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03.12.2025 à 16:53

Le retour de la puissance en géopolitique : le cas de l’Ukraine

Laurent Vilaine, Docteur en sciences de gestion, ancien officier, enseignant en géopolitique à ESDES Business School, ESDES - UCLy (Lyon Catholic University)
Damien Afonso, Enseignant en géopolitique à l'ESDES, ESDES - UCLy (Lyon Catholic University)
L’invasion de grande ampleur de l’Ukraine lancée par la Russie en 2022 a mis en évidence des constantes géopolitiques qu’on avait parfois eu tendance à croire caduques.
Texte intégral (1418 mots)

Et si, au-delà des horreurs, la guerre entre la Russie et l’Ukraine, intensifiée en 2022, n’était pas l’événement « nouveau » que l’on dépeint, mais le révélateur brutal de lois géopolitiques fondamentales que l’Occident avait choisi d’oublier ?


La guerre qui ravage actuellement l’Ukraine est un concentré de géopolitique, qui mobilise toutes les grilles d’analyse élaborées depuis plus d’un siècle, rappelant que les grands drames du monde contemporain (Bosnie, Tchétchénie, Géorgie, pour ne s’en tenir qu’au continent européen) ne sont que les itérations d’un jeu de puissance aux règles immuables.

Au-delà de l’anxiété du court terme, c’est cette approche qu’il convient d’avoir à l’esprit pour décrypter les constantes militaires, économiques, numériques et narratives qui commandent la géopolitique moderne.

L’empreinte indélébile de la géographie et de l’histoire

La guerre en Ukraine est, avant tout, une affaire de temps long. Elle réactive deux forces primaires que la modernité avait cru dissoudre : la géographie et l’histoire.

Ce conflit nous rappelle brutalement ce qu’est la guerre de haute intensité, un concept que l’on pensait relégué aux archives de la guerre froide (Corée, Vietnam, Iran-Irak…).

Le fleuve Dniepr redevient un obstacle stratégique ; le relief naturel dicte les fonctions défensives ; la mer Noire, une artère vitale pour l’évacuation du blé, est une zone de friction économique et militaire.

Les villes ne sont pas de simples coordonnées numériques, mais des bastions à conquérir, des symboles dont la perte ou la conquête influe directement sur le moral des belligérants. La technologie a beau innover (l’usage massif des drones), elle ne fait que s’adapter à la réalité implacable du sol. Cette réalité réaffirme une constante que les débats sur la guerre cyber et hybride tendaient à occulter : le terrain façonne les opérations.

Si les drones terrestres sont de plus en plus utilisés pour évacuer les soldats blessés de la ligne de front, leurs pilotes doivent prendre en compte les paramètres topographiques et météorologiques lors de ces opérations.

Le poids des récits

Le rapport de force, lui, est indissociable des récits. L’Ukraine se définit par sa souveraineté, tandis que la Russie se considère toujours comme l’héritière légitime d’un espace impérial qu’elle n’accepte pas de perdre. Ce choc de représentations historiques, où l’un refuse de perdre et l’autre d’être absorbé, est une constante tragique de la géopolitique.

Vladimir Poutine, comme tant d’autres avant lui, a commis l’erreur classique d’ignorer qu’un rapport de force ne s’évalue pas à l’aune du mépris que l’on a pour son adversaire, mais se mesure au regard des forces et faiblesses réelles. La résistance ukrainienne, soutenue mais non dirigée par ses alliés, est la preuve amère que les Russes ont sous-estimé leur adversaire de manière caricaturale.

L’incapacité d’anticiper

L’un des enseignements les plus cinglants de ce conflit tient à l’incapacité d’anticiper dont ont fait preuve les acteurs occidentaux. Malgré les signaux constants de la géopolitique, il a fallu l’événement, le choc de 2022, pour forcer un réarmement accéléré de l’Europe et une révision de ses dépendances.

En Ukraine, la guerre est un laboratoire d’innovations (drones, adaptation tactique en temps réel), mais cette innovation ne saurait cacher le retour d’une autre constante : la masse.

Malgré le numérique et la guerre électronique, le qualitatif ne remplace pas le quantitatif. Le nombre de chars, de pièces d’artillerie, et de soldats compte plus que jamais. Les modes d’action russes le confirment tragiquement : une approche où la préservation du capital humain est subordonnée à l’idée d’un capital jugé quantitativement inépuisable.

L’Occident découvre, sidéré, la primauté du stock sur la sophistication, alors que cette logique est un pilier de la stratégie militaire depuis l’aube des guerres.

La gesticulation nucléaire

L’escalade doit être évitée à tout prix, et cette retenue est dictée par la constante la plus terrifiante de la modernité : la dissuasion nucléaire.

La logique de la « destruction mutuelle assurée » est plus vivante que jamais, expliquant la frilosité relative des Américains et des Européens. La Russie use et abuse de la gesticulation nucléaire – déclarations ambiguës, annonces de nouveaux matériels – pour dissuader tout engagement occidental trop important. Cette démonstration est à la fois une force et une faiblesse, mais elle réaffirme le rôle central de l’atome comme arbitre suprême des conflits de haute intensité.

Intérêts permanents, nouvelles alliances

Si le conflit semble géographiquement circonscrit, ses effets sont mondiaux, mais surtout, ils révèlent la nature profonde et intéressée des alliances globales.

Pour Vladimir Poutine, la guerre a engendré des échecs stratégiques aux conséquences durables :

L’échec le plus cruel est de constater que le soi-disant « Sud Global » ne soutient la Russie qu’à l’aune de ses propres intérêts. Ces pays profitent des sanctions occidentales pour acheter du pétrole russe à bas coût, démontrant une forme de non-alignement formel et l’une des plus grandes constantes de la géopolitique : l’intérêt prime toujours l’idéologie.

Le temps long contre la peur

En Ukraine, la guerre mobilise à elle seule de nombreuses constantes de la géopolitique contemporaine.

C’est ce que cherche à restituer le Retour de la puissance en géopolitique. Bienvenue dans le vrai monde (L’Harmattan, 2025) au travers de ses 20 thématiques indépendantes, visant à couvrir une grande partie du spectre de la géopolitique dont les maîtres mots sont la puissance, le rapport de force et l’intérêt. Comprendre cette guerre, c’est accepter que le monde obéît à des règles anciennes et que la seule véritable surprise réside dans notre incapacité chronique à les anticiper.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

03.12.2025 à 12:19

La longue histoire du despotisme impérial de la Russie

Sabine Dullin, Professeur en histoire contemporaine de la Russie et de l'Union soviétique, Sciences Po
Le concept de despotisme impérial offre une clé de compréhension de certaines dynamiques à l’œuvre dans la politique à la fois extérieure et intérieure de la Russie depuis plusieurs siècles.
Texte intégral (2131 mots)
Allégorie de la victoire de Catherine la Grande sur les Turcs et les Tatars par le peintre italien Stefano Torelli, 1772. Ce tableau est exposé à la Galerie Tretiakov à Moscou. Wikimédia Commons

Dans son nouvel essai Réflexions sur le despotisme impérial de la Russie qui vient de paraître aux éditions Payot, Sabine Dullin, professeure en histoire contemporaine de la Russie et de l’Union soviétique à Sciences Po, examine la formation et la persistance à travers le temps de l’identité impériale russe. Avec la précision de l’historienne, elle montre comment ce modèle s’est établi puis s’est construit dans la longue durée, a évolué selon les périodes et les natures des régimes, et continue à ce jour de peser lourdement sur la politique de la Russie contemporaine. Nous publions ici des extraits de l’introduction, où apparaît cette notion de « despotisme impérial » qui donne son titre à l’ouvrage et qui offre un angle d’analyse inédit des cinq derniers siècles de l’histoire du pays.


Un despote et une vision impériale : telle est la prison dans laquelle l’identité russe est enfermée depuis des siècles. Au pouvoir depuis vingt-cinq ans et artisan de la guerre en Ukraine, Poutine en donne hélas une confirmation éclatante.[…]

Les représentations extérieures de la Russie comme despotique et impériale ont repris de l’importance dans le débat public à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Elles relient despotisme interne et guerre extérieure en redessinant la frontière orientale de l’Europe comme nouvelle barrière de civilisation.

L’acronyme « Rashistes », de la contraction entre « Russia » et « fascistes », né sous la plume d’un journaliste ukrainien au moment de la guerre en Géorgie en 2008, a été repris à partir de 2014 quand Poutine lança, à la suite de l’annexion de la Crimée, sa guerre non déclarée au Donbass. Son usage devint viral après l’invasion de l’Ukraine fin février 2022 et quand le président Volodymyr Zelensky l’utilisa en avril pour exprimer le retour de la barbarie fasciste en Europe, près de quatre-vingts ans plus tard.

Mais au moment des massacres de civils à Boutcha, en Ukraine, la présence dans l’armée russe d’unités non russes de Sibérie, d’ethnicité turcique ou mongole (Bouriates, Touva, Sakha), provoqua aussi dans les médias européens la réapparition d’une autre image de la Russie, plus asiatique qu’européenne.

Si l’envoi prioritaire au front des non-Russes pauvres de Sibérie ressemblait fort à de la discrimination raciste en Fédération de Russie, le descriptif d’une civilisation européenne blanche attaquée en Ukraine par les hordes barbares en provenance de Russie relevait quant à lui d’une longue histoire des stéréotypes occidentaux du despotisme oriental. Le despotisme avait notamment servi à décrire la Russie du tsar Nicolas Ier au milieu du XIXe siècle.

Dans sa comparaison entre les États-Unis et la Russie, Alexis de Tocqueville faisait alors de la servitude et de la conquête militaire les clés du gouvernement et du dynamisme des Russes. Pour lui, le peuple russe concentrait dans un seul homme toute la puissance de la société. Karl Marx, qui prit fait et cause pour les insurgés polonais en 1830 comme en 1863, dénonçait le danger que faisait peser la « sombre puissance asiatique sur l’Europe », dont l’art de la servitude, qu’il jugeait hérité des Mongols, servait une conquête sans fin.

Ainsi, soit le despotisme russe entrait dans une typologie des régimes politiques allant de la liberté et de la démocratie jusqu’à la tyrannie et l’absolutisme, soit il était essentialisé sous les traits d’un régime oriental et non européen. La grille de lecture orientaliste d’une Russie irréductiblement différente de l’Europe servit à nouveau, dans le contexte de la guerre froide, pour combattre l’adversaire communiste, son tout-État sans propriété privée et son expansionnisme rouge.

Le despotisme est une notion négative que les dirigeants russes eux-mêmes n’assumeraient pas. Elle est le plus souvent utilisée par les détracteurs du pouvoir russe. Pour vanter les mérites de leur système en regard de la démocratie occidentale, les gouvernants de la Russie ont préféré et préfèrent d’autres termes, comme absolutisme et autocratie à l’époque des tsars, dictature du prolétariat et démocratie populaire après la révolution russe, dictature de la loi ou verticale du pouvoir dans la Russie de Poutine.

Chaque terme peut se comprendre en miroir du système politique européen de l’époque. Ainsi, l’autocratie répond à la monarchie constitutionnelle, la dictature du prolétariat s’oppose à la démocratie formelle bourgeoise, la dictature de la loi remplace l’État de droit. Ce livre voudrait tester la notion de despotisme impérial, montrer à quel point les représentations du despotisme et de l’Empire se nourrirent l’une l’autre dans l’histoire russe.

Le concept est évidemment contestable et sera contesté. Mais dans son flou sémantique, il a la vertu heuristique d’étudier des usages et des récurrences. Depuis la Moscovie du XVIe siècle, il s’agira donc de comprendre comment despotisme et Empire ont pu former dans leur association un nœud coulant enserrant l’identité russe et bloquant son épanouissement, aussi bien comme nation que comme démocratie.

Dans les scénarios du pouvoir en Russie, on constate la personnalisation du pouvoir, sa dimension religieuse ou sacrée, la faiblesse des contre-pouvoirs, le service du souverain comme source principale de richesse. L’Empire, comme idée et comme pratique, relève pour l’État russe de l’ordre naturel des choses. En son sein s’est forgée une identité russe impériale englobante (rossiïski), différente de l’ethnicité russe (russki). L’Empire fut cependant l’objet de la critique acerbe des marxistes qui prirent le pouvoir en 1917. Mais l’immensité et la multinationalité, qui en étaient les traits positifs, et la Puissance qui en découlait furent – y compris en Union soviétique – valorisées, au contraire de l’impérialisme dont il fallait se dissocier.

Ni le despotisme ni l’Empire ne disparurent, malgré des idéologies contraires et les récits radicalement nouveaux d’après 1917. La figure du despote a pu prendre les traits d’un tyran sanguinaire ou d’un despote éclairé, il a pu se présenter comme le garant de l’ordre établi ou, au contraire, comme un modernisateur. Le régime despotique a été le pouvoir sans limites du tsar ou de Staline, mais aussi celui d’une bureaucratie civile et militaire pesant de tout son poids sur les multiples communautés et peuples composant l’Empire. Le despotisme impérial a provoqué violence, asservissement, mais aussi consensus et collaboration.

Ce passage est issu de Réflexions sur le despotisme impérial de la Russie, de Sabine Dullin, qui vient de paraître aux éditions Payot.

La notion de despotisme impérial offre également la possibilité de penser le pouvoir absolu et impérial en Russie en comparaison avec d’autres : l’Empire ottoman, la Chine, mais aussi les monarchies absolues, les Empires et les impérialismes occidentaux. Dans l’histoire russe, beaucoup de notions utilisées ne sont pas transposables ailleurs. Le dilemme du pouvoir russe est ainsi très souvent posé en termes d’occidentalisme (imitation de l’Occident) ou de slavophilie (recherche d’une voie spécifique). L’autocratie, lorsqu’elle conquiert des territoires, serait moins impérialiste que panslave (quand il s’agit de conquérir à l’ouest) ou eurasiste (quand il s’agit de coloniser vers l’est et le sud).

La notion de totalitarisme entendait insister sur la nouveauté des régimes communiste et fasciste issus de la Première Guerre mondiale et des révolutions qui ont suivi. « Despotisme impérial » évite de brouiller les systèmes de reconnaissance du régime politique par des caractérisations trop spécifiques dans le temps et l’espace. Utiliser la notion de despotisme impérial pour comprendre la Russie d’aujourd’hui a une valeur d’analyse critique, mais aussi de prospective. En soulignant les récurrences autocratiques de l’État russe et les ressorts d’une identité russe adossée à l’Empire, on est amené à se demander comment sortir de cette apparente fatalité du despotisme impérial en Russie.

Il ne faudrait pas se leurrer. Le jeu de miroirs est multidirectionnel. Pour critiquer la monarchie absolue française, Montesquieu analysait les régimes lointains de despotisme oriental. L’analyse du despotisme impérial de la Russie peut relever d’un exercice similaire de fausse altérité et de vigilance, comme un miroir tendu à l’Europe, lui renvoyant ce qu’elle fut : coloniale, impérialiste et fasciste, et ce qu’elle pourrait bien redevenir : antidémocratique.


Copyright : éditions Payot & Rivages, Paris, 2025.

The Conversation

Sabine Dullin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

02.12.2025 à 15:58

Les deux grands enjeux derrière la demande de grâce de Benyamin Nétanyahou

Michelle Burgis-Kasthala, Professor of International Law, La Trobe University
Le président Isaac Herzog a déclaré qu’il prendrait sa décision sur la demande de grâce de Nétanyahou uniquement en fonction du « bien de l’État et de la société ».
Texte intégral (1632 mots)

Le président d’Israël Isaac Herzog a quelques semaines pour décider s’il gracie ou non le premier ministre Benyamin Nétanyahou, empêtré dans plusieurs affaires de corruption… pour lesquelles il n’a d’ailleurs pas encore été condamné, ce qui rend sa demande de grâce particulièrement exceptionnelle. Ce qui est en jeu ici, c’est à la fois l’avenir personnel et politique du chef du gouvernement, qui espère être reconduit à son poste aux élections de l’année prochaine, et l’indépendance du système judiciaire israélien.


Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, poursuivi pour corruption depuis plusieurs années, a adressé une demande de grâce au président du pays Isaac Herzog. Cette demande a alarmé ses détracteurs, qui y voient une tentative de contourner l’État de droit.

Dans un message vidéo, Nétanyahou affirme que, du fait de la situation « sécuritaire et politique » actuelle d’Israël, il est impossible pour lui de comparaître devant le tribunal plusieurs fois par semaine.

Sa demande de grâce n’est que le dernier rebondissement d’une affaire qui dure depuis des années. Elle pourrait avoir des implications importantes aussi bien pour le système judiciaire israélien que pour l’avenir politique de Nétanyahou, alors que des élections sont prévues l’année prochaine.

Quelles sont les accusations qui pèsent contre lui ?

Nétanyahou, 76 ans, est incontestablement la figure politique la plus importante de la politique israélienne moderne. Il a été élu premier ministre pour la première fois en 1996 et en est aujourd’hui à son sixième mandat.

Il est mis en examen pour « corruption, fraude et abus de confiance », dans le cadre d’une série d’enquêtes qui remontent à 2016. Il fait l’objet de poursuites dans trois affaires distinctes identifiées par des numéros : l’« affaire 1 000 », l’« affaire 2 000 » et l’« affaire 4 000 ». Le procès a débuté en 2020.

Dans l’« affaire 1 000 », le premier ministre est soupçonné d’avoir reçu l’équivalent d’environ 200 000 dollars américains (172 000 euros) de cadeaux, notamment des cigares et du champagne, de la part du producteur hollywoodien Arnon Milchan et du milliardaire australien James Packer.

L’« affaire 2 000 » concerne des rencontres présumées entre Nétanyahou et Arnon Mozes, le propriétaire du célèbre journal Yediot Ahronot. L’accusation affirme que Mozes a proposé au chef du gouvernement une couverture médiatique favorable en échange de restrictions imposées à l’un de ses journaux concurrents.

Enfin, l’« affaire4 000 » concerne un conglomérat de télécommunications Bezeq. La procureure générale allègue l’existence d’un autre accord réciproque : Nétanyahou serait présenté sous un jour favorable sur un site d’informations en ligne géré par Bezeq, en échange de son soutien à des modifications réglementaires qui profiteraient à l’actionnaire majoritaire du conglomérat.

Nétanyahou a toujours nié toute malversation dans ces affaires, affirmant être victime d’une « chasse aux sorcières ». En 2021, il a qualifié les accusations de « fabriquées et ridicules ». Lorsqu’il a témoigné à la barre en 2024, il a déclaré :

« Ces enquêtes sont nées du péché. Il n’y avait pas d’infraction, alors ils en ont trouvé une. »

Des experts en droit israélien ont souligné qu’une grâce ne peut être accordée qu’une fois qu’une personne a été condamnée pour un crime. Mais Nétanyahou ne propose pas de reconnaître sa responsabilité ou sa culpabilité dans ces affaires, et il ne le fera probablement jamais. Il demande simplement une grâce afin de pouvoir continuer à exercer ses fonctions.

L’indépendance du système judiciaire israélien

Depuis le début du procès en 2020, de nombreuses personnes ont témoigné devant la justice, notamment d’anciens collaborateurs de Nétanyahou qui ont conclu des accords avec l’accusation et ont été interrogés en tant que témoins à charge. Des éléments assez accablants ont donc été présentés contre le premier ministre.

Il a toutefois su se montrer extrêmement habile et politiquement intelligent en utilisant à chaque occasion d’autres sujets, en particulier la guerre à Gaza, pour tenter de reporter ou d’interrompre la procédure.

Après le 7 octobre 2023, le nombre de jours d’audience a été limité pour des raisons de sécurité. Selon les médias, Nétanyahou a fréquemment demandé l’annulation de ses audiences, justifiant ces demandes par le fait qu’il avait une guerre à gérer.

Les partisans du premier ministre soutiennent sa demande de grâce, mais celle-ci met en lumière des questions plus larges concernant l’indépendance du système judiciaire israélien.

Au début de l’année 2023, le gouvernement a présenté des plans visant à réformer le système judiciaire, ce qui, selon ses détracteurs, affaiblirait la Cour suprême et le système israélien de contrôle et d’équilibre des pouvoirs. Nétanyahou n’a pas participé à cette initiative, car la procureure générale a déclaré que son implication constituerait un conflit d’intérêts en raison de son procès pour corruption, mais plusieurs ministres de son cabinet s’y sont associés.

Des manifestations massives ont eu lieu partout en Israël en réponse à ce projet. Les contestataires y ont vu une attaque frontale contre les fondements mêmes du système juridique israélien.

La demande de grâce s’inscrit donc dans ce contexte plus large, même si les deux questions ne sont pas formellement liées. Les opposants à Nétanyahou affirment que sa requête représente une nouvelle preuve du fait que lui et sa coalition ont une conception fondamentalement différente de la leur de ce que doit être l’État de droit.

La survie politique de Nétanyahou

Quand le premier ministre a été réélu à la tête du parti Likoud le 7 novembre 2025, il a annoncé son intention de se présenter à nouveau aux élections l’année prochaine – et souligné qu’il s’attendait à être désigné premier ministre une fois de plus.

La loi fondamentale israélienne suggère que Nétanyahou ne pourrait pas se présenter s’il était condamné pour une infraction grave, mais il n’est pas certain qu’il serait effectivement empêché de se présenter à ce stade.

Selon l’agence de presse Anadolu, Nétanyahou souhaiterait avancer les élections de novembre à juin dans l’espoir de pouvoir conclure d’ici là des accords visant à normaliser les relations avec l’Arabie saoudite et l’Indonésie. Cela correspond à son habitude d’utiliser les succès en matière de politique étrangère pour compenser ses problèmes intérieurs.

À l’approche des élections, le premier ministre israélien tente désormais toutes les manœuvres possibles pour améliorer sa position, et la grâce présidentielle n’est que l’une d’elles. C’est probablement la seule option qu’il lui reste pour faire disparaître l’affaire, car le procès dure depuis si longtemps que, tôt ou tard, le tribunal devra prendre une décision.

The Conversation

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