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07.08.2025 à 11:01
Lors des canicules, notre cerveau ne s’aligne pas toujours avec le thermomètre et peut nous mettre en danger
Texte intégral (2616 mots)
Pourquoi avons-nous tant de mal à nous adapter au changement climatique ? Quand l’asphalte chauffe, le thermomètre ne suffit pas à guider notre action : c’est notre manière de lire ses chiffres qui va décider de nos gestes. Perceptions, émotions et normes sociales forment un récit qui guide nos comportements – et qui façonne nos vulnérabilités face aux chaleurs extrêmes.
Il est 13 heures pile à l’école Joliot‑Curie dans une ville du Val‑de‑Marne. Un élève braque un thermomètre infrarouge sur la dalle : 52 °C. Trois pas plus loin, sous le paillis d’un jeune tilleul planté dans le cadre du programme européen OASIS – présenté comme étude de cas sur le portail Climate‑ADAPT de l’Agence européenne de l’environnement – le thermomètre tombe à 38 °C. Les enfants, médusés, rebaptisent la zone « four » et déplacent leur ballon vers l’ombre : en quelques secondes, la température devient un récit collectif qui reprogramme des gestes.
Pour réussir l’adaptation au changement climatique, à l’image de ces écoliers, nous devons voir les vagues de chaleur comme un récit partagé, avec des actions modulables. À cet égard, on dispose déjà d’une décennie de recherche internationale – et de l’expérience de quelques villes qui ont déjà mis ces travaux au service de la fraîcheur.
Les personnes en bonne santé plus susceptibles d’ignorer les risques de la chaleur
Au printemps 2025, nous avons publié une enquête, avec deux collègues économistes de l’énergie, dans la revue scientifique Climate Policy. Trois cents Français de plus de 55 ans, issus de 13 régions, étaient appelés à réagir à deux scénarios : l’un de cinq jours annoncés à 33 °C et, le deuxième, de cinq jours à 36 °C.
Ils devaient cocher, parmi une liste de cinq gestes protecteurs (boire plus d’eau, adapter sa tenue vestimentaire, prendre des mesures pour réguler au mieux la température de son logement, solliciter une aide extérieure et chercher un lieu frais), ceux qu’ils prévoyaient de réaliser.
Leurs réponses nous ont permis d’évaluer leurs croyances dans la probabilité d’une canicule et sa gravité pour leur santé, ainsi que la nature de leurs émotions face à ces scénarios.
De fait, les participants se disant « en pleine forme » passaient en moyenne de 3,6 gestes envisagés à 33 °C à 1,8 geste à 36 °C : près de deux fois moins. Ceux qui se déclaraient « un peu inquiets » suivaient le mouvement inverse : de 2,9 gestes à 4,4 (+ 52 %).
Certes, l’exercice reste déclaratif : il mesure l’intention et pas l’action. Mais des synthèses de psychologie sociale montrent qu’environ 40 % des comportements observés s’éclairent par les intentions déclarées. Dit autrement : quand l’intention augmente, le comportement suit souvent – pas toujours, mais suffisamment pour orienter à bon escient l’action publique.
Il suffit de trois degrés de plus pour que la vigilance change de camp et que la lecture de la situation change du tout au tout. Ces résultats prolongent ceux d’une méta‑analyse publiée dans Nature Climate Change. Notre perception du risque, notre sentiment d’efficacité et nos émotions expliquent près d’un tiers des conduites d’adaptation individuelles, davantage encore que l’âge ou la prise de médicaments comme des bêta-bloquants !
Le cerveau, pour le dire vite, règle le thermostat du corps. C’est notre « état intérieur » qui dicte pour beaucoup notre aptitude à nous adapter – et donc, notre vulnérabilité face aux chaleurs extrêmes.
Environnement, individu et comportement : un triptyque indissociable
Comme cela a été mis en évidence par une vaste revue de littérature publiée en 2019, les comportements face à la chaleur résultent toujours de la conjonction de trois types de facteur :
un facteur environnemental (géométrie urbaine, albédo – la capacité d’une surface à réfléchir la lumière –, circulation d’air…),
un facteur personnel (âge, santé, attentes, croyances…),
et, enfin, un facteur comportemental (type d’activité, normes sociales…).
Ces trois piliers sont indispensables pour prendre en compte la diversité des situations individuelles.

Des indicateurs couramment utilisés pour évaluer le confort thermique, le Predicted Mean Vote (PMV) et le Physiologically Equivalent Temperature (PET) l’illustrent bien : le premier estime le « vote thermique moyen » d’un groupe assis dans un bureau climatisé et le second traduit l’état thermique équivalent pour un individu immobile.
Parfaits en intérieur, ces outils montrent leurs limites lorsqu’on les applique à un joggeur, à un ouvrier ou à des enfants dans une cour d’école. Autant dire que prédire la sensation d’un joggeur marseillais avec un modèle mis au point dans une chambre climatique danoise équivaudrait à calibrer un sous‑marin avec un altimètre.
À lire aussi : Végétaliser les cours de récréation pour encourager la curiosité des enfants
Pourquoi et comment s’adapter au changement climatique
Les chiffres sont têtus et l’impact des vagues de chaleur difficile à ignorer. Par exemple :
dans les écoles états-uniennes, chaque journée au‑delà de 32 °C à l’intérieur fait perdre environ 1 % du programme scolaire annuel, ce qui se répercute sur les résultats en lecture et en mathématique.
En Californie, des études ont montré que la productivité horaire recule d’environ 5 % quand la température maximale dépasse 30 °C, puis de plus de 11 % au‑delà de 38 °C.
Inversement, la présence d’un parc en ville va abaisser la température de l’air ambiant d’environ 1 °C en moyenne – davantage encore la nuit si la canopée est dense.
À Phoenix (Arizona), une étude a fait état d’un écart nocturne de 3 à 5 °C entre quartiers aisés et défavorisés.
L’adaptation n’a donc de sens que si l’on agit, en même temps, sur la façon dont les habitants lisent, ressentent et anticipent les degrés supplémentaires. Un espace vert ou un refuge climatisé ne suffisent pas : encore faut‑il que chacun sache où ils sont, quand ils ouvrent, ce qu’on y trouve et qu’on s’y sente légitime. C’est le rôle des récits collectifs.
Le retour d’expérience des villes pionnières montre que c’est possible :

À Barcelone (Espagne), plus de 400 refugis climàtics (parcs ombragés, bibliothèques, musées, centres civiques) ont été déployés pour être accessibles à moins de dix minutes à pied pour plus de 90 % de la population.
À Valence (Espagne également), un réseau s’active lors des alertes, avec messages indiquant le lieu le plus proche et les services disponibles (eau, horaires) – une page officielle recense 18 refuges avec adresses et horaires.
Malmö (Suède), de son côté, a inscrit l’augmentation des espaces verts et la prise en compte des vulnérabilités dans sa stratégie d’adaptation.
Mais les infrastructures ne suffisent pas. Elles rendent possible le geste (se déplacer, s’abriter, ralentir…), mais c’est d’abord le message ciblé qui fournira la clé cognitive pour le faire (« Je suis concerné », « Je sais quoi faire », « Je peux effectivement le faire »).
Adaptation et action publique : comment débusquer le biais d’invulnérabilité
Il est donc essentiel de tenir compte des éléments de psychologie et des biais de perception, mentionnés plus haut, pour améliorer l’adaptation climatique, et, en particulier, l’action publique dans ce domaine.
Réécrire les alertes est la première évidence. Ainsi, des messages d’ordre général comme « Buvez de l’eau » glisseront sur les profils les plus optimistes. Au contraire, un SMS nominatif rappelant, par exemple, qu’un traitement diurétique triple le risque de déshydratation va augmenter significativement l’adoption de gestes de protection et réduire le risque de stress thermique chez les personnes âgées.
En Finlande, par exemple, le service météorologique publie des avertissements relatifs aux températures et l’institut finnois pour la santé et le bien-être (THL) publie des guides spécifiques pour les crèches et écoles. La Ville d’Helsinki a d’ailleurs évalué l’adaptation au climat de ses écoles et de ses garderies.
Reste le cas des « invincibles volontaires » – ceux qui ont décidé qu’ils supporteront la chaleur. Là, l’outil le plus efficace n’est pas le gobelet d’eau mais l’autodiagnostic.
Un quiz de deux minutes, intégré à une appli de running par exemple, pourrait faire virer l’écran au rouge dès que l’humidex – indice combinant température et humidité – tutoie le seuil de danger. La liberté d’aller courir demeure, mais le sportif ne peut plus ignorer les risques.
Planter des arbres, enfin, est utile en ville pour limiter l’effet îlot de chaleur urbain (ICU), mais doit être fait avec discernement. Selon la Commission européenne, couvrir 30 % de la surface urbaine par le feuillage des arbres (canopée) permettrait d’éviter plus de 2 500 décès prématurés en Europe chaque été. Mais si un tilleul avenue Montaigne (Paris) va simplement flatter Instagram, le même tilleul à Clichy‑sous‑Bois (Seine-Saint-Denis) devient un acte de santé publique.
Ces enseignements ne suffiront probablement pas à dompter l’été 2050. Ils rappellent cependant que la chaleur meurtrière n’est pas qu’une donnée météorologique, mais avant tout un récit à réécrire sans cesse – avec des SMS, des cours, des QR codes sur les abribus et des arbres là où ils comptent.
Retour à Joliot‑Curie. Les élèves ont rangé le thermomètre et filent sous l’ombre maigre mais tangible du jeune tilleul. Le thermomètre ment rarement, mais nos certitudes, elles, peuvent tuer. Les tempérer – par un message bien tourné, un tilleul bien placé, un voisin bien informé – est tout aussi important que de faire tomber la température.

Elisabeth Bourgeois a reçu des financements de l’ANR (ANR‑18‑EURE‑0016 – Solar Academy) et de la Public Trust in Health Chair (Grenoble École de Management). Aucun autre intérêt déclaré.
06.08.2025 à 14:04
Canicule : Soulignons, sans état d’âme, nos progrès d’adaptation depuis 2003
Texte intégral (2517 mots)
Depuis 2003, l’Europe a réalisé des progrès conséquents dans l’adaptation aux vagues de chaleur : en proportion, on meurt moins, même si les températures sont plus élevées. Et demain ?
La chaleur tue : on a recensé plusieurs centaines de décès à Paris ainsi que dans d’autres grandes capitales européennes lors de la canicule de mi-juin à début juillet 2025. Le nombre de morts aurait triplé par rapport à la normale du fait du changement climatique, selon une estimation réalisée par des chercheurs britanniques.
Ces chiffres font peur. Ils masquent cependant les grands progrès réalisés pour limiter notre vulnérabilité face à la multiplication des vagues de chaleur. La chaleur tue mais de moins en moins, grâce à nos actions individuelles et collectives d’adaptation. Il faut s’en féliciter, et non l’ignorer.
Les données d’observation de mortalité par les agences sanitaires n’étant pas encore disponibles, le calcul qui précède repose sur des modèles et des méthodes, connus des spécialistes. La plupart sont désormais suffisamment au point pour rendre compte en confiance de leurs résultats sur les progrès de l’adaptation.
À lire aussi : Paris est une des pires villes européennes en temps de canicule. Comment changer cela ?
La canicule de 2003, ou l’Année zéro
Commençons notre examen en prenant pour point de repère la canicule de 2003 en France. Cet été-là le pays a connu une véritable hécatombe : près de 15 000 décès en excès.
En contrecoup, les pouvoirs publics ont décidé toute une série d’actions préventives pour protéger la population des grandes chaleurs : mise en place d’un système d’alerte annonçant les canicules, campagnes d’information auprès du public sur les façons de se protéger, formation du personnel de santé, ouverture d’espaces climatisés dans les maisons de retraite et les services hospitaliers, etc.
Quelques années plus tard, une équipe regroupant des chercheurs de l’Inserm, de Météo France et de Santé publique France s’est demandé si ces mesures avaient bien été suivies d’effet. À partir d’un modèle reliant mortalité et températures observées en France sur vingt-cinq ans, ils ont estimé que la canicule de l’été 2006 s’était traduite par une baisse de plus de moitié du nombre de décès en excès.
Ce progrès ne peut pas, bien sûr, être imputé aux seules actions publiques. La canicule de 2003 a été à l’origine d’une prise de conscience généralisée des méfaits de la chaleur, de changement des comportements individuels et d’achat d’appareils de rafraîchissement, tels que ventilateurs et climatiseurs, mais aussi d’équipements plus innovants apparus plus tard sur le marché, comme les rafraîchisseurs d’air ou les pompes à chaleur réversibles.
Attention, le frigidaire distributeur de glaçons ne fait pas partie de cette panoplie ! En cas de fortes températures, il faut éviter de boire de l’eau glacée pour se rafraîchir. Elle ralentit la sudation, mécanisme fondamental de l’organisme pour lutter contre la chaleur.
Pourquoi il est délicat de comparer 2022 et 2003
L’été 2022 a constitué la seconde saison la plus chaude jamais enregistrée dans l’Hexagone. Le nombre de décès en excès a été toutefois cinq fois moindre que celui de 2003, mais on ne sait pas précisément quelle part de cette baisse est simplement due à des conditions caniculaires un peu moins défavorables.
La comparaison 2003/2022 est tout aussi délicate au niveau européen. On dispose bien, à cette échelle, de travaux d’estimation de la surmortalité en lien avec la chaleur aux deux dates, mais ils reposent sur des méthodes différentes qui rendent leurs résultats peu comparables : 74 483 décès pour la canicule de 2003 en Europe contre 61 672 morts lors de la canicule de 2022.
En effet, le premier chiffre mesure des décès en excès par rapport à une période de référence, tandis que le second découle de l’application d’une méthode épidémiologique. Celle-ci, plus sophistiquée, mais aussi plus rigoureuse, consiste à estimer pour une ville, une région ou un pays, le risque de mortalité relatif en fonction de la température, à tracer une « courbe exposition-réponse », selon le jargon des spécialistes.
Pour l’Europe entière, le risque est le plus faible autour de 17 °C à 19 °C, puis grimpe fortement au-delà. Connaissant les températures journalières atteintes les jours de canicule, on en déduit alors le nombre de décès associés à la chaleur.
Quelles canicules en Europe à l’horizon 2050 ?
Résumé ainsi, le travail paraît facile. Il exige cependant une myriade de données et repose sur de très nombreux calculs et hypothèses.
C’est cette méthode qui est employée pour estimer la surmortalité liée aux températures que l’on rencontrera d’ici le milieu ou la fin de ce siècle, en fonction, bien sûr, de différentes hypothèses de réchauffement de la planète. Elle devrait par exemple être décuplée en Europe à l’horizon 2100 dans le cas d’un réchauffement de 4 °C.
Ce chiffre est effrayant, mais il ne tient pas compte de l’adaptation à venir des hommes et des sociétés face au réchauffement. Une façon de la mesurer, pour ce qui est du passé, consiste à rechercher comment la courbe exposition-réponse à la température se déplace dans le temps. Si adaptation il y a, on doit observer une mortalité qui grimpe moins fortement avec la chaleur qu’auparavant.
C’est ce qui a été observé à Paris en comparant le risque relatif de mortalité à la chaleur entre la période 1996-2002 et la période 2004-2010. Aux températures les plus élevées, celles du quart supérieur de la distribution, le risque a diminué de 15 %.
Ce chiffre ne semble pas très impressionnant, mais il faut savoir qu’il tient uniquement compte de la mortalité le jour même où une température extrême est mesurée. Or, la mort associée à la chaleur peut survenir avec un effet de retard qui s’étend à plusieurs jours voire plusieurs semaines.
La prise en compte de cet effet diminue encore le risque entre les deux périodes : de 15 % à 50 %. Cette baisse de moitié est plus forte que celle observée dans d’autres capitales européennes comme Athènes et Rome. Autrement dit, Paris n’est pas à la traîne de l’adaptation aux canicules.
De façon générale et quelle que soit la méthode utilisée, la tendance à une diminution de la susceptibilité de la population à la chaleur se vérifie dans nombre d’autres villes et pays du monde développé. L’adaptation et la baisse de mortalité qu’elle permet y est la règle.
La baisse de la mortalité en Europe compensera-t-elle l’augmentation des températures ?
C’est une bonne nouvelle, mais cette baisse de la surmortalité reste relative. Si les progrès de l’adaptation sont moins rapides que le réchauffement, il reste possible que le nombre de morts en valeur absolue augmente. En d’autres termes, la mortalité baisse-t-elle plus vite ou moins vite que le réchauffement augmente ?
Plus vite, si l’on s’en tient à l’évolution observée dans dix pays européens entre 1985 et 2012. Comme ces auteurs l’écrivent :
« La réduction de la mortalité attribuable à la chaleur s’est produite malgré le décalage progressif des températures vers des plages de températures plus chaudes observées au cours des dernières décennies. »
En sera-t-il de même demain ? Nous avons mentionné plus haut un décuplement en Europe de la surmortalité de chaleur à l’horizon 2100. Il provient d’un article paru dans Nature Medicine qui estimait qu’elle passerait de 9 à 84 décès attribuables à la chaleur par tranche de 100 000 habitants.
Mais attention : ce nombre s’entend sans adaptation aucune. Pour en tenir compte dans leurs résultats, les auteurs de l’article postulent que son progrès, d’ici 2100, permettra un gain de mortalité de 50 % au maximum.
Au regard des progrès passés examinés dans ce qui précède, accomplis sur une période plus courte, une réduction plus forte ne semble pourtant pas hors de portée.
Surtout si la climatisation continue de se développer. Le taux d’équipement d’air conditionné en Europe s’élève aujourd’hui à seulement 19 %, alors qu’il dépasse 90 % aux États-Unis. Le déploiement qu’il a connu dans ce pays depuis un demi-siècle a conduit à une forte baisse de la mortalité liée à la chaleur.
Une moindre mortalité hivernale à prendre en compte
Derrière la question de savoir si les progrès futurs de l’adaptation permettront de réduire la mortalité liée à la chaleur de plus de 50 % en Europe, d’ici 2100, se joue en réalité une autre question : la surmortalité associée au réchauffement conduira-t-elle à un bilan global positif ou bien négatif ?
En effet, si le changement climatique conduit à des étés plus chauds, il conduit aussi à des hivers moins rudes – et donc, moins mortels. La mortalité associée au froid a été estimée en 2020 à 82 décès par 100 000 habitants. Avec une élévation de température de 4 °C, elle devrait, toujours selon les auteurs de l’article de Nature Medicine, s’établir à la fin du siècle à 39 décès par 100 000 personnes.
Si on rapporte ce chiffre aux 84 décès par tranche de 100 000 habitants liés à la chaleur, cités plus haut, on calcule aisément qu’un progrès de l’adaptation à la chaleur de 55 % suffirait pour que la mortalité liée au froid et à la chaleur s’égalisent. Le réchauffement deviendrait alors neutre pour l’Europe, si l’on examine la seule mortalité humaine liée aux températures extrêmes.
Mais chacun sait que le réchauffement est aussi à l’origine d’incendies, d’inondations et de tempêtes mortelles ainsi que de la destruction d’écosystèmes.
Sous cet angle très réducteur, le réchauffement serait même favorable, dès lors que le progrès de l’adaptation dépasserait ce seuil de 55 %. Si l’on ne considère que le cas de la France, ce seuil est à peine plus élevé : il s’établit à 56 %.
Des conclusions à nuancer
La moindre mortalité hivernale surprendra sans doute le lecteur, plus habitué à être informé et alarmé en période estivale des seuls effets sanitaires négatifs du réchauffement. L’idée déroutante que l’élévation des températures en Europe pourrait finalement être bénéfique est également dérangeante. Ne risque-t-elle pas de réduire les motivations et les incitations des Européens à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre ?
C’est peut-être cette crainte qui conduit d’ailleurs les auteurs de l’article de Nature Medicine à conclure que :
« La mortalité nette augmentera substantiellement si l’on considère les scénarios de réchauffement les plus extrêmes et cette tendance ne pourra être inversée qu’en considérant des niveaux non plausibles d’adaptation. »
Notons également que ces perspectives concernent ici l’Europe. Dans les pays situés à basse latitude, la surmortalité liée aux températures est effroyable. Leur population est beaucoup plus exposée que la nôtre au changement climatique ; elle est aussi plus vulnérable avec des capacités d’adaptation qui sont limitées par la pauvreté.
À l’horizon 2100, la mortalité nette liée aux températures est estimée à plus de 200 décès pour 100 000 habitants en Afrique sub-saharienne et à près de 600 décès pour 100 000 habitants au Pakistan.
Concluons qu’il ne faut pas relâcher nos efforts d’adaptation à la chaleur en Europe, quitte à ce qu’ils se soldent par un bénéfice net. Les actions individuelles et collectives d’adaptation à la chaleur sauvent des vies. Poursuivons-les. Et ne relâchons pas pour autant nos efforts de réduction des émissions, qui sauveront des vies ailleurs, en particulier dans les pays pauvres de basses latitudes.
François Lévêque a publié, avec Mathieu Glachant, Survivre à la chaleur. Adaptons-nous, Odile Jacob, 2025.

François Lévêque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
05.08.2025 à 15:17
« Comment ne pas être tué par la bombe atomique » En 1950, les curieux conseils de « Paris Match »
Texte intégral (2100 mots)
Il y a 80 ans, le 6 août 1945, se déroulait une tragédie nommée Hiroshima. Les mots de la bombe se sont alors imposés dans l’espace médiatique : « E = mc2 », « Little Boy et Fat Man », « radiations », « bikini », « gerboise », « globocide »…
Dans le Souffle d’Hiroshima, publié en 2024 aux éditions Epistémé (librement accessible en format numérique), la chercheuse Anne Wattel (Université de Lille) revient, à travers une étude culturelle qui s'étende de 1945 à 1960, sur la construction du mythe de l’atome bienfaisant.
Ci-dessous, nous reproduisons un extrait du chapitre 3, consacré à l’histoire du mot « bikini » ainsi qu’à un étonnant article publié par Paris Match en 1950.
« Il y a eu Hiroshima […] ; il y a eu Bikini avec sa parade de cochons déguisés en officiers supérieurs, ce qui ne manquerait pas de drôlerie si l’habilleuse n’était la mort. » (André Breton, 1949
Juillet 1946 : Bikini, c’est la bombe
Lorsqu’en 1946, le Français Louis Réard commercialise son minimaliste maillot de bain deux pièces, il l’accompagne du slogan : « Le bikini, première bombe anatomique. »
On appréciera – ou pas – l’humour et le coup de com’, toujours est-il que cette « bombe », présentée pour la première fois à la piscine Molitor, le 5 juillet 1946, est passée à la postérité, que le bikini s’est répandu sur les plages et a occulté l’atoll des îles Marshall qui lui conféra son nom, atoll où, dans le cadre de l’opération Crossroads, les Américains, après avoir convaincu à grand renfort de propagande la population locale de s’exiler (pour le bien de l’humanité), multiplièrent les essais atomiques entre 1946 et 1958.
La première bombe explose le 1er juillet 1946 ; l’opération est grandement médiatisée et suscite un intérêt mondial, décelable dans France-soir qui, un mois et demi avant « l’expérience », en mai 1946, renoue avec cet art subtil de la titraille qui fit tout son succès :
« Dans 40 jours, tonnerre sur le Pacifique ! Bikini, c’est la bombe » (France-soir, 19-20 mai 1946)
Mais la bombe dévie, ne touche pas l’objectif et la flotte cobaye est quasiment intacte. C’est un grand flop mondial, une déception comme le révèlent ces titres glanés dans la presse française :
« Deux navires coulés sur soixante-treize. “C’est tout ?” » (Ce soir, 2 juillet 1946) ;
« Bikini ? Ce ne fut pas le knockout attendu » (Paris-presse, 2 juillet 1946) ;
« À Bikini, la flotte cobaye a résisté » (France-soir, 2 juillet 1946).
C’est un « demi-ratage », un possible « truquage » pour l’Aurore (2 juillet 1946) ; et le journal Combat se demande si l’expérience de Bikini n’a pas été volontairement restreinte (Combat, 2 juillet 1946).
Les essais vont se poursuivre, mais le battage médiatique va s’apaiser. Le 26 juillet, Raymond Aron, dans Combat, évoque, effaré, la déception générale occasionnée par la première bombe et se désespère alors qu’on récidive :
« Les hommes seuls, maîtres de leur vie et de leur mort, la conquête de la nature, consacrée par la possession d’un pouvoir que les sages, dans leurs rêves, réservaient aux dieux : rien ni personne ne parviendra à voiler la grandeur tragique de ce moment historique. »
Et il conclut :
« […] Aujourd’hui, rien ne protège l’humanité d’elle-même et de sa toute-puissance mortelle. »
À lire aussi : Bonnes feuilles : « Des bombes en Polynésie »
Premier-Avril 1950 : « Comment ne pas être tué par une bombe atomique »
L’hebdomadaire français Paris Match, qui a « le plus gros tirage dans les années 1950 avec près de 2 millions d’exemplaires chaque semaine », dont « l ‘impact est considérable » et qui « contribue à structurer les représentations », propose dans son numéro du 1er avril 1950 une couverture consacrée, comme c’est fréquemment le cas, à l’aristocratie (ici la famille royale de Belgique) mais, dans un unique encadré, bien visible en haut de page, le titre, « Comment ne pas être tué par une bombe atomique », se présente comme un véritable produit d’appel d’autant plus retentissant qu’on sait officiellement, depuis septembre 1949, que l’URSS possède la bombe atomique.

L’article, qui nous intéresse et qui se déploie sur deux pleines pages, est écrit par Richard Gerstell qu’un encadré présente comme « un officier de la marine américaine », « un savant », « docteur en philosophie », « conseiller à la défense radiologique à l’Office de la défense civile des États-Unis ». L’auteur est chargé par le ministère de la défense d’étudier les effets de la radioactivité des essais atomiques de Bikini et d’élaborer des « plans pour la protection de la population civile contre une éventuelle attaque atomique ».
L’encadré inséré par la rédaction de Paris Match vise donc à garantir la crédibilité du rédacteur de l’article, un homme de terrain, un scientifique, dont on précise qu’il « a été exposé plusieurs fois aux radiations atomiques et n’en a d’ailleurs pas souffert physiquement (il n’a même pas perdu un cheveu) », qui rend compte de sa frayeur lorsque le compteur Geiger révéla que ses cheveux étaient « plus radioactifs que la limite ». Il s’agit donc, du moins est-ce vendu ainsi, du témoignage, de l’analyse d’un témoin de choix ; il s’agit d’une information de première main.
À lire aussi : Bombe atomique et accident nucléaire : voici leurs effets biologiques respectifs
Dans les premiers paragraphes de l’article de Match, Gerstell explique avoir eu, dans les premiers temps, « la conviction que la destruction atomique menaçait inévitablement une grande partie de l’humanité ». C’est pourquoi il accueillit favorablement la parution de l’ouvrage de David Bradley, No Place to Hide (1948), qui alertait sur les dangers de la radioactivité. Mais il ne s’appuyait alors, confie-t-il, que sur une « impression » ; il manquait de recul. En possession désormais des « rapports complets des expériences de Bikini et des rapports préliminaires des nouvelles expériences atomiques d’Eniwetok », il a désormais « franchement changé d’avis ».
L’article publié dans Match vise un objectif : convaincre que la radioactivité, sur laquelle on en sait plus que sur « la poliomyélite ou le rhume », « n’est, au fond, pas plus dangereuse que la fièvre typhoïde ou d’autres maladies qui suivent d’habitude les ravages d’un bombardement ».
Fort de son « expérience “Bikini” », durant laquelle, dit-il, « aucun des 40 000 hommes » qui y participèrent « ne fut atteint par la radioactivité », Gerstell entend mettre un terme aux « légendes » sur les effets de cette dernière (elle entraînerait la stérilité, rendrait des régions « inhabitables à jamais »). « Tout cela est faux », clame-t-il ; la radioactivité est « une menace beaucoup moins grande que la majorité des gens le croient ».
Un certain nombre de précautions, de conseils à suivre pour se protéger de la radioactivité en cas d’explosion nucléaire sont livrés aux lecteurs de Paris Match : fermer portes et fenêtres, baisser les persiennes, tirer les rideaux ; ôter ses souliers, ses vêtements avant de rentrer chez soi, les laver et frotter ; prendre des douches « copieuses » pour se débarrasser des matières radioactives ; éviter les flaques d’eau, marcher contre le vent ; s’abriter dans une cave, « protection la plus adéquate contre les radiations »…
On laisse le lecteur apprécier l’efficacité de ces mesures…
Pour se protéger de la bombe elle-même dont « la plupart des dégâts sont causés par les effets indirects de l’explosion », se coucher à plat ventre, yeux fermés ; pour éviter les brûlures, trouver une barrière efficace (mur, égout, fossé) ; porter des « vêtements en coton clair », des pantalons longs, des blouses larges, « un chapeau aux bords rabattus »…
Ainsi, ce témoin, ce « savant », qui étudia l’impact de la radioactivité, rassure-t-il le lectorat français de Match : on peut se protéger de la bombe atomique, des radiations ; il suffit d’être précautionneux.
Foin des légendes ! Ce regard éclairé, scientifiquement éclairé, s’appuie sur l’expérience, sur Bikini, sur Hiroshima et Nagasaki pour minorer (et c’est peu dire) le danger des radiations, car, c’est bien connu, « les nuages radioactifs à caractère persistant sont vite dissipés dans le ciel » (cela n’est pas sans nous rappeler l’incroyable mythe du nuage qui, à la suite de la catastrophe de Tchernobyl, le 26 avril 1986, se serait arrêté aux frontières de la France) ; « la poussière radio-active persistante qui se dépose sur la peau ne paraît pas dangereuse » ; « au voisinage immédiat du point d’explosion, une pleine sécurité peut être assurée par 30 centimètres d’acier, 1 mètre de béton ou 1 m 60 de terre. À un kilomètre et demi, la protection nécessaire tombe à moins d’un centimètre d’acier et quelques centimètres de béton ».
En avril 1950, l’Américain Richard Gerstell, dont les propos sont relayés en France par l’hebdomadaire Paris Match, niait encore l’impact de la radioactivité.

Anne Wattel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
04.08.2025 à 15:46
Votre logement est-il adapté à la chaleur ?
Texte intégral (1518 mots)

En ville, planter des arbres peut faire baisser les températures, mais au niveau des habitations en elles-mêmes, l’isolation, les fenêtres et l’exposition jouent un rôle tout aussi important.
L’année 2024 a été la plus chaude jamais recensée au niveau mondial depuis le début des mesures, avec une température moyenne supérieure de 1,55 °C à celle de la période préindustrielle. Les vagues de chaleur ne sont plus des événements isolés : elles sont de plus en plus fréquentes, intenses et longues.
L’impact du réchauffement climatique global est particulièrement grave dans les villes. Le phénomène des îlots de chaleur urbain (ICU) entraîne des températures urbaines jusqu’à 4 °C plus élevées que dans les zones rurales voisines, en particulier pendant les nuits d’été.
Si l’on ajoute à cela le fait que de plus en plus de personnes vivent en milieu urbain (en 2050, plus de 70 % de la population mondiale sera concernée), une question se pose inévitablement : comment concevoir les villes pour qu’elles restent habitables malgré les températures élevées ?
Mieux concevoir l’espace public
Intégrer davantage de nature dans nos villes est l’une des meilleures stratégies pour les adapter à la chaleur.
Mais il ne s’agit pas seulement d’assurer un minimum d’espace vert par habitant : à quoi sert d’avoir un grand parc à une heure de route, si on ne trouve pas d’ombre sur le chemin du travail ou qu’on ne dispose pas d’un espace vert dans son quartier où se réfugier pour échapper à la chaleur ?
Il faut intégrer la nature dans l’aménagement urbain en tenant compte des principes de proximité, de qualité et de quantité des espaces verts. Dans cette optique, la règle des « 3-30-300 » est intéressante : chaque personne devrait pouvoir voir au moins trois arbres depuis son domicile, vivre dans un quartier où au moins 30 % de la superficie est couverte d’arbres et avoir un parc à moins de 300 mètres.
Revoir les aménagements et bâtiments de l’espace public est aussi urgent que de planter des arbres. Les toitures des bâtiments, par exemple, peuvent être des alliés pour réduire la chaleur. Pour cela, il peut être essentiel d’y intégrer de la végétation ou des matériaux réfléchissants. Les façades sont également importantes. Bien choisir leur couleur (de préférence des tons clairs) et les matériaux qui les composent peut contribuer à réduire le problème de surchauffe au lieu de l’aggraver.
Au niveau du sol, il est tout aussi important de repenser le choix des revêtements. Il faut éviter l’utilisation systématique d’asphalte et de béton qui absorbent la chaleur. Explorer des matériaux plus perméables, plus frais et intégrer davantage de végétation peut faire une différence significative.
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Des logements adaptés à la chaleur
Mais il ne suffit pas seulement d’améliorer l’espace public : les logements aussi doivent pouvoir faire face à la chaleur. Nous y passons la majeure partie de notre temps et beaucoup d’entre eux sont inadaptés. Par exemple, une étude a révélé que 85 % des logements de Pampelune (Espagne) ont enregistré des températures trop élevées pendant l’été 2022.
La conception des bâtiments est, à cet égard, déterminante. Certains aspects liés à la conception et à la construction de ces bâtiments, s’ils ne sont pas pris en compte, peuvent aggraver le problème de surchauffe des logements.
L’isolation thermique est le premier point. Bien isoler un bâtiment est une mesure importante, surtout en hiver, mais aussi en été. Cependant, lorsque des logements bien isolés mais trop hermétiques se réchauffent, il devient difficile d’évacuer la chaleur. La clé réside donc dans la conception : la distribution des pièces (et les éventuels systèmes de ventilation mécanique, comme la VMC, ndlt) doit permettre une ventilation adéquate.
Les grandes baies vitrées constituent un autre point qui peut poser problème. Elles sont aujourd’hui appréciées pour la lumière naturelle et la vue qu’elles offrent, mais si elles ne sont pas correctement protégées du soleil, elles contribuent au réchauffement du logement. Il est important que les protections solaires fassent partie intégrante de la conception du bâtiment et ne soient plus seulement des éléments accessoires. Il est possible d’atténuer le rayonnement solaire sans totalement assombrir la maison : avant-toits, volets orientables, auvents ou lamelles, etc.
Il faut également noter que les logements qui n’ont qu’une seule exposition sont plus à risque, alors que ceux à double exposition rendent le rafraîchissement plus aisé.
Compte tenu des besoins actuels en matière de logement, les nouvelles maisons ont tendance à être plus petites. De nombreux appartements en centre-ville sont eux aussi divisés en appartements plus petits. Cette tendance est problématique, car elle entraîne une augmentation du nombre de logements mono-orientés. Outre le respect de la surface minimale, il serait donc intéressant d’exiger qu’ils garantissent des conditions minimales de confort thermique.
En outre, il a été démontré que les logements situés aux derniers étages subissent entre 3,4 % et 5,4 % plus d’heures de surchauffe que ceux situés aux étages intermédiaires. Améliorer l’isolation des toitures n’est pas suffisant, car l’isolation a une limite d’efficacité. Il faut donc aussi innover pour améliorer la construction des bâtiments à ce niveau.
Tout ne dépend pas seulement de l’urbanisme ou de l’architecture. Les citoyens doivent également apprendre à s’adapter à la chaleur urbaine et savoir comment gérer leur logement lors des journées les plus chaudes : comprendre l’influence de l’orientation du logement, aérer au bon moment en fonction de la différence entre la température intérieure et extérieure ou encore utiliser correctement les protections solaires.
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Quelles perspectives ?
Si l’on veut adapter les villes à la chaleur, il ne faut pas éluder la dimension sociale du problème.
La chaleur extrême n’affecte pas toute la population de la même manière : les personnes âgées, les enfants et ceux qui vivent dans des logements de mauvaise qualité ou dans des quartiers peu végétalisés sont plus exposés.
Enfin, nous devons être conscients que le confort thermique ne peut dépendre uniquement de la climatisation ou d’autres systèmes mécaniques. Il est nécessaire de repenser nos villes et nos logements afin qu’ils puissent s’adapter à la chaleur de par leur conception même.
Dans un monde de plus en plus chaud, les villes le plus adaptées seront celles qui seront capables de maintenir le confort thermique tout en minimisant la dépendance à la consommation d’énergie.

Ainhoa Arriazu-Ramos ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
02.08.2025 à 18:00
Dans les villes, comment les citoyens peuvent participer à la lutte contre la surchauffe
Texte intégral (2577 mots)

Les canicules, comme celle que la France a vécue entre le 19 juin et le 6 juillet 2025, sont appelées à se multiplier et à s’intensifier avec le changement climatique. Les villes tentent de s’adapter et les citoyens ont dans ce processus de nombreux leviers d’action. L’Agence de la transition écologique (Ademe) a créé un service numérique public gratuit, baptisé « Plus fraîche ma ville », qui peut être une source d’idées. Retour sur quelques expériences pratiques.
La France a été frappée fin juin et début juillet 2025 par une canicule qui a duré près de trois semaines.
Cette période a une nouvelle fois mis en lumière l’inadaptation des villes françaises face aux températures extrêmes, malgré les efforts menés ces dernières années. À l’échelle nationale comme locale, des actions d’adaptation au changement climatique sont en cours. Par exemple : rénovation thermique des écoles, opérations de revégétalisation de l’espace public, de désimperméabilisation des sols urbains…
Mais il n’existe pas de réponse unique à la chaleur. Pour être efficaces, ces mesures doivent être bien pensées en amont : la nature des solutions à engager dépend du contexte, du climat, de l’architecture (ou plus largement de la morphologie urbaine) et de la population de la ville.
C’est pourquoi les villes ont aussi besoin, pour mener leurs politiques d’adaptation, de la participation citoyenne. Les habitants peuvent jouer un rôle, collectivement et individuellement. Et cela, dans le choix des solutions comme dans leur mise en œuvre, afin de lutter le plus efficacement possible contre la surchauffe urbaine.
Nous n’en sommes pas toujours bien conscients, mais nous disposons de leviers pour nous réapproprier les espaces urbains et pour participer à les rendre plus vivables en période de fortes chaleurs. L’Agence de la transition écologique (Ademe) a ainsi créé un service numérique public gratuit, « Plus fraîche ma ville », consacré aux collectivités, qui peut également être une source d’idées inspirantes pour les citoyens.

En nous informant mieux pour prendre conscience de la situation particulière de notre ville, en participant à des concertations locales sur les projets d’aménagement, en portant des projets avec d’autres citoyens mais aussi par nos comportements individuels, nous disposons d’une vaste panoplie de moyens pour lutter contre le phénomène de surchauffe locale qu’on appelle îlot de chaleur urbain (ICU).
Mais pour pouvoir s’en saisir, encore faut-il les connaître.
Des balades urbaines pour prendre conscience de son environnement
Depuis quelques années, de plus en plus de communes proposent aux citoyens d’appréhender de façon plus concrète la façon dont leur environnement urbain surchauffe, par exemple à travers des « balades urbaines et climatiques ».
Le principe est le suivant : citoyens, élus et experts techniques se réunissent pour suivre un parcours dans la ville à un moment où il fait chaud. De point en point, ils échangent sur leurs sensations dans les différents espaces – trottoirs goudronnés, bouches d’aération évacuant les rejets de climatisation, parcs arborés, aires de jeux exposées au soleil où aucun enfant ne joue…
Le premier but est d’objectiver l’aggravation de la chaleur estivale ressentie par l’effet d’îlot de chaleur urbain, ce phénomène qui se traduit par des températures plus élevées en ville qu’en zone rurale. Faire le constat partagé de cette surchauffe sur le terrain permet déjà aux participants de créer un consensus.
Dans un second temps, l’idée est de créer du dialogue entre élus, techniciens et habitants pour favoriser un passage à l’action rapide et durable.
C’est par exemple la démarche qui a été menée à Toulon et à la Seyne-sur-Mer, dans le Var. Elle a permis de mettre en évidence des lieux de rafraîchissement, d’identifier le rôle de la minéralisation (béton, goudron…), de la circulation et du stationnement excessif dans l’intensification de l’effet d’îlot de chaleur urbain.

Par la suite, des solutions concrètes ont été identifiées. Un projet d’adaptation est en cours à l’échelle d’un premier quartier.
Participer aux programmes de sa commune
Une fois le constat posé, comment agir ? Difficile de s’y retrouver dans la jungle des interlocuteurs et des programmes communaux. Il existe pourtant plusieurs façons de prendre part aux décisions et aux actions publiques menées pour adapter les villes à la chaleur.
Cela passe par la participation à des concertations locales, par exemple pour concevoir une cour d’école, une place, un parc municipal… Ou, très concrètement, en mettant les mains dans la terre dans le cadre d’un dispositif de la ville.

Saint-Michel-de-Lanès (Aude), qui a connu un tel projet il y a une dizaine d’années, en donne un bon exemple. Les habitants volontaires ont participé à l’installation de plantes grimpantes sur les façades des maisons. L’enjeu était d’améliorer le confort thermique pour les habitants, l’adaptation aux conditions climatiques locales tout en ayant une gestion plus raisonnée de l’eau. Conseillés par une paysagiste, ils ont sélectionné des plantes peu exigeantes en eau et adéquates pour le climat local (clématites, chèvrefeuilles, jasmins étoilés, etc.), en fonction de différents critères tels que le feuillage, la floraison et les supports.
À Elne, dans les Pyrénées-Orientales, la mairie et les citoyens ont décidé, pour répondre au contexte de sécheresse répétée, de désimperméabiliser et de végétaliser les rues en créant des jardins partagés. L’objectif était de « favoriser l’infiltration de l’eau dans le sol pour limiter le ruissellement pluvial et conserver plus de fraîcheur en cœur de ville ».
Comment lancer un projet avec d’autres citoyens ?
Parfois, attendre que les transformations viennent du haut peut être long et frustrant. De nombreux projets émergent des citoyens eux-mêmes, qui à partir des besoins qu’ils identifient, imaginent des solutions et des espaces adaptés.
Il est tout à fait possible de rejoindre des collectifs citoyens existant, ou même, si vous avez une idée pour lutter contre la chaleur en ville près de chez vous, de fédérer d’autres citoyens pour agir avec vous. Quitte à demander ensuite à la ville de vous accompagner – financièrement, techniquement – pour le mettre en œuvre.
C’est ce qui s’est produit à la cascade des Aygalades, dans les quartiers nord de Marseille (Bouches-du-Rhône), où une association locale, la Cité des arts de la rue, s’est saisie de ce lieu laissé à l’abandon. Elle l’a renaturé pour en faire un lieu de visite, de promenade et de baignade précieux dans cette zone de la Cité phocéenne.
« Permis de végétaliser »
Il existe des façons plus individuelles de s’engager contre la surchauffe urbaine. De plus en plus de villes octroient par exemple des « permis de végétaliser » : il suffit de demander à la ville le droit de planter telles espèces à tel endroit.
Certains citoyens prennent les devants et s’approprient les espaces délaissés, comme en Guadeloupe, dans les dents creuses (parcelles en friches en plein centre-ville), où certains habitants se mobilisent pour créer des jardins.
Plus simplement, nous avons tous un rôle à jouer sur le bien-être thermique collectif par nos comportements du quotidien.
Cela passe par exemple par un usage raisonné de la climatisation : si celle-ci est, en bien des lieux, indispensable, elle ne doit pas être le premier réflexe à adopter, du fait de son impact sur la consommation d’énergie et la facture d’électricité, son risque de déséquilibrer les réseaux, mais aussi sa contribution à l’accentuation de l’effet d’îlot de chaleur urbain – par les rejets d’air chaud qu’elle génère vers l’extérieur.
D’autres pratiques existent pour rafraîchir le logement en évitant, dans bien des cas, le recours à la clim’ : fermer les volets et les stores, humidifier le logement (en faisant sécher une serviette ou un drap mouillé), placer des films anti-chaleur sur les vitres ou encore planter des arbres ou des haies au sud et à l’ouest de l’habitat.
Alice Bour, rédactrice « Plus fraîche ma ville », a contribué à la rédaction de cet article

Elodie Briche est membre de l’Ademe. La start-up Plus fraîche ma ville a reçu des fonds du FINDPE, du FAST et de l’Ademe.