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31.12.2025 à 11:24

Comment les scientifiques ont percé les secrets du plus ancien bateau en planches du Danemark

Mikael Fauvelle, Associate Professor and Researcher, Department of Archaeology and Ancient History, Lund University
Depuis sa découverte, le bateau de Hjortspring (Danemark) est entouré d’un mystère majeur : d’où venaient ces guerriers envahisseurs du IVᵉ siècle avant notre ère ? Des progrès techniques permettent aujourd’hui d’en savoir davantage.
Texte intégral (2410 mots)
Le bateau de Hjortspring (représenté ici dans _Vikings Heading for Land_, par Francis Bernard Dicksee, en 1873) a parcouru un long trajet dans la Baltique avant d’arriver sur l’île d’Als. Christie’s via Wikimédia

En réexaminant des matériaux prélevés lors de fouilles anciennes, des scientifiques ont pu déterminer que le plus ancien bateau en planches du Danemark provenait probablement d’une région éloignée de la tourbière où il a été retrouvé.


Il y a environ 2 400 ans, avant l’émergence de l’Empire romain, une petite armada de bateaux s’approcha de l’île d’Als, près de la côte du Jutland méridional, dans l’actuel Danemark. Cette armada transportait environ quatre-vingts guerriers armés de lances et de boucliers. Certains étaient des officiers, et ces hommes portaient des épées en fer.

Les navigateurs avaient traversé ce qui est aujourd’hui la mer Baltique à bord de longs bateaux en planches, élancés, d’environ 20 mètres de long. Les planches étaient cousues entre elles, car les bateaux de l’époque n’utilisaient pas de clous en métal, et les joints étaient calfatés, c’est-à-dire rendus étanches, à l’aide de goudron.

À un moment du voyage, ils se sont arrêtés pour réparer leurs embarcations. L’un d’eux a laissé une empreinte digitale partielle dans le matériau de calfatage encore tendre, fraîchement appliqué entre les jointures des planches. Ce guerrier de la mer – dont l’âge et le genre nous sont inconnus – laissait sans le savoir un message à destination de scientifiques (dont moi) qui, plus de deux millénaires plus tard, allaient enfin évaluer la portée de cette empreinte digitale grâce aux technologies les plus avancées.

Sauvé par la tourbière

La petite armée préparait une attaque amphibie éclair contre ses ennemis au Danemark – mais leurs plans échouèrent. Peu après avoir débarqué sur la plage, ces guerriers furent tués par les défenseurs locaux. Pour remercier les dieux de leur victoire sur ces envahisseurs, les habitants remplirent l’un des bateaux des armes des assaillants, puis l’immergèrent dans une tourbière locale en guise d’offrande. Le choix d’avoir coulé l’embarcation dans la tourbière a permis aux archéologues de reconstituer peu à peu les indices entourant cette attaque, ainsi que de mieux comprendre la technologie et la société de ces populations anciennes.

Aujourd’hui, cette tourbière insulaire du sud du Danemark est connue sous le nom de tourbière de Hjortspring. À la fin du XIXᵉ siècle, les vestiges du bateau antique y furent découverts, remarquablement bien conservés grâce à l’environnement pauvre en oxygène. Mais comme à l’époque, la région venait d’être conquise par la Prusse et faisait partie de l’Empire allemand, les Danois qui mirent au jour l’embarcation gardèrent leur découverte secrète jusqu’au retour de l’île d’Als dans le giron du Danemark, en 1920.

Le bateau fut finalement mis au jour en 1921 et est depuis lors exposé au Musée national du Danemark à Copenhague. La fouille des années 1920 avait mobilisé les meilleures méthodes archéologiques disponibles – mais les outils scientifiques de l’archéologie moderne n’existaient pas encore.

En 2023, des chercheurs de l’université de Lund et de l’université de Göteborg ont entamé une collaboration avec le musée national afin d’appliquer des méthodes scientifiques contemporaines à l’étude des matériaux extraits de la tourbière plus d’un siècle auparavant. Certains de ces échantillons n’avaient jamais été analysés depuis la fouille initiale – si bien qu’un grand mystère entourait le bateau de Hjortspring depuis toujours : d’où venaient ces guerriers envahisseurs du IVᵉ siècle avant notre ère ?

Mikael Fauvelle explique comment l'origine des assaillants a été déterminée (en anglais). Vidéo : Université de Lund.

Un résultat surprenant

Les armes – épées, lances et autres – découvertes à bord du bateau étaient largement utilisées dans toute l’Europe du Nord au début de l’âge du fer, et fournissaient donc peu d’indices sur l’origine de l’embarcation. La plupart des archéologues supposaient que le bateau venait d’un lieu proche, dans le Jutland, ou peut-être du nord de l’Allemagne.

En analysant le matériau de calfatage du bateau grâce à une technique de pointe, la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse, nous avons pu identifier précisément la composition chimique des goudrons utilisés : un mélange de graisse animale et de poix de pin.

Ce résultat était surprenant, car la quasi-totalité des forêts de pins du Danemark et du nord de l’Allemagne avaient déjà été abattues dès le Néolithique pour faire place à l’agriculture. Nous le savons grâce aux travaux des géologues, qui ont analysé les pollens anciens présents dans les lacs et les tourbières afin d’identifier les espèces végétales ayant poussé dans différentes régions d’Europe et à différentes périodes.

Si les constructeurs du bateau de Hjortspring ont pu se procurer du goudron par le commerce, il existait à l’époque, dans le Jutland, des solutions locales pour imperméabiliser les embarcations, comme l’huile de lin ou le suif (graisse bovine). Ainsi, notre enquête suggère que le bateau de Hjortspring ne provenait probablement ni du Jutland ni du nord de l’Allemagne, mais plutôt d’une région plus éloignée disposant d’abondantes forêts de pins.

Le bateau de Hjortspring au musée national du Danemark.
Le bateau de Hjortspring au musée national du Danemark. Boel Bengtsson, CC BY-NC-SA

Au IVᵉ siècle avant notre ère, les grandes forêts de pins les plus proches se situaient le long des côtes de la mer Baltique, à l’est du Danemark actuel. Cela signifie que l’équipage du bateau de Hjortspring, ainsi que leurs compagnons d'aventure, ont peut-être parcouru des centaines de kilomètres en pleine mer avant de lancer leur attaque sur l’île d’Als.

On savait déjà que de tels voyages au long cours existaient à l’âge du bronze, lorsque des Scandinaves s’éloignaient considérablement de leurs terres à la recherche de cuivre. Le fer, en revanche, était produit localement en Scandinavie, ce qui rendit le besoin économique de telles expéditions moins évident à l’âge du fer.

Néanmoins, nos résultats indiquent que les échanges commerciaux et les raids à longue distance se sont poursuivis bien après la fin de l’âge du bronze. Si l’on ne saura jamais exactement ce qui a poussé ces guerriers à lancer cette attaque précise, nos travaux suggèrent qu’à l’époque déjà – comme aujourd’hui – les conflits politiques dépassaient les frontières régionales et incitaient de jeunes combattants à s’aventurer loin de chez eux.

Nous avons également pu dater au carbone 14 certaines cordes en liber de tilleul utilisées sur le bateau, fournissant ainsi la première datation absolue issue du matériel de la fouille d’origine. Ces cordages ont été datés entre 381 et 161 avant notre ère, confirmant que l’embarcation appartenait à l’âge du fer préromain.

La piste de l’ADN

Au moment de choisir les échantillons de goudron pour nos analyses, une autre découverte spectaculaire s’est imposée : le « message secret » laissé par l’un des membres de l’équipage, une empreinte digitale partielle imprimée par un marin dans un petit amas de goudron.

Un essai en mer à bord d’une reconstitution du bateau de Hjortspring. Knut Valbjørn/Boel Bengtsson, CC BY-NC-SA

Grâce à la tomographie aux rayons X, nous avons réalisé un modèle numérique tridimensionnel de cette empreinte digitale, avec une précision allant jusqu’à l’échelle du nanomètre. L’analyse de l’empreinte indique qu’elle a été laissée par un adulte, même si nous ne pouvons, pour l’instant, en dire beaucoup plus sur l’identité de cet individu. Cette découverte fascinante nous offre un lien direct avec ce guerrier antique qui a autrefois traversé la mer Baltique.

Au cours de l’année à venir, nous espérons pouvoir extraire de l’ADN ancien à partir du goudron de calfatage du bateau, ce qui pourrait nous fournir des informations plus détaillées sur les populations qui l’ont utilisé.

À ce stade, nos résultats montrent que les pratiques de commerce maritime et de raids à longue distance, qui caractériseront plus tard la célèbre époque viking, se sont inscrites dans près de 3 000 ans d’histoire nordique. L’étude de ce bateau ancien nous permet ainsi de plonger plus profondément dans les origines de la Scandinavie en tant que société maritime.

The Conversation

Mikael Fauvelle a reçu un soutien financier pour ces travaux de la Marcus and Amalia Wallenberg Foundation (projet Complex Canoes) ainsi que du Riksbankens Jubileumsfond (programme Maritime Encounters).

31.12.2025 à 08:51

Le pape discret devenu légende : qui était vraiment saint Sylvestre, fêté le 31 décembre ?

Cavan W. Concannon, Professor of Religion and Classics, USC Dornsife College of Letters, Arts and Sciences
Fêté le 31 décembre, saint Sylvestre a vécu à un moment décisif où le christianisme est passé du statut de religion persécutée à celui d’alliée du pouvoir impérial.
Texte intégral (3350 mots)
Au rayon des légendes rattachées à saint Sylvestre, ce baptême de l’empereur Constantin. Peter1936F/Wikimédia Commons, CC BY-SA

Derrière la fête de la Saint-Sylvestre se cache une histoire de pouvoir : celle d’un christianisme qui, au IVᵉ siècle, invente les récits et les traditions destinés à légitimer son alliance avec l’État.


Le 31 décembre, tandis que la majorité d'entre nous se préparent à célébrer le réveillon du Nouvel An, quelques catholiques commémorent également la fête de saint Sylvestre.

On sait peu de choses avec certitude sur la vie de Sylvestre, mais il a vécu à une période charnière de l’histoire du christianisme. De 314 à 335 de notre ère, Sylvestre fut l’évêque de Rome, ce que l’on appelle aujourd’hui le pape, même si la fonction n’avait alors pas le pouvoir qu’elle exercera par la suite. Le mot « pape » vient du grec signifiant « père » et était largement utilisé par les évêques jusqu’au Ve siècle, lorsque l’évêque de Rome a commencé à en monopoliser l’usage.

L’époque de Sylvestre est à la fois marquée par les troubles et par une profonde transition pour les chrétiens de l’Empire, alors que des communautés chrétiennes sortent des persécutions pour nouer une alliance puissante avec l’État romain. Son histoire est étroitement liée à cette alliance, qui allait transformer en profondeur la trajectoire du mouvement initié trois siècles plus tôt par la figure de Jésus. Le christianisme devient alors la religion des rois, des États et des empires.

Un changement de destin

Les informations fiables sur la vie de Sylvestre sont rares. Le « Liber Pontificalis », un recueil de biographies pontificales commencé au VIᵉ siècle, indique qu’il était originaire de Rome et fils d’un homme par ailleurs inconnu nommé Rufinus.

Jeune homme, Sylvestre a connu les persécutions lancées sous l’un des coempereurs de l’époque, Dioclétien, à partir de 303 de notre ère. Ces persécutions se sont poursuivies plusieurs années après l’abdication de Dioclétien.

Si l’on imagine volontiers les premiers chrétiens constamment persécutés par l’État romain, les historiens nuancent cette vision. Mais les persécutions entamées sous Dioclétien, elles, font figure d’exception. À cette époque, l’État exigeait des chrétiens qu’ils sacrifient aux dieux pour le bien de l’Empire, sous peine de sanctions — parfois violentes.

Une fresque du monastère d’Ubisi, en Géorgie, représente Dioclétien aux côtés de saint Georges avant son martyre.
Une fresque du monastère d’Ubisi, en Géorgie, représente Dioclétien aux côtés de saint Georges avant son martyre. Titus Project via Wikimedia Commons

Selon le théologien chrétien Augustin, certains chrétiens ont par la suite accusé Sylvestre d’avoir « trahi » sa foi durant cette période. Il lui était reproché d’avoir remis aux autorités romaines des livres sacrés chrétiens et d’avoir fait des offrandes aux dieux romains.

Les persécutions prennent fin en 313, lorsque les coempereurs Constantin et Licinius signent l’édit de Milan, qui accorde une forme de tolérance au christianisme dans l’Empire. Un an plus tard à peine, Sylvestre devient évêque de Rome. Constantin s’impose rapidement comme un grand protecteur des chrétiens, même si l’ampleur de sa pratique personnelle du christianisme fait débat. Avec le soutien impérial s’ouvre à Rome une vaste campagne de constructions chrétiennes, à tel point que l’essentiel de la biographie de Sylvestre dans le « Liber Pontificalis » se résume à l’énumération des églises que Constantin a offertes à la ville.

Controverses chrétiennes

Avant comme pendant l’épiscopat de Sylvestre à Rome, il existait dans l’Empire de nombreuses formes de christianisme. Cette diversité inquiétait Constantin, soucieux de promouvoir l’unité et l’ordre au sein de ses territoires. Il entreprend donc de réunir des conciles de clercs chrétiens afin de trancher les questions les plus controversées.

En 314, l’année même où Sylvestre devient évêque, l’empereur convoque le concile d’Arles pour régler un conflit apparu parmi les évêques africains — ce que l’on appelle la controverse donatiste. La question centrale était de savoir si un prêtre ayant trahi sa foi lors des persécutions conservait une ordination valide.

Une icône du monastère de Megálo Metéoron, en Grèce, représente le concile de Nicée, avec Arius figuré en bas.
Une icône du monastère de Megálo Metéoron, en Grèce, représente le concile de Nicée, avec Arius représenté en bas. Jjensen/Wikimedia Commons, CC BY-SA

Une dizaine d’années plus tard, peu après que Constantin est devenu l’unique dirigeant du monde romain, il convoqua un autre concile à Nicée, dans l’actuelle Turquie. Cette fois, il souhaitait que les responsables chrétiens s’attaquent à une fracture émergente centrée sur l’activité d’un clerc charismatique nommé Arius. Sylvestre n’assista pas non plus à ce concile, mais envoya là encore des représentants.

Le concile adopta finalement ce que l’on a appelé le Credo de Nicée, une profession de foi qui demeure importante pour de nombreux chrétiens aujourd’hui. Toutefois, le concile ne résolut pas la division autour d’Arius. En réalité, Constantin sera plus tard baptisé par un partisan d’Arius, Eusèbe de Nicomédie.

Les décennies durant lesquelles Sylvestre présida l’Église transformèrent le christianisme : d’un groupe persécuté, il devint un allié de l’État. Cette alliance rendit les divergences théologiques entre chrétiens encore plus explosives, puisque la force de l’Empire pouvait désormais être mobilisée contre ses adversaires.

Réécrire l’histoire

Mais pourquoi, malgré ces bouleversements majeurs, Sylvestre n’a-t-il pas été considéré comme un acteur central de la vie politique de son temps ?

C’est une question qui a hanté les chrétiens des générations suivantes — au point qu’ils ont inventé des récits plaçant Sylvestre au cœur même des événements.

Au Ve siècle, un auteur anonyme rédigea une biographie connue aujourd’hui sous le nom des « Actes de Sylvestre », qui le présentait comme une figure centrale de la conversion de Constantin au christianisme.

Dans les Actes, Constantin apparaît d’abord comme un persécuteur des chrétiens, acte pour lequel Dieu le frappe de la lèpre. Sylvestre, qui vivait en exil sur une montagne près de Rome en raison de ces persécutions, est rappelé dans la ville après que les saints Pierre et Paul rendent visite à Constantin en rêve. Sylvestre recueille alors la confession de foi de Constantin, le guérit miraculeusement de sa lèpre, puis baptise l’empereur. Ainsi, ce dernier recevait enfin un baptême en bonne et due forme de la part d’un évêque orthodoxe, et non d’un hérétique arien.

« Le Baptème de Constantin » par Gianfrancesco Penni
Un détail du « Baptème de Constantin » par Gianfrancesco Penni. Musées du Vatican via Wikimedia Commons

Un siècle plus tard, le « Liber Pontificalis » affirme que c’était Sylvestre, et non Constantin, qui avait convoqué les conciles d’Arles et de Nicée. Le texte lui attribue également une série de décisions juridiques. Ces réécritures du récit autour de Sylvestre l’élevaient au rang d’acteur majeur des événements de son époque. Elles soutenaient aussi un effort croissant visant à doter l’évêque de Rome d’un type d’autorité comparable à celle qu’exercent les papes modernes.

Donations et dragons

Avec le temps, les légendes autour de Sylvestre n’ont fait que s’amplifier — au point d’inclure un combat contre un dragon démoniaque. Mais l’héritage le plus célèbre, et le plus controversé, associé à Sylvestre est sans doute lié à la prétendue « Donation de Constantin ».

Ce document falsifié a été rédigé pour la première fois au VIIIe siècle de notre ère. La Donation affirme que l’empereur Constantin aurait légué à l’évêque de Rome — en l’occurrence Sylvestre — le contrôle de la ville de Rome, de l’Empire romain d’Occident, d’immenses territoires relevant de l’autorité impériale, ainsi qu’une autorité sur les Églises des autres grands centres du monde chrétien, dont Constantinople.

Pendant des siècles, ce document a servi de fondement aux revendications pontificales en matière de pouvoir à la fois ecclésiastique et civil. Au XVe siècle, le cardinal allemand Nicolas de Cues et l’érudit italien Lorenzo Valla démontrèrent que la Donation était un faux, mais à ce stade les papes avaient déjà accumulé l’autorité et la richesse désormais associées à la fonction.

Une mosaïque représentant la « Donation de Constantin » dans la basilique des Quatre-Saints-Couronnés.
Une mosaïque représentant la « Donation de Constantin » dans la basilique romaine des Quatre-Saints-Couronnés. Peter1936F/Wikimedia Commons, CC BY-SA

Même si les détails précis de la vie de Sylvestre resteront sans doute à jamais mystérieux, l’époque dans laquelle il a vécu a été décisive pour l’histoire du christianisme et de l’Occident. Durant son épiscopat, le christianisme a fait ses premiers pas vers une alliance durable avec le pouvoir impérial et étatique. Avec le temps, le récit de Sylvestre a été enrichi, non seulement pour justifier cette alliance, mais aussi pour soutenir l’idée que l’Église devait exercer un pouvoir politique.

Aujourd’hui, un bloc influent de nationalistes chrétiens aux États-Unis cherche un pouvoir similaire. Pour certains, l’inspiration de ce projet politique repose sur l’idée d’une alliance naturelle entre l’Église et l’État — qui commencerait avec Constantin, mais elle cherche sa justification dans des traditions inventées autour de la vie de Sylvestre. Or cette alliance fut un accident de l’histoire, et non une fatalité. Avec le temps, les chrétiens de l’Empire romain ont élaboré des justifications expliquant pourquoi l’Église devait s’aligner sur l’État — puis, à terme, devenir l’État.

The Conversation

Cavan W. Concannon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

30.12.2025 à 12:31

La reconnaissance du Somaliland par Israël : un cadeau empoisonné ?

Robert Kluijver, Docteur associé au Centre de Recherches Internationales CERI, Sciences Po/CNRS, spécialiste de la Corne d'Afrique., Sciences Po
Israël est devenu le premier pays à reconnaître l’indépendance du Somaliland. Pour celui-ci, il pourrait s’agir d’une victoire diplomatique à la Pyrrhus…
Texte intégral (1759 mots)

Israël vient de devenir le premier pays à reconnaître l’indépendance du Somaliland, plus de trente ans après que celui-ci se soit de facto totalement détaché de la Somalie. À travers cette décision, Tel-Aviv cherche à obtenir une place forte sur la très stratégique mer Rouge, à faire pencher en sa faveur les équilibres géopolitiques régionaux et, possiblement, à expulser vers ce territoire de la Corne de l’Afrique de nombreux Palestiniens. Le Somaliland se réjouit de cette première reconnaissance internationale, mais est-il vraiment positif pour lui de se retrouver ainsi l’obligé d’Israël ?


Le 26 décembre dernier, Israël a surpris le monde entier en reconnaissant officiellement l’indépendance du Somaliland. Quelles sont les motivations de cette annonce inattendue, et quelles conséquences peut-elle avoir ?

Une anomalie diplomatique

L’État du Somaliland, formé en 1991, est indépendant à tous points de vue, mais Israël est le premier État souverain à le reconnaître. Pour tous les autres pays et les organisations internationales, le Somaliland (4,5 millions d’habitants) reste sous le contrôle de l’État somalien, duquel il a fait sécession après avoir subi une guerre aux allures de génocide à la fin des années 1980.

Aujourd’hui, l’État fédéral somalien est en proie aux attentats commis par les organisations Al-Chabaab et État islamique, connaît un niveau de violence élevé et un degré de corruption à battre tous les records.

En comparaison, le Somaliland est un havre de paix démocratique et stable, qui jouit de sa propre Constitution, d’un système politique et électoral qui fonctionne plutôt bien, de sa propre monnaie et de sa propre armée.

Billets de 500, 1 000 et 5 000 shillings du Somaliland. La monnaie a été introduite en 1994, trois ans après la proclamation d’indépéndance. Somalilandstandard.com

Le président Abdirahman Irro avait certainement besoin de cette bonne nouvelle. Après sa victoire le 13 novembre 2024, son gouvernement s’est enlisé dans des conflits claniques et a fait peu de progrès sur les fronts critiques de l’emploi des jeunes, de la croissance économique et de la lutte contre l’inflation. Après l’annonce israélienne, des foules en liesse sont descendues dans les rues de Hargeisa, la capitale du Somaliland.

Qu’apporterait une large reconnaissance internationale aux Somalilandais, à part la fierté ? L’acceptation de leurs passeports et l’intégration dans les systèmes bancaires internationaux, ce qui facilitera le commerce, ainsi que la liberté pour le gouvernement d’emprunter de l’argent aux organisations financières internationales afin de financer le développement.

Mais on n’en est pas là. Le président Trump n’a pas donné suite à l’initiative israélienne. « Qui sait ce que c’est, le Somaliland ? » a-t-il demandé.

Cependant, on sait que les États-Unis ont récemment visité les côtes du Somaliland pour étudier la possibilité de l’implantation d’une base militaire.

Une ligne de fracture géopolitique

Les vives réactions de l’Union africaine, de l’Égypte, de la Turquie et de maints autres membres de l’Organisation de la coopération islamique, qui ont tous affirmé leur attachement à l’intangibilité des frontières de la Somalie, dessinent une ligne de fracture géopolitique qui risque de s’aggraver dans un proche avenir. De l’autre côté, les pays qui estiment que l’indépendance du Somaliland serait dans leur intérêt – les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et le Kenya – gardent le silence. Le ralliement à ce camp d’Israël – et potentiellement, un jour, des États-Unis – lui donne cependant beaucoup plus de poids.

Officiellement, Israël n’a donné aucune explication spécifique justifiant cette reconnaissance. Mais la plupart des analystes s’accordent à dire que la sécurité des lignes maritimes menant, par la mer Rouge, au port israélien d’Eilat et au canal de Suez en est la raison principale. Les côtes du Somaliland, en face du Yémen et proches du détroit de Bab el-Mandab, offriraient à l’État hébreu une plate-forme pour prendre en tenaille le Yémen des Houthis et déjouer l’influence régionale turque.

Un deuxième intérêt moins cité est le désir israélien de trouver un pays qui accueillerait les Palestiniens que le gouvernement Nétanyahou cherche à expulser. Plus tôt cette année, les efforts israéliens et américains visant à négocier un accueil des Palestiniens dans divers pays, y compris au Somaliland, ont fait couler beaucoup d’encre. Bien qu’un tel scénario paraisse à ce stade hautement invraisemblable, l’État somalilandais pourrait y trouver son avantage, si cela impliquait une reconnaissance internationale plus vaste et d’importants transferts de fonds.

Rappelons à cet égard que l’exode de centaines de milliers de Palestiniens vers le Koweït et d’autres pays du Golfe après l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967 contribua fortement au développement économique de ces pays. Mais les conditions étaient différentes. La main-d’œuvre palestinienne, éduquée et professionnelle, tombait à pic pour ces pays riches en pétrole mais manquant de ressources humaines, et par ailleurs arabophones. Au Somaliland, où 70 % des jeunes ne trouvent pas d’emploi, les Palestiniens auraient beaucoup plus de mal à s’intégrer.

Un troisième intérêt pourrait être de bouleverser un ordre régional globalement hostile à Israël. La reconnaissance du Somaliland, surtout si les Émirats, l’Éthiopie et les États-Unis venaient à emboîter le pas à Israël, sème le trouble parmi les rivaux de Tel-Aviv : l’Iran et le Yémen des Houthis, la Turquie et le Qatar (sponsors principaux de l’État fédéral somalien), ainsi que l’Égypte, alliée du Soudan, de l’Érythrée et de Djibouti pour isoler le rival éthiopien.

Un cadeau empoisonné ?

Cette reconnaissance surprise semble un pari risqué mais pourrait rebattre les cartes en faveur d’Israël. Un facteur clé est la légitimité domestique et la stabilité du gouvernement somalilandais, qui en fait un meilleur allié que le gouvernement de la Somalie fédérale.

À court terme, l’annonce semble jouer en faveur du président Irro et du légitime désir de reconnaissance du peuple somalilandais. Mais rentrer ainsi dans le camp israélien pourrait s’avérer, à moyen terme, un cadeau empoisonné. Les islamistes d’Al-Chabaab ont laissé le Somaliland tranquille depuis 2008 mais, de même que l’immense majorité des quelque 12 millions de citoyens de l’État fédéral, ils voient d’un très mauvais œil ce qui relève à leurs yeux d’une trahison à la fois de la cause palestinienne et de l’unité du peuple somalien. À suivre…

The Conversation

Robert Kluijver ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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