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25.06.2025 à 17:13

À La Grave dans les Alpes, une fleur face aux pelleteuses : la science entre neutralité et engagement

Sébastien Ibanez, Maître de conférences en biologie, Université Savoie Mont Blanc (USMB), Université Savoie Mont Blanc
L’extension du téléphérique des glaciers de la Meije, qui menace une plante en danger, interroge un écologue sur sa place dans le débat public.
Texte intégral (3698 mots)
Dans les montagnes dominant La Grave, l’androsace du Dauphiné, espèce déjà en danger, est menacée par l’extension d’un téléphérique qui doit s’implanter dans son milieu. Sébastien Lavergne/CNRS, Fourni par l'auteur

Comment la recherche et les scientifiques peuvent-ils intervenir dans le débat public, surtout lorsqu’il s’agit de questionner des choix de société ? Dans les mouvements écologistes, cet engagement peut prendre plusieurs formes, entre expert en retrait et militant engagé. L’exemple du projet d’extension du téléphérique de La Grave (Hautes-Alpes), au pied du massif de la Meije, illustre bien cette difficulté. Ce chantier menace notamment une plante protégée, ce qui a contribué à l’installation de la plus haute ZAD d’Europe.


Construit en 1976 et 1977, le téléphérique relie le village de La Grave (Hautes-Alpes) à 1 400 mètres et le glacier de la Girose à 3 200 mètres. Lors de la reprise de la gestion du téléphérique par la Société d’aménagement touristique de l’Alpe d’Huez (Sata) en 2017, il est prévu d’étendre le téléphérique par un troisième tronçon atteignant le Dôme de la Lauze à plus de 3 500 mètres, pour remplacer l’usage d’un téléski désormais obsolète. Cela déclenche une controverse à différentes échelles, locale et nationale, portant sur la pertinence économique, sociale et environnementale du projet.

Vue d’un pylone du téléphérique et de plusieurs nacelles, depuis le sol
Le téléphérique de La Grave (Hautes-Alpes). Michel Boutin, Fourni par l'auteur

Étant écologue, je vais concentrer l’analyse sur les manières dont ma discipline peut participer à la controverse.

La haute montagne est pleine de vie : la neige recouvrant les glaciers et les plantes poussant dans les fissures hébergent des écosystèmes riches en espèces souvent méconnues. Par exemple, trois nouvelles espèces d’androsaces, de petites fleurs de haute montagne, ont été découvertes en 2021 grâce à l’analyse de leur ADN.

Une espèce de fleur endémique du massif découverte en 2021

On sait depuis Horace Bénédict de Saussure, naturaliste du XVIIIe siècle, que ces plantes existent, mais elles étaient alors confondues avec d’autres auxquelles elles ressemblent. L’une d’elles, l’androsace du Dauphiné, est endémique du massif des Écrins et d’autres massifs avoisinants. On la prenait auparavant pour l’une de ses cousines, l’androsace pubescente, qui bénéficie d’une protection nationale depuis 1982.

Il est encore trop tôt pour que le statut de protection de l’androsace du Dauphiné soit défini par la loi. En toute logique, elle devrait hériter de la protection nationale dont bénéficie l’androsace pubescente, puisque son aire de répartition est encore plus réduite. Elle occupe notamment un petit rognon rocheux émergeant du glacier de la Girose, sur lequel l’un des piliers du téléphérique doit être implanté.

À cet endroit, l’androsace du Dauphiné n’a pas été détectée par le bureau chargé de l’étude d’impact, mais elle a été repérée, en 2022, par un guide de haute montagne local. Comme cela n’a pas convaincu le commissaire chargé de l’enquête publique, une équipe de chercheurs accompagnée par une agente assermentée de l’Office français de la biodiversité (OFB) a confirmé les premières observations, en 2023.

Un coussin d’androsace, un ensemble de petites feuilles et de petites fleurs blanches, pousse sur une roche
Un coussin d’androsace du Dauphiné poussant sur le rognon du glacier de la Girose. Sébastien Lavergne/CNRS, Fourni par l'auteur

De nombreuses autres espèces d’androsaces poussent à plus faible altitude et possèdent une rosette de feuilles surmontée d’une tige dressée portant des fleurs. Celles de haute montagne, comme l’androsace du Dauphiné, ont un port compact rappelant un coussin. Les petites fleurs blanches à gorge jaune dépassent à peine des feuilles duveteuses. Dans cet environnement très difficile, leur croissance est très lente. Les plantes formant des coussins peuvent avoir plusieurs dizaines d’années, voire bien plus. Bien que très discrètes, elles forment les forêts des glaciers.

Peu de protections accordées pendant le chantier

Les travaux prévus présentent-ils un risque pour l’androsace ?

Le préfet des Hautes-Alpes a jugé que ce n’était pas le cas, en refusant d’enjoindre à la Sata de déposer une demande de dérogation en vue de la destruction d’une espèce protégée, comme cela est prévu par l’article L411-2 du Code de l’environnement. Il considère donc qu’installer quelques dispositifs de protection autour des individus existants serait assez. En réalité, rien ne garantit que cela suffise, car plusieurs de ces plantes poussent à moins de 15 mètres en contrebas de l’emplacement du pylône, comme l’indique le rapport d’expertise, dans des fissures rocheuses dont l’alimentation en eau risque d’être irrémédiablement perturbée.


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Surtout, les travaux de terrassement peuvent anéantir des graines prêtes à germer ou de minuscules jeunes pousses très difficiles à détecter au milieu des rochers. La viabilité écologique d’une population ne dépend pas que de la survie des individus les plus âgés, mais aussi du taux de survie des plus jeunes. Cependant, il n’existe à l’échelle mondiale que très peu de connaissances sur la dynamique des populations et la reproduction des plantes formant des coussins.

Des petites fleurs poussent coincées dans un recoin entre deux rochers
Un pied d’androsace entre des rochers près du glacier. Angela Bolis, Fourni par l'auteur

On peut donc difficilement quantifier la probabilité que la population d’androsaces présente sur le rognon de la Girose s’éteigne à cause des travaux. On peut malgré tout affirmer que la survie de la population sera très probablement menacée par les travaux, même si cette conclusion n’a pas le même degré de certitude que l’observation de la présence de l’espèce.

Quelle posture pour le scientifique ?

Comment se positionner sur cette question en tant que scientifique ?

Une première solution serait de céder à la double injonction de neutralité (ne pas exprimer ses opinions) et d’objectivité (se baser uniquement sur des faits), pour se limiter au signalement de la présence de l’espèce. Mais cette négation aveugle de l’engagement laisse aux autorités, qui ne sont bien sûr ni neutres ni objectives, le soin de décider comment protéger l’androsace. La neutralité devient ainsi une illusion qui favorise l’action des forces dominantes.

Une deuxième option diamétralement opposée serait d’utiliser la qualité de scientifique pour asseoir son autorité : l’androsace étant protégée et menacée par les travaux, il faut abandonner le projet, point. Cet argument technocratique paraît surprenant dans ce contexte, mais c’est une pratique courante dans la sphère économique lorsque des experts présentent des choix de société comme inévitables, avec pour grave conséquence d’évacuer le débat politique. Dans le cas de la Girose, les enjeux environnementaux s’entremêlent avec les choix portant sur le modèle de développement touristique. La controverse ne peut être résolue qu’au moyen d’une réflexion associant tous les acteurs.

Une troisième voie consisterait à distinguer deux modes d’intervention, l’un en tant que scientifique et l’autre en tant que militant, de manière à « maximiser l’objectivité et minimiser la neutralité ». Dix-huit scientifiques formant le collectif Rimaye, dont je fais partie, ont publié en 2024 un ouvrage intitulé Glacier de la Girose, versant sensible, qui mêle les savoirs et les émotions liées à ce territoire de montagne. Les contributions de sciences humaines interrogent les trajectoires passées et à venir pour le territoire, tandis que les sciences de la Terre et de la vie invitent le lecteur autant à découvrir qu’à aimer les roches, les glaces et les êtres qui peuplent la haute montagne.

Une science amorale et apolitique ?

Partant du constat que la seule description scientifique ne suffit pas, plusieurs contributions revendiquent une approche sensible. La recherche permet aussi d’aimer les plantes en coussins et les minuscules écosystèmes qu’elles hébergent. Les sciences de la nature n’ont pas nécessairement une application technique immédiate au service d’un projet de domination. Elles peuvent encourager la protection de l’environnement par le biais de l’attachement aux objets de connaissance et se révéler porteuses, comme les sciences humaines, d’un projet émancipateur où tous les êtres vivants, et même les êtres non vivants comme les glaciers, seraient libres de toute destruction et d’exploitation.

Cependant, cette troisième voie suppose qu’il est possible d’isoler la démarche scientifique de valeurs morales ou politiques. Certes, les valeurs peuvent influencer les scientifiques avant le processus de recherche (lors du choix de l’androsace comme objet d’étude), pendant (en évitant d’abîmer les plantes étudiées) et après (en déterminant le message accompagnant la diffusion des résultats). Malgré tout, selon cette approche, le processus de la recherche reste généralement imperméable aux valeurs.

Cet idéal est aujourd’hui largement contesté en philosophie des sciences, ce qui ouvre le champ à une quatrième voie venant compléter la précédente. Concentrons-nous ici sur un seul argument : tirer une conclusion scientifique nécessite de faire un choix qui, en l’absence de certitude absolue, devient sensible aux valeurs.

Choisir à quelle erreur s’exposer

Dans le cas de l’androsace, il faut décider si l’implantation du pylône met ou pas la population en danger.

On peut distinguer deux manières de se tromper : soit on détecte un danger inexistant, soit on ne parvient pas à discerner un véritable danger. La porte d’entrée des valeurs devient apparente. Du point de vue de la Sata, il faudrait éviter la première erreur, tandis que pour les amoureux de l’androsace, c’est la seconde qui pose problème. Idéalement, on aimerait minimiser les taux de ces deux erreurs, mais un résultat bientôt centenaire en statistiques nous apprend que l’un augmente lorsque l’autre diminue. Un certain risque d’erreur peut ainsi paraître plus ou moins acceptable en fonction de nos valeurs.

Si objectivité et neutralité sont illusoires, il serait préférable de rendre apparente l’intrication entre valeurs et recherche scientifique afin de distinguer les influences illégitimes, comme la promotion d’intérêts personnels ou marchands, de celles orientées vers la protection de biens communs. D’autant plus que les enjeux autour du téléphérique dépassent largement le sort de l’androsace, mais concernent aussi la vie économique de la vallée.

Vue large du glacier, on aperçoit au loin les pylones et les câbles du téléski qui le traversent
Le téléski du glacier de la Girose, devenu obsolète à cause de la baisse du niveau du glacier. Michel Boutin, Fourni par l'auteur

Pour trancher la question de l’aménagement de la haute montagne, il devrait exister un espace de discussion regroupant habitantes et habitants des vallées, pratiquants de la montagne et scientifiques. Des initiatives ont été prises dans ce sens, que ce soit à Bourg-Saint-Maurice (Savoie), à Grenoble (Isère), au jardin alpin du Lautaret (Hautes-Alpes) ou à La Grave.

Pour que ces rencontres soient suivies d’effet, il faut qu’elles puissent nourrir les mobilisations, comme tente de le faire le collectif Les Naturalistes des terres, ou qu’elles se traduisent dans les politiques publiques. Cependant, la récente proposition de loi Duplomb sur l’agriculture illustre que les alertes des scientifiques sont souvent ignorées.

En attendant, les travaux du téléphérique pourraient reprendre cette année à la Girose, sans que la question de la protection des glaciers et des écosystèmes qui les entourent ait trouvé de réponse.

The Conversation

Sébastien Ibanez a reçu des financements de l'Observatoire des Sciences de l'Univers de Grenoble (OSUG).

24.06.2025 à 17:18

Comment le changement climatique perturbe la recharge des eaux souterraines

Jean-Christophe Maréchal, Directeur de recherche - Hydrogéologue, BRGM
Jean-Pierre Vergnes, Chercheur, BRGM
Sandra Lanini, Chercheuse, BRGM
Yvan Caballero, Hydrogéologue, BRGM
Le niveau des nappes d’eau souterraine est très dépendant du climat à la surface. Le réchauffement pourrait avoir des effets directs et indirects sur leur recharge.
Texte intégral (2800 mots)

Alors qu’une large part de la France est placée en vigilance canicule ce mercredi 25 juin, se pose la question de l’influence du changement climatique sur le cycle de l’eau, entre modification du régime des pluies et augmentation de la fréquence des événements extrêmes (sécheresses et inondations). Qu’en est-il des eaux souterraines ? Ces dernières, logées dans les profondeurs du sous-sol, ne sont pas à l’abri de ces changements qui touchent en premier lieu l’atmosphère et la surface de la Terre.


Les eaux superficielles et eaux souterraines sont en lien étroit. Ces dernières interagissent avec la surface, dont elles dépendent largement. Ainsi, les nappes d’eau souterraine sont renouvelées d’une part par la recharge naturelle diffuse apportée par la pluie et la fonte de la neige sur les sols, d’autre part par la recharge naturelle indirecte qu’apportent les infiltrations localisées à partir de rivières ou de lacs.

Quel que soit le processus de recharge naturelle concerné, les eaux souterraines sont donc fortement dépendantes du climat.

  • D’abord de façon directe, à travers les modifications de ce dernier, en fonction du bilan hydrique à la surface de la Terre.

  • Mais également de façon indirecte, via les changements dans les prélèvements d’eau souterraine nécessaires pour répondre aux différents usages de l’eau impactés par un climat plus chaud (irrigation notamment).

On distingue ainsi des effets directs qui s’imposent à nous, et des effets indirects qui résultent de notre réaction à cette nouvelle situation climatique. Le projet de recherche Explore2 a récemment analysé les conséquences du changement climatique sur la recharge des aquifères en France métropolitaine et a permis un certain nombre de constats.

Évapotranspiration accrue et précipitations plus intenses

Le climat et la couverture végétale contrôlent en grande partie les précipitations et l’évapotranspiration, tandis que le sol et la géologie sous-jacente déterminent si le surplus d’eau peut s’infiltrer vers un aquifère sous-jacent ou s’il va plutôt ruisseler vers une rivière.

USGS, Fourni par l'auteur

Dans le détail, l’évolution future de la recharge dépend au premier chef de la modification de la quantité et du régime des pluies.

Or dans le climat futur, on s’attend à une modification de la répartition des précipitations dans le monde, avec une diminution des précipitations de faible intensité et une augmentation de la fréquence des fortes précipitations, en particulier dans les régions tropicales, où plus de la moitié de la population mondiale devrait vivre d’ici à 2050. Phénomène qui s’accompagnera de sécheresses plus longues et plus fréquentes.

Dans un monde qui se réchauffe, l’évapotranspiration a globalement tendance à augmenter, ce qui réduit la quantité d’eau du sol disponible pour l’infiltration et le ruissellement.

Une recharge des aquifères de plus en plus incertaine

Des précipitations moins fréquentes mais plus abondantes pourraient améliorer la part de la recharge des eaux souterraines dans de nombreux environnements semi-arides à arides. Mais lorsque l’intensité des pluies dépasse la capacité des sols à l’infiltration, on observe une augmentation du ruissellement et des débits des rivières. Ces modifications contrastées des taux de recharge provoquent des changements plus ou moins rapides des niveaux d’eau au sein des nappes phréatiques, selon la vitesse de circulation des eaux souterraines.

Des risques d’inondations par remontée de nappe sont associés aux zones où la recharge augmente tandis que des risques de sécheresse menacent les secteurs où la recharge diminue, avec pour conséquence des modifications importantes des régimes hydrologiques des eaux de surface (rivières, lacs zones humides…). Par exemple, les débits d’étiage des rivières décroissent dans les bassins hydrographiques où le niveau des nappes baisse en réponse à une diminution de la recharge.

Outre les précipitations, la fonte des glaciers et de la neige en montagne contribue souvent aussi de manière importante à la recharge des aquifères montagneux. Son augmentation future sous l’effet du réchauffement est susceptible d’impacter le régime de cette recharge d’une façon qu’il est encore difficile d’analyser.


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Le recul des glaciers augmente dans un premier temps la production d’eau de fonte, jusqu’à atteindre un maximum, connu sous le nom de « pic d’eau », avant de diminuer au fur et à mesure que les glaciers continuent à reculer. Aujourd’hui, environ la moitié des bassins hydrographiques glaciaires du monde auraient dépassé le pic d’eau. Dès lors, une diminution de la recharge des aquifères de montagne est maintenant attendue dans un nombre croissant de bassins glaciaires.

Des impacts sur la qualité des eaux souterraines

On parle beaucoup de volumes d’eau et de taux de recharge, mais le changement climatique altère également la qualité de l’eau souterraine. Les épisodes de pluie plus intenses et la recharge qui en découle sont susceptibles de mobiliser par lessivage des contaminants qui étaient précédemment stockés dans les sols.

D’un autre côté, le réchauffement peut conduire à l’augmentation des concentrations en solutés comme les chlorures, nitrates ou l’arsenic dans les sols et les eaux souterraines superficielles, en lien avec une augmentation de l’évapotranspiration, et une diminution de l’infiltration et donc une dilution moindre.

Enfin, l’augmentation de la température de l’eau souterraine, induite par le réchauffement global et localement par les îlots de chaleur urbains, modifie quant à elle la solubilité et la concentration dans l’eau de certains contaminants. Ces impacts sont moins souvent observés, mais bien réels, notamment dans le pourtour méditerranéen.

En outre, l’augmentation du niveau de la mer induit un risque de salinisation des sols et des aquifères côtiers dans le monde. Cette intrusion saline dépend de nombreux facteurs tels que la géologie côtière, la topographie et surtout les niveaux d’eau dans les nappes. Elle peut être particulièrement sévère dans les zones basses telles que les deltas, les îles ou encore les atolls où il existe des lentilles d’eau douce particulièrement sensibles au changement climatique.

Voilà pour les impacts directs. Mais les scientifiques estiment que l’impact du changement climatique sur les eaux souterraines peut être localement plus important au travers d’effets indirects, liés aux effets du changement climatique.

La hausse des prélèvements, un effet indirect

Le changement climatique risque en effet de provoquer une augmentation des prélèvements dans les aquifères par les agriculteurs pour faire face à l’augmentation de l’évapotranspiration liée au réchauffement et à la variabilité et diminution de l’humidité dans les sols ou de l’eau disponible en surface.

L’augmentation des pompages, pour l’irrigation notamment, induit une baisse chronique des niveaux d’eau qui menace la gestion durable des nappes, les écoulements d’eau vers les hydrosystèmes voisins ou les écosystèmes de surface dépendant des eaux souterraines (zones humides).

Cette pression accrue est susceptible de modifier considérablement le cycle de l’eau, avec de forts contrastes entre :

  • l’épuisement des eaux souterraines dans les régions où l’irrigation est principalement alimentée par des eaux souterraines ;

  • la montée du niveau des nappes résultant de la recharge par les flux d’excédent d’irrigation alimentée par les eaux de surface et pouvant conduire à un engorgement et à une salinisation des sols ;

  • et les modifications des climats locaux résultant de l’évapotranspiration accrue des terres irriguées.

Conséquences sur la « recharge potentielle » en France

L’incidence du changement climatique sur le taux de recharge des nappes aquifères en France métropolitaine a été récemment analysé par la communauté scientifique dans le cadre du projet Explore2.

Grâce à la mise en cascade de modèles climatiques avec des modèles hydrologiques, les chercheurs ont simulé les modifications du taux de recharge potentielle des nappes, selon deux scénarios d’évolution des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère (émissions moyennes ou fortes).

La recharge potentielle est définie comme la part des précipitations efficaces susceptible de s’infiltrer depuis la surface et de recharger les aquifères sous-jacents, dans la mesure où ils possèdent les caractéristiques hydrodynamiques favorables. Elle est qualifiée de potentielle car son arrivée dans les aquifères ne peut être connue a priori et une partie de ce flux peut revenir vers les cours d’eau, en aval de sa zone d’infiltration.

Des régions affectées différemment

D’après ces travaux, la recharge potentielle annuelle pourrait augmenter dès le milieu du siècle entre + 10 % et + 30 % dans le nord et le nord-est de la France. Il resterait globalement stable sur le reste du pays – et ce pour les deux scénarios étudiés.

De plus, le cumul de recharge pendant l’hiver augmenterait pour presque toute la France, hormis une bande sud et une partie de la Bretagne. Dans un scénario de fortes émissions, la recharge potentielle annuelle baisserait sur le sud-ouest, le sud-est et la Corse en fin de siècle, de -10 à -30 %.

La période à laquelle la recharge potentielle est à son maximum serait par ailleurs avancée d’un mois du printemps vers l’hiver sur les chaînes alpines et pyrénéennes. En raison de la hausse des températures, les précipitations tomberaient en effet davantage sous forme de pluie, qui s’infiltre rapidement, et moins sous forme de neige, qui stocke l’eau jusqu’à la période de fonte.

Dans le cas du scénario de fortes émissions, le maximum de recharge de l’automne serait décalé d’un mois vers l’hiver sur le pourtour méditerranéen. Pour le reste du pays, aucune modification notable n’a été observée dans les projections étudiées.

BRGM, projet Explore2, Fourni par l'auteur

Des résultats rassurants mais incomplets

Ces résultats semblent à première vue rassurants, du moins dans le nord du pays. Ils ne prennent toutefois en compte que les impacts directs du changement climatique sur la recharge, liés à l’infiltration potentielle des précipitations.

Or, pour un grand nombre d’aquifères, l’infiltration de l’eau des cours d’eau constitue une part importante de la recharge. L’évolution future des débits des cours d’eau, qui à l’échelle annuelle, devraient diminuer dans la moitié sud du territoire hexagonal français, doit donc également être prise en compte.

De plus, les impacts indirects doivent également être intégrés à l’analyse pour élaborer les politiques publiques futures visant à assurer une gestion durable des nappes aquifères à l’échelle de notre pays : comme une éventuelle hausse de prélèvements pour faire face à l’augmentation de l’évapotranspiration et les modifications dans l’occupation des sols pour s’adapter au climat changeant.


Cet article s’inspire largement du rapport des Nations unies « Eaux souterraines : rendre l’invisible visible » et du rapport du projet Explore2 « Projections hydrologiques : recharge potentielle des aquifères ».

The Conversation

Jean-Christophe Maréchal a reçu des financements de ANR et AERMC

Jean-Pierre Vergnes a reçu des financements de l'ANR et du ministère de la transition écologique.

Sandra Lanini et Yvan Caballero ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

24.06.2025 à 17:16

BD : L’Héritage du dodo (épisode 9)

Mathieu Ughetti, Illustrateur, vulgarisateur scientifique, Université Paris-Saclay
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp.
Texte intégral (815 mots)
L’épisode 9 de notre série BD s’intéresse au sauvetage des espèces menacées. Mathieu Ughetti, Fourni par l'auteur

La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Au programme de l’épisode 9, le sauvetage d’espèces menacées.


L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…

On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !

Retrouvez ici le neuvième épisode de la série !

Ou rattrapez les épisodes précédents :

Épisode 1
Épisode 2
Épisode 3
Épisode 4
Épisode 5
Épisode 6
Épisode 7
Épisode 8


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Rendez-vous la semaine prochaine pour l’épisode 10 !
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Une BD de Franck Courchamp & Mathieu Ughetti
Qui sommes-nous ?

Republication des planches sur support papier interdite sans l’accord des auteurs


Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.

The Conversation

Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.

Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

24.06.2025 à 09:07

Maladie de Parkinson : les limites des alternatives à l’expérimentation animale

Service Environnement, The Conversation France
L’expérimentation animale est-elle encore justifiée face aux alternatives in vitro ou numériques ? Des chercheurs grenoblois répondent en prenant l’exemple de la maladie de Parkinson.
Texte intégral (990 mots)
En 1959 les biologistes William Russel et Rex Burch ont proposé des recommandations éthiques en expérimentation animale connues sous le terme de « règle des 3 R ». Egoreichenkov Evgenii/Shutterstock

L’expérimentation animale fait débat. La recherche scientifique est-elle prête à se passer des animaux ? Les alternatives sont-elles suffisantes ? Colin Deransart, Bertrand Favier, Sabrina Boulet et Véronique Coizet de l’Université Grenoble Alpes prennent l’exemple de la maladie de Parkinson. Voici une version courte de leur article publié sur notre site le 28 avril 2025


Régulièrement critiquée, l’expérimentation animale reste nécessaire pour améliorer nos connaissances sur certaines pathologies. Par exemple la maladie de parkinson, qui touche plus de 270 000 personnes en France. Son diagnostic est souvent posé trop tard pour envisager des traitements curatifs.

Notre équipe travaille à identifier des marqueurs précoces de la maladie. L’enjeu, à terme, est de pouvoir prendre en charge les patients avant que les dommages soient irréversibles. L’expérimentation animale permet alors de compléter les données obtenues chez l’humain.

En 1959, les biologistes William Russel et Rex Burch ont proposé la « règle des 3 R » pour encadrer l’éthique de l’expérimentation animale : remplacer, quand c’est possible, l’utilisation d’animaux par des modèles alternatifs, réduire le nombre d’animaux requis et enfin raffiner les expérimentations pour minimiser les contraintes imposées aux animaux (douleur, souffrance, angoisse…).

Dans nos recherches, nous recourons à trois modèles animaux distincts : deux sur le rat et un sur le macaque. Cela peut sembler contraire à la dernière règle, mais cela permet de recouper les données et d’augmenter leur transposabilité à l’humain. Le premier portait ainsi sur des rats traités par une neurotoxine ciblant les neurones producteurs de dopamine. Le second s’intéressait à la production d’une protéine délétère, afin d’étudier la nature progressive de la maladie. Dans le troisième une injection de neurotoxine permettait de reproduire l’évolution des phases cliniques de la maladie, avec une plus grande homologie avec l’humain.

Chaque modèle animal reproduit ainsi un stade précis de la maladie et en constitue bien sûr une simplification. Ceci a permis d’identifier six métabolites potentiellement liés au processus neurodégénératif. En les combinant, on obtient un biomarqueur métabolique composite. En le recherchant chez des patients récemment diagnostiqués mais pas encore traités, on remarque qu’il permet de les distinguer de patients sains. À la clé, la perspective de mieux suivre l’évolution de la maladie de façon moins contraignante que les méthodes d’imagerie médicale actuelle, et un espoir thérapeutique : la dérégulation de plusieurs de ces métabolites pourrait être partiellement corrigée par un médicament mimant les effets de la dopamine.

Au-delà de ces avancées, les détracteurs de l’expérimentation animale mettent souvent en avant la faible transposabilité des résultats de l’animal à l’homme pour justifier le recours exclusif aux modèles in vitro ou in silico (numériques). Or, il n’a pas été démontré que la transposabilité de ces tests soit meilleure en l’état actuel des techniques. Ils sont en réalité les premiers cribles de l’ensemble des tests préclinique, tandis que la contribution des animaux en fin de phase préclinique permet d’exclure 40 % de candidats médicaments, notamment sur la base de risques chez l’humain. Cela permet de garantir des soins de qualité.

Et cela avec un impact limité : on estime qu’au cours de sa vie, un Français moyen ne « consommera » que 2,6 animaux de laboratoire, à comparer aux 1298 animaux consommés pour se nourrir.

Ce texte est la version courte de l’article écrit par Colin Deransart, Bertrand Favier, Sabrina Boulet et Véronique Coizet de l’Université Grenoble Alpes

The Conversation

Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Colin Deransart, Bertrand Favier, Sabrina Boulet et Véronique Coizet de l'Université Grenoble Alpes. Colin Deransart a reçu des financements de la Ligue Française Contre les Epilepsies, des Laboratoires GlaxoSmithKline, de la Fondation Electricité de France, de l'ANR et d'un Programme Hospitalier de Recherche Clinique. Bertrand Favier est membre de l'AFSTAL. Sa recherche actuelle est financée par l'ANR et la Société Française de Rhumatologie en plus de son employeur. Boulet sabrina a reçu des financements de l'ANR, la Fondation de France, la fondation pour la Rechercher sur le Cerveau, la fondation France Parkinson. Véronique Coizet a reçu des financements de l'ANR, la fondation France Parkinson, la Fondation de France. Elle est présidente du comité d'éthique de l'Institut des Neurosciences de Grenoble et membre du comité Santé et bien-être des animaux.

23.06.2025 à 17:07

Qu’est-ce que la « civilisation écologique » que revendique le pouvoir chinois ?

Virginie Arantes, Postdoctoral Researcher - Projet Chine CoREF, CNRS/EHESS (CECMC), Université Libre de Bruxelles (ULB)
Depuis 2007, les dirigeants chinois affirment mettre en place une civilisation écologique. Mais que faut-il comprendre derrière ce terme ?
Texte intégral (2357 mots)
Cette photo, prise le 5 avril 2025, montre un troupeau de cerfs du père David (_Elaphurus davidianus_) marchant sous des panneaux solaires dans une réserve naturelle de Yancheng (province de Jiangsu, est de la Chine). AFP (hors Chine/China out), CC BY

Depuis 2007, les dirigeants chinois affirment mettre en place une « civilisation écologique ». Lorsque l’on regarde la décarbonation comme la réduction des gaz à effet de serre, alors que les États-Unis reculent, la Chine, elle avance… mais vers quelle écologie ?


Le 23 avril 2025, lors de la réunion des dirigeants sur le climat et la transition juste, [organisée par le président du Brésil Luiz Inácio Lula da Silva et le secrétaire général de l’ONU António Guterres, ndlr], Xi Jinping appelait à défendre « le système international centré sur l’ONU » et à « tenir le cap du développement vert et bas carbone », dénonçant au passage les grandes puissances qui « s’obstinent à porter l’unilatéralisme et le protectionnisme ».

Dans un contexte où les États-Unis annoncent, pour la seconde fois, leur retrait de l’accord de Paris, la Chine se présente comme une actrice centrale de la transition verte, promettant la neutralité carbone d’ici 2060 et faisant de la « civilisation écologique » la nouvelle boussole de son développement.

Mais que se cache réellement derrière cette expression, si souvent mentionnée dans les discours officiels ? Est-ce le signe d’une prise en compte accrue des enjeux environnementaux ? ou bien l’expression d’une vision stratégique, dans laquelle écologie, développement et gouvernance sont étroitement articulés ? Retour sur ce terme devenu un des piliers du pouvoir chinois actuel.

Un concept né dans l’urgence environnementale

La notion de « civilisation écologique » apparaît pour la première fois dans les discours du Parti communiste chinois (PCC) sous la présidence de Hu Jintao, en 2007. À l’époque, le concept est encore flou, mais il renvoie déjà à une réalité bien concrète : une Chine confrontée à une crise environnementale sans précédent.

De fait, plus de 60 % des grands fleuves sont gravement pollués, 90 % des cours d’eau urbains contaminés, et plus de 300 millions de personnes n’ont pas accès à une eau potable sûre. Les « villages cancers » se multiplient, les mobilisations contre les barrages, les incinérateurs ou les complexes chimiques inquiètent les autorités. En 2013, un haut responsable du Parti reconnaît publiquement que les questions environnementales sont devenues l’une des principales causes des « incidents de masse », ces protestations collectives inquiètent le pouvoir central.

Selon Yang Chaofei, vice-président de la Société chinoise des sciences de l’environnement, les conflits environnementaux augmentaient déjà de 29 % par an entre 1996 et 2011, et si le gouvernement cesse rapidement de publier les chiffres, les estimations de Sun Liping, professeur à l’Université Tsinghua, évoquent jusqu’à 180 000 protestations en 2010, dont une part importante liée à l’environnement.


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Transformer une urgence en projet national

Dans ce contexte, la notion de « civilisation écologique » ne naît pas d’une révélation éthique soudaine mais d’une tentative de réponse politique à une crise sociale et écologique devenue impossible à ignorer. Le China Daily, quotidien officiel en langue anglaise publié par le gouvernement chinois, avertit dès 2007 que ce concept ne doit pas rester un slogan, mais un moteur de changement réel.

Longtemps restée périphérique, l’idée prend de l’ampleur à partir de 2012 lorsque Hu Jintao, à la tête de la Chine de 2003 à 2013, inscrit la « civilisation écologique » parmi les cinq grandes missions stratégiques du Parti, aux côtés du développement économique, politique, social et culturel. Mais c’est sous Xi Jinping, qui lui a succédé et qui est toujours au pouvoir aujourd’hui, qu’elle devient un levier central de gouvernance.

Elle est ainsi intégrée au 13e plan quinquennal en 2015, érigée en objectif stratégique au 19e Congrès du Parti en 2017, puis inscrite dans la Constitution en 2018.

L’écologie au service de la modernisation socialiste

Xi Jinping la place également dans une lecture historique continue de la modernisation chinoise : Mao aurait permis le passage de la civilisation agricole à la civilisation industrielle, Deng Xiaoping, à la tête du régime chinois de 1978 à 1989, aurait instauré une civilisation matérielle, et lui-même porterait désormais une civilisation écologique.

Mais cette écologie ne vise pas à ralentir la croissance. Elle sert au contraire à la rediriger vers : les énergies renouvelables, les hautes technologies vertes, les industries dites « propres », les zones expérimentales, les villes intelligentes. La Chine veut devenir une puissance verte, capable de combiner développement économique, stabilité sociale et rayonnement international.

Concrètement, cette stratégie s’est traduite par des investissements massifs dans les infrastructures vertes. À elle seule, la Chine représente désormais un tiers des capacités mondiales en énergies renouvelables. En 2024, elle a battu un record en installant 357 gigawatts (GW) de solaire et d’éolien, franchissant ainsi, dès maintenant, son objectif de 1 200 GW fixé pour 2030, avec six ans d’avance. Cette progression fulgurante correspond à une hausse annuelle de 45 % pour le solaire et de 18 % pour l’éolien.

Cette expansion a permis de compenser une grande partie de la croissance énergétique, si bien que les émissions de CO2 sont restées inférieures à celles de l’année précédente pendant dix mois consécutifs, malgré une hausse annuelle globale estimée à 0,8 %. Ce rebond s’explique par la reprise post-Covid et une demande exceptionnelle en début d’année, notamment liée à des vagues de chaleur record qui ont perturbé la production hydroélectrique, forçant le recours accru au charbon. Mais ce succès masque une autre réalité : l’effort climatique chinois reste avant tout technocentré, peu redistributif, et fortement dépendant de logiques industrielles lourdes, comme le charbon ou la chimie, qui continuent de croître.

Le système national d’échange de quotas d’émissions (ETS), lancé en 2021, est déjà le plus grand du monde en volume couvert. En 2024, la Chine a représenté près de 60 % des ventes mondiales de voitures électriques. Elle produit environ 75 % des batteries lithium-ion mondiales.

Si certains analystes estiment que la Chine pourrait avoir atteint son pic d’émissions en 2024, les autorités, elles, maintiennent le cap officiel d’un pic « avant 2030 » et n’ont pour l’heure annoncé aucune inflexion.

Dans son allocution de 2025 sur la transition juste, Xi associe transition climatique, réduction des inégalités et leadership global. Ce discours achève de consacrer la « civilisation écologique » non seulement comme un objectif de politique publique, mais comme un projet de civilisation, intégré à la trajectoire historique du Parti et présenté comme la voie chinoise vers la modernité durable.

Comprendre la « civilisation écologique » aujourd’hui

Aujourd’hui, la « civilisation écologique » fait partie intégrante du socle idéologique du régime chinois sous Xi Jinping. Si le terme peut paraître abstrait, voire poétique, il renvoie pourtant à un projet très concret, qui structure les politiques publiques, les plans de développement, les discours diplomatiques et l’appareil doctrinal du Parti.


À lire aussi : Lancement de la mission Tianwen-2 : comprendre la politique spatiale de la Chine. Une conversation avec Isabelle Sourbès-Verger


Il ne s’agit pas d’une écologie citoyenne ou militante, encore moins participative. La « civilisation écologique » telle qu’elle est pensée en Chine propose une transition verte entièrement pilotée par l’État, centralisée, planifiée, hiérarchisée. Elle promet un verdissement du développement sans en transformer les fondements productivistes ni ébranler le monopole du Parti : c’est une transition par le haut, sans rupture. La nature y est conçue comme une ressource stratégique, un capital à valoriser, un levier d’accumulation et de puissance nationale.

Dans ce cadre, protéger l’environnement ne signifie pas ralentir le développement, mais le réorienter. Le mot d’ordre est de produire autrement, pas moins. Miser sur les technologies vertes, les « zones modèles », les villes intelligentes, à l’image de la nouvelle ville de Xiong’an, conçue comme un laboratoire de modernité écologique par les autorités. Une réorganisation qui, tout en intégrant le vocabulaire écologique, préserve les logiques productivistes.

Si l’on peut observer et commenter toute cette mise en action, il n’existe cependant pas, à proprement parler, de définition unique de ce qu’est la « civilisation écologique » dans les textes officiels. Plusieurs tentatives de clarification ont cependant vu le jour dans les médias proches du pouvoir ou dans les textes de vulgarisation. En 2018, un article publié sur des médias officiels la présentent comme une étape éthique et culturelle succédant à la civilisation industrielle. Elle y est décrite comme fondée sur l’harmonie entre l’homme, la nature et la société, et sur une transformation profonde des modes de vie, de production et de gouvernance. Cette vision dépasse le simple cadre chinois : elle se veut universelle, mais en partant d’une base nationalement définie.

Dans ses discours récents, Xi Jinping affirme lui que la civilisation écologique représente la quatrième grande transformation de l’histoire humaine, après les civilisations primitive, agricole et industrielle. Elle naîtrait de la crise écologique mondiale engendrée par l’industrialisation et proposerait un nouveau paradigme, qui n’abolit pas l’industrie, mais l’intègre dans une logique écologique de long terme.

Dans les discours officiels, ce tournant est présenté comme une contribution intellectuelle au marxisme contemporain. Xi insiste sur le fait que la nature ne doit plus être considérée uniquement comme un décor ou une ressource passive, mais comme une force productive à part entière. Le slogan désormais célèbre selon lequel « les eaux limpides et les montagnes verdoyantes sont des montagnes d’or et d’argent » devient dans ce cadre une véritable théorie de la valeur écologique.

La richesse ne se mesure plus uniquement en production humaine, mais aussi en valeur ajoutée naturelle. Une forêt non exploitée, un fleuve propre, un écosystème équilibré deviennent des actifs économiques valorisables. Cette idée traverse aujourd’hui les discours sur la finance verte, la comptabilité environnementale, ou les marchés du carbone, qui prennent une place croissante dans les politiques publiques chinoises. L’instauration en 2021 d’un réseau national de parcs, dont celui du panda géant ou de la forêt tropicale de Hainan, illustre cette volonté de faire du vivant un capital à la fois écologique, économique et symbolique.

Une écologie d’État aux contours mouvants

La « civilisation écologique » n’est donc pas simplement un concept environnemental parmi d’autres. C’est une forme de gouvernance verte aux contours mouvants, qui mêle planification, contrôle, innovation technologique et ambition civilisationnelle. Elle combine gestion centralisée, récit de puissance, et ambitions géopolitiques.

La « civilisation écologique » est autant une promesse de durabilité qu’un projet de souveraineté verte destiné à concurrencer les modèles occidentaux. Mais son avenir, comme celui de la transition écologique mondiale, reste suspendu à une question centrale : jusqu’où peut-on verdir un modèle de développement sans en changer les fondements ?

The Conversation

Virginie Arantes a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique – FNRS (Belgique).

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