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24.06.2025 à 17:16
BD : L’Héritage du dodo (épisode 9)
Texte intégral (815 mots)

La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Au programme de l’épisode 9, le sauvetage d’espèces menacées.
L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…
On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !
Retrouvez ici le neuvième épisode de la série !
Ou rattrapez les épisodes précédents :
Épisode 1
Épisode 2
Épisode 3
Épisode 4
Épisode 5
Épisode 6
Épisode 7
Épisode 8
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Une BD de Franck Courchamp & Mathieu Ughetti
Qui sommes-nous ?
Republication des planches sur support papier interdite sans l’accord des auteurs
Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.

Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.
Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
24.06.2025 à 09:07
Maladie de Parkinson : les limites des alternatives à l’expérimentation animale
Texte intégral (990 mots)

L’expérimentation animale fait débat. La recherche scientifique est-elle prête à se passer des animaux ? Les alternatives sont-elles suffisantes ? Colin Deransart, Bertrand Favier, Sabrina Boulet et Véronique Coizet de l’Université Grenoble Alpes prennent l’exemple de la maladie de Parkinson. Voici une version courte de leur article publié sur notre site le 28 avril 2025
Régulièrement critiquée, l’expérimentation animale reste nécessaire pour améliorer nos connaissances sur certaines pathologies. Par exemple la maladie de parkinson, qui touche plus de 270 000 personnes en France. Son diagnostic est souvent posé trop tard pour envisager des traitements curatifs.
Notre équipe travaille à identifier des marqueurs précoces de la maladie. L’enjeu, à terme, est de pouvoir prendre en charge les patients avant que les dommages soient irréversibles. L’expérimentation animale permet alors de compléter les données obtenues chez l’humain.
En 1959, les biologistes William Russel et Rex Burch ont proposé la « règle des 3 R » pour encadrer l’éthique de l’expérimentation animale : remplacer, quand c’est possible, l’utilisation d’animaux par des modèles alternatifs, réduire le nombre d’animaux requis et enfin raffiner les expérimentations pour minimiser les contraintes imposées aux animaux (douleur, souffrance, angoisse…).
Dans nos recherches, nous recourons à trois modèles animaux distincts : deux sur le rat et un sur le macaque. Cela peut sembler contraire à la dernière règle, mais cela permet de recouper les données et d’augmenter leur transposabilité à l’humain. Le premier portait ainsi sur des rats traités par une neurotoxine ciblant les neurones producteurs de dopamine. Le second s’intéressait à la production d’une protéine délétère, afin d’étudier la nature progressive de la maladie. Dans le troisième une injection de neurotoxine permettait de reproduire l’évolution des phases cliniques de la maladie, avec une plus grande homologie avec l’humain.
Chaque modèle animal reproduit ainsi un stade précis de la maladie et en constitue bien sûr une simplification. Ceci a permis d’identifier six métabolites potentiellement liés au processus neurodégénératif. En les combinant, on obtient un biomarqueur métabolique composite. En le recherchant chez des patients récemment diagnostiqués mais pas encore traités, on remarque qu’il permet de les distinguer de patients sains. À la clé, la perspective de mieux suivre l’évolution de la maladie de façon moins contraignante que les méthodes d’imagerie médicale actuelle, et un espoir thérapeutique : la dérégulation de plusieurs de ces métabolites pourrait être partiellement corrigée par un médicament mimant les effets de la dopamine.
Au-delà de ces avancées, les détracteurs de l’expérimentation animale mettent souvent en avant la faible transposabilité des résultats de l’animal à l’homme pour justifier le recours exclusif aux modèles in vitro ou in silico (numériques). Or, il n’a pas été démontré que la transposabilité de ces tests soit meilleure en l’état actuel des techniques. Ils sont en réalité les premiers cribles de l’ensemble des tests préclinique, tandis que la contribution des animaux en fin de phase préclinique permet d’exclure 40 % de candidats médicaments, notamment sur la base de risques chez l’humain. Cela permet de garantir des soins de qualité.
Et cela avec un impact limité : on estime qu’au cours de sa vie, un Français moyen ne « consommera » que 2,6 animaux de laboratoire, à comparer aux 1298 animaux consommés pour se nourrir.

Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Colin Deransart, Bertrand Favier, Sabrina Boulet et Véronique Coizet de l'Université Grenoble Alpes. Colin Deransart a reçu des financements de la Ligue Française Contre les Epilepsies, des Laboratoires GlaxoSmithKline, de la Fondation Electricité de France, de l'ANR et d'un Programme Hospitalier de Recherche Clinique. Bertrand Favier est membre de l'AFSTAL. Sa recherche actuelle est financée par l'ANR et la Société Française de Rhumatologie en plus de son employeur. Boulet sabrina a reçu des financements de l'ANR, la Fondation de France, la fondation pour la Rechercher sur le Cerveau, la fondation France Parkinson. Véronique Coizet a reçu des financements de l'ANR, la fondation France Parkinson, la Fondation de France. Elle est présidente du comité d'éthique de l'Institut des Neurosciences de Grenoble et membre du comité Santé et bien-être des animaux.
23.06.2025 à 17:07
Qu’est-ce que la « civilisation écologique » que revendique le pouvoir chinois ?
Texte intégral (2357 mots)

Depuis 2007, les dirigeants chinois affirment mettre en place une « civilisation écologique ». Lorsque l’on regarde la décarbonation comme la réduction des gaz à effet de serre, alors que les États-Unis reculent, la Chine, elle avance… mais vers quelle écologie ?
Le 23 avril 2025, lors de la réunion des dirigeants sur le climat et la transition juste, [organisée par le président du Brésil Luiz Inácio Lula da Silva et le secrétaire général de l’ONU António Guterres, ndlr], Xi Jinping appelait à défendre « le système international centré sur l’ONU » et à « tenir le cap du développement vert et bas carbone », dénonçant au passage les grandes puissances qui « s’obstinent à porter l’unilatéralisme et le protectionnisme ».
Dans un contexte où les États-Unis annoncent, pour la seconde fois, leur retrait de l’accord de Paris, la Chine se présente comme une actrice centrale de la transition verte, promettant la neutralité carbone d’ici 2060 et faisant de la « civilisation écologique » la nouvelle boussole de son développement.
Mais que se cache réellement derrière cette expression, si souvent mentionnée dans les discours officiels ? Est-ce le signe d’une prise en compte accrue des enjeux environnementaux ? ou bien l’expression d’une vision stratégique, dans laquelle écologie, développement et gouvernance sont étroitement articulés ? Retour sur ce terme devenu un des piliers du pouvoir chinois actuel.
Un concept né dans l’urgence environnementale
La notion de « civilisation écologique » apparaît pour la première fois dans les discours du Parti communiste chinois (PCC) sous la présidence de Hu Jintao, en 2007. À l’époque, le concept est encore flou, mais il renvoie déjà à une réalité bien concrète : une Chine confrontée à une crise environnementale sans précédent.
De fait, plus de 60 % des grands fleuves sont gravement pollués, 90 % des cours d’eau urbains contaminés, et plus de 300 millions de personnes n’ont pas accès à une eau potable sûre. Les « villages cancers » se multiplient, les mobilisations contre les barrages, les incinérateurs ou les complexes chimiques inquiètent les autorités. En 2013, un haut responsable du Parti reconnaît publiquement que les questions environnementales sont devenues l’une des principales causes des « incidents de masse », ces protestations collectives inquiètent le pouvoir central.
Selon Yang Chaofei, vice-président de la Société chinoise des sciences de l’environnement, les conflits environnementaux augmentaient déjà de 29 % par an entre 1996 et 2011, et si le gouvernement cesse rapidement de publier les chiffres, les estimations de Sun Liping, professeur à l’Université Tsinghua, évoquent jusqu’à 180 000 protestations en 2010, dont une part importante liée à l’environnement.
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Transformer une urgence en projet national
Dans ce contexte, la notion de « civilisation écologique » ne naît pas d’une révélation éthique soudaine mais d’une tentative de réponse politique à une crise sociale et écologique devenue impossible à ignorer. Le China Daily, quotidien officiel en langue anglaise publié par le gouvernement chinois, avertit dès 2007 que ce concept ne doit pas rester un slogan, mais un moteur de changement réel.
Longtemps restée périphérique, l’idée prend de l’ampleur à partir de 2012 lorsque Hu Jintao, à la tête de la Chine de 2003 à 2013, inscrit la « civilisation écologique » parmi les cinq grandes missions stratégiques du Parti, aux côtés du développement économique, politique, social et culturel. Mais c’est sous Xi Jinping, qui lui a succédé et qui est toujours au pouvoir aujourd’hui, qu’elle devient un levier central de gouvernance.
Elle est ainsi intégrée au 13e plan quinquennal en 2015, érigée en objectif stratégique au 19e Congrès du Parti en 2017, puis inscrite dans la Constitution en 2018.
L’écologie au service de la modernisation socialiste
Xi Jinping la place également dans une lecture historique continue de la modernisation chinoise : Mao aurait permis le passage de la civilisation agricole à la civilisation industrielle, Deng Xiaoping, à la tête du régime chinois de 1978 à 1989, aurait instauré une civilisation matérielle, et lui-même porterait désormais une civilisation écologique.
Mais cette écologie ne vise pas à ralentir la croissance. Elle sert au contraire à la rediriger vers : les énergies renouvelables, les hautes technologies vertes, les industries dites « propres », les zones expérimentales, les villes intelligentes. La Chine veut devenir une puissance verte, capable de combiner développement économique, stabilité sociale et rayonnement international.
Concrètement, cette stratégie s’est traduite par des investissements massifs dans les infrastructures vertes. À elle seule, la Chine représente désormais un tiers des capacités mondiales en énergies renouvelables. En 2024, elle a battu un record en installant 357 gigawatts (GW) de solaire et d’éolien, franchissant ainsi, dès maintenant, son objectif de 1 200 GW fixé pour 2030, avec six ans d’avance. Cette progression fulgurante correspond à une hausse annuelle de 45 % pour le solaire et de 18 % pour l’éolien.
Cette expansion a permis de compenser une grande partie de la croissance énergétique, si bien que les émissions de CO2 sont restées inférieures à celles de l’année précédente pendant dix mois consécutifs, malgré une hausse annuelle globale estimée à 0,8 %. Ce rebond s’explique par la reprise post-Covid et une demande exceptionnelle en début d’année, notamment liée à des vagues de chaleur record qui ont perturbé la production hydroélectrique, forçant le recours accru au charbon. Mais ce succès masque une autre réalité : l’effort climatique chinois reste avant tout technocentré, peu redistributif, et fortement dépendant de logiques industrielles lourdes, comme le charbon ou la chimie, qui continuent de croître.
Le système national d’échange de quotas d’émissions (ETS), lancé en 2021, est déjà le plus grand du monde en volume couvert. En 2024, la Chine a représenté près de 60 % des ventes mondiales de voitures électriques. Elle produit environ 75 % des batteries lithium-ion mondiales.
Si certains analystes estiment que la Chine pourrait avoir atteint son pic d’émissions en 2024, les autorités, elles, maintiennent le cap officiel d’un pic « avant 2030 » et n’ont pour l’heure annoncé aucune inflexion.
Dans son allocution de 2025 sur la transition juste, Xi associe transition climatique, réduction des inégalités et leadership global. Ce discours achève de consacrer la « civilisation écologique » non seulement comme un objectif de politique publique, mais comme un projet de civilisation, intégré à la trajectoire historique du Parti et présenté comme la voie chinoise vers la modernité durable.
Comprendre la « civilisation écologique » aujourd’hui
Aujourd’hui, la « civilisation écologique » fait partie intégrante du socle idéologique du régime chinois sous Xi Jinping. Si le terme peut paraître abstrait, voire poétique, il renvoie pourtant à un projet très concret, qui structure les politiques publiques, les plans de développement, les discours diplomatiques et l’appareil doctrinal du Parti.
À lire aussi : Lancement de la mission Tianwen-2 : comprendre la politique spatiale de la Chine. Une conversation avec Isabelle Sourbès-Verger
Il ne s’agit pas d’une écologie citoyenne ou militante, encore moins participative. La « civilisation écologique » telle qu’elle est pensée en Chine propose une transition verte entièrement pilotée par l’État, centralisée, planifiée, hiérarchisée. Elle promet un verdissement du développement sans en transformer les fondements productivistes ni ébranler le monopole du Parti : c’est une transition par le haut, sans rupture. La nature y est conçue comme une ressource stratégique, un capital à valoriser, un levier d’accumulation et de puissance nationale.
Dans ce cadre, protéger l’environnement ne signifie pas ralentir le développement, mais le réorienter. Le mot d’ordre est de produire autrement, pas moins. Miser sur les technologies vertes, les « zones modèles », les villes intelligentes, à l’image de la nouvelle ville de Xiong’an, conçue comme un laboratoire de modernité écologique par les autorités. Une réorganisation qui, tout en intégrant le vocabulaire écologique, préserve les logiques productivistes.
Si l’on peut observer et commenter toute cette mise en action, il n’existe cependant pas, à proprement parler, de définition unique de ce qu’est la « civilisation écologique » dans les textes officiels. Plusieurs tentatives de clarification ont cependant vu le jour dans les médias proches du pouvoir ou dans les textes de vulgarisation. En 2018, un article publié sur des médias officiels la présentent comme une étape éthique et culturelle succédant à la civilisation industrielle. Elle y est décrite comme fondée sur l’harmonie entre l’homme, la nature et la société, et sur une transformation profonde des modes de vie, de production et de gouvernance. Cette vision dépasse le simple cadre chinois : elle se veut universelle, mais en partant d’une base nationalement définie.
Dans ses discours récents, Xi Jinping affirme lui que la civilisation écologique représente la quatrième grande transformation de l’histoire humaine, après les civilisations primitive, agricole et industrielle. Elle naîtrait de la crise écologique mondiale engendrée par l’industrialisation et proposerait un nouveau paradigme, qui n’abolit pas l’industrie, mais l’intègre dans une logique écologique de long terme.
Dans les discours officiels, ce tournant est présenté comme une contribution intellectuelle au marxisme contemporain. Xi insiste sur le fait que la nature ne doit plus être considérée uniquement comme un décor ou une ressource passive, mais comme une force productive à part entière. Le slogan désormais célèbre selon lequel « les eaux limpides et les montagnes verdoyantes sont des montagnes d’or et d’argent » devient dans ce cadre une véritable théorie de la valeur écologique.
La richesse ne se mesure plus uniquement en production humaine, mais aussi en valeur ajoutée naturelle. Une forêt non exploitée, un fleuve propre, un écosystème équilibré deviennent des actifs économiques valorisables. Cette idée traverse aujourd’hui les discours sur la finance verte, la comptabilité environnementale, ou les marchés du carbone, qui prennent une place croissante dans les politiques publiques chinoises. L’instauration en 2021 d’un réseau national de parcs, dont celui du panda géant ou de la forêt tropicale de Hainan, illustre cette volonté de faire du vivant un capital à la fois écologique, économique et symbolique.
Une écologie d’État aux contours mouvants
La « civilisation écologique » n’est donc pas simplement un concept environnemental parmi d’autres. C’est une forme de gouvernance verte aux contours mouvants, qui mêle planification, contrôle, innovation technologique et ambition civilisationnelle. Elle combine gestion centralisée, récit de puissance, et ambitions géopolitiques.
La « civilisation écologique » est autant une promesse de durabilité qu’un projet de souveraineté verte destiné à concurrencer les modèles occidentaux. Mais son avenir, comme celui de la transition écologique mondiale, reste suspendu à une question centrale : jusqu’où peut-on verdir un modèle de développement sans en changer les fondements ?

Virginie Arantes a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique – FNRS (Belgique).
22.06.2025 à 12:15
Éclairer la ville ou protéger la biodiversité : faux dilemme
Texte intégral (3132 mots)

La pollution lumineuse a de nombreux effets délétères. Elle menace la biodiversité, la santé humaine et même les observations astronomiques. Pour être efficaces, les mesures mises en place doivent toutefois dépasser l’opposition binaire entre éclairage ou extinction des feux. L’enjeu est de s’adapter à chaque situation locale.
La pollution lumineuse a considérablement augmenté ces dernières années (d’au moins 49 % entre 1992 et 2017) et continue de croître à un rythme alarmant (7 à 10 % par an). Cette progression rapide est due à la multiplication des sources de lumière artificielle, née de l’expansion urbaine et des changements dans le spectre lumineux des éclairages (couleurs plus froides qui affectent davantage les insectes, par exemple). L’effet rebond du passage à la technologie LED, qui permet d’éclairer davantage pour le même coût, aggrave la situation en multipliant les points lumineux.
Or, la lumière artificielle nocturne a de nombreux effets néfastes, désormais bien démontrés par la communauté scientifique. Elle pèse sur la biodiversité, sur la santé humaine, sur la recherche en astronomie et même, indirectement, sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) du fait de la consommation d’énergie accrue que représente l’éclairage.
Les discours autour de l’éclairage sont aujourd’hui réduits à une logique de « tout ou rien » selon que l’on cherche à privilégier les résidents ou la biodiversité. Dépasser cette binarité est tout l’enjeu de l’étude que nous avons publiée dans Nature Cities.
Celle-ci montre que des compromis entre biodiversité et société sont possibles, mais qu’aucune politique uniforme ne sera efficace. Seule une politique d’éclairage nocturne pensée au niveau local, pour chaque point d’éclairage, adaptée au contexte environnemental et social, permettra de concilier les besoins des uns et des autres. Ceux-ci sont parfois concomitants, et parfois antagonistes.
Les multiples ravages de la pollution lumineuse
En matière de biodiversité, tout d’abord, les éclairages nocturnes perturbent une large gamme de taxons (groupes d’espèces) nocturnes comme diurnes.
Ils masquent en effet les cycles naturels d’alternance jour-nuit. La nuit constitue un habitat pour les espèces nocturnes – et représente un temps de repos pour les espèces diurnes. La nuit représente en quelque sorte une face cachée trop souvent oubliée des politiques environnementales.
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Les effets de la pollution lumineuse sur la biodiversité ont pourtant été documentés à différents niveaux : à l’échelle individuelle (altérations de la physiologie, du comportement reproductif, alimentaire ou d’orientation), à l’échelle communautaire (impacts sur les interactions de compétition et de prédation), et même à l’échelle des écosystèmes. Elle affecte par exemple les processus de pollinisation, la diversité des plantes ou encore le fonctionnement des récifs coralliens tempérés et tropicaux.
Mais la pollution lumineuse représente aussi un enjeu de santé publique. Elle interfère avec les rythmes circadiens et la production de mélatonine chez l’humain, affectant ainsi les cycles de sommeil, l’éveil, les habitudes alimentaires et le métabolisme.
Elle interfère aussi avec les observations astronomiques en diminuant la visibilité des étoiles à l’œil nu. De 250 aujourd’hui en moyenne, elle pourrait chuter à seulement 100 d’ici dix-huit ans. Lorsqu’on ne peut admirer que 200 étoiles dans une ville comme Milan (Italie), un lieu non pollué en offre à nos yeux environ 2 000. Non seulement cette disparition détériore les observations scientifiques astronomiques, mais elle abîme aussi le lien culturel qui nous unit à la nuit.

Enfin, l’éclairage associé à la pollution lumineuse est une source de consommation excessive d’énergie qui génère des émissions de CO2. La consommation énergétique liée à l’éclairage artificiel représente environ 2 900 térawattheures (TWh), soit 16,5 % de la production mondiale annuelle d’électricité et environ 5 % des émissions de CO2. Cela fait de ce secteur un enjeu incontournable pour tenir les objectifs de l’accord de Paris.
Restaurer les paysages nocturnes, un enjeu politique
La restauration des paysages nocturnes est pourtant possible, et cela, même dans les grandes villes. Cela requiert toutefois une volonté politique : il s’agit à la fois de sensibiliser à ces enjeux, mais aussi de prendre des décisions qui ne soient pas exclusivement dictées par le coût énergétique de l’éclairage et d’orienter l’urbanisme vers des systèmes d’éclairage plus durables.
Des politiques ambitieuses, aux niveaux mondial comme local, sont donc indispensables pour réduire et atténuer significativement la pollution lumineuse. Dans certains pays tels que la France, la législation nationale prescrit des mesures et des seuils d’ajustement de l’éclairage public pour éclairer plus directement les zones cibles et réduire le halo lumineux (arrêté du 27 décembre 2018 ou la nouvelle proposition de loi pour la préservation de l’environnement nocturne).

Toutefois, le respect des seuils réglementaires en termes de température de couleur, d’intensité lumineuse ou d’extinction, demeure à ce stade à la discrétion des élus locaux. La proposition de loi envisage de donner cette compétence à l’Office français de la biodiversité (OFB). Ce qui interroge, étant donné les fonctions dont il a déjà la charge, les entraves croissantes que ses agents rencontrent dans l’exercice de leur travail, et les récents appels à sa suppression.
Dépasser les arbitrages du « tout ou rien »
Certes, il ne peut être ignoré que le contexte urbain représente un défi pour les urbanistes. Ces derniers doivent, potentiellement, arbitrer entre les préférences des habitants et les besoins de la biodiversité.
« Potentiellement », car la majeure partie des mesures de réduction de la pollution lumineuse sont reçues positivement par la population. La résistance (ou la perception d’une résistance) au changement, liée à des raisons de sécurité, et cristallisée autour de l’extinction, constitue souvent le principal obstacle à leur mise en œuvre pour les élus locaux. Elle constitue aussi le principal argument pour faire machine arrière.
Notre étude publiée dans Nature Cities a été menée dans la métropole de Montpellier Méditerranée (3M), qui regroupe 31 communes, 507 526 habitants, et qui enregistre la plus forte croissance démographique de France (1,8 % par an).
La pollution lumineuse émise y est particulièrement problématique en raison de sa proximité avec le Parc national des Cévennes, l’un des six parcs français labellisés réserves internationales de ciel étoilé (Rice).
S’adapter localement aux besoins
Nous développons, dans l’étude, une analyse spatiale qui porte sur deux aspects :
les besoins des espèces en matière de réduction de la pollution lumineuse, d’une part,
et l’acceptabilité des habitants face aux changements d’éclairage de l’espace public, d’autre part.
Les besoins des espèces ont été évalués à partir d’images satellites multispectrales (c’est-à-dire, évalués dans plusieurs longueurs d’onde du spectre lumineux) à très haute résolution spatiale.
Ceci permet de délimiter deux dimensions de la pollution lumineuse :
le niveau d’émission lumineuse qu’émet chaque lampadaire vers le haut (la radiance),
et le nombre de points lumineux visibles, pour un observateur placé à 6 mètres de haut, compte tenu des objets présents dans l’espace (p.ex. : immeubles, arbres, etc.).
Nous prédisons ensuite, à partir de savoirs d’experts locaux et d’inventaires naturalistes, la connectivité du paysage (c’est-à-dire, la capacité des espèces à traverser le paysage pour passer d’un milieu habitable à un autre), avec et sans pollution lumineuse, pour six groupes d’espèces particulièrement sensibles à la pollution lumineuse ou d’intérêt pour la région. Il s’agissait ici : des insectes inféodés aux milieux humides et des Lampyridae, de deux groupes de chiroptères (chauves-souris), Rhinolophus et Myotis, d’un groupe d’espèces d’amphibiens Pelodytes, Pelobates et Epidalea calamita, et de l’engoulevent d’Europe, (qui appartient à une famille d’oiseaux nocturnes, ndlr).
Ceci a été mené en collaboration avec trois associations d’experts naturalistes : l’Office pour les insectes et leur environnement (Opie), la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et le Groupe chiroptères du Languedoc-Roussillon.
Cela nous a permis, d’abord, de classer les points d’éclairage selon l’urgence à réduire la pollution lumineuse pour protéger la biodiversité. Les préférences citoyennes face à différentes mesures de réduction de la pollution lumineuse (réduction de l’intensité, extinction sur différentes périodes de la nuit, changement de couleur, etc.) ont ensuite été cartographiées à partir des résultats d’une vaste expérience de choix, c’est-à-dire une enquête durant laquelle les individus sont amenés à choisir, parmi plusieurs scénarios composites, leur option préférée. Celle-ci a été menée auprès de 1 148 habitants de la métropole.
Nous avons, enfin, croisé les besoins de la biodiversité et des citoyens pour identifier les actions sur l’éclairage public mutuellement bénéfiques et celles qui nécessitent des compromis. Les résultats ont été intégrés dans une application interactive, SustainLight, destinée à aider les décideurs et les citoyens à explorer les différentes situations possibles.
Adapter les stratégies à chaque territoire
Trois situations principales ressortent de notre analyse :
Certains quartiers comportant des enjeux forts pour la biodiversité peuvent bénéficier de réductions rapides de la pollution lumineuse avec le soutien des habitants.
Dans d’autres, situés en zones urbaines centrales avec des enjeux écologiques modérés, certaines mesures de réduction (par exemple le changement de couleur, la baisse de l’intensité, l’ajustement de la directivité/direction des luminaires pour qu’ils éclairent plus directement le sol) semblent être mieux reçues que des extinctions.
Des quartiers à forts enjeux écologiques, enfin, sont marqués par une forte résistance du public aux mesures d’extinction. Dans ce cas, il est possible d’avoir un éclairage plus respectueux de la biodiversité en adoptant les mesures mentionnées ci-dessus. Cela peut être accompagné d’actions de sensibilisation pour informer les résidents des multiples effets néfastes de la pollution lumineuse.
Nos travaux confirment que, pour être efficaces dans la préservation de la biodiversité contre la pollution lumineuse, les politiques d’éclairage durable doivent être socialement acceptées et tenir compte des besoins à la fois de la biodiversité et de la société.
Sarah Potin, Vincent Delbar et Julie Chaurand, de la start-up La Telescop, ont contribué à la rédaction de cet article.

Léa Tardieu est chercheuse à l'UMR TETIS et associée à l'UMR CIRED. Elle est membre du GDR 2202 Lumière & environnement nocturne (LUMEN) et de l'Observatoire de l'Environnement Nocturne du CNRS. Léa a reçu des financement de la Région Occitanie (projet Readynov Pollum).
Chloé Beaudet est membre du GDR 2202 Lumière & environnement nocturne (LUMEN) et de l'Observatoire de l'Environnement Nocturne du CNRS. Elle a reçu des financement de la Région Occitanie (projet Readynov Pollum).
Léa Mariton est membre du GDR 2202 Lumière & environnement nocturne (LUMEN) et de l'Observatoire de l'Environnement Nocturne du CNRS.
Maia David a reçu des financements de l'INRAE et AgroParisTech en tant que chercheuse à l'UMR Paris-Saclay Applied Economics (PSAE).
19.06.2025 à 18:06
Peut-on brûler toutes les réserves d’énergies fossiles et compenser en plantant des arbres ?
Texte intégral (1553 mots)
Lorsque l’on parle d’atténuation du changement climatique, on pense souvent au fait de replanter des arbres, qui consomment du CO2, ou à des solutions techniques consistant à recapturer le gaz carbonique depuis l’atmosphère. Mais ces approches, si elles peuvent être intéressantes, sont irréalistes pour stocker le réchauffement, si on souhaite continuer à brûler des ressources fossiles jusqu’à épuisement.
Quand on prend l’avion, on nous offre souvent la possibilité de planter des arbres à l’autre bout de la planète pour compenser les émissions de notre vol. Un luxe qui permet aux quelques 2 à 4 % des habitants de la planète qui volent chaque année de réduire leur bilan carbone et soulager leur conscience. Mais que se passerait-il si on étendait ce luxe à toute notre économie ? Peut-on vraiment continuer à émettre du CO2 gaiement et espérer le compenser plus tard ? La question devient urgente alors que nous sommes actuellement au-dessus de 1,5 °C d’augmentation de température depuis l’ère industrielle.
Dans une nouvelle étude, nous montrons que compenser les émissions de CO2 coûte trop cher pour être une solution viable. Par exemple, si l’on souhaite capter directement le CO₂ dans l’air, le coût que cela représente est d’environ 1 000 € par tonne, selon les estimations des quelques projets existants, tels que le projet de Climeworks en Islande. La technologie fonctionne avec des ventilateurs géants qui aspirent directement le CO2 de l’air. Pour le mettre où ? Les Norvégiens ont débuté jeudi 12 juin l’installation d’une infrastructure de captage et de stockage du CO₂ sous le plancher océanique, opération marketing à l’appui. Cela parait idéal pour continuer à polluer, tout en n’affectant pas la planète.
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Les estimations dans notre étude montrent que les 200 plus grandes entreprises pétrolières produiraient environ 673 gigatonnes de CO2 en brûlant leurs réserves de pétrole, gaz et charbon. Ces réserves sont inscrites dans leurs rapports annuels et il s’agit de la base de leur valorisation financière. Leurs actionnaires savent que c’est grâce à ces réserves qu’ils ont une certaine capitalisation boursière plutôt qu’une autre.
La capture et le stockage du carbone ? Hors de prix
Le problème, comme le montre notre étude, est que pour compenser les réserves actuelles des entreprises de gaz, pétrole et charbon, cela coûterait environ 673 700 milliards d’euros, soit presque sept fois le PIB mondial. Cela implique que si l’on souhaite continuer à polluer jusqu’à avoir épuisé les réserves d’énergies fossiles, nous devrions payer l’équivalent de sept ans de toute la production mondiale. À ce prix là, autant ne pas polluer.
À l’échelle des entreprises fossiles, le calcul ne serait pas rentable non plus. Pour Total Énergie, qui possède des réserves d’environ 4,25 gigatonnes de CO2 en réserves, c’est trop cher. À 1 000 € la tonne, Total devrait payer environ 4 253 milliards d’euros. C’est presque 34 fois sa valeur boursière, qui s’élève aujourd’hui à environ 126 milliards d’euros.
Dans notre étude, nous appelons cela la valeur environnementale nette, c’est-à-dire la valeur d’une entreprise fossile une fois le CO2 contenu dans ses réserves compensées. Dès que le prix pour compenser une tonne de CO2 dépasse les 150 dollars, la valeur environnementale nette des 200 plus grandes entreprises du secteur des énergies fossiles devient négative. En d’autres termes, si les entreprises fossiles devaient compenser leurs émissions, elles mettraient toutes la clé sous la porte. Heureusement pour elles, aucune législation en ce sens ne s’applique pour le moment. Certaines l’ont compris et ont commencé à investir dans des technologies génératrices d’énergie verte.
Planter des arbres ? Il faudrait recouvrir au moins toute l’Amérique du Nord !
Il existe cependant des solutions plus abordables, comme celle qu’on nous propose à bord des avions notamment : planter des arbres. Selon une étude de l’OCDE, le prix est minime puisqu’il s’élève à environ 16 dollars la tonne. Ce coût infime s’entend sans le prix du terrain : planter des arbres à Manhattan est probablement plus cher.
Les arbres sont en effet généralement composés à moitié de carbone. Pour de nombreuses espèces d’arbres, cette séquestration est la plus efficace pendant les vingt premières années de croissance. Mais pour que la plantation d’arbres capture du carbone, il faut bien sûr éviter qu’ils soient ensuite coupés ou brûlés, ce qui relâcherait à nouveau tout le carbone séquestré. Et il faut éviter de les planter dans un lieu où cela pourrait perturber l’écosystème déjà en place… Pouvons-nous donc sauver la planète en plantant des arbres ?
Dans notre étude, nous avons utilisé les moyennes de captures de carbone par les arbres, en fonction des régions où ils seraient plantés, d’ici à 2050. Si l’on voulait compenser les émissions potentielles de l’ensemble des réserves de gaz, pétrole et charbon, il faudrait planter des arbres sur une très grande surface, qui dépend des régions du monde (certaines étant plus propices que d’autres à la séquestration du carbone). Une de nos estimations est qu’il faudrait couvrir environ 27 millions de kilomètres carrés, soit l’entièreté de l’Amérique du Nord et centrale, ainsi qu’une partie de l’Amérique du Sud. Cela impliquerait de remplacer toutes les constructions, les routes, les lacs, et de planter des arbres partout, et sans compter ceux qui poussent déjà.
Bien que l’idée est absurde, la carte ci-dessous permet de se représenter la surface que cela représente. En d’autres termes, même si la plantation d’arbres peut être une bonne forme de capture de carbone, la solution n’est pas viable si on regarde les étendues des réserves de gaz, pétrole et charbon actuellement en possession des entreprises fossiles.
Et si on pousse cette idée encore plus loin, en voulant planter suffisamment d’arbres pour compenser le CO2 déjà émis au cours de l’histoire, il faudrait cette fois transformer en forêt géante non seulement l’Amérique du Nord, mais aussi l’Europe et presque toute l’Afrique, de la côte méditerranéenne jusqu’au Zimbabwe.
Des solutions utiles, mais invraisemblables sans changements profonds de nos émissions
On voit donc que la compensation carbone n’est pas une baguette magique. Si l’on veut le faire avec de la technologie, le prix actuel est bien trop élevé. De plus, il faut transporter le carbone de son lien d’émission vers le lien de stockage, par exemple de la France vers la Norvège, ce qui génère également des émissions. Les solutions naturelles sont bien sûr à favoriser, telles que la plantation d’arbres.
Mais là aussi la place manque. La solution ? Arrêter les émissions, bien sûr. Et pour les secteurs difficiles à décarboner, comme la métallurgie, l’industrie chimique ou l’agriculture, il faut d’abord diminuer les activités polluantes, et compenser pour celles qui demeurent nécessaires. La compensation carbone doit donc rester un joker à utiliser en dernier recours, et non la solution par défaut, pour réduire les émissions humaines dans un monde à +1,5 C° et qui continue de se réchauffer.

Alain Naef a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR).