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18.08.2025 à 16:49
Marie Tharp, la cartographe qui a changé la face des fonds marins
Texte intégral (3829 mots)

La géologue et cartographe américaine Marie Tharp (1920-2006) a révolutionné la conception scientifique du fond océanique. En démontrant que les fonds marins ne sont pas une surface plane ni uniforme, l’océanographe a joué un rôle crucial dans le développement de la théorie de la tectonique des plaques.
Malgré toutes les expéditions en eaux profondes et tous les échantillons prélevés des fonds marins au cours des cent dernières années, les profondeurs de l’océan restent encore pleines de mystères. En savoir davantage pourrait pourtant nous être bien utile.
Et ce, pour plusieurs raisons. La plupart des tsunamis, par exemple, sont provoqués par des tremblements de terre sous le, ou près du, fond océanique. Les abysses abritent aussi des poissons, des coraux et des communautés complexes de microbes, de crustacés et d’autres organismes encore très méconnus. Enfin, les fonds marins contrôlent les courants qui répartissent la chaleur, contribuant ainsi à réguler le climat terrestre.
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L’étude de ces fonds marins mystérieux doit beaucoup à une femme, née en 1920 (et décédée en 2006, ndlr), nommée Marie Tharp. Les cartes créées par cette géologue et océanographe ont changé la façon dont les gens imaginent les mers et les océans qui recouvrent plus des deux tiers de notre planète bleue. À partir de 1957, Tharp et son partenaire de recherche Bruce Heezen ont commencé à publier les premières cartographies complètes montrant les principales caractéristiques du fond océanique : monts, vallées et fosses.
En tant que géoscientifique, je pense que Tharp devrait être aussi célèbre que Jane Goodall ou Neil Armstrong. Voici pourquoi.
Traverser l’Atlantique
Jusqu’au milieu des années 1950, de nombreux scientifiques pensaient que les fonds marins étaient uniformes. Tharp a démontré qu’au contraire, ils comportaient des reliefs accidentés et qu’une grande partie d’entre eux étaient disposés de manière systématique.
Ses illustrations ont joué un rôle essentiel dans le développement de la théorie de la tectonique des plaques, selon laquelle les plaques, ou grandes sections de la croûte terrestre, interagissent pour générer l’activité sismique et volcanique de la planète. Des chercheurs antérieurs, en particulier Alfred Wegener, avaient déjà remarqué à quel point les côtes de l’Afrique et de l’Amérique du Sud s’emboîtaient parfaitement et avaient émis l’hypothèse que les continents avaient autrefois été reliés.
Tharp a identifié des monts et une vallée de fracture au centre de l’océan Atlantique, là où les deux continents auraient pu se séparer.

Grâce aux représentations du fond océanique dessinées à la main par Marie Tharp, je peux imaginer une promenade au fond de l’océan Atlantique, de New York (côte est des États-Unis) à Lisbonne (Portugal). Le voyage m’emmènerait le long du plateau continental. Puis vers le bas, en direction de la plaine abyssale de Sohm. Je devrais alors contourner des reliefs, appelées monts sous-marins. Ensuite, je commencerais une lente ascension de la dorsale médio-atlantique, une chaîne de montagnes submergée orientée nord-sud.
Après avoir gravi 2 500 mètres sous le niveau de la mer jusqu’au sommet de la crête, je descendrais de plusieurs centaines de mètres, traverserais la vallée centrale de la crête et remonterais par le bord est de celle-ci. Je redescendrais ensuite vers le fond océanique, jusqu’à ce que je commence à remonter le talus continental européen vers Lisbonne. Au total, le trajet représenterait environ 6 000 kilomètres, soit près de deux fois la longueur du sentier des Appalaches.
Cartographier l’invisible
Rien ne prédestinait pourtant Mary Tharp à cartographier ainsi l’invisible. Née en 1920 à Ypsilanti, dans le Michigan, elle étudie l’anglais et la musique à l’université. Mais, en 1943, elle s’inscrit à un programme de maîtrise de l’université du Michigan destiné à former des femmes au métier de géologue pétrolier pendant la Seconde Guerre mondiale.
« On avait besoin de filles pour occuper les postes laissés vacants par les hommes partis au combat », se souvient Tharp, dans « Connect the Dots: Mapping the Seafloor and Discovering the Mid-ocean Ridge » (1999), chapitre 2 de Lamont-Doherty Earth Observatory of Columbia. Twelve Perspectives on the First Fifty Years 1949-1999.
Après avoir travaillé pour une compagnie pétrolière en Oklahoma, Tharp a cherché un emploi dans le domaine de la géologie à l’université Columbia en 1948. Les femmes ne pouvaient pas monter à bord des navires de recherche, mais Tharp savait dessiner et a été embauchée pour assister les étudiants diplômés masculins.
Tharp a ainsi travaillé avec Bruce Heezen, alors étudiant de second cycle qui lui confie des profils du fond marin à dessiner. Il s’agit de longs rouleaux de papier qui indiquent la profondeur du fond marin le long d’un trajet linéaire mesurée depuis un navire à l’aide d’un sonar.

Sur une grande feuille de papier vierge, Tharp a ainsi tracé des lignes de latitude et de longitude. Elle a ensuite soigneusement marqué les endroits où le navire avait navigué. Puis elle a inscrit la profondeur à chaque endroit à partir du sonar, l’a marquée sur la trajectoire du navire et a créé des profils bathymétriques, indiquant la profondeur du fond océanique par rapport à la distance parcourue par le navire.
L’une de ses innovations importantes a été de créer des croquis représentant l’aspect du fond marin. Ces vues ont facilité la visualisation de la topographie du fond océanique et la création d’une carte physiographique.
Le tracé minutieux par Tharp de six profils est-ouest à travers l’Atlantique Nord a révélé quelque chose que personne n’avait jamais décrit auparavant : une faille au centre de l’océan, large de plusieurs kilomètres et profonde de plusieurs centaines de mètres. Tharp a suggéré qu’il s’agissait d’une vallée de fracture, ou vallée de rift, un type de longue dépression dont l’existence était connue sur terre.
Heezen a qualifié cette idée de « discussion entre filles » et a demandé à Tharp de refaire ses calculs et de réécrire son rapport. Lorsqu’elle s’est exécutée, la vallée de fracture était toujours là.
Un autre assistant de recherche traçait les emplacements des épicentres sismiques sur une carte de même taille et à la même échelle. En comparant les deux cartes, Heezen et Tharp se rendirent compte que les épicentres sismiques se trouvaient à l’intérieur de la vallée de fracture. Cette découverte fut déterminante pour le développement de la théorie de la tectonique des plaques : elle suggérait que des mouvements se produisaient dans la vallée de fracture et que les continents pouvaient en fait être en train de s’éloigner les uns des autres.
Cette perspicacité était tout bonnement révolutionnaire. Lorsque Heezen, fraîchement diplômé, donne une conférence à Princeton en 1957 et montre la vallée du rift et les épicentres, le directeur du département de géologie Harry Hess assure :
« Vous avez ébranlé les fondements de la géologie. »
Résistance tectonique
Deux ans plus tard, en 1959, la Société de géologie des États-Unis publie The Floors of the Oceans: I. The North Atlantic (les Fonds océaniques, Première partie : L’Atlantique Nord), sous la signature de Heezen, Tharp et Doc Ewing, directeur de l’observatoire Lamont, où ils travaillent. Cet ouvrage contient les profils océaniques de Tharp, ses idées et l’accès à ses cartes physiographiques.
Certains scientifiques trouvèrent ce travail brillant, mais la plupart ne voulurent pas y croire. L’explorateur sous-marin Jacques Cousteau, par exemple, était déterminé à prouver que Tharp avait tort. À bord de son navire de recherche, le Calypso, il traversa délibérément la dorsale médio-atlantique et descendit une caméra sous-marine. À la grande surprise de Cousteau, ses images montrèrent qu’une vallée de fracture existait bel et bien.
« Il y a du vrai dans le vieux cliché qui dit qu’une image vaut mille mots et que voir, c’est croire », fit remarquer Tharp dans son essai rétrospectif de 1999.
Qu’est-ce qui a pu créer cette faille ? Harry Hess, de Princeton, a proposé quelques idées dans un article de 1962. Il a émis l’hypothèse que du magma chaud s’était élevé depuis l’intérieur de la Terre au niveau de la faille, s’était dilaté en refroidissant et avait écarté davantage les deux plaques adjacentes. Cette idée a largement contribué à la théorie de la tectonique des plaques, mais Hess n’a pas mentionné les travaux essentiels présentés dans The Floors of the Oceans, l’une des rares publications dont Marie Tharp était co-auteure.

Des études toujours en cours
Tharp a ensuite continué à travailler avec Heezen pour donner vie au fond océanique. Leur collaboration a notamment abouti à une carte de l’océan Indien, publiée par National Geographic en 1967, et à une carte du fond océanique mondial(1977), aujourd’hui conservée à la bibliothèque du Congrès.
Après la mort de Heezen, en 1977, Tharp a poursuivi son travail jusqu’à son décès en 2006. En octobre 1978, Heezen (à titre posthume) et Tharp ont reçu la médaille Hubbard, la plus haute distinction de la Societé états-unienne de géographique, rejoignant ainsi les rangs d’explorateurs et de découvreurs tels qu’Ernest Shackleton, Louis et Mary Leakey et Jane Goodall.
Aujourd’hui, les navires utilisent une méthode appelée « cartographie par sondeur multifaisceau », qui mesure la profondeur sur un tracé en forme de ruban plutôt que le long d’une seule ligne. Les rubans peuvent être assemblés pour créer une carte précise du fond marin.

Mais comme les navires se déplacent lentement, il faudrait deux cents ans à un seul navire pour cartographier complètement les fonds marins.
Une initiative internationale visant à cartographier en détail l’ensemble des fonds marins d’ici 2030 est cependant en cours, à l’aide de plusieurs navires, sous la direction de la Nippon Foundation et du General Bathymetric Chart of the Oceans.
Ces informations sont essentielles pour commencer à comprendre à quoi ressemble le fond marin à l’échelle locale. Marie Tharp a été la première personne à montrer la riche topographie du fond océanique et ses différentes zones.

Suzanne OConnell ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.08.2025 à 16:48
Apprendre aux étudiants à mieux manger avec l’IA ?
Texte intégral (1979 mots)
On parle beaucoup des usages de l’intelligence artificielle générative dans le cadre universitaire. Mais les étudiants s’en servent aussi dans leur quotidien pour résoudre des questions pratiques et, par exemple, pour mieux équilibrer leur alimentation. Enquête sur leurs objectifs et les risques éventuels liés à ces nouveaux comportements de consommation.
En écho aux messages de santé publique auxquels ils sont exposés dès leur enfance, les jeunes adultes cherchent à adopter une alimentation saine et durable. Pourtant, leurs aspirations se heurtent aux réalités du quotidien. Perception d’un temps contraint, tensions financières, manque d’idées ou de matériel, déficit de confiance en leurs compétences culinaires sont des obstacles au bien manger, qu’ils évoquent fréquemment.
Les étudiants décohabitants (qui quittent le domicile parental) sont particulièrement concernés par ces questions. Ces freins apparaissent d’autant plus marqués que leurs profils sont hétérogènes en termes de compétences culinaires et de connaissances en matière d’équilibre alimentaire.
Beaucoup vont se tourner vers des produits industriels, peu qualitatifs sur le plan nutritionnel. Mais le décalage entre leurs souhaits d’alimentation et la composition réelle de leurs repas peut accroître un sentiment de fragilité, pouvant conduire à des troubles du comportement alimentaire chez certains.
Pour contourner ces freins et accéder à une alimentation plus saine et plus durable, certains s’emparent désormais de l’intelligence artificielle (IA). C’est ce qui ressort des entretiens de recherche que nous menons avec eux. Nous nous intéressons plus particulièrement aux usages de l’IA générative, à travers des agents conversationnels comme ChatGPT, Gemini ou Claude, que les étudiants mobilisent pour obtenir des conseils pratiques, rapides et personnalisés en matière d’alimentation.
Ainsi, l’alimentation devient pour eux une situation d’usage de l’IA, qu’ils plébiscitent pour sa simplicité et l’aide concrète qu’elle leur apporte, au-delà des recours dans le cadre des travaux académiques, plus médiatisés et interrogés par le monde enseignant.
Faciliter l’accès à une alimentation plus équilibrée
En anticipant leurs repas, les étudiants ont le sentiment de disposer d’une grande autonomie dans leurs choix alimentaires. Le recours aux agents conversationnels d’IA générative, via des prompts, les conduit à orienter leurs menus vers des alternatives qu’ils considèrent comme plus saines, ce qui selon eux est une source de satisfaction personnelle.
En effet, la dichotomie qu’ils ressentent parfois entre plaisir et alimentation équilibrée est alors moins marquée. Ils peuvent sélectionner des produits qu’ils aiment tout en respectant les recommandations des professionnels de santé. Ils planifient ainsi leurs menus hebdomadaires selon leurs goûts, et s’y tiennent d’autant plus facilement que leurs préférences sont prises en compte.
À lire aussi : Et si les youtubeurs pouvaient aider les ados à manger sain ?
Grâce à l’IA, ils considèrent que les tensions qu’ils vivaient auparavant pour composer un menu équilibré se réduisent, car ils intègrent en amont leurs contraintes de matériel, de disponibilité des denrées, de prix… Enfin, les étudiants interrogés soulignent la facilité avec laquelle ils accèdent à des conseils nutritionnels quasi individualisés, en fonction de leurs profils, pour atteindre leurs objectifs corporels.
La réalisation de recettes est considérée chez certains d’entre eux comme un écueil qui vient s’ajouter aux difficultés de leur nouveau statut social. Ils recherchent prioritairement des « bons plans », car, au-delà de la pratique culinaire, ce sont souvent les idées qui manquent pour réaliser des menus à la fois sains, gourmands et faciles à répliquer.
L’IA contribue, selon eux, à stimuler la curiosité en les invitant à tester de nouveaux produits, à expérimenter de nouveaux plats, tout en tenant compte de leurs savoir-faire.
Organiser et planifier ses repas
Dans cette génération, la cuisine est assimilée à une activité chronophage qui prend sur un temps consacré aux études ou aux loisirs. Ceci la conduit à ne pas se projeter et à préparer des « repas de la flemme », consistant à manger ce qu’elle a sous la main. Pour eux, l’IA apparaît comme une solution pour « éviter la junk food » au cours des repas et pour limiter le risque de grignotage d’aliments gras et sucrés tout au long de la journée.
Même lorsque les étudiants utilisent des applications nutritionnelles pour mieux anticiper leurs repas, ils restent nombreux à manquer de repères pour composer leurs plats au quotidien. En somme, pour eux, l’IA générative est une ressource qui limite leur charge cognitive liée à l’anticipation des menus. Elle permet non seulement de proposer des menus pour la semaine, mais également de préparer sa liste de course avec une attention apportée à la variété des produits à acheter.
De même, avec l’IA, les étudiants accèdent à des informations claires leur permettant de localiser les points de vente situés dans leur zone d’habitation ou d’études. Or, l’accessibilité des produits est une condition importante pour bien manger. Cette accessibilité s’accompagne de conseils leur permettant d’optimiser leur budget tout en achetant des denrées de bonne qualité.
De nombreux étudiants sont en situation de précarité et c’est en particulier en fin de mois, quand le budget dédié à l’alimentation est épuisé, que les choix les moins équilibrés s’imposent pour eux. L’IA peut alors les aider à mieux répartir leurs achats sur le mois et leur suggérer des aliments équivalents moins chers, en valorisant les produits en promotion, en aidant à composer des menus à partir de ce qu’ils ont déjà dans leurs placards ou leur réfrigérateur.
Des risques, liés à l’usage de l’IA, à prendre en compte
Si les propos des étudiants suggèrent une meilleure prise en charge de leur alimentation grâce à l’IA, ils mettent aussi en évidence un certain nombre de risques. Le premier concerne un risque de répétition et de monotonie.
Un autre porte sur le fait que l’IA amplifie la tendance à privilégier une individualisation excessive des repas. Or, les chercheurs et les professionnels de santé soulignent que manger, c’est aussi créer du lien social et que manger ensemble limite notamment les risques de surpoids et d’obésité.
Le programme de recherche ALIMNUM que nous menons actuellement auprès des étudiants montre que les réseaux sociaux font la promotion d’une alimentation fonctionnelle avec des visées de transformation corporelle.
L’usage de l’IA générative semble renforcer ces aspirations autour de dimensions performatives de l’alimentation. En croisant données nutritionnelles, préférences, antécédents ou objectifs, l’IA peut favoriser des logiques d’optimisation de soi, parfois sources de dérives sanitaires.
À lire aussi : Les influenceurs fitness : nouveaux relais d’opinion pour interpeller les pouvoirs publics sur la santé des jeunes ?
Enfin, un dernier risque identifié porte sur le fait que certains étudiants se servent de l’IA pour perdre du poids et qu’ils considèrent que les conseils qu’ils recueillent en quelques secondes leur permettent de se dispenser de consulter des professionnels de santé, difficilement accessibles à court terme.
Une prévention nécessaire pour limiter ces risques
Face aux obstacles que rencontrent de nombreux étudiants, l’IA peut devenir un outil précieux pour mieux manger. Leur appétence pour le numérique, conjuguée à un quotidien souvent contraint, justifie pleinement l’exploration de ces solutions par les jeunes adultes. En somme, en rendant l’information nutritionnelle plus claire et plus engageante, l’IA peut contribuer à réduire les inégalités de santé et redonner de l’autonomie alimentaire à cette génération.
Il s’avère donc pertinent que les acteurs de santé publique s’inspirent des usages actuels de l’IA générative et qu’ils les intègrent, de manière encadrée, dans leurs dispositifs de prévention et d’éducation nutritionnelle. Par exemple, des programmes pensés avec les professionnels de santé et par les étudiants eux-mêmes pourraient proposer des conseils fiables, personnalisés et adaptés à leurs budgets comme à leurs habitudes de vie.
L’omniprésence de l’IA dans la vie des jeunes bouscule également la manière dont les professionnels de santé doivent aborder la question de l’alimentation. Il semble nécessaire de les inviter à mieux comprendre ces technologies, à en saisir les atouts, mais aussi les limites.
Cela suppose également de les former à repérer les situations à risques, à informer et à accompagner les étudiants vers un usage plus éclairé de ces innovations numériques.
Dans le prolongement de ce que nous réalisons dans le cadre de la recherche participative MEALS, il s’agit plus globalement de stimuler l’esprit critique des jeunes et de mettre en œuvre une approche collective qui prenne en compte les cultures alimentaires, le plaisir, le partage et la diversité de leurs parcours.
Enfin, si les outils issus de l’IA générative offrent de réelles perspectives pour accompagner les jeunes dans leurs pratiques alimentaires, ils ne peuvent se substituer ni à la présence humaine, ni à la variété des expériences, ni à l’éducation au goût. Leur utilité dépendra de la manière dont ils seront intégrés à un cadre réflexif et bienveillant. Ces évolutions rappellent que, même avec la démocratisation de l’IA, l’accompagnement humain et le lien social doivent rester au cœur d’une alimentation saine et durable.
Les projets Alimentation et numérique – ALIMNUM et Manger avec les réseaux sociaux – MEALS sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

Pascale Ezan a reçu des financements de l'Agence Nationale de la recherche .
Maxime David a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.
18.08.2025 à 16:48
Les banques nationales de développement sont indispensables au financement du développement
Texte intégral (1696 mots)
Méconnues et peu mobilisées pour le moment, les banques nationales de développement pourraient jouer un plus grand rôle dans le financement de l’aide publique au développement. Pour cela, il faudrait mieux coordonner leur action avec celle des acteurs spécialisés internationaux.
La dissolution de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), décidée par Donald Trump, combinée aux réductions budgétaires drastiques dans l’aide au développement, notamment en France, a accru les tensions sur le financement du développement. Dans ce contexte troublé, la quatrième conférence des Nations unies sur le financement du développement, qui s’est tenue à Séville (Espagne), du 30 juin au 3 juillet, en l’absence de la délégation américaine, revêtait une importance particulière.
Cette conférence visait à repenser la structure du financement du développement afin de mobiliser les milliers de milliards nécessaires pour atteindre les objectifs de développement durable d’ici à 2030.
Le communiqué final a souligné la nécessité de mobiliser toutes les ressources et institutions financières disponibles. Pour la première fois, ce texte a aussi mis l’accent sur le rôle central des banques nationales de développement.
Les banques nationales de développement, au cœur du financement du développement
Les banques de développement sont des institutions financières publiques qui investissent dans des projets à vocation de développement tout en veillant à avoir une rentabilité suffisante pour être viables financièrement. Il est possible de distinguer les banques multilatérales de développement (comme la Banque mondiale ou les banques continentales) qui sont issues de plusieurs États et les banques nationales de développement qui appartiennent à un seul pays.
À lire aussi : Aide au développement et ONG : quelles articulations, quelles recompositions ?
Les banques nationales de développement sont longtemps restées en dehors des discussions internationales en étant vues comme des actrices mineures dans le financement du développement (au mieux), mais plus souvent comme des structures dispendieuses et inefficaces. Pourtant, il existe près de 500 banques nationales de développement dans le monde, et ce modèle connaît un retour en grâce ces dernières années, après que ces institutions ont été souvent considérées comme inefficaces et placées au service des intérêts politiques.
Les banques nationales de développement opèrent sur tous les continents, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays à faible revenu. Les banques nationales de développement jouent un rôle crucial pour le financement de projets de développement à l’échelle locale.
Des banques qui doivent être mieux insérées à leur communauté
La conférence de Séville a remis sur le devant de la scène les banques nationales de développement à la suite de précédentes conférences comme le Pacte financier mondial de 2023. Cet éclairage est essentiel, mais ne résout pas la question de savoir comment ces banques peuvent pleinement jouer leur rôle, notamment lorsqu’elles peinent à se financer.
Une solution est que les banques de développement agissent comme un système unifié en intervenant ensemble et en se soutenant mutuellement. Des initiatives en ce sens existent, notamment à travers la communauté « Finance en commun », qui cherche à unir, sous un même toit, toutes les banques de développement, en particulier les grandes banques multilatérales de développement (comme la Banque mondiale ou les banques régionales) et les banques nationales, notamment issues de pays en développement.
Travailler ensemble est, en effet, une solution pertinente. Les banques nationales de développement sont les mieux placées pour mettre en œuvre des projets de développement en raison de leur connaissance approfondie des contextes locaux. Elles comprennent les besoins spécifiques et les défis des communautés qu’elles servent et elles peuvent aussi trouver plus aisément les acteurs capables de mettre en œuvre les projets sur le terrain. Cependant, ces banques font souvent face à des difficultés financières.
Manque de financements
Rares sont les banques nationales de développement qui peuvent lever des fonds sur les marchés financiers. Elles manquent souvent de financements adéquats pour mener à bien leurs missions. C’est là que les banques multilatérales de développement entrent en jeu, avec leurs ressources financières substantielles et leur capacité à mobiliser des fonds à grande échelle. Elles peuvent relâcher la contrainte financière des banques nationales. Dans le même temps, ces banques multilatérales ne sont pas les plus aptes à assurer la mise en œuvre des projets à moindre coût.
L’engagement de Séville invite
« les banques multilatérales de développement et les partenaires de développement à renforcer l’appui financier et technique qu’ils donnent aux banques publiques nationales de développement de sorte que celles-ci puissent fournir des financements à long terme et à moindre coût en faveur du développement durable ».
Des soutiens croissants mais inégaux
S’il existe une véritable volonté de renforcer la coopération entre les banques multilatérales de développement et les banques nationales de développement, il existe peu de données sur les relations existantes entre ces acteurs. Afin de combler ce manque, nous avons réalisé une étude visant à recenser les soutiens financiers fournis par les dix principales banques multilatérales de développement aux autres banques de développement sur la dernière décennie.
Note de lecture : L’Afrique a reçu 12,8 % du montant total cumulé et représente 15,8 % des projets.
Cette étude fournit plusieurs enseignements utiles. Nous avons identifié 644 projets pour un total de 108 milliards de dollars, avec une augmentation notable des financements depuis la crise du Covid-19.
L’Amérique latine et l’Europe sont les principales bénéficiaires de ces programmes.
Les projets financés ciblent principalement les petites et moyennes entreprises, suivis par l’énergie, les infrastructures et les initiatives environnementales. Il y a une augmentation du nombre de projets consacrés aux questions environnementales au cours de la période.
(*) Sommes en millions de dollars US.
Note de lecture :
65 banques de développement, soit presque 40 % des bénéficiaires, n’ont bénéficié que d’un seul soutien pour un volume total représentant 7,6 % du montant total déboursé ;
14 banques ont reçu plus de 19 soutiens (8,6 % des bénéficiaires) pour un montant total cumulé de 43,6 % du total déboursé.
Concentration des financements
Cependant, un des résultats principaux de cette étude est la très forte concentration des financements. Sur l’ensemble des banques nationales de développement opérant dans le monde, à peine un tiers (163) ont reçu un financement de la part d’une banque multilatérale.
En outre, ces financements sont très concentrés même au sein des bénéficiaires. À peine 20 banques nationales de développement (soit 5 % de l’ensemble des banques opérant dans le monde) ont bénéficié de la moitié des fonds déboursés par les banques multilatérales de développement.
Ces banques sont principalement localisées en Europe et en Asie. Il s’agit souvent de banques nationales de développement dont on peut douter des difficultés à lever des fonds.
Vers une coopération renforcée
Cette concentration des financements soulève des questions sur l’équité et sur l’efficacité de la distribution des ressources. Pour que les banques nationales de développement puissent pleinement jouer leur rôle, une coopération renforcée avec les banques multilatérales de développement est essentielle. Cela implique de développer davantage les collaborations avec de nouvelles banques nationales de développement.
Nous présentons quelques pistes pour y parvenir, comme la nécessité de favoriser les interactions croissantes entre les banques nationales opérant de manière isolée et les banques multilatérales de développement, la simplification des procédures (surtout pour les petits projets) ou, encore, un soutien technique aux équipes des banques nationales de développement.
Élargir le réseau des soutiens des banques multilatérales de développement est une étape nécessaire pour parvenir à atteindre les promesses ouvertes à Séville.

La Ferdi, pour laquelle travaille Florian Léon, a reçu des financements de Finance en Commun (FiCS) pour la réalisation de cette étude. Néanmoins, ni le FiCS ni d'autres structures ne sont intervenus au cours de la rédaction de cette étude.
18.08.2025 à 16:47
Spirus Gay, l’acrobate anarchiste qui a fait de sa vie et de son corps une œuvre politique
Texte intégral (2225 mots)

Spirus Gay (1865-1938), artiste de cirque et militant anarchiste, incarne une figure rare du début du XXe siècle : celle d’un engagement total, mêlant art, corps, éthique et politique. À rebours des catégories figées, sa vie dessine une radicalité joyeuse, cohérente, où acrobatie rime avec pédagogie, naturisme avec syndicalisme, pamphlet avec solidarité.
Comment définir Spirus Gay ? Acrobate, jongleur, équilibriste, anarchiste, syndicaliste, libre penseur, pamphlétaire, naturiste, franc-maçon, mais aussi pédagogue… Joseph Jean Auguste Gay, dit Spirus Gay (1865-1938), échappe à toute tentative de classification. Son parcours foisonnant incarne une figure rare de l’engagement total, où corps, esprit, art et pensée politique s’entrelacent pour questionner et subvertir les normes établies.
C’est dans cette articulation cohérente entre action physique, engagement intellectuel et militantisme radical que se dessine un itinéraire véritablement singulier.
Notre société, cloisonnée et fragmentée, laisserait-elle encore aujourd’hui une place à un Spirus Gay ?
Pourquoi écrire sur Spirus Gay ?
Pour un historien, écrire sur un tel personnage est un défi. Au premier abord, peu de traces. Il n’a pas laissé d’œuvre majeure ou de manifeste célèbre. Il n’a pas dirigé de journal influent ni fondé de courant théorique. Et pourtant, il est là, en creux, dans les marges et les interstices de l’histoire de l’anarchisme français. En militant, il participe aux luttes, combats, expérimentations et utopies de la fin du XIXe siècle et du début du XXe.
Sa trajectoire incarne une manière de vivre l’anarchisme : dans les corps, dans les gestes, dans l’harmonie entre vie personnelle et engagement individuel et collectif. Parce qu’il illustre cette cohérence rare entre les idées que l’on défend et la vie que l’on mène. Parce qu’il force à repenser les catégories : artiste ou militant ? Intellectuel ou manuel ? Penseur ou pédagogue ?
À l’image du travail biographique sur l’histoire des femmes, l’enjeu est de sortir d’un genre convenu, d’éviter la tentation de simplifier, de linéariser, de trahir une vie foisonnante. A contrario, il ne s’agit pas de construire une légende, mais de comprendre, par les sources et la rigueur historique, ce que cette vie singulière peut nous dire aujourd’hui. De reconstituer un puzzle à partir d’archives éparses et de journaux oubliés, d’aphorismes et d’articles de Spirus Gay, de traces ténues (plus de 600 mentions dans la presse de l’époque, une quinzaine de textes signés tout de même). D’écrire sans gommer les contradictions, les zones d’ombre et les silences.
Un artiste accompli
Figure du music-hall parisien de la fin du XIXe siècle, Spirus Gay incarne une forme d’artiste polyvalent : équilibriste, jongleur de force, illusionniste, ventriloque et prestidigitateur, il monte sur les scènes parisiennes, des Folies-Belleville aux Folies Bergère, à Paris. Entre marginalité et culture de masse, derrière le prestige des affiches et les titres de « roi des équilibristes » ou de « champion du monde » de culturisme, se cache une réalité bien plus âpre.
Comme beaucoup d’artistes de variétés, Spirus Gay vit dans une instabilité constante, suspendu aux cachets, exposé aux blessures, aux accidents de scène, et aux coups durs de la vie. À plusieurs reprises, la communauté militante et artistique doit organiser des collectes pour subvenir à ses besoins, réparer ses outils détruits, ou l’aider à faire face à la maladie.
Cette précarité ne l’empêche pas d’être de nombreux combats pour la reconnaissance des artistes de « l’art vivant ». Spirus Gay s’engage avec ferveur dans la défense des droits des artistes, qu’il considère comme pleinement intégrés à la condition ouvrière.
Dès 1893, il siège au conseil syndical du Syndicat des artistes dramatiques, puis devient, en 1898, secrétaire de l’Union artistique de la scène, de l’orchestre et du cirque. Ce rôle lui permet d’organiser des actions collectives, mêlant concerts et solidarité militante. Porte-parole, il défend les artistes lyriques et revendique l’action directe face aux abus patronaux.

Autodidacte, Spirus Gay publie également dans le journal le Parti ouvrier, organe du Parti socialiste révolutionnaire, une dizaine d’articles qui esquissent sa vision de la société et du monde. Ces écrits, des aphorismes pour la plupart, un genre littéraire singulier qui interroge sur sa propre éducation et formation. L’étonnement apparent face à cette union du corps et de l’esprit repose, encore aujourd’hui, sur des préjugés profondément ancrés qui établissent une frontière entre l’artiste de divertissement et l’engagement politique profond et continu, mais aussi une hiérarchie entre les fonctions intellectuelles et manuelles.
L’éducation intégrale comme projet révolutionnaire
Spirus Gay est aussi un pédagogue, héritier direct des principes éducatifs défendus par le pédagogue libertaire Paul Robin à partir de 1869. Pour ce dernier, l’éducation intégrale repose sur un principe simple mais profondément subversif : refuser la dissociation entre l’intellect, le corps et l’affectif. Développer « la tête, la main et le cœur » de manière harmonieuse, ce serait libérer l’individu de l’aliénation produite par une école jugée autoritaire, par l’usine, par l’Église ou par l’État.
Spirus Gay applique ce principe dans sa vie comme dans ses pratiques éducatives. Son gymnase qu’il fonde à Paris en 1903, le Végétarium, devient un espace d’expérimentation pédagogique et de formation à la liberté, où culture physique, végétarisme, éducation « cérébro-corporelle » et hygiène de vie s’articulent comme autant d’outils d’émancipation. Chez lui, l’acrobatie devient un acte politique, le mouvement une philosophie de résistance. L’éducation, envisagée comme un processus permanent, tout au long de la vie, s’inscrit autant dans le développement de l’esprit que dans celui du corps. En tant que militant naturien libertaire et naturiste, il participe à la fondation de la première communauté naturiste à Brières-les-Scellés, dans l’actuel département de l’Essonne, et milite pour la lutte contre les ravages de l’alcool.
Un penseur de l’altruisme politique
Libre-penseur, anticlérical, athée et franc-maçon, Spirus Gay incarne aussi un engagement intellectuel humaniste, nourri par les idéaux de la liberté de conscience et de l’émancipation individuelle et collective. « Je crois en la divine égalité dans une société sans religion ni maître », écrit-il en 1894.
Ses écrits tracent les contours d’une philosophie éthique, engagée et radicale. Il y défend une société fondée sur l’égalité, la justice, le refus de l’autorité et une lutte acharnée contre l’égoïsme capitaliste.
Pour lui, l’altruisme n’est pas une posture morale, mais une arme politique : une manière de désarmer la violence d’un monde fondé sur l’exploitation et la compétition. Une notion que l’on retrouve dans le concept « d’altruisme efficace », défini par le philosophe Peter Singer.
La puissance subversive d’une vie
Spirus Gay ne se résume pas. Il échappe aux classifications, refuse les cadres. Tant mieux, car il faut se méfier des panthéons : ils figent ce qu’ils célèbrent.
Sa trajectoire est finalement une proposition : celle d’une radicalité incarnée et cohérente. Sa vie oppose une résistance constante aux cloisonnements, aux hiérarchies et aux assignations identitaires. Elle articule le geste esthétique, la rigueur intellectuelle et l’engagement.
Spirus Gay interroge en profondeur nos façons de vivre nos idées : comment ne pas dissocier nos convictions de notre quotidien, notre politique de notre manière de vivre, de manger, de respirer. Son parcours constitue une invitation à penser, à lutter, à vivre.

Sylvain Wagnon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.08.2025 à 16:46
Rayons X et ondes radio dévoilent un objet astronomique qui n’avait jamais encore été observé
Texte intégral (2249 mots)

Dans le cosmos, certains objets émettent des pulsations plutôt qu’une lumière continue. Cette année, les astronomes ont découvert ASKAP J1832, un objet dans la Voie lactée qui émet à la fois des rayons X et des ondes radio, et qui ne ressemble à rien de connu.
Dans une étude publiée dans Nature au mois de mai, nous rapportons la découverte d’un nouveau phénomène transitoire à longue période – et, pour la première fois, qui émet également régulièrement des sursauts de rayons X.
Les transitoires à longue période sont une classe d’objets cosmiques récemment identifiés qui émettent d’intenses flashs d’ondes radio toutes les quelques minutes, voire à plusieurs heures d’intervalle, ce qui est beaucoup plus long que les émissions pulsées très rapides que nous détectons généralement chez les pulsars, qui sont issus de l’explosion d’une étoile massive en fin de vie.
La nature de ces objets transitoires à longue période et la manière dont ils génèrent leurs signaux inhabituels restent un mystère.
Notre découverte ouvre une nouvelle fenêtre sur l’étude de ces sources énigmatiques. Mais elle renforce également le mystère : l’objet que nous avons trouvé ne ressemble à aucun type d’étoile ou de système connu dans notre galaxie ni au-delà.

À l’affût des scintillements radio dans le ciel
Le ciel nocturne recèle de nombreux éléments invisibles à l’œil nu, mais détectables à d’autres longueurs d’onde, comme les ondes radio.
Notre équipe de recherche scrute régulièrement le ciel radio à l’aide du SKA Pathfinder australien (ASKAP), exploité par le CSIRO dans la région de Wajarri Yamaji, dans l’ouest de l’Australie. Notre objectif est de trouver des objets cosmiques qui apparaissent et disparaissent – que l’on appelle « transients » en anglais, « objets transitoires », en français.
Les objets transitoires sont souvent liés à certains des événements les plus puissants et les plus spectaculaires de l’Univers, tels que la mort explosive d’étoiles.
Fin 2023, nous avons repéré une source extrêmement brillante, baptisée ASKAP J1832-0911 (d’après sa position dans le ciel), dans le plan de notre galaxie. Cet objet est situé à environ 15 000 années-lumière… c’est loin, mais toujours dans la Voie lactée.

Un événement spectaculaire
Après la découverte initiale, nous avons commencé des observations de suivi à l’aide de télescopes situés dans le monde entier dans l’espoir de capter d’autres impulsions. Grâce à une surveillance continue, nous avons constaté que les impulsions radio provenant d’ASKAP J1832 arrivaient régulièrement, toutes les quarante-quatre minutes. Cela a confirmé qu’il s’agissait d’un nouveau membre du groupe peu fourni des transitoires à longue période.
Nous avons également fouillé les anciennes données provenant de la même partie du ciel, mais nous n’avons trouvé aucune trace de l’objet avant sa découverte en 2023. Ceci suggère qu’un événement spectaculaire s’est produit peu avant notre première détection, un événement suffisamment puissant pour « allumer » soudainement notre objet transitoire atypique.
Puis, en février 2024, ASKAP J1832 est devenu extrêmement actif. Après une période calme en janvier, la source s’est considérablement intensifiée : moins de 30 objets dans le ciel ont jamais atteint une telle luminosité dans le domaine radio… À titre de comparaison, la plupart des étoiles que nous détectons en radio sont environ 10000 fois moins lumineuses qu’ASKAP J1832 lors de cette flambée.
Un coup de chance
Les rayons X sont une forme de lumière que nous ne pouvons pas voir avec nos yeux. Ils proviennent généralement d’environnements extrêmement chauds et énergétiques. Bien qu’une dizaine d’objets similaires émettant des ondes radio (celles que nous avons détectées initialement) aient été découverts à ce jour, personne n’avait jamais observé d’émission X de leur part.
En mars, nous avons tenté d’observer ASKAP J1832 en rayons X. Cependant, en raison de problèmes techniques avec le télescope, l’observation n’a pas pu avoir lieu.
Puis, coup de chance ! En juin, j’ai contacté mon ami Tong Bao, chercheur postdoctoral à l’Institut national italien d’astrophysique, pour vérifier si des observations précédentes aux rayons X avaient capté la source. À notre grande surprise, nous avons trouvé deux observations antérieures provenant de l’observatoire à rayons X Chandra de la Nasa, bien que les données soient encore dans une période de diffusion limitée (et donc non encore rendues publiques en dehors d’un cercle restreint de chercheurs et chercheuses).
Nous avons contacté Kaya Mori, chercheur à l’université Columbia et responsable de ces observations. Il a généreusement partagé les données avec nous. À notre grande surprise, nous avons découvert des signaux X clairs provenant d’ASKAP J1832. Plus remarquable encore : les rayons X suivaient le même cycle de 44 minutes que les impulsions radio.
Ce fut un véritable coup de chance. Chandra était pointé vers une cible complètement différente, mais par pure coïncidence, il a capté ASKAP J1832 pendant sa phase inhabituellement brillante et active.
Un tel alignement fortuit est extrêmement rare, c’est comme trouver une aiguille dans une botte de foin cosmique.

Toujours un mystère
La présence simultanée d’émissions radio et de sursauts X est une caractéristique commune des étoiles mortes dotées de champs magnétiques extrêmement puissants, telles que les étoiles à neutrons (étoiles mortes de grande masse) et les naines blanches (étoiles mortes de faible masse).
Notre découverte suggère qu’au moins certains objets transitoires à longue période pourraient provenir de ce type de vestiges stellaires.
Mais ASKAP J1832 ne correspond à aucune catégorie d’objet connue dans notre galaxie. Son comportement, bien que similaire à certains égards, reste atypique.
Nous avons besoin de plus d’observations pour vraiment comprendre ce qui se passe. Il est possible qu’ASKAP J1832 soit d’une nature entièrement nouvelle pour nous, ou qu’il émette des ondes radio d’une manière que nous n’avons jamais observée auparavant.

Ziteng Wang ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.