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26.11.2025 à 11:25

Votre chien ou chat vieillit ? Des gestes simples pour prolonger sa qualité de vie

Sara Hoummady, DMV, PhD, Associate professor in ethology and animal nutrition, UniLaSalle
Comment accompagner chiens et chats dans leur vieillissement ? Les conseils pratiques de spécialistes en sciences vétérinaires (alimentation, aménagement, comportements à surveiller, etc.).
Texte intégral (3179 mots)
En vieillissant, les besoin des animaux de compagnie évoluent. Ginger/The Conversation, CC BY-ND

Déjà, ses premiers poils gris. Votre chien ou votre chat a pris un petit coup de vieux. Comment prendre soin de lui à présent ? Des chercheurs se sont penchés sur la question et prodiguent quelques conseils faciles à mettre en œuvre.


En France, avec une espérance de vie moyenne de 11,3 ans chez les chiens comme chez les chats, la gériatrie animale est devenue indispensable. Les connaissances progressent rapidement pour mieux accompagner ces animaux. On sait désormais que quelques aménagements simples améliorent nettement le confort et la qualité de vie d’un chat ou d’un chien âgé. L’essentiel pour les propriétaires est de ne pas rester observateur passif du vieillissement de leur compagnon à quatre pattes.

À quel âge mon chien ou mon chat peut-il être considéré comme âgé ?

Une recherche portant sur plus de deux millions de chats et plus de quatre millions de chiens a permis de mieux définir leurs différents stades de vie.

Chez le chat, l’entrée dans le « troisième âge » se situe autour de 10 ans. Le « troisième âge » comprend le stade mature, senior et super-senior.

Selon cette même étude, pour le chien, la situation est moins uniforme : la vitesse de vieillissement dépend fortement de la taille.

  • Les chiens de petit format (toy et small, des races dont le poids est inférieur à 9 kg, comme les chihuahas ou les cavalier king charles) entrent dans le troisième âge vers 7 ans, puis deviennent seniors autour de 12 ans.

  • Les chiens de format moyen à grand, de plus de 9 kg, comme les welsh corgis, les golden retrievers ou les bergers australiens par exemple, y accèdent plus tôt : environ 6 ans pour le début du troisième âge, puis 10 ans pour le stade sénior.

Golden retriever âgé allongé
Même super-senior, ce golden retriever peut conserver une bonne qualité de vie. Nhung Le/Unsplash, CC BY

Il est important d’être rassuré : passer dans ce nouveau stade ne signifie absolument pas que “la fin” approche. Cela indique surtout qu’il est temps d’être plus attentif à son compagnon et d’adapter progressivement son suivi, son environnement et ses soins pour l’aider à vieillir dans les meilleures conditions.

Qu’est-ce qu’un vieillissement sain ? Comment l’évaluer chez son animal ?

Avant de parler de « vieillissement sain », il est utile de rappeler ce qu’est le vieillissement : un processus naturel, progressif et inévitable. Avec le temps, les animaux tolèrent moins bien les stress de leur environnement et leurs cellules accumulent des dommages, ce qui entraîne des modifications physiologiques variées.

Qu’entend-on alors par un chien ou un chat vieillissant « en bonne santé » ? Un récent article de consensus auquel j’ai participé propose une définition adaptée à nos animaux de compagnie : un animal âgé en bonne santé est celui qui conserve suffisamment de capacités et de résistance pour répondre à ses besoins physiques, comportementaux, sociaux et émotionnels, tout en maintenant une relation stable et positive avec son humain.

Certains signes sont tout à fait normaux : poils qui grisonnent, léger tartre, peau plus fine, perception sensorielle un peu diminuée mais sans impact notable sur la qualité de vie.

gros plan cocker
Quelques changements physiques sont tout à fait normaux. Ava Tyler/Unsplash, CC BY

En revanche, des difficultés locomotrices entravant l’accès aux ressources (difficulté à se lever, à monter les escaliers ou à interagir facilement avec vous) ne doivent pas être considérées comme de simples manifestations de l’âge. Il en va de même avec les premiers signes de dysfonction cognitive (un syndrome qui présente quelques similitudes avec Alzheimer), lorsqu’un chien ou un chat a du mal à retrouver sa gamelle ou semble perdu dans la maison, par exemple. Ces cas nécessitent un avis vétérinaire.

La qualité de vie devient donc le critère central pour évaluer si un animal suit une trajectoire de vieillissement harmonieuse. Chez le chien et le chat, on utilise désormais la notion de fragilité, issue de la gériatrie humaine (voir tableau ci-dessous).

Comment évaluer la fragilité de son animal ?

Les animaux classés comme fragiles sont plus susceptibles de développer des maladies et doivent faire l’objet d’un suivi plus rapproché.

L’intérêt majeur de cette approche est que, comme chez l’humain, la fragilité repérée tôt pourrait parfois être atténuée. D’où l’importance d’un dépistage régulier et d’un accompagnement précoce pour soutenir au mieux nos compagnons âgés.

Quelques aménagements à mettre en place

La première étape consiste à rendre l’environnement de l’animal plus accessible afin qu’il puisse atteindre facilement toutes ses ressources : nourriture, eau, lieux de repos, espaces de cachette, zones d’interaction… De simples aménagements peuvent déjà faire une vraie différence : petits escaliers pour monter sur le canapé, chauffeuses ou coussins fermes et peu hauts, gamelles surélevées pour les chiens et chats souffrant d’arthrose.

Très beau chat roux sur un coussin rond
L’utilisation de coussins hauts ou chauffeuses permet au chat d’être en hauteur, avec un accès facilité. Ginger/The Conversation, CC BY-ND

Multiplier les points d’accès est également utile : deux ou trois zones d’alimentation, plusieurs endroits pour dormir, et davantage de litières, faciles à enjamber. Certains bacs du commerce sont trop hauts pour des chats arthrosiques ; un plateau large à rebord bas peut être bien plus confortable.

Maintenir une relation apaisée et positive apparaît essentiel. Un comportement jugé « indésirable » doit toujours être investigué avec un vétérinaire et un comportementaliste (ou un vétérinaire comportementaliste) : il peut en effet traduire un besoin, un inconfort ou une difficulté. Un chat qui griffe le tapis plutôt que son arbre à chat, par exemple, peut simplement chercher une position moins douloureuse. Certains animaux deviennent aussi plus anxieux ou plus réactifs avec l’âge ou certaines conditions médicales ; il est alors important d’en comprendre la cause plutôt que de sanctionner, au risque d’abîmer la relation et de ne pas régler la problématique.

La stimulation cognitive et physique doit se poursuivre, mais en s’adaptant aux capacités de l’animal. Les « puzzle feeders »(ou gamelles interactives, des bols où les animaux doivent résoudre des jeux pour avoir leur ration) restent intéressants, à condition d’être choisis en fonction de son état : un tapis de fouille, une gamelle interactive à pousser du nez seront préférables à un système demandant des mouvements complexes des pattes. Les jeux, les apprentissages et les petits entraînements restent bénéfiques ; il suffit parfois de raccourcir les séances et d’utiliser des récompenses très appétentes (petits morceaux de blanc de poulet ou de saucisses…).

Chien dans un sac
L’utilisation d’un sac peut permettre à votre animal de prolonger son accès à l’extérieur. Treddy Chen/Unsplash, CC BY

Les promenades peuvent être adaptées notamment en utilisant des sacs confortables et sécuritaires pour porter le chien lorsqu’il est trop fatigué, que ce soit pour une partie ou l’ensemble de la balade, l’important étant de continuer à ce que l’animal ait accès à l’extérieur.

L’alimentation joue enfin un rôle majeur dans l’accompagnement des animaux âgés. Le vieillissement entraîne une modification de la digestion et une perte progressive de masse musculaire. Il est donc recommandé de privilégier une alimentation facilement digestible, dont l’odeur et le goût attirent votre animal, et formulée spécifiquement pour les besoins des seniors. Les rations de viande crue sont à éviter : elles sont souvent déséquilibrées en minéraux, ce qui peut être délétère pour les animaux âgés, particulièrement sensibles aux excès de phosphore ou aux rapports calcium/phosphore inadaptés. Elles présentent également un risque sanitaire accru alors que leur système immunitaire est moins performant.

En revanche, combiner une alimentation sèche (croquettes) et humide (terrine, mousses…) est souvent bénéfique. Une ration cuite et faite maison (en suivant les conseils d’un vétérinaire) peut aussi aider un animal à retrouver l’appétit. Et pour les plus difficiles, une astuce simple peut suffire : tiédir légèrement l’aliment humide pour en renforcer l’odeur et la rendre plus attirante.

À quel moment faire intervenir le vétérinaire ?

Les visites de suivi chez le vétérinaire restent indispensables, notamment pour maintenir à jour le protocole vaccinal et le déparasitage. Avec l’âge, le système immunitaire perd en efficacité : un animal senior est donc plus vulnérable et nécessite une protection régulière contre les maladies infectieuses et les parasites.

Les consultations de gériatrie ont pour objectif de suivre l’évolution du vieillissement qui est propre à chaque individu. La première est souvent la plus longue : elle permet un échange approfondi et inclut, lorsque nécessaire, des examens complémentaires. Ces premiers éléments serviront de référence pour les visites suivantes. L’idéal est d’entamer ce suivi dès le début du « troisième âge ». La fréquence des consultations dépend ensuite de la trajectoire de l’animal : tous les six mois si des signes de fragilité apparaissent, ou une fois par an si son état reste stable.

L’enjeu n’est plus seulement d’allonger la durée de vie de nos compagnons, mais surtout de prolonger leur vie en bonne santé, en préservant leur qualité de vie le plus longtemps possible – une démarche qui rejoint celle adoptée pour les humains.

The Conversation

Sara Hoummady est membre de l'AFGASP (Association Française de Gériatrie Animale et de Soins Palliatifs). Elle a reçu la bourse de la FVE (Federation Veterinaire Européenne) pour ses travaux sur le vieillissement félin. Elle a fait partie d'un comité de réflexion sur le vieillissement sain chez le chien et le chat organisé par un petfooder.

25.11.2025 à 15:55

Et si l’accent « neutre » n’existait pas ?

Marc Chalier, Maître de conférences en linguistique française, Sorbonne Université
Malgré une crainte récurrente, les accents ne sont pas près de disparaître, et l’accent prétendument « neutre » n’a jamais existé autrement que dans nos représentations fantasmées.
Texte intégral (1848 mots)
Croire que l’on n’a pas d’accent ou que l’on a un accent « neutre » revient bien souvent à ne pas s’apercevoir que l’on en effectivement a un. Pixabay, CC BY

À en croire un sondage récent, les accents régionaux seraient en train de s’effacer. Derrière cette inquiétude largement relayée se cachent deux réalités que nous connaissons tous mais que nous préférons souvent oublier : la prononciation, par nature éphémère, change constamment et le nivellement actuel des accents n’a rien d’exceptionnel. Quant à l’« accent neutre » auquel nous comparons ces accents régionaux, il n’a jamais existé ailleurs que dans nos imaginaires linguistiques.


Chaque année ou presque, un sondage annonce que les accents seraient « en voie de disparition ». La dernière étude en date, publiée en septembre 2025 par la plateforme Preply et largement propagée par le biais des réseaux sociaux, va dans ce sens : plus d’un Français sur deux (55 %) estimerait que les accents régionaux disparaissent. De manière assez remarquable, cette inquiétude serait surtout portée par les jeunes : près de 60 % des participants de 16 à 28 ans disent constater cette disparition. Cette crainte occulte pourtant deux réalités essentielles : un accent n’est jamais figé, et l’idée d’un accent « neutre » relève davantage du mythe que de la réalité.

L’accent « neutre » est une illusion

Dans les représentations de bon nombre de francophones, il existe une prononciation « neutre » sans marque régionale ou sociale que beaucoup considèrent aussi comme la « bonne prononciation ». Mais cette vision ne résiste pas à l’analyse. Tous les modèles de prononciation avancés jusqu’à aujourd’hui (par exemple, le roi et sa cour au XVIIe siècle, plus tard la bourgeoisie parisienne, et récemment les professionnels de la parole publique, notamment dans les médias audiovisuels) ont en commun un ancrage géographique bien précis : Paris et ses environs, et parfois aussi la Touraine où les rois de France avaient leurs résidences d’été.

L’accent dit « neutre » est donc avant tout un accent parisien. Et la plupart des locuteurs non parisiens le reconnaîtront comme tel. Il n’est pas dépourvu de traits caractéristiques qui nous permettent de le reconnaître, mais il est simplement l’accent du groupe social dominant. D’ailleurs, une enquête menée auprès de différentes communautés parisiennes dans les années 2000 le montrait déjà : les représentations de l’accent parisien varient fortement selon la perspective du locuteur, interne ou externe à la communauté parisienne.

Ainsi, hors de la capitale, de nombreux locuteurs associent Paris à un accent non pas « neutre », mais « dominant » et qu’ils associent implicitement au parler des couches sociales favorisées de la capitale. À Paris même, les perceptions du parler parisien sont beaucoup plus hétérogènes. Certains locuteurs affirment ne pas avoir d’accent, d’autres en reconnaissent plusieurs, comme l’« accent du 16e » (arrondissement) associé aux classes favorisées, « l’accent parigot » des anciens quartiers populaires, ou encore l’« accent des banlieues » socialement défavorisées. Cette pluralité confirme donc une chose : même à Paris, il n’existe pas de prononciation uniforme, encore moins neutre.

Les différentes formes de prestige d’un accent

Dans une large enquête sur la perception des accents du français menée avec mes collègues Elissa Pustka (Université de Vienne), Jean-David Bellonie (Université des Antilles) et Luise Jansen (Université de Vienne), nous avons étudié différents types de prestige des accents régionaux en France méridionale, au Québec et dans les Antilles. Nos résultats montrent tout d’abord à quel point cette domination de la région parisienne reste vivace dans nos représentations du « bon usage ». Dans les trois régions francophones, les scores liés à ce que l’on appelle le « prestige manifeste » de la prononciation parisienne sont particulièrement élevés. Il s’agit de ce prestige que l’on attribue implicitement aux positions d’autorité et que les locuteurs interrogés associent souvent à un usage « correct » ou « sérieux ». Mais les résultats montrent également l’existence d’un « prestige latent » tout aussi marqué. Il s’agit là d’un prestige que les accents locaux tirent de leur ancrage identitaire. Ce sont souvent les variétés régionales qui sont ainsi caractérisées comme étant « chaleureuses » ou « agréables à entendre », et elles semblent inspirer la sympathie, la confiance, voire une certaine fierté.

Ces deux axes expliquent aussi qu’on puisse, dans la même conversation, dire d’un accent qu’il « n’est pas très correct » tout en le trouvant « agréable à entendre ». Ce jeu de perceptions montre bien que la prétendue neutralité du français « standard » n’existe pas : elle est simplement le reflet d’un équilibre de pouvoirs symboliques continuellement renégocié au sein de la francophonie.

L’émancipation des accents « périphériques »

Notre étude montre également que cette association de l’accent parisien au prestige manifeste et des accents dits « périphériques » au prestige latent n’est pas fixée à tout jamais. Dans les trois espaces francophones étudiés, les accents autrefois perçus comme des écarts à la norme deviennent peu à peu porteurs d’un prestige plus manifeste. Ils commencent donc à s’imposer comme des modèles légitimes de prononciation dans de plus en plus de contextes institutionnels ou médiatiques autrefois réservés à la prononciation parisienne.

Ce mouvement s’observe notamment dans les médias audiovisuels. Au Québec, par exemple, les journalistes de Radio-Canada assument et revendiquent aujourd’hui une prononciation québécoise, alors qu’elle aurait été perçue comme trop locale il y a encore quelques décennies. Cette prononciation n’imite plus le français utilisé dans les médias audiovisuels parisiens comme elle l’aurait fait dans les années 1960-1970, mais elle intègre désormais ces traits de prononciation propres au français québécois qui étaient autrefois considérés comme des signes de relâchement ou de mauvaise diction.

Ces changements montrent que la hiérarchie traditionnelle des accents du français se redéfinit. L’accent parisien conserve une position largement dominante, mais son monopole symbolique s’effrite. D’autres formes de français acquièrent à leur tour des fonctions de prestige manifeste : elles deviennent acceptables, voire valorisées, dans des usages publics de plus en plus variés. Ce processus relève d’une lente réévaluation collective des modèles de légitimité linguistique.

Une dynamique normale du changement

Revenons à la question des changements perçus dans les accents régionaux évoquée en introduction. La langue est, par nature, en perpétuel mouvement, et la prononciation n’y échappe pas : certains traits s’atténuent, d’autres se diffusent sous l’effet de facteurs notamment sociaux. La mobilité des locuteurs, par exemple, favorise le contact entre des variétés de français autrefois plus isolées les unes des autres. Ce phénomène est particulièrement visible dans des métropoles comme Paris, Marseille ou Montréal, où se côtoient quotidiennement des profils linguistiques hétérogènes. À cela s’ajoute l’influence des médias, amorcée avec la radio et la télévision au début du XXe siècle et aujourd’hui démultipliée par les réseaux sociaux. Ces dynamiques expliquent en partie le nivellement actuel de certains accents, avec la raréfaction de certains traits locaux. Mais cela ne signifie pas pour autant la disparition de toute variation. Des mouvements parallèles de différenciation continuent d’exister et font émerger de nouveaux accents, qu’ils soient liés à l’origine géographique des locuteurs ou à leur appartenance à un groupe social.

À côté de ces changements « internes à la langue », les valeurs sociales que l’on associe à ces variétés évoluent elles aussi. Les frontières de ce qui paraît « correct », « populaire », « légitime » se déplacent avec les représentations collectives. Ainsi, aussi bien les accents que les hiérarchies qui les encadrent se reconfigurent régulièrement. Une observation qui distingue notre époque, cependant, c’est le fait que les normes langagières ne se redéfinissent plus seulement « par le haut » sous l’influence « normative » d’institutions comme l’Académie française, mais aussi « par le bas » sous l’effet des usages de la langue quotidienne qui s’imposent simplement par la pratique.

En somme, même si l’on redoute la disparition des accents, la variation continuera toujours de suivre son cours. Nul ne peut la figer. Et l’accent prétendument « neutre » n’a jamais existé autrement que dans nos représentations fantasmées. Ainsi, la prochaine fois que vous entendez quelqu’un vous dire qu’il ou elle ne pense pas avoir d’accent, souvenez-vous que ce n’est pas qu’il n’en a pas, mais que c’est simplement le sien qui (jusqu’ici) a dominé – pour reprendre les propos de Louis-Jean Calvet – dans la Guerre des langues et les politiques linguistiques (1987).

The Conversation

Marc Chalier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

25.11.2025 à 15:50

Boissons au cannabis : comment une faille juridique a créé une industrie de plusieurs milliards de dollars que le Congrès veut maintenant interdire

Magalie DUBOIS, Docteur en Economie du vin, Burgundy School of Business
Robin Goldstein, Director, Cannabis Economics Group, University of California, Davis
Une disposition passée inaperçue dans le budget fédéral américain signé par le président Trump pourrait bouleverser l’industrie florissante des boissons au THC.
Texte intégral (1698 mots)

Une disposition passée inaperçue dans le budget fédéral des États-Unis signé par le président Trump pourrait bouleverser une industrie florissante : celle des boissons au THC.


Le 12 novembre 2025, le Congrès américain a voté une loi limitant les produits à base de chanvre à 0,4 mg de delta-9-tétrahydrocannabinol, autrement dit THC, par contenant. Cette mesure, après une période de grâce d’un an, interdit de facto la plupart des nombreuses boissons, gommes et cigarettes électroniques (« vapes ») au THC actuellement vendues dans les stations-service, supermarchés et bars américains. Pour comprendre l’importance de cette nouvelle, il faut d’abord expliquer comment ce marché fonctionne, et pourquoi cette interdiction pourrait être appliquée… ou ignorée.

Cannabis, chanvre et THC : un peu d’histoire

La plante de cannabis contient plus de cent « cannabinoïdes », des composés chimiques qui interagissent avec le système endocannabinoïde humain. Le THC (tétrahydrocannabinol) est considéré principal responsable des effets psychoactifs. Légal aux États-Unis au XIXe siècle, le cannabis est progressivement interdit à partir de 1937, puis classé en 1970 comme narcotique de catégorie I – la plus strictement prohibée.

Depuis 1996, certains États américains ont commencé à légaliser le cannabis, d’abord à usage médical, puis récréatif à partir de 2012. Aujourd’hui, plus de 40 États l’autorisent sous une forme ou une autre, mais il reste illégal au niveau fédéral.

Dans ce contexte de contradictions entre lois fédérales et étatiques, une nouvelle distinction va tout changer : celle entre « cannabis » et « chanvre ».

Une industrie née d’un vide juridique

Vous n’en avez probablement jamais entendu parler, pourtant selon Fortune Business Insight le marché des boissons au THC génère déjà plus de 3 milliards de dollars (plus de 2,6 milliards d’euros) aux États-Unis.

Tout commence en 2018, lorsque le Farm Bill américain légalise le « chanvre » – défini comme du cannabis contenant 0,3 % ou moins de THC. L’objectif initial était de relancer l’industrie du chanvre industriel pour produire des textiles et des matériaux. Mais la loi contient une ambiguïté cruciale : ce seuil de 0,3 % s’applique au poids à sec de la plante, sans préciser de norme pour les produits transformés.

Des industriels américains ont rapidement identifié une opportunité. Pour une gomme typique de 5 grammes contenant 10 milligrammes de THC, soit une dose standard, le THC ne représente que 0,2 % du poids total. Pour une boisson de 355 grammes (12 onces) la même dose, le THC ne représente que 0,003 % du poids total. Techniquement, ces produits sont du « chanvre » légal, même s’ils produisent des effets psychoactifs identiques au cannabis.


À lire aussi : Contre les insomnies, le cannabis thérapeutique présente-t-il un intérêt ?


Résultat : dès 2021, des boissons et gommes au THC psychoactif ont commencé à apparaître dans les magasins et les bars des États où aucune loi sur le cannabis récréatif n’existait.

L’innovation qui change tout

Concernant les boissons, cette faille juridique n’aurait jamais créé une industrie de plusieurs milliards de dollars sans une percée technologique cruciale apparue au début des années 2020, la nano-émulsion.

Le THC est une molécule lipophile qui se sépare naturellement de l’eau. Pendant des années, les fabricants ont tenté de créer des boissons stables au THC. Les émulsions traditionnelles prenaient de soixante à cent vingt minutes pour produire leurs effets : vitesse bien trop lente pour concurrencer ceux de l’alcool.

La nano-émulsion change la donne. En réduisant les gouttelettes de THC à l’échelle nanométrique, cette technologie permet au THC de se dissoudre efficacement dans l’eau et d’être absorbé par l’organisme en vingt minutes environ : un délai comparable à celui d’une bière ou d’un cocktail.

Pour la première fois, les boissons au THC peuvent se positionner comme des substituts fonctionnels aux boissons alcoolisées.

Le paradoxe du marché

L’innovation technologique ne suffit pas à expliquer le succès commercial. Les mêmes boissons au THC affichent des résultats diamétralement opposés selon leur canal de distribution.

Dans les États où le cannabis récréatif est légal (en Californie ou à New York, par exemple), les boissons au THC ne sont vendues que dans des dispensaires (boutiques spécialisées dans la vente de cannabis), où elles représentent moins de 1 % des ventes totales de cannabis. En cause : les consommateurs habitués des dispensaires ne s’y rendent pas pour acheter leurs boissons quotidiennes comme ils achèteraient de la bière, par exemple, mais plutôt pour acquérir des produits plus forts comme la fleur de cannabis et les cigarettes électroniques. Une boisson au THC à 7 dollars (6 euros) offre une dose unique, alors qu’une recharge de cigarette électronique à 15 dollars (près de 13 euros) en fournit entre dix et vingt. De plus, les dispensaires doivent également composer avec des contraintes de réfrigération et d’espace qui pénalisent les produits volumineux comme les canettes.

Dans les États où le cannabis récréatif n’est pas légal comme le Texas, la Floride ou la Caroline du Nord par exemple, la situation est différente. Ces mêmes boissons au THC, étiquetées « chanvre », sont distribuées dans les supermarchés et les bars aux côtés des boissons alcoolisées. Elles sont proposées à un prix inférieur (4 ou 5 dollars, soit 3 ou 4 euros) que dans les dispensaires, en raison d’une réglementation plus souple et plus avantageuse fiscalement. Des enseignes, comme les stations-service Circle K, les grandes surfaces Target ou la chaîne de restaurants Applebee’s, ont intégré ces produits à leur offre. D’après des sources internes, les boissons au THC représenteraient 12 % du chiffre d’affaires texan de Total Wine la plus grande chaîne américaine de distribution de boissons alcoolisées.

Contexte concurrentiel

La différence réside dans le contexte concurrentiel. Dans les supermarchés et les bars, les boissons au THC se placent face à la bière, au vin et aux spiritueux, un marché en déclin aux États-Unis, notamment chez les jeunes consommateurs.

Mais certains acteurs de l’industrie des boissons alcoolisées y voient une opportunité commerciale pour la vente sur place et à emporter. Un client ne consommant pas d’alcool et qui commandait autrefois un verre d’eau au bar peut désormais acheter un cocktail au THC et générer du chiffre d’affaires pour l’établissement.

Slate, 2022.

L’interdiction sera-t-elle appliquée ?

L’interdiction votée le 12 novembre 2025 entrera en vigueur dans un an. Elle rendra illégaux au niveau fédéral la plupart des produits au chanvre psychoactif actuellement commercialisés. Mais le Texas et plusieurs autres États, souvent conservateurs, ont déjà légalisé ces produits en légiférant au niveau étatique.

Cette contradiction entre la loi fédérale et les lois étatiques n’a rien d’inédit. Plus de 40 États américains ont légalisé le cannabis médical ou récréatif alors qu’il reste interdit au niveau fédéral. Dans la pratique, les forces de l’ordre locales appliquent les lois étatiques, non les lois fédérales. Le Texas, dont l’industrie du chanvre pèse 4,5 milliards de dollars (soit 3,8 milliards d’euros), rejoint ainsi les nombreux États dont les législations entrent en conflit avec Washington.

Une distinction juridique technique (le seuil de 0,3 % de THC en poids sec établi par le Farm Bill de 2018) a créé en quelques années une industrie de plusieurs milliards de dollars qui concurrence directement le marché des boissons alcoolisées. Malgré la nouvelle tentative du Congrès pour l’empêcher, cette industrie pourrait suivre la trajectoire du cannabis récréatif : interdite au niveau fédéral, mais florissante dans les États qui choisissent de ne pas appliquer cette nouvelle mesure.

The Conversation

Robin Goldstein a reçu des financements de l'Université de Californie.

Magalie DUBOIS ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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