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04.05.2025 à 11:18
Pêches durables : et si on faisait le pari de la nuance ?
Texte intégral (2686 mots)
L’impact des pêches sur les océans est souvent décrié, mais les débats manquent de nuances. Si on veut s’assurer que les promesses de pêche durable soient tenues, il faut d’abord s’interroger sur la façon dont on construit les chiffres et sur les mots employés.
La pêche est souvent désignée par les médias comme une menace pour les océans. Un rapport de l’IPBES affirmait que son empreinte spatiale couvre 55 % de la surface océanique totale, soit quatre fois celle de l’agriculture. Ces chiffres sont en réalité tirés d’une étude de Global Fishing Watch (GFW), dont les choix méthodologiques méritent d’être interrogés.
En effet, l’empreinte de la pêche varie considérablement selon la résolution spatiale choisie comme montré dans une autre étude. En passant d’une résolution de 0,5 ° (c’est-à-dire, chaque « maille » mesure 3 100 km2 à l’équateur) à 0,01 ° (environ 123 km2 à l’équateur), celle-ci serait divisée par plus de cinq. Ainsi, la pêche occuperait plutôt 9 % des océans à cette échelle plus fine. Se pose aussi la question de sa comparaison à l’empreinte de l’agriculture, dont le calcul s’appuie sur une résolution bien plus fine (86 km2), ce qui tend à minimiser son impact relatif par rapport à la pêche.
Les auteurs de la première étude ont défendu leurs choix en arguant que leur objectif était de représenter non seulement l’empreinte spatiale directe de la pêche, mais aussi son empreinte indirecte sur l’ensemble des habitats de l’aire de répartition des espèces exploitées. Cette distinction est pourtant essentielle, car elle introduit une confusion entre effets de la pêche sur les populations de poisson et ses effets sur leurs habitats. Le risque est alors grand de mélanger deux sujets qui, s’ils ne sont pas sans lien, relèvent de deux logiques différentes.
Si l’on souhaite questionner l’impact environnemental de la pêche, il est donc crucial d’adopter le bon niveau de détail et de prendre en compte toute la complexité liée à la diversité des pratiques. Au-delà des choix méthodologiques, les choix terminologiques importent également pour s’assurer que les promesses de « pêche durable » ne soient pas un vœu pieux.
Pêche « industrielle » ou « artisanale », le choix des mots
Le choix des mots n’est jamais anodin. En matière de pêche, sujet éminemment complexe, les termes employés dans le débat ne sont jamais neutres et peuvent être intentionnellement chargés. Prenons l’exemple de la « pêche industrielle ». Cette expression est souvent opposée à la « pêche artisanale », qui ne repose pourtant sur aucune définition universellement admise.
Pourtant, cette opposition structure de nombreuses discussions, alors que la réalité est bien plus complexe et ne peut pas s’enfermer dans un déterminisme technique opposant les techniques de capture des « petits » et les « gros » navires de pêche, ou encore les arts traînants (ex. chaluts, dragues) et les arts dormants (ex. casiers, lignes). Loin d’être des catégories bien cloisonnées, les multiples formes de pêche s’inscrivent dans un continuum qui intègre notamment lieux de pêche (proche des côtes, en haute mer), caractéristiques des navires (longueur, jauge, puissance), nature active ou passive des engins de pêche, type de propriétaire (artisanal, industriel).

L’Histoire regorge d’exemples de surexploitation des océans par des formes de pêche qualifiées d’artisanales. Au Chili, la pêche du « loco » (Conchelopas conchelopas), un faux ormeau, a failli éradiquer l’espèce en quelques années, alors qu’elle était pratiquée à la main !
De même, d’un point de vue énergétique, certaines formes de pêche industrielle, comme celles pratiquées par les mégachalutiers, pourraient afficher paradoxalement un meilleur bilan carbone à la tonne capturée en raison de leur redoutable efficacité. Les oppositions binaires ne rendent donc pas justice à la diversité et à la complexité des situations, que l’emploi des pêches au pluriel permet d’approcher.
Autre terme problématique : l’« empreinte ». Dans le rapport de l’IPBES cité plus haut, la pêche est désignée comme la principale pression sur la biodiversité marine, en combinant l’empreinte spatiale (le chiffre de 55 % dont on a parlé plus haut) avec d’autres indicateurs biologiques, soit une baisse de 14 % du nombre de prédateurs marins et une surexploitation d’environ 30 % des stocks halieutiques au-delà du « rendement maximum durable », c’est-à-dire le seuil utilisé par les politiques publiques pour qualifier l’état de surexploitation ou non d’un stock donné.
Certes, la surexploitation des océans par la pêche est une question préoccupante, mais il ne faut pas tout confondre. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, si toutes les populations de poissons étaient exploitées durablement, c’est-à-dire en deçà du rendement maximum durable, la pêche demeurerait la principale source de pression sur la biodiversité marine. Il est donc théoriquement possible d’exploiter les ressources halieutiques de façon « durable » tout en ayant un fort niveau d’impact sur la biodiversité marine.
Les paradoxes des pêches françaises
Les données globales sur l’état des stocks halieutiques montrent une dégradation préoccupante. Concernant les stocks « biologiquement viables » (c’est-à-dire « en bon état » – à la fois non surpêché et présentant une biomasse supérieure à un seuil de référence – et « reconstituables » – pour lesquels la pression de pêche est compatible avec une reconstitution des populations), ceux-ci sont passés selon la FAO de 68,9 % en 2017 à 62,3 % en 2021 (hors stocks non classifiés et non évalués).
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Cette moyenne masque toutefois d’importantes disparités régionales :
dans le Pacifique Centre-Est (au large du Mexique et des États-Unis), 84,2 % des stocks sont exploités à des niveaux biologiquement viables, contre seulement 33,3 % dans le Pacifique Sud-Est (au large du Pérou et du Chili).
En Europe, la situation s’est améliorée : l’Atlantique Nord-Est affiche désormais 79,4 % de stocks exploités de manière durable, en nette progression en comparaison de la situation il y a trente ans.
En France, la tendance est également positive par rapport à la situation d’il y a trente ans. En 2022, 63 % des stocks étaient pêchés à des niveaux biologiquement viables – toujours hors stocks non classifiés et non évalués.
Ce chiffre reste inférieur à celui de l’Atlantique Nord-Est, mais il marque un progrès, surtout si l’on considère que la mauvaise situation de la Méditerranée fait baisser la moyenne française. Si l’on raisonne désormais en termes de volume de débarquement, la situation apparaît encore plus favorable : 71,4 % des poissons débarqués en 2022 provenaient de stocks exploités à des niveaux biologiquement viables, contre seulement 28 % en 2000.
On voit ainsi comment le choix des échelles et des indicateurs donne à voir les nuances entre les régions du monde, les façades maritimes hexagonales, entre les ports, etc. Les questions qui traversent les pêches telles que la surexploitation, le « bon » dosage entre les modèles de pêche (et donc la question de la « pêche industrielle ») ou encore la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), par exemple, n’ont pas la même consistance ou réalité en fonction des contextes et échelles. Pour poursuivre sur ce dernier exemple, la pêche INN amalgame en effet des choses très différentes allant du « petit braconnage » – sans vouloir ni le banaliser ni le minorer – jusqu’à une pêche pirate qui repose sur un esclavagisme moderne.
Ainsi, trois principaux paradoxes peuvent être relevés concernant la situation des pêches en France, comparée aux pêcheries mondiales.
La pêche française est en déclin (navires, emplois, et même débarquements), alors qu’elle est en plein essor à l’échelle mondiale.
Les stocks s’améliorent en Europe et en France, alors que leur dégradation se poursuit ailleurs.
La production nationale baisse, alors que la consommation reste stable ; ce qui accroît la dépendance aux importations. La France ne produit plus qu’un quart des produits de la mer qu’elle consomme.
D’une certaine manière, pour alléger la pression sur les stocks qui approvisionnent le marché européen, il est nécessaire de maintenir des volumes de production en Europe et en France. Le risque, dans le cas contraire, serait d’améliorer la situation en Europe et en France tout en externalisant une partie grandissante de la pression de la pêche sur les populations de poisson et sur la biodiversité dans le reste du monde.
Remettre de la nuance dans le débat
Le débat public sur la pêche est souvent marqué par des formules choc : « déforestation marine », « bulldozers des mers », « vider la mer »… Clivantes, ces simplifications sont surtout trompeuses, puisqu’elles éludent bien souvent la diversité des pratiques et des situations.
En France hexagonale, seuls 192 navires dépassent 24 mètres, dont 34 mesurent plus de 40 mètres, sur une flotte totale de 4 200 bateaux. Dans certaines régions, comme les Pays de la Loire, la flotte est composée exclusivement de navires de moins de 25 mètres, patronnés par leur armateur (propriétaire à la barre). Cette réalité contraste avec l’image erronée d’une industrie dominée par d’immenses navires-usines.
L’arbre médiatique du « méga-chalutier » cache souvent la forêt de navires de pêche plutôt petits et vieux (10 m en moyenne et âgé de plus de 30 ans), vulnérables, parfois dangereux et souvent fortement consommateurs de carburant en comparaison de navires plus récents. En faisant l’analogie avec le secteur automobile, c’est un peu comme si en 2025 le modèle de voiture le plus courant était la Renault Twingo 1.
Le nombre de marins pêcheurs en France a chuté de 85 000 à 9 200 en 80 ans. Cette réduction drastique, bien que partiellement compensée par une hausse de la productivité, illustre le déclin d’un métier soumis à de nombreuses contraintes. Pourtant, la transition vers des pêches plus « durables » ne peut se faire sans les pêcheurs.
Il ne s’agit pas de défendre un modèle figé, mais d’accompagner les évolutions nécessaires : réduction de l’impact sur les habitats marins, amélioration de la sélectivité des engins, réduction de la consommation de carburant, maintien d’une rémunération décente et accessibilité des produits de la mer à toutes et tous.
Plutôt que de condamner la pêche de manière uniforme, il est essentiel d’adopter une approche nuancée, loin des stériles oppositions binaires, et de prendre en compte la diversité des pratiques, des contextes et des enjeux. Cela passe par un dialogue constructif entre pêcheurs, politiques, scientifiques, et consommateurs, afin d’élaborer des solutions adaptées à chaque situation.
À force de simplifier à outrance le débat, la question des pêches est aujourd’hui de plus en plus mal posée, rendant plus compliquée leur transition vers la durabilité. Faire le pari de la nuance, c’est s’engager sur un chemin difficile et exigeant, mais c’est la condition pour que les pêches se maintiennent en France et en Europe et plus globalement dans les pays considérés comme « développés ».
Un maintien non pas pour servir un quelconque folklore, mais simplement parce que c’est une activité qui rend de nombreux services à la société tels que contribuer à la souveraineté alimentaire, fournir des emplois à l’année, participer à l’aménagement des territoires, assurer une présence en mer, etc. Et cela, sans aggraver une catastrophe environnementale et sociale à l’autre bout de la planète.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
02.05.2025 à 09:54
Mieux enterrer les défunts : le compostage, une nouvelle voie funéraire ?
Texte intégral (2213 mots)
C’est un nouveau type d’obsèques qui intéresse de plus en plus. En France, la « terramation » se heurte pour l’instant à des défis légaux et techniques qui ne semblent pas forcément insurmontables, mais auxquels il faudra répondre.
Pourra-t-on bientôt choisir d’être transformé en compost après notre mort ? Alors que la pratique du compostage funéraire, appelée terramation, se répand aux États-Unis et qu’elle est actuellement expérimentée en Allemagne, l’idée est à l’étude en France. Pour le moment, notre cadre juridique restreint les modes de sépulture aux deux seules pratiques citées dans la loi : l’inhumation et la crémation.
Mais cette apparente exclusivité cache en réalité une grande diversité de procédés et laisse ouverte la possibilité d’une évolution des pratiques funéraires.
Qu’est-ce que la terramation ?
La terramation, fusion de terra et transformatio qui renvoient respectivement aux idées de « surface au sol » et de « métamorphose », est un mode de sépulture inspiré du cycle de la nature.
La terramation repose sur l’emploi de copeaux de bois afin de créer des conditions propices à l’activité des bactéries dites aérobies, c’est-à-dire utilisant l’oxygène. Elle diffère ainsi de l’enterrement classique, qui place le corps dans des conditions anaérobies en le recouvrant de terre où en le plaçant dans un caveau hermétique. Faute d’oxygène, la décomposition est alors très lente et nécessite plusieurs années, et même parfois plusieurs décennies. La putréfaction génère également des résidus néfastes pour l’environnement.
La terramation propose au contraire un temps de dégradation du corps réduit (moins d’un an) et une nouvelle vision de la mort. Ce procédé produit en effet un humus sain qui peut alimenter la croissance des plantes. Il est dès lors possible de transformer les cimetières en espaces de mémoire végétalisés, riches et vivants. La mort (re)devient une étape du cycle du vivant.
Comme pour l’enterrement, qui regroupe un ensemble de pratiques (enterrement en pleine terre, mise en caveau ou encore enfeu hors-sol), le terme terramation recouvre en réalité différents procédés de compostage employés pour la réduction des corps. La terramation peut prendre place en surface, en sous-sol ou même dans des caissons hors-sol.
Cette dernière version, baptisée Natural Organic Reduction, permet de contrôler intégralement le processus de biodégradation. Son principal avantage est d’offrir un procédé fiable, hygiénique et réalisable en un temps réduit : un mois suffit à la biodégradation complète d’un corps. Cette Natural Organic Reduction est déjà légale aux États-Unis et est actuellement proposée à titre expérimental en Allemagne.
Une évolution portée par la société civile
En France, les études d’opinions démontrent un plébiscite en faveur de solutions funéraires plus écologiques, de 20 % à plus de 45 % des sondés, et une bonne acceptation socioculturelle de la terramation. Mais l’approche « hors-sol » états-unienne semble susciter peu d’enthousiasme.
Il existe cependant d’autres approches de terramation, plus naturelles. C’est le cas de l’humusation, un processus réalisé en extérieur et au contact du sol, sous une butte de broyat végétal. Bien qu’historiquement pionnier, ce procédé développé en Belgique n’a pas encore obtenu de reconnaissance légale et peine à démontrer sa faisabilité.
La lenteur de la dégradation des corps et le risque de pollution des sols en nitrate et amoniaque avaient notamment été mis en avant par les autorités de Bruxelles pour justifier leur refus de légaliser l’humusation.
Une autre version est également à l’étude : la terramation en sous-sol, sorte d’hybride entre l’enterrement traditionnel et le compostage en surface. Pour y parvenir, plusieurs contraintes techniques sont à considérer, dont la compatibilité avec les soins ante mortem, la robustesse aux diverses situations climatiques ou encore l’usage obligatoire du cercueil pour tout type d’obsèques. Cependant, depuis 2019, le matériau bois n’est plus le seul autorisé par les normes relatives aux cercueils : le développement de cercueil en matériaux rapidement biodégradables, plus compatibles avec la terramation, serait donc possible.

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Dans ce contexte, un projet de recherche participatif sur la terramation, associant les universités de Lille et de Bordeaux et l’association Humo Sapiens, a débuté en 2024. Le développement d’un prototype fonctionnel est également annoncé pour 2026. Il permettra de tester la méthode, de la documenter scientifiquement et de mesurer son impact sanitaire et environnemental. Ces éléments devraient accroître la visibilité et la crédibilité de la terramation et faciliter le portage du sujet dans la sphère politique, avec pour objectif une révision favorable de la réglementation funéraire.
Le cadre légal en France
Le cadre légal français ne reconnaît pas encore la terramation qui ne peut donc pas actuellement être pratiquée. Se pose, cependant, la question de savoir si la terramation doit être envisagée comme une forme d’inhumation ou comme une nouvelle pratique à part entière. Par ailleurs, comme le souligne une récente étude, notre système juridique semble en capacité d’accueillir la terramation, moyennant des changements mineurs.
En effet, une telle évolution rappelle, dans une moindre mesure, ce que fut la légalisation de la crémation, difficilement acceptée en France à cause du fait religieux. Elle est advenue dans le cadre de la loi du 15 novembre 1887 relative à la liberté des funérailles, loi complétée par le décret du 27 avril 1889. Il suffirait de mettre à jour ce décret pour pouvoir reconnaître légalement la terramation, parce que la loi de 1887 ne dit rien à propos de l’inhumation ou de la crémation. Elle offre uniquement la possibilité de choisir parmi les possibilités prévues dans le décret de 1889. Autrement dit, elle laisse une porte ouverte consistant à actualiser ce décret pour proposer une troisième voie funéraire aux citoyens.
Les autres obstacles à la légalisation de la terramation concernent les problématiques de transport des corps et, plus généralement, celles des lieux, des enjeux sanitaires et du respect dû aux corps morts. Par exemple, certains soins de conservation des corps impliquant l’usage de conservateurs toxiques pour l’environnement semblent peu compatibles avec la terramation. Tous les thanatopracteurs ne sont cependant pas d’accord à ce sujet.
Cette liste, non exhaustive, donne un premier aperçu des enjeux liés à la reconnaissance et au développement d’une nouvelle pratique funéraire. Les recherches scientifiques et les réflexions en cours devraient permettre d’apporter les éléments nécessaires quant à la faisabilité technique du procédé, à son impact sanitaire et environnemental ou encore à sa dimension rituelle et spirituelle.
Le développement de la terramation semble donc être un changement conceptuel au moins autant que technique ou juridique.
Une décision politique ?
Si la technique fonctionne (ce qui reste encore à démontrer dans le cas des procédés au sol ou en sous-sol) et que le cadre légal peut être adapté sans trop de difficulté, reste la décision politique.
Le gouvernement français a déjà été interrogé plusieurs fois dans le cadre de projets de loi ou de questions directes demandant l’autorisation à titre expérimental de la terramation. Le sujet semble donc être considéré avec sérieux par l’ensemble de l’échiquier politique et ne suscite pas de franche opposition. L’argument de la dignité du corps, soulevé dans certaines réponses du gouvernement, traduit surtout l’embarras à apporter une réponse à cette demande. Le funéraire reste un domaine peu connu, sans réelle envergure politique et donc difficile à porter pour des élus. Une proposition de loi a néanmoins été déposé, début 2023, et la création d’un groupe de travail ministériel sur la question avait été annoncée par le gouvernement. Mais suite aux divers remous de la vie politique française, il est malheureusement difficile de dire si ces initiatives sont encore d’actualité.
Citoyens, associations, chercheurs et professionnels continuent de se mobiliser.
En décembre 2024, la métropole de Grenoble a organisé une journée des transitions funéraires consacrée à la terramation. La présence de nombreux élus, de gestionnaires de cimetière ou encore de représentants des entreprises du secteur funéraire confirme le signe d’une dynamique en cours.
L’idée de la terramation s’impose également progressivement dans l’opinion publique, comme en atteste la récente parution d’articles et de points de vue favorables dans divers médias de large audience : le Monde, les Échos, la Gazette des communes, le Point, etc. De curiosité de Toussaint, la terramation fait donc son chemin vers sa reconnaissance en tant que nouvelle voie funéraire.

Jordy Bony a reçu des financements de L'Agence Nationale de la Recherche (ANR) dans le cadre du projet de recherche Sciences Avec et Pour la Société / Recherche-Action / Ambitions Innovantes F-COMPOST. Ce projet comporte une collaboration scientifique avec l'association Humo Sapiens, mentionnée dans cet article et qui milite pour la reconnaissance légale de la terramation.
Damien Charabidzé a reçu des financements de L'Agence Nationale de la Recherche (ANR) dans le cadre du projet de recherche Sciences Avec et Pour la Société / Recherche-Action / Ambitions Innovantes F-COMPOST. Ce projet comporte une collaboration scientifique avec l'association Humo Sapiens, mentionnée dans cet article et qui milite pour la reconnaissance légale de la terramation.
30.04.2025 à 17:33
Zones à faibles émissions : au-delà de verdir l’automobile, un levier vers les mobilités durables
Texte intégral (2905 mots)
Les zones à faibles émissions (ZFE) cristallisent la controverse en France, alors que leur suspension est discutée à l’Assemblée nationale. Souvent présentées comme un outil permettant de verdir le parc automobile, potentiellement aux dépens des populations défavorisées résidant en périphérie, elles sont avant tout un levier permettant le développement des mobilités durables. Une étude récente menée dans l’agglomération grenobloise montre que la frange de la population impactée sans alternative est très faible et qu’elle pourrait bénéficier de mesures d’accompagnement ciblées.
Plusieurs centaines de zones à faibles émissions (ZFE) existent en Europe. Leurs bénéfices sanitaires sont avérés, avec notamment une réduction des maladies cardiovasculaires liées à la pollution atmosphérique. Pourtant, en France, alors que la pollution aux particules fines de diamètre inférieur à 2,5µm (PM2,5) et celle due aux oxydes d’azote (NOx) causent, pour la première, près de 40 000 et, pour la deuxième, 7 000 morts prématurées par an, le Parlement envisage de revenir sur les ZFE.
Les classes sociales les plus défavorisées sont celles qui auraient le plus à gagner de la lutte contre la pollution. En effet, elles sont les plus exposées à de forts niveaux de pollution de l’air.
Pourtant, les ZFE sont souvent considérées comme socialement injustes pour ces populations. Elles sont perçues comme un outil destiné à verdir le parc automobile en favorisant l’acquisition de véhicules récents, jugés plus propres. Comme les véhicules plus récents sont plus coûteux, les ménages aux revenus modestes, qui possèdent plus de voitures anciennes, se trouvent davantage pénalisés a priori.
Nos recherches invitent à dépasser cette vision. Les zones à faibles émissions constituent avant tout un levier permettant de développer les mobilités durables, tout en répondant aux améliorant les enjeux sanitaires liés à la qualité de l’air. Cela en fait un pilier pour la transformation de nos mobilités urbaines, et invite à repenser notre dépendance à la voiture individuelle, source de multiples nuisances.
Outre la pollution de l’air et ses effets sanitaires, l’usage massif de la voiture individuelle génère du bruit, contribue à la sédentarité (facteur d’obésité) et accapare l’espace public. Il en résultat un cercle vicieux bien connu : plus on lui réserve d’espace, plus les alternatives deviennent limitées et plus les habitants en sont dépendants.
Promouvoir le report modal plutôt que de verdir l’automobile
La vision des ZFE consistant en un dispositif de verdissement du parc automobile domine les débats qui passent ainsi à côté de l’essentiel.
Les ZFE peuvent être bien plus que cela, car il existe d’autres manières de s’adapter aux restrictions imposées par une ZFE que l’achat d’un véhicule conforme : changer son mode de transport (prendre les transports en commun, le vélo, marcher), adapter ses horaires de déplacement, voire modifier certaines destinations, sont autant de solutions souvent réalistes.
L’étude que nous avons menée sur l’agglomération grenobloise a quantifié les capacités d’adaptation des ménages à cette ZFE. Pour cela, nous nous sommes plongées dans l’enquête « Ménages mobilité grande région grenobloise » (EMC2) qui répertorie les déplacements (origine et destination de chacun des déplacements, modes de transport, motif de déplacement et équipements) d’un échantillon représentatif de la population du territoire.
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Nous avons comparé, pour chaque mode de transport, les caractéristiques (distance, mais pas seulement) des déplacements et notamment des boucles de déplacement (ensemble des déplacements réalisés entre un départ du domicile et un retour au domicile). Nous avons considéré que les déplacements et chaînes de déplacements effectués en voiture qui avaient les mêmes caractéristiques que celles d’autres déplacement effectués avec d’autres modes étaient reportables vers ces modes.
Nous avons également examiné les motifs de déplacement (déplacements domicile-travail, courses, loisirs, rendez-vous médicaux…). L’enjeu étant d’évaluer si certaines destinations, au sein du périmètre de la ZFE, étaient substituables à d’autres en dehors de la ZFE.
Premier résultat : seuls 8 % des ménages de l’agglomération sont impactés par la ZFE, c’est-à-dire ayant une voiture avec une étiquette CritAir non conforme et des déplacements dans le périmètre de la ZFE.
Pour ces ménages impactés, deux solutions peuvent être envisagées. D’abord le report modal pour 57 % d’entre eux, avec un potentiel extrêmement élevé du vélo conventionnel ou électrique, puis le changement de destination pour 13 % des ménages. Au-delà de l’amélioration de la qualité de l’air que ce report modal génèrerait, l’impact sanitaire lié à l’activité physique (marche, vélo ou même marche liée aux transports en commun) est considérable. Au niveau de l’agglomération grenobloise, nous montrons qu’au moins 300 décès prématurés par an pourraient être évités. Surtout, l’essentiel de ce gain ne vient pas tant de la baisse de la pollution que de l’augmentation de l’activité physique au quotidien.
Au final, seuls 30 % des 8 % de ménages impactés sur la totalité de l’agglomération (soit environ 2 % des habitants) n’ont pas d’autre solution que l’achat d’une voiture pouvant rouler dans la ZFE. En considérant le niveau de revenu de ces ménages, ils ne sont que 0,4 % de l’agglomération (soit environ de 300 à 1 500 personnes sur 826 000 habitants) à se retrouver dans l’impasse de la dépendance à un vieux véhicule sans moyen financier d’en changer.

Ce constat est à la fois inquiétant et rassurant. Inquiétant, car ces personnes ne pourront rester sans aide. Et rassurant, car le nombre de ménages concerné est finalement faible, et il est possible de mettre en place des aides financières ciblées pour ces ménages sans remettre en cause l’ensemble de la politique ZFE.
Ces proportions sont certes spécifiques à la situation grenobloise, mais elles montrent que l’adaptation des villes est possible, surtout si celles-ci sont bien accompagnées.
Le paradoxe de l’acceptabilité
Un argument souvent avancé pour justifier de l’abandon des ZFE est leur manque d’acceptabilité dans la population.
Contrairement à l’image véhiculée d’une fronde généralisée, nos travaux basés sur un échantillon représentatif de la population dans la métropole grenobloise montrent que seule 1 personne sur 4 y est opposée. Comprendre : les trois quarts de la population sont soit favorables, soit neutres et plus d’un tiers se dit même « très favorable » à cette mesure.
Cet état de l’opinion révèle un paradoxe : une majorité est prête à accepter des restrictions de circulation, pourvu qu’elles soient efficaces et équitables, tandis qu’une minorité cristallise l’attention médiatique.
Nous avons alors cherché à identifier et à mieux comprendre les tenants et aboutissants de l’acceptabilité des ZFE. Or, résultat surprenant tout autant qu’instructif, il ressort de l’analyse que ce n’est pas tant le fait d’être impacté ou non par la ZFE qui détermine en premier lieu son niveau d’acceptabilité, mais avant tout les perceptions individuelles sur l’impact de la ZFE sur l’environnement, sur la santé publique, sur la mobilité et sur la justice sociale.
Certaines mesures d’accompagnement peuvent toutefois améliorer ce niveau d’acceptabilité :
ces mesures peuvent favoriser le report modal vers les transports en commun (développement de nouvelles lignes, parking relais…), éventuellement en jouant sur leur accessibilité financière (ticket unique, tarifs plus bas) ;
elles peuvent aussi inciter au report modal vers le vélo (développement de nouvelles infrastructures dédiées).
Il peut s’agir d’aides financières pour s’acheter une voiture conforme à la ZFE,
ou de l’introduction de dérogations pour certaines catégories d’automobilistes,
enfin, la création d’un service offrant des conseils personnalisés en fonction des situations peut aider à mettre en œuvre les solutions de report modal.
Le profil des partisans et des opposants
Notre travail révèle une très forte hétérogénéité de la perception de l’utilité de ces mesures, à la fois au sein des partisans à la ZFE et au sein de ses opposants.

Tout d’abord au sein des opposants, un profil se distingue. Il s’agit de personnes que l’on pourrait considérer comme réfractaires idéologiques, opposées par principe à toute forme de restriction de l’automobile, qui considèrent qu’aucune mesure d’accompagnement n’est utile. Quoi que l’on fasse, ces personnes resteront opposées aux ZFE.
Par contre, on retrouve chez les opposants un autre profil de personnes qui considèrent que certaines mesures d’accompagnement sont utiles : parking relais combinés à des transports collectifs renforcés, aides pour changer de véhicule ou de mode de transport, dérogation pour les commerces de centre-ville, par exemple. Ces personnes seraient susceptibles de mieux accepter la ZFE si ces mesures étaient mises en œuvre. Il s’agit donc d’une cible à privilégier pour les décideurs publics.
Parmi les partisans aussi, on distingue plusieurs profils. D’un côté, les personnes convaincues à la fois par l’utilité de la ZFE et les mesures d’accompagnement proposées pour en limiter les impacts en termes de justice sociale et pour favoriser le report modal.
Enfin, certaines personnes favorables à la ZFE pourraient ne plus la soutenir si trop de dérogations vers les automobilistes venaient amputer l’ambition environnementale et sanitaire de la ZFE.
Des ZFE socialement justes qui aident à développer les mobilités durables et actives
Si l’on souhaite pérenniser et généraliser les ZFE en France, les stratégies d’accompagnement devront donc être savamment dosées.
La priorité principale est d’expliquer et d’informer. Il est essentiel de montrer concrètement l’impact de la pollution sur la santé (mortalité, maladies chroniques) et comment les ZFE, dans le cadre d’un ensemble de mesures, peuvent améliorer la vie quotidienne de tous.
Le deuxième pilier doit être l’équité. Pour que la ZFE soit comprise comme juste, il faut accompagner les ménages modestes qui pourraient souffrir des restrictions de circulation. Cela passe bien sûr par des aides financières ciblées, mais aussi par le développement d’alternatives fiables : transports publics fréquents et abordables, pistes cyclables et trottoirs sécurisés, covoiturage organisé, autopartage, ainsi qu’une certaine flexibilité. Des dérogations permettant à chacun de se rendre dans la ZFE, par exemple, une fois par semaine, comme à Montpellier, ou pour les petits rouleurs, comme à Grenoble, faciliteront l’acceptabilité du dispositif tout en n’impactant son efficacité environnementale que de façon marginale.
Après l’abandon du plan vélo, des primes à l’achat du vélo électrique et le rabotage du budget consacré au leasing social des voitures électriques, que resterait-il des politiques de mobilité durable si les ZFE venaient à disparaître ?
Face à l’urgence sanitaire et climatique, les ZFE doivent constituer la pierre angulaire d’un vaste programme visant à repenser notre mobilité pour nous guérir de la dépendance à la voiture individuelle. Nos recherches montrent justement que des alternatives existent, et que celles-ci pourraient permettre de concilier objectifs environnementaux, sanitaires et sociaux, sans pénaliser les ménages les plus vulnérables.

Sandrine Mathy a reçu des financements de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME) et de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR).
Carole Treibich et Hélène Bouscasse ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
29.04.2025 à 17:31
BD : L’Héritage du dodo (épisode 1)
Texte intégral (943 mots)

La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Pour s’y plonger, suivons la figure du dodo, cet oiseau endémique de l’île Maurice désormais éteint. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp.
L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…
On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !
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Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
28.04.2025 à 17:27
La décroissance impliquerait-elle le retour à l’âge de la bougie ?
Texte intégral (2272 mots)

Le « jour du dépassement » a été atteint le 19 avril dernier. Diminuer le produit intérieur brut (PIB) pour faire disparaître ce dépassement écologique n’impliquerait pas de retourner à l’âge de la bougie. C’est ce que conclut une étude appliquée à la France et à l’Allemagne. Le PIB par habitant soutenable d’aujourd’hui correspondrait à un niveau observé dans les années 1960. Tout en gardant les technologies actuelles.
En 2020, le président Macron balayait la demande de moratoire de la gauche et des écologistes sur le déploiement de la 5G en renvoyant ses opposants au « modèle amish et au retour à la lampe à huile ». En 2024, le premier ministre Attal estimait que « la décroissance, c’est la fin de notre modèle social, c’est la pauvreté de masse ». Au vu de ces citations, tout refus du progrès ou toute baisse volontaire de l’activité économique est assimilé à un retour en arrière, voire à un monde archaïque.
Pourtant, le 1er août 2024, l’humanité atteignait son « jour de dépassement » écologique. À cette date, celle-ci avait consommé l’ensemble des ressources naturelles que la planète avait produites pour satisfaire sa consommation et absorber ses déchets pour toute l’année.
Dans le cas de la France, le jour du dépassement était déjà atteint le 19 avril. Malgré ses limites, le jour du dépassement est un indicateur pédagogique très utilisé pour mesurer le degré de non-soutenabilité du « train de vie » moyen d’une population sur le plan environnemental. Plus ce jour intervient tôt dans l’année, moins ce train de vie est durable.
Afin de reculer le jour du dépassement (et idéalement de le ramener au 31 décembre), on peut schématiquement opposer deux grandes stratégies.
La première vise à découpler les activités humaines de leur empreinte environnementale, principalement par le progrès technique. C’est la posture « techno-solutionniste ».
La deuxième, promue notamment par les partisans de la décroissance, ne croit pas en la faisabilité de ce découplage. Elle prône une réduction volontaire et ciblée des activités humaines elles-mêmes.
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Une étude récente, appliquée en particulier à la France, réfute les citations du premier paragraphe. Elle montre que la baisse du PIB permettant de faire disparaître le dépassement écologique en France n’impliquerait nullement un retour à l’âge de la bougie (ou de la lampe à huile), mais à un PIB par habitant observé dans les années 1960.
Définition de l’empreinte écologique
Le point de départ de l’étude consiste à faire le lien entre empreinte écologique, PIB et population d’un pays, à travers l’identité suivante :
E = eyP
où :
E désigne l’empreinte écologique. Selon le Global Footprint Network (GFN), l’organisme qui produit les statistiques relatives à l’empreinte écologique, celle-ci mesure la surface de terre et d’eau biologiquement productive dont un individu, un pays ou une activité a besoin pour produire toutes les ressources qu’il consomme et pour absorber les déchets qu’il génère.
y = Y/P est le PIB par habitant, où Y et P désignent respectivement le PIB et la population du pays.
e = E/Y est définie comme l’intensité écologique du PIB. À titre d’illustration, considérons une économie qui ne produit que des denrées agricoles. L’intensité écologique est alors l’empreinte écologique liée à la production d’un euro de ces denrées. L’intensité est (entre autres) déterminée par la technologie, dans la mesure où elle est d’autant plus faible que les ressources sont utilisées efficacement par l’économie.
En résumé, l'empreinte écologique est le produit de la population, de sa consommation de richesses et de l'efficacité des moyens utilisés pour produire ces richesses.
Empreinte écologique en France et en Allemagne
Les graphiques ci-dessous illustrent les évolutions contrastées des différentes variables présentes dans la formule précédente pour la France et pour l’Allemagne.
On observe que, depuis 1970, l’empreinte écologique globale E est restée plus ou moins stable en France, avant de décroître, depuis 2010. En revanche, l’empreinte écologique est tendanciellement décroissante en Allemagne, depuis 1990. Cette évolution plus favorable s’explique notamment par la croissance sensiblement plus faible de la population de ce pays.
Les évolutions des composantes e, y, P de l’empreinte écologique sont similaires dans les deux pays. L’empreinte écologique est tirée vers le haut par la croissance du PIB/hab y et, dans une bien moindre mesure, par la hausse de la population P.
En revanche, l’empreinte écologique est tirée vers le bas par la baisse continue de l’intensité écologique e. Cette baisse de e est due à différents facteurs, notamment le progrès technique et la tertiarisation de l’économie – les services ayant une empreinte moindre que l’industrie par unité de richesses produites.
Dépassement écologique
La deuxième étape de l’étude consiste à définir le dépassement écologique d’un pays. Celui-ci est défini comme le rapport entre l’empreinte par habitant du pays et la biocapacité par habitant au niveau mondial. La biocapacité est la capacité des écosystèmes à produire les matières biologiques utilisées par les humains et à absorber les déchets de ces derniers, dans le cadre de la gestion et des technologies d’extraction en cours.
Si d désigne le dépassement d’un pays, alors celui-ci est en dépassement si d > 1. Le jour du dépassement de ce pays survient alors avant le 31 décembre, et ce, d’autant plus tôt que d est élevé. Le Global Footprint Network (GFN) interprète le rapport d comme le nombre de planètes Terre nécessaire pour soutenir la consommation moyenne des habitants du pays.

L’évolution au cours du temps du dépassement en France et en Allemagne est décrite par le graphique ci-dessus. Il montre que, si tous les habitants du monde avaient la même empreinte écologique moyenne que celle des Français ou des Allemands à l’époque actuelle, il faudrait à peu près les ressources de trois planètes pour la soutenir.
PIB soutenable
La dernière étape de l’étude concerne la notion de PIB/hab soutenable d’un pays, défini comme le rapport entre le PIB/hab observé et le dépassement écologique.
Le PIB/hab soutenable correspond au niveau de vie maximal moyen compatible avec l’absence de dépassement écologique. Le tableau suivant décrit le calcul du PIB/hab soutenable pour la France et l’Allemagne en 2022 – la dernière année disponible au moment de l’étude.
Pour expliquer ce tableau, considérons les chiffres pour la France. Les deuxième et troisième lignes renseignent respectivement le PIB/hab observé y et le dépassement d de ce pays en 2022. La quatrième ligne calcule le PIB/hab soutenable s, en divisant le PIB/hab observé y par le dépassement d (autrement dit s=y/d). Ce chiffre correspond au niveau maximal du PIB/hab compatible avec l’absence de dépassement.
En d’autres termes, si au lieu d’avoir été égal à 38 816 $, le PIB/hab avait été égal à 13 591 $, la France n’aurait pas été en dépassement en 2022.
Le PIB/hab soutenable étant approximativement égal au tiers du PIB/hab observé, ramener celui-ci à un niveau soutenable supposerait une décroissance de l’ordre des deux tiers. L’ampleur de cette décroissance fait écho à d’autres travaux visant à quantifier les impacts de politiques de décroissance.
La dernière ligne du tableau indique que le PIB/hab qui aurait été soutenable en 2022 en France (13 591 $) correspond à peu près au PIB/hab effectivement observé en 1964. En écho avec les citations évoquées au début de cet article, ce résultat suggère que la décroissance du PIB nécessaire pour faire disparaître le dépassement écologique en France n’impliquerait aucunement un retour à l’âge de la bougie.
Pas un retour aux années 1960
Les résultats de l’étude ne suggèrent pas pour autant un retour pur et simple aux années 1960. En effet, ils sont obtenus en neutralisant le dépassement au moyen de la seule réduction du PIB/hab, alors que l’intensité écologique (déterminée, en particulier, par la technologie) et la population sont fixées à leurs niveaux actuels. Si les résultats supposent une baisse sensible de la production globale de l’économie, ils n’impliquent pas de renoncer à la technologie actuelle.
Il importe de souligner que notre étude s’est limitée à des pays industrialisés, et ne concerne donc pas les pays émergents ou en voie de développement. Nombre de questions n’ont pas été abordées, à l’exemple de celle de la répartition de l’effort de décroissance entre habitants aux revenus très différents ou entre activités économiques.
Notre étude résumée ici doit donc être prise pour ce qu’elle est : un exercice simple visant à remettre en question certains discours dénigrant la décroissance en tant que stratégie de neutralisation du dépassement écologique, dans le cadre du débat autour de la nécessaire réduction des impacts des activités humaines.

Marc Germain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.