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02.07.2025 à 18:37

État du climat en 2024 : les voyants toujours au rouge malgré le ralentissement des émissions mondiales

Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL
Les voyants du climat sont toujours dans le rouge. Le ralentissement des émissions de CO₂ n’a pas freiné la croissance de leur stock atmosphérique à l’origine du réchauffement.
Texte intégral (3465 mots)

Malgré le ralentissement des émissions globales de gaz à effet de serre (GES), les voyants du climat restent dans le rouge, nous rappelle le rapport Indicators of Global Climate Change 2024 récemment publié. Ce rapport permet également d’identifier trois leviers d’action à mettre en œuvre pour stabiliser le stock atmosphérique de GES à l’origine du réchauffement global.


L’univers virtuel des réseaux sociaux est celui de l’immédiateté. Un utilisateur de TikTok y navigue en moyenne 95 minutes chaque jour, avec à la clé plusieurs centaines de clics. En politique, la vague populiste surfe sur ce courant d’informations en continu qui submerge notre quotidien.

Dans ces mondes virtuels, on prend les décisions en fonction des aléas du moment, quitte à revenir rapidement en arrière en cas de réactions inattendues. Une telle soumission aux humeurs du court terme n’est pas compatible avec l’action face au réchauffement planétaire et à la dégradation de la biodiversité.

Le premier antidote à la tyrannie de l’immédiat doit être la science. C’est pourquoi le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) joue un rôle si structurant en matière d’action climatique. Depuis 1990, le GIEC a publié six rapports d’évaluation. Ces rapports fournissent des balises précieuses, documentant l’état des connaissances scientifiques sur le système climatique, les impacts et les adaptations possibles face au réchauffement, les leviers d’atténuation pour le stabiliser.

Chiffres-clés du changement climatique en 2024. Indicators of Global Climate Change 2024, Fourni par l'auteur

Le temps de navigation entre deux balises tend cependant à augmenter. De cinq ans entre le premier et le second rapport du GIEC, il est passé à neuf ans entre les deux derniers rapports. Pour éviter que les décideurs ne se perdent en route, un collectif de chercheurs publie chaque année un tableau de bord annuel, reprenant les méthodologies utilisées par le GIEC.

J’ai lu leur rapport sur l’année 2024, rendu public le 17 juin 2025. Voici ce que j’en ai retenu.

Les voyants au rouge, malgré le ralentissement des émissions

Le tableau de bord annuel actualise en premier lieu les informations sur les émissions de CO₂ jusqu’en 2024 (et jusqu’à 2023 pour les autres gaz à effet de serre, GES). Sans surprise, cette actualisation confirme le ralentissement de l’augmentation des émissions mondiales observé depuis 15 ans, principalement provoqué par celles de CO2.

Ralentissement de la hausse des émissions sur les quinze dernières années. Fourni par l'auteur

Ce ralentissement est toutefois insuffisant pour stabiliser ou même freiner l’accumulation du stock de GES dans l’atmosphère. Le rythme de croissance de ce stock se maintient, et s’est même accéléré pour le méthane depuis le début des années 2020.

Or c’est ce stock qui est le moteur anthropique du réchauffement climatique. Il joue d’autant plus fortement que les rejets d’aérosols (principalement le dioxyde de soufre), à l’effet refroidissant à court terme pour la planète, se réduisent du fait du resserrement des contraintes sur les polluants locaux, en particulier dans le transport maritime international et en Chine.


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De ce fait, le réchauffement ne connaît pas de répit. Il a franchi pour la première fois la ligne de +1,5 °C en 2024. Les facteurs anthropiques en ont expliqué 1,36 °C, le reste étant attribué à la variabilité naturelle du climat, en particulier l’épisode El Niño de 2024.

Réchauffement des 10 dernières années. Indicators of Global Climate Change 2024, juin 2025, Fourni par l'auteur

Sur les dix dernières années connues, le réchauffement global a atteint +1,24 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Sur l’océan, il dépasse désormais 1 °C. Sur terre, il se situe à 1,79 °C, pratiquement à équidistance entre 1,5 et 2 °C.

Sans surprise la poursuite du réchauffement alimente la montée du niveau de la mer, sous l’effet de la dilatation thermique de l’eau et de la fonte des glaces continentales. La hausse du niveau moyen de l’océan est estimée à 22,8 cm depuis le début du siècle dernier. Entre 2019 et 2024, elle a été de 4,3 mm/an, bien au-dessus de la tendance historique (1,8 mm/an).

Quels leviers d’action ?

Pour stabiliser le réchauffement, il faut en premier lieu drastiquement réduire les émissions de carbone fossile. Comme le notait déjà le Global Carbon Budget à l’automne 2024, le budget carbone résiduel pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à 2 °C ne représente plus que 28 années des émissions actuelles. Pour viser 1,5 °C, c’est désormais moins de cinq années !

Le tableau de bord montre également l’impact de la réduction des rejets d’aérosols, qui contribue significativement au réchauffement. Moins d’aérosols dans l’atmosphère, c’est certes moins de problèmes sanitaires à terre, mais aussi plus de réchauffement car les aérosols voilent le rayonnement solaire et agissent sur la formation des nuages. Or, comme les aérosols ne séjournent pas longtemps dans l’atmosphère, une réduction de leurs émissions se répercute rapidement sur le volume de leur stock dans l’atmosphère.

Que faire ? Pour contrarier cet impact, la meilleure voie est de réduire les émissions de méthane. Le méthane ayant une durée de séjour dans l’atmosphère plus courte que celle des autres gaz à effet de serre, sa réduction agit nettement plus rapidement sur le réchauffement qu’une réduction équivalente de CO2 ou de protoxyde d’azote, qui séjourne en moyenne 120 ans dans l’atmosphère.

Le tableau de bord met enfin en avant l’apparition de « rétroactions » climatiques dont les effets s’ajoutent à l’impact direct des émissions anthropiques sur la température. Ainsi, le réchauffement global stimule les émissions de méthane dans les zones humides tropicales et risque, demain, d’accentuer celles résultant de la fonte du permafrost. Conjugué aux épisodes de sécheresses, il accentue également les émissions générées par les mégafeux de forêt et altère la capacité de croissance des arbres et les rend plus vulnérables face aux ravageurs.

Dans les deux cas, ces rétroactions amplifient le réchauffement. Agir contre ces rétroactions, par exemple en adaptant les stratégies de gestion forestière, répond donc à une double logique d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.


À lire aussi : Changement climatique : les forêts ont-elles besoin de nous pour s’adapter ?


Feux de forêt, carbonatation du ciment et gaz fluorés

Si le tableau de bord se fixe comme règle de correspondre au plus près aux méthodes des rapports d’évaluation du GIEC, il apporte également des compléments utiles. J’ai particulièrement apprécié ceux concernant les émissions provoquées par les mégafeux, les gaz fluorés et l’absorption du CO2 atmosphérique par le ciment.

Trois mesures des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Indicators of Global Climate Change 2024, Fourni par l'auteur

Dans la figure ci-dessus apparaissent trois façons de comptabiliser les émissions mondiales de GES.

  • À 55,4 milliards de tonnes (Gt) équivalent CO2, le premier bâtonnet visualise les émissions de l’année 2023 et la marge d’incertitude associée, calculées suivant les normes retenues par le GIEC.

  • L’agrégation des données d’inventaires nationaux recueillies sur le site des Nations unies donne des émissions de seulement 47,1 Gt pour la même année. L’écart entre les deux grandeurs est principalement lié à la façon de comptabiliser les émissions liées aux changements d’usage des terres, en particulier à la frontière retenue entre les émissions-absorptions d’origine anthropique et celles d’origine naturelle. Par exemple, le carbone stocké grâce à la replantation d’arbre est clairement d’origine anthropique, mais faut-il également comptabiliser celui résultant de la repousse naturelle d’arbre après des incendies ?

  • La figure du milieu est une innovation du tableau de bord, qui a élargi les sources et les absorptions de CO2 prises en compte, pour aboutir à un total d’émissions de 56,9 Gt d’équivalent CO2 (+1,5 Gt relativement à l’évaluation standard). La prise en compte de la séquestration du carbone par les ouvrages en ciment ( « carbonatation » du ciment) représente un puits de carbone de 0,8 Gt de CO2. Mais elle est plus que compensée par les émissions de méthane et de protoxyde d’azote par les feux de forêt et la combustion de biomasse (1 Gt d’équivalent-CO2) et celles provenant des CFC et autres gaz fluorés non couverts par la convention climat (UNFCCC), à hauteur de 1,3 Gt d’équivalent CO2 en 2023.

L’inertie des stocks de gaz à effet de serre

Sur la période récente, les émissions de gaz fluorés (F-gaz) répertoriées dans le cadre de l’UNFCC, dépassent celles des gaz fluorés dont la régulation a été mise en place par le protocole de Montréal (1987) destiné à protéger la couche d’ozone. Mais cette situation est relativement récente. Quand la lutte pour la protection de la couche d’ozone a démarré, les émissions de CFC et des autres gaz fluorés détruisant cette couche exerçaient un réchauffement équivalent à pratiquement 12 Gt de CO2, soit la moitié des émissions de carbone fossile de l’époque (22 Gt d’équivalent CO2).

Evolution des émissions de gaz fluorés. Indicators of Global Climate Change 2024, Fourni par l'auteur

La diminution spectaculaire des émissions de gaz fluorés réalisée pour protéger la couche d’ozone a ainsi eu un impact majeur sur l’action climatique, malgré le développement de substituts à ces gaz – comme les HFC – pour couvrir les besoins de climatisation et réfrigération. Ce résultat s’observe aujourd’hui dans la diminution de la concentration atmosphérique des CFC, qui contribue à atténuer le réchauffement climatique.

Compte tenu de la durée de séjour des gaz CFC dans l’atmosphère, de l’ordre du demi-siècle, cet effet d’atténuation devrait se prolonger pendant quelques décennies. Une bonne illustration de l’inertie du stock par rapport au flux, qui joue désormais de façon bénéfique pour l’action climatique dans le cas des gaz fluorés.

A l’inverse, cette inertie joue encore à la hausse du thermomètre pour le CO2 et le méthane, malgré le ralentissement des émissions. D’où les voyants au rouge du tableau de bord. Demain, si on parvient à durablement inverser leur trajectoire d’émission, cette inertie pourra également jouer à sa baisse. Mais pour cela, il faut accélérer la transition bas carbone et ne pas succomber aux sirènes de ceux qui voudraient rétrograder.

The Conversation

Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

01.07.2025 à 16:55

Des voiliers-cargos pour réimaginer le transport de marchandises

Sylvain Roche, Docteur en sciences économiques, Ingénieur de recherche et enseignant associé, Sciences Po Bordeaux
Pourrait-on revenir à la voile dans le transport maritime ? Des voiliers-cargos modernisés se donnent l’objectif de changer les représentations du fret.
Texte intégral (3316 mots)
Long de 81 mètres et équipé de 3  000 m² de voilure, l’_Anemos_ de l’entreprise française TransOceanic Wind Transport (TOWT) est capable de transporter 1  200 palettes de marchandises. Ronan Gladu/TOWT

Depuis la fin du XIXe siècle, les marchandises voyagent à travers le monde grâce à des navires à moteur, alimentés par des combustibles fossiles. Pour décarboner le secteur, pourrait-on revenir à la voile ? C’est ce que proposent certaines entreprises, avec des voiliers-cargos modernisés, et l’objectif de changer les représentations du transport maritime.


Si elle a persisté à travers les sports nautiques et la navigation de plaisance, la voile se réinvente aujourd’hui dans le secteur du transport marchand pour répondre au triple enjeu de décarbonation, de réindustrialisation et de résilience.

Portée par des figures emblématiques de la course à la voile, de petites start-ups innovantes ou encore de grandes multinationales, elle apparaît comme un des choix technologiques les plus matures pour se projeter à long terme dans un contexte économique et géopolitique incertain. Le vent est une énergie verte, abondante et gratuite. En proposant un modèle alternatif, la voile inscrit le transport maritime dans un autre imaginaire, une autre modernité : celle de la sobriété.

Pour autant, l’alternative qu’elle propose n’est pas exempte de critiques. Pour ses défenseurs, le principal défi consiste à démontrer qu’elle a toute sa place dans un avenir décarboné. Dans un article publié en décembre 2024 dans la revue Développement durable et territoires, j’analyse comment le secteur doit proposer de nouveaux récits, adaptés à un monde écologiquement contraint.


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Un secteur dominé par l’imaginaire thermo-industriel

Utilisée dès l’Antiquité, la voile a connu un déclin croissant dès la fin du XIXe siècle dans le transport marchand, puis une disparition, au profit du moteur thermique, plus efficace dans le cadre du commerce international et des ambitions coloniales des nations occidentales.

Photo noir et blanc d’un voilier à quatre mâts
Le voilier France II inauguré en 1911. Long de 142 mètres, il fut le plus grand voilier du monde jusqu’en 1988. State Library of Victoria, Malcolm Brodie shipping collection/Wikimedia

En poursuivant les imaginaires de puissance et de liberté, héritages des révolutions industrielles successives, le triptyque énergies thermique, chimique et électrique, structuré autour des énergies fossiles et fissiles, se définit toujours comme le modèle de référence, mais désormais sous un prisme écologique.

Aujourd’hui, le gaz naturel et les électro-carburants sont défendus par leurs promoteurs comme les solutions les plus rationnelles pour répondre aux objectifs de décarbonation des transports. Le cas emblématique est celui de l’hydrogène, totem de la croissance verte, entouré d’un imaginaire magique. L’énergie nucléaire, et son « mythe d’un monde affranchi de toutes contraintes naturelles » (à la différence des énergies renouvelables comme le vent), est aussi présentée comme solution technique pour le transport maritime de marchandises.

La filière au gaz naturel liquéfié (GNL) a connu un boom de 33 % entre 2023 et 2024, avec désormais plus de 700 navires en service dans le monde, dont un tiers de porte-conteneurs. Le GNL est devenu le carburant alternatif le plus employé dans le secteur maritime, et ceci, malgré les nombreuses études critiques soulignant ses limites écologiques.

Redéfinir le modèle du gigantisme…

Là où la complexité figure historiquement comme un gage de modernité technologique, la relative simplicité de la voile paraît hors sujet. Pour autant, comme mentionné par l’Ademe, « l’imaginaire dominant à l’origine de nos modes de vie modernes est aujourd’hui insoutenable puisqu’il met en péril l’habitabilité de la planète ».

Pour sortir de cette « fossilisation » des imaginaires, questionner la taille des navires du transport maritime devient légitime.

Les super-conteneurs sont devenus les emblèmes de l’industrie maritime moderne fondée sur les énergies fossiles. Artefacts répondant aux normes de « l’économie du gigantisme », ils incarnent un idéal de paix, porté par le « doux commerce » et son école de pensée libérale, et un idéal d’abondance : leur capacité de transport a été multipliée par plus de 20 en quarante ans.

Pour autant, ce modèle du gigantisme est aujourd’hui remis en question. Souvent, les ports secondaires ne sont pas équipés sur le plan logistique pour accueillir les mégacargos, qui font parfois plus de 400 mètres, ce qui représente un risque pour les infrastructures.

À l’inverse, les bateaux à voile font en moyenne entre 90 et 150 mètres. Citons, par exemple, le projet Windcoop et ses 91 mètres, ou encore le projet Neoline, considéré comme l’un des plus longs cargos à voile du monde, et ses 136 mètres.

La coopérative Windcoop lancera fin 2025 la construction d’un cargo à voile de 90 mètres de long, capable de transporter 210 conteneurs (environ 2 500 tonnes de marchandises). Le navire sera équipé de trois ailes rigides de 350 m² et pourra économiser jusqu’à 90 % de carburant selon ses promoteurs. Une mise à l’eau est envisagée pour mai 2027. Windcoop

Le transport à voile visait jusqu’ici des produits à forte valeur ajoutée comme le vin, le café ou encore le chocolat. Mais l’arrivée de cargos à voile de plus en plus grands, à l’image du Williwaw de 160 mètres, annoncé par l’entreprise Zéphyr & Borée, permet d’augmenter les volumes de cargaison, de les diversifier et de réduire les coûts actuels par des économies d’échelle. La filière s’ouvre ainsi au transport de véhicules par exemple.

… et celui de l’hypervitesse

Le vent ne soufflant pas tout le temps, le transport maritime à voile reformule le paradigme de la grande vitesse contrôlée, qui figure comme une impasse énergétique : plus on va vite, plus on consomme. À titre indicatif, la majorité des porte-conteneurs actuels ont une vitesse de 15 à 23 nœuds (28 à 43 km/h), alors que le cargo à voile de Neoline de 136 mètres affichera une vitesse réduite de 11 nœuds (environ 20 km/h).

La résurgence du transport maritime à voile pose aussi la question du temps social, en repensant notre rapport au territoire et à nos rythmes de vie. D’ailleurs, à la différence des fantasmes qui ont émergé dans le monde du transport terrestre ou aérien avec, par exemple, l’Hyperloop ou l’avion supersonique, la vitesse n’est pas une question primordiale pour le transport maritime, l’enjeu de la ponctualité étant bien plus important.

À ce titre, l’ambition d’autonomie des cargos à voile (installation de grues de chargement/déchargement à bord pour gagner en fluidité, ouverture de lignes commerciales secondaires en dehors des grandes routes internationales congestionnées, etc.) remettrait en question l’hégémonie des méga porte-conteneurs thermiques dans cette course à la vitesse. Réduire la vitesse des navires est aussi une mesure en faveur de la biodiversité marine, puisque cela diminue le bruit sous-marin et les risques de collision avec des cétacés.

Une symbiose entre low-tech et high-tech

Avec la révolution des outils numériques disponibles à bord, des simulations en temps réel permettent de suivre les meilleures trajectoires. Déployer ou replier une voile se fait désormais de manière automatisée. Ces nouveaux cargos à voile sont des concentrés de technologies, et bien qu’ils exploitent une technique millénaire, ils s’appuient également sur des outils contemporains, à l’image de l’IA et des prévisions satellitaires qui permettent d’optimiser les trajectoires. Des technologies matures et éprouvées issues du secteur aéronautique et des sports nautiques (matériaux carbone) sont intégrées dans l’élaboration des nouveaux voiliers.

Le transport maritime à voile s’inscrit dans un choc de la vitesse. Le modèle de la décélération (à l’image aussi du retour des dirigeables dans le transport aérien de marchandises) côtoie de plus en plus celui de la grande vitesse. Pareillement, la filière connaît un choc de la conception innovante, où la low-tech (la voile) va s’associer avec la high-tech.

Le défi du changement d’échelle

Pour autant, l’incertitude et le risque associés au caractère pionnier de ces premiers cargos modernes rendent par nature la levée de fonds plus délicate.

Afin de s’assurer de la rentabilité économique du projet, les promoteurs des cargos à voile doivent trouver des clients (chargeurs ou logisticiens) qui s’engagent sur un nombre de conteneurs annuels pendant une durée généralement assez longue. Le processus de légitimation du transport à voile repose sur ces premiers clients qui parient sur la filière, parmi lesquels on peut trouver des start-ups/PME mais aussi des grands groupes.

Grand bateau blanc avec quatre mâts
Le cargo hybride Canopée amarré au port de Bordeaux en octobre 2024. Long de 121 mètres et conçu pour transporter la fusée Ariane-6, le navire est capable d’économiser de 30 à 40 % de carburant classique grâce à ses quatre mâts de 37 mètres de haut. Sylvain Roche, Fourni par l'auteur

Le concours actif de ces premiers clients est dès lors crucial, tout comme le soutien des acteurs publics. Le moindre coût de carburant doit permettre d’amortir l’investissement supplémentaire propre à la construction de cargos à voile de nouvelle génération. Le processus de légitimation et d’innovation marketing oblige à jongler continuellement entre un imaginaire romantique véhiculé par les bateaux à voile au sein du grand public et un discours technique pragmatique de rentabilité financière.

Une réappropriation territoriale et citoyenne des échanges

Enfin, le changement de paradigme reste à effectuer en premier lieu du côté des citoyens et des consommateurs. Le surcoût lié à l’usage de la voile – la taille des méga porte-conteneurs thermiques permet des économies d’échelle – doit encore pouvoir être répercuté sur le prix des marchandises. Une évolution décarbonée du transport maritime se fera pour des raisons marchandes et citoyennes plus que technologiques.

L’évolution des usages et des mentalités est donc un élément structurant pour constituer un véritable marché. Le transport de marchandises restant un secteur opaque d’un point de vue social et environnemental, la voile pourrait lui donner une nouvelle éthique. À ce titre, de nombreux armateurs véliques ont fait le choix d’une rémunération juste de leurs marins.

En 2014, la navigatrice Isabelle Autissier rappelait que la mer est un vecteur de l’imaginaire où « le marin devient le porte-drapeau d’une humanité plus vraie et plus désirable ». Tout comme les éoliennes (avec toutes les controverses qu’elles provoquent), la résurgence des mâts des navires se présente dès lors comme un symbole paysager fort qui redonne à voir le monde maritime (les cargos étant les grands invisibles de la mondialisation) et le transport.

Sachant que la durée de vie d’un navire de commerce actuel est de vingt-cinq ans en moyenne, les bateaux en chantier aujourd’hui sont ceux qui devront réduire les émissions du secteur maritime dans le futur. Ainsi, bien que l’avenir énergétique du transport maritime se veuille pluritechnologique, une compétition est en cours autour de l’imaginaire du progrès.

The Conversation

Sylvain Roche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

01.07.2025 à 16:51

BD : L’Héritage du dodo (épisode 10)

Mathieu Ughetti, Illustrateur, vulgarisateur scientifique, Université Paris-Saclay
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp.
Texte intégral (749 mots)

La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, le 10e et dernier épisode de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Dans cet épisode final, on fait le point sur ce qu’il nous reste à faire.


L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…

On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !

Retrouvez ici le dixième et dernier épisode de la série !

Ou rattrapez les épisodes précédents :

Épisode 1
Épisode 2
Épisode 3
Épisode 4
Épisode 5
Épisode 6
Épisode 7
Épisode 8
Épisode 9


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Merci d’avoir suivi L’Héritage du dodo. N’hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous. On a fait cette BD pour vous, on est curieux de savoir ce que vous en pensez.

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Une BD de Franck Courchamp & Mathieu Ughetti
Qui sommes-nous ?

Republication des planches sur support papier interdite sans l’accord des auteurs


Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.

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Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.

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01.07.2025 à 13:56

Consommation sobre : un défi culturel autant qu'économique

Service Environnement, The Conversation France
Pour consommer moins et mieux, réparer, réemployer ou prolonger la durée de vie des objets ne doit plus rimer avec contrainte, mais devenir un choix désirable.
Texte intégral (1086 mots)
Pour acheter moins et mieux, il s’agit par exemple de réapprendre à entretenir les objets et les réparer Sonja Filitz/Shutterstock

Pour rendre les modes de consommation sobres (durée de vie accrue des objets, réparation, réemploi…) plus désirables, il faut à la fois transformer leurs représentations sociales et mettre en place des dispositifs concrets pour mieux accompagner les consommateurs, expliquent Joël Ntsondé (ISTEC), Chloé Steux (Ecole polytechnique) et Franck Aggeri (Mines Paris - PSL).


Les Français se disent prêts à réduire leur consommation de biens matériels, selon une enquête de l’Agence de la transition écologique (Ademe). Ce qui n’a pas empêché sa campagne sur les « dévendeurs » de nourrir la controverse.

Ne pas associer sobriété et privation

Le marché de l’occasion, aujourd’hui considéré comme vertueux pour l’économie et l’environnement, montre comment l’évolution des représentations sociales peut favoriser de nouvelles pratiques de consommation. Une démarche à transposer à la sobriété, qui s’oppose à la possibilité d’une consommation et d’une production illimitée de biens matériels. La difficulté est aussi de ne pas associer sobriété et privation, sans parler des objectifs de croissance économique. Or, cela touche aux représentations individuelles, sociales et culturelles au fondement de nos sociétés.


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Pour rendre la sobriété désirable, on peut activer le levier des imaginaires sociaux. En effet, pour acheter moins et mieux, il faut un rapport différent au temps, à la possession et à l’accumulation de biens matériels. Il s’agit par exemple de réapprendre à entretenir les objets et les réparer. Il en va de même pour nos vêtements, dont les principales sources de séparation et de renouvellement sont l’usure et la lassitude. Les repriser ou les personnaliser nous aide à nous y attacher… et à les utiliser plus longtemps. C’est un changement systémique qui remettrait en cause les stratégies commerciales, renforcées par l’obsolescence esthétique et marketing, qui imprègnent nos imaginaires collectifs.

Pour cela, il faut renforcer la légitimité des pratiques de consommation sobres et agir sur les structures anthropologiques de l’imaginaire, les mythes, récits, symboles et croyances des acteurs. En ce sens, fabricants et distributeurs ont un rôle crucial à jouer, grâce à des offres commerciales détachées des logiques de volumes. Celles-ci peuvent être basées sur la réparabilité, la durabilité, ou encore l’économie de la fonctionnalité. Elles peuvent ainsi essaimer non seulement dans la tête des consommateurs, mais aussi chez les autres acteurs du marché.

Des « dispositifs de confiance »

Ce changement des imaginaires n’est toutefois pas suffisant : encore faut-il accompagner l’évolution des pratiques. Favoriser la réparation passe par le développement de ce que le sociologue Lucien Karpik appelle des « dispositifs de confiance », qui visent à rassurer les consommateurs sur la qualité de la réparation.

Ils peuvent prendre différentes formes : labels, guides, normes techniques… Nous pourrions envisager, à l’échelle nationale, la création d’un observatoire de la réparation. Il pourrait informer les consommateurs sur les acteurs qualifiés, la réparabilité des produits et des marques, les délais moyens ou les fourchettes de prix pratiqués. Cela améliorerait l’accès à ces activités sur le plan pratique, mais aussi leur image.

Ce texte est la version courte de l'article écrit par Joël Ntsondé (ISTEC), Chloé Steux (Ecole polytechnique) et Franck Aggeri (Mines Paris - PSL)

The Conversation

Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Joël Ntsondé (ISTEC), Chloé Steux (Ecole polytechnique) et Franck Aggeri (Mines Paris - PSL).

30.06.2025 à 17:36

En Espagne, une loi pour lutter contre le gaspillage alimentaire

Clémence Lepla, Doctorante en droit privé, Université de Lille
L'Espagne vient de voter une loi avec des sanctions inédites pour lutter contre le gaspillage et les pertes alimentaires qui nous font perdre 1/3 de la nourriture produite.
Texte intégral (2306 mots)

14 % de la nourriture produite est jetée ou perdue avant même d'atteindre les rayons des magasins. 19% sera ensuite jetée par les magasins, les restaurants ou particuliers. Pour lutter contre ce fléau, l'Espagne vient d'adopter une loi avec des sanctions inédites. Mais cela sera-t-il suffisant pour endiguer le gaspillage alimentaire ?


L’Espagne vient d’adopter une nouvelle loi pour lutter contre les pertes et le gaspillage alimentaire. Publiée le 1er avril 2025, elle ambitionne de réduire les pertes et le gaspillage à toutes les étapes de la chaine alimentaire, de la récolte à la consommation, en promouvant un modèle plus durable. Si une loi en Catalogne existait déjà en la matière, le dispositif est désormais harmonisé.

Les objectifs fixés sont ambitieux. La loi vise à réduire de 50 % le gaspillage alimentaire par habitant et de 20 % les pertes alimentaires d’ici à 2030. Les pertes alimentaires désignent ici la nourriture qui est perdue ou jetée avant d’atteindre les magasins de détail, lors des étapes de récolte, de transformation des aliments ou encore du transport. Actuellement, 14 % de la nourriture produite dans le monde est perdue à ce stade. Le gaspillage alimentaire correspond lui à la nourriture disponible à la vente ou à la consommation qui est jetée par les supermarchés, les restaurants et les ménages. Il représente 19 % des denrées alimentaires produites dans le monde. Ces chiffres ont marqué un véritable tournant dans la prise de conscience mondiale de ce problème, incitant les gouvernements à adopter des politiques ambitieuses pour y remédier.

Inédite en Espagne, cette loi constitue une étape importante dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Elle s’inscrit dans les objectifs de développement durable de l’Union européenne qui visent, d’ici au 31 décembre 2030, une réduction de 10 % des pertes alimentaires (par rapport à la quantité générée en moyenne annuelle entre 2021 et 2023) ainsi que la réduction de 30 % du gaspillage alimentaire par habitant.

Le texte présente également des dispositions similaires à celles de la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, dite Loi Garot, adoptée par la France en 2016. Bien que les dispositifs ne soient pas entièrement identiques, les deux textes poursuivent le même objectif : lutter contre les pertes et le gaspillage alimentaires.

L’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire impliqués

Pour atteindre cet objectif, la participation de tous les acteurs de la société est nécessaire. La loi espagnole s’applique ainsi à une large palette d’acteurs opérant sur le territoire. Elle s’adresse aux professionnels assurant la production, la transformation et la distribution de denrées alimentaires ; aux restaurants ; à l’hôtellerie ; aux consommateurs ; aux associations de distribution de dons alimentaires ainsi qu’à l’administration publique. Seules les micro-entreprises sont exclues du dispositif.

Contrairement à la loi française, la loi espagnole est également applicable pour les opérateurs du secteur primaire tels que les agriculteurs, éleveurs, pêcheurs et coopératives agricoles.


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Un ordre de priorité à respecter

Les opérateurs économiques de la chaîne alimentaire doivent respecter un ordre de priorité inspiré de la directive européenne sur les déchets. Ainsi, lorsqu’une denrée alimentaire ne parvient pas à être vendue, elle doit être donnée ou transformée (par exemple des fruits transformés en confiture). Si ces opérations ne sont pas réalisables, cette denrée pourra être utilisée pour nourrir les animaux. À défaut, elle sera transformée par l’industrie en sous-produit non alimentaire (biocarburant, bioplastiques…), recyclée ou transformée en compost.

La loi proscrit également toute action visant à rendre les denrées impropres à la consommation ou à la valorisation comme le fait de verser de la javel sur les invendus.

Le manquement au respect de cet ordre de priorité est répertorié comme étant une « infraction mineure » et est puni par un avertissement ou une amende pouvant aller jusqu’à 2 000 euros. Cette infraction peut être requalifiée en « infraction grave » si elle est commise à nouveau dans une période de deux ans à compter de la sanction par décision administrative de la première d’entre elles. Le cas échéant, elle est punie d’une amende allant de 2 001 à 60 000 euros.

La destruction ou altération intentionnelle de denrées alimentaires invendues encore propres à la consommation est quant à elle considérée comme étant une « infraction grave ». En cas de réitération de ce type d’infraction, celle-ci est susceptible d’être requalifiée en « infraction très grave ». Elle sera alors passible d’une amende comprise entre 60 001 et 500 000 euros. La loi laisse une certaine marge de manœuvre à l’échelle régionale aux 17 Communautés autonomes d’Espagne pour augmenter ces seuils et/ou inclure d’autres sanctions additionnelles ou accessoires dans leurs réglementations respectives ayant valeur de loi.

Les sanctions diffèrent des sanctions françaises lesquelles prévoient une amende pouvant aller jusqu’à 0,1 % du chiffre d’affaires hors taxe du dernier exercice clos réalisé par l’établissement coupable de destruction de ses invendus. Le montant est fixé en fonction de la gravité de l’infraction, notamment du nombre et du volume de produits concernés. Cette amende peut être assortie d’une peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal.

Des plans de prévention à réaliser

La loi espagnole impose également aux professionnels de mettre en place des plans de prévention. Il s’agit de documents opérationnels détaillant les mesures mises en place pour identifier, prévenir et réduire les pertes et le gaspillage alimentaires. Chaque acteur de la chaîne alimentaire (à l’exception donc des microentreprises, des petits établissements commerciaux d’une surface inférieure à 1300m2 et des petites exploitations agricoles) doit expliquer comment il appliquera cet ordre de priorité et rendre compte des actions de prévention telles que la vente de produits dits « moches » ou « inesthétiques » ou encore indiquer les éventuels accords ou arrangements qu’ils ont avec des associations pour donner leurs invendus. Ces plans de prévention permettent également de collecter des données sur les pertes et le gaspillage alimentaires qui seront essentielles dans le cadre du suivi et de la régulation de cette problématique à l’échelle nationale.

Ces informations collectées alimenteront le plan national de contrôle des pertes et du gaspillage alimentaires, un dispositif mis en place par l’Espagne pour superviser et contrôler les actions des professionnels. Ce plan national vise à garantir que les objectifs législatifs de réduction des pertes et du gaspillage alimentaires soient atteints et peut inclure des contrôles, des audits, ainsi que des mécanismes de suivi et de sanction en cas de non-respect.

Le ministère de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation doit établir annuellement un rapport contenant les résultats de la mise en œuvre du plan de lutte national afin de suivre l’évolution et des mesures mises en place. Les administrations publiques doivent quant à elle enquêter et recueillir des données permettant de connaître l’ampleur du phénomène de pertes et du gaspillage alimentaires (volumes, causes et responsabilités).

Le don encouragé

La loi vise également à promouvoir le don de nourriture, en garantissant la sécurité et la traçabilité des aliments. Bien qu’encouragé, notamment au travers d’une déduction fiscale, le don reste facultatif : les professionnels peuvent aussi écouler leurs invendus alimentaires encore consommables en baissant les prix par exemple ou en les transformant. En revanche, il est interdit d’insérer dans un contrat une clause qui empêcherait l’autre partie de les donner.

Le recours au don est également encadré par une convention de don précisant les modalités de collecte, de transport, de stockage ainsi que les obligations des parties.

L’association bénéficiaire a la possibilité de refuser le don, sous réserve de motiver son refus. Elle est également tenue de respecter plusieurs exigences telles que : fournir des informations sur les denrées alimentaires aux personnes qui reçoivent la nourriture ; assurer la traçabilité des produits donnés au moyen d’un système d’enregistrement des entrées et sorties de denrées alimentaires reçues et livrées ; maintenir de bonnes pratiques d’hygiène dans la conservation et la manipulation des aliments ou encore donner sans discrimination.

Informer les consommateurs

La loi a enfin pour objectif de sensibiliser et d’informer les consommateurs. Elle impose pour cela aux pouvoirs publics de promouvoir des campagnes d’information sur la réduction du gaspillage alimentaire. Cette problématique sera d’ailleurs intégrée dans les programmes éducatifs dès le plus jeune âge.

Le texte met également l’accent sur l’importance de différencier les types de dates figurant sur les produits alimentaires : les produits comportant une date limite de consommation (DLC) présentent un risque pour la santé s’ils sont consommés une fois la date expirée. À l’inverse, les produits ayant une date de durabilité minimale (DDM) peuvent être consommés après cette date. Leur qualité peut être altérée mais ils peuvent encore être consommés en toute sécurité plutôt que d’être jetés. Cette mesure est d’ores et déjà à l’œuvre en France où les produits alimentaires comportant une DDM peuvent être accompagnés d’une mention informant les consommateurs que le produit reste consommable après cette date.

À l’échelle des restaurants, les doggy bags sont également fortement encouragés. À l’instar de la France, l’Espagne impose désormais aux établissements de la restauration de fournir gratuitement des contenants réutilisables ou facilement recyclables afin de permettre aux clients d’emporter les restes de leur repas.

L’Espagne est le troisième pays de l’Union européenne, après la France et l’Italie, à adopter une loi spécifique contre le gaspillage alimentaire. Cette dynamique s’inscrit dans un contexte plus large de renforcement des politiques européennes en matière de durabilité alimentaire.

L’efficacité de la loi espagnole sur la prévention des pertes et du gaspillage alimentaire reposera sur sa mise en œuvre concrète et la rigueur du contrôle exercé. L’exemple de la loi française, adoptée il y a neuf ans, offre un cadre d’évaluation utile pour apprécier les leviers efficaces et les résultats mesurables d’une telle politique.

En effet, malgré l’ambition initiale, un rapport parlementaire publié trois ans après l’entrée en vigueur de la loi Garot a mis en évidence l’insuffisance de moyens pour réaliser des contrôles. La destruction des invendus, notamment par la pratique de la javellisation, fait l’objet de très peu de contrôles effectifs et est faiblement sanctionnée.

L’Espagne a quant à elle intégré dans cette loi un dispositif national de contrôle des pertes et du gaspillage alimentaires, articulé autour d’un mécanisme de suivi régulier assuré par le ministère de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation et des plans de prévention fournis par les opérateurs économiques.

Reste à déterminer si ces outils, pensés pour garantir une application rigoureuse et homogène du texte, seront suffisamment dotés pour produire des effets concrets. À terme, c’est bien sa capacité à induire des changements structurels dans les pratiques économiques et sociales qui permettra d’en juger la portée réelle.

The Conversation

Clémence Lepla a reçu des financements de la Région des Hauts-de-France et de l'Université de Lille.

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