pour créer de meilleures installations de stockage et pour améliorer le traitement ou l’application du fumier sur les parcelles. Mais beaucoup peuvent être mises en œuvre, au moins partiellement, sans avoir à injecter d’argent. Le fonds de relance de l’Ukraine, soutenu par la Banque mondiale pour aider le pays une fois la guerre terminée, inclut l’appui à l’agriculture et il pourrait jouer, ici, un rôle essentiel.

Pourquoi est-ce important au-delà de l’Ukraine ?

La crise des intrants en Ukraine est un avertissement pour le monde. Une agriculture intensive et déséquilibrée, qu’il s’agisse d’un usage excessif, insuffisant ou inadapté des engrais, n’est pas durable. Une mauvaise gestion contribue à l’insécurité alimentaire comme à la pollution de l’environnement.

Nos travaux s’inscrivent dans le cadre du futur International Nitrogen Assessment, attendu en 2026, qui soulignera la nécessité d’une gestion mondiale efficace de l’azote et présentera des solutions concrètes pour maximiser les bénéfices de l’azote : amélioration de la sécurité alimentaire, résilience climatique, qualité de l’eau et de l’air.

Soutenir les agriculteurs ukrainiens offre l’occasion non seulement de reconstruire un pays, mais aussi de transformer l’agriculture mondiale afin de contribuer à un avenir plus résilient et durable.


À lire aussi : Les politiques climatiques, ces autres victimes de la guerre de Poutine en Ukraine


The Conversation

Mark Sutton travaille pour le UK Centre for Ecology & Hydrology, basé à sa station de recherche d’Édimbourg. Il est professeur honoraire à l’Université d’Édimbourg, au sein de l’École des géosciences. Il reçoit des financements de UK Research and Innovation (UKRI) via son Global Challenges Research Fund (GCRF), du ministère britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales (Defra), du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Il est directeur du Système international de gestion de l’azote (INMS), financé par le FEM/PNUE, ainsi que du South Asian Nitrogen Hub du GCRF. Il est coprésident du groupe de travail de la CEE-ONU sur l’azote réactif (TFRN) et du Partenariat mondial pour la gestion des nutriments (GPNM), convoqué par le PNUE.

Sergiy Medinets reçoit des financements de UKRI, de Defra, de DAERA, de la British Academy, du PNUE, du FEM, du PNUD et de l’UE.

19.11.2025 à 14:57

Comment les spectateurs des événements sportifs réagissent-ils face aux sponsors « polluants » ?

Michel Desbordes, Professeur des Universités, Faculté des sciences du sport, Université Paris-Saclay
Björn Walliser, Professeur des universités, Université de Lorraine
Nouveau dilemme des organisateurs d’évènements sportifs, comme les JO et l’UTMB : trouver l’équilibre entre critères financiers, grâce aux marques comme Coca-Cola ou Dacia, et critères environnementaux.
Texte intégral (1712 mots)
Les critiques ont été légion sur le partenariat entre Coca-Cola et les Jeux olympiques et paralympiques 2024. HenrySaintJohn/Shutterstock

La présence de Coca-Cola aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 et celle de Dacia à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) ont cristallisé les critiques. Ce qui est en jeu pour les organisateurs d’évènements sportifs : trouver un équilibre entre critères financiers, avec l’apport de ces marques commerciales, et environnementaux.


Alors que les grands événements sportifs internationaux (GESI) affichent des objectifs environnementaux ambitieux, la cohérence entre ces engagements et le choix des sponsors deviennent cruciaux.

Comment le mesurer ? Avec Maël Besson, fondateur d’une agence en transition écologique du sport, et l’agence The Metrics Factory, nous avons étudié les perceptions en ligne, principalement sur les réseaux X et YouTube, de deux partenariats – Coca-Cola pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, et Dacia pour l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB).

Notre analyse souligne que les marques perçues comme « polluantes » peuvent affaiblir durablement l’image d’écoresponsabilité des événements qu’elles financent. Les critères environnementaux ne sont plus des variables secondaires ; ils déterminent l’acceptabilité et la légitimée de la tenue même de l’évènement.

Virage écologique du sponsoring sportif

Dans le cadre de notre étude, nous avons analysé 28 des principaux travaux liant responsabilité sociale et sponsoring sportif entre 2001 et 2024. Nous observons que, longtemps centré sur la visibilité et la performance, le sponsoring sportif se transforme.

Sous l’effet conjugué des attentes citoyennes, de la pression réglementaire et des impératifs climatiques, la question de l’impact environnemental s’invite au cœur des stratégies de partenariat. Une marque ne peut plus se contenter de saturer un événement avec son logo. Elle doit prouver qu’elle partage ses valeurs, notamment en matière de durabilité.

Entre discours marketing et réalité mesurable, le fossé est parfois béant. Notre recherche a révélé un paradoxe frappant. La responsabilité sociale des entreprises dans le sport est surtout abordée sous l’angle économique – intention d’achat, notoriété, image de marque –, tandis que les impacts environnementaux sont largement ignorés.

Coca-Cola et Paris 2024

Coca-Cola a été partenaire des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. RobFuller/Shutterstock

À première vue, les organisateurs des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ont multiplié les initiatives pour réduire l’impact environnemental de l’évènement : sobriété, sites réutilisés, compensation carbone, végétalisation de l’alimentation, sensibilisation des spectateurs, « interdiction » à TotalEnergies d’être partenaire, mobilités douces, 100 % des sites accessibles en transports publics, etc. Pourtant, la présence de Coca-Cola parmi les sponsors a cristallisé les critiques.

Selon notre analyse des réseaux sociaux X et YouTube, plus d’un tiers des messages associant Coca-Cola, Paris 2024 et l’environnement exprime un sentiment négatif.

Plus grave encore : Coca-Cola est mentionnée dans 56 % des publications critiques à l’égard de l’impact écologique des Jeux, représentant 63 % des impressions générées. En clair, pour beaucoup d’internautes, la présence de la marque incarne à elle seule l’incohérence entre les ambitions écologiques des Jeux et la mise en avant d’un sponsor vécu comme non écologique.

Le reproche principal, toujours selon notre étude, est la production massive de bouteilles en plastique à usage unique, perçue comme incompatible avec un discours de sobriété environnementale. Cette dissonance nourrit un sentiment de greenwashing, où l’écologie devient un simple vernis pour des pratiques peu vertueuses.

UTMB et Dacia : un impact durable sur l’image

Du côté de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, l’impact du partenariat avec Dacia, constructeur automobile, a été durablement négatif. Un an et demi après une polémique très médiatisée, le partenariat – contrat de naming de l’évènement – n’a pas été renouvelé. Notre étude montre qu’un tiers des messages environnementaux sur l’UTMB restent critiques, et que plus de 80 % de ces critiques portent toujours sur le sponsoring par Dacia.


À lire aussi : Sport, nature et empreinte carbone : les leçons du trail pour l’organisation des compétitions sportives


Malgré le temps passé et les nombreuses actions en faveur de la préservation de l’environnement mis en place par l’organisateur selon leur plan d’engagement, la perception négative demeure. Elle démontre que certains partenariats peuvent laisser une trace durable dans la mémoire collective, bien au-delà de la période de l’événement lui-même.

Loi Evin climat

L’un des enseignements majeurs de notre étude : la cohérence perçue devient une nouvelle norme de légitimité. L’impact négatif d’un partenariat ne se mesure plus uniquement à des données d’émissions, mais à sa capacité à convaincre les parties prenantes – citoyens, élus, ONG, médias – de sa sincérité.

Le sport reproduit une dynamique déjà connue dans le domaine de la santé publique dans les années 1980. Comme pour le tabac ou l’alcool, l’acceptabilité sociale de certains sponsors diminue. Faut-il, dès lors, envisager une « loi Evin pour le climat » interdisant la présence de marques à forte empreinte carbone dans les stades et les événements ?

Montée des exigences des parties prenantes

Au-delà des réactions du grand public analysées dans ces deux études de cas, les exigences environnementales montent chez tous les acteurs du sport.

Chez les sponsors eux-mêmes

Selon l’association Sporsora qui regroupe 280 acteurs du monde du sport, le groupe Accor s’assure que ses nouveaux partenariats soient en cohérence avec ses propres engagements climatiques. Onet exclut catégoriquement toute pratique sportive trop polluante.

Dans le champ des médias

France Télévisions a cessé de diffuser le rallye Dakar (au bénéfice de l’Équipe), invoquant entre autres l’incompatibilité entre l’image de l’évènement et les attentes exigeantes des téléspectateurs.

Pour les collectivités locales

Nous pouvons citer le rejet du sponsor TotalEnergies un temps envisagé pour les JOP 2024 par la Ville de Paris.

Face à la pression sociale croissante, le modèle du sponsoring sportif est à un tournant. Ignorer les enjeux écologiques, ou s’y attaquer de façon purement cosmétique, expose les marques et les organisateurs à des risques réputationnels majeurs, à un rejet du public et à des contraintes institutionnelles nouvelles.

Il est primordial que les partenariats sportifs s’alignent sincèrement avec les limites planétaires.


Cet article a été co-rédigé avec Maël Besson, expert en transition écologique du sport, fondateur de l’agence SPORT 1.5.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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