URL du flux RSS

ACCÈS LIBRE UNE Politique International Environnement Technologies Culture

▸ les 25 dernières parutions

29.09.2025 à 16:34

Comment les juges tracent la ligne entre critique d’une religion et stigmatisation des fidèles

Anna Arzoumanov, Maitresse de conférences en langue et littérature françaises, Sorbonne Université
Quelles sont les critiques de la religion qui relèvent de la liberté d’expression et celles qui relèvent de la stigmatisation des croyants ? Comment tranchent les juges alors que la frontière juridique est ténue ?
Texte intégral (2175 mots)

Certaines critiques de la religion relèvent-elles de la liberté d’expression ou basculent-elles dans la stigmatisation des croyants ? En France, la frontière est juridiquement ténue. Dans les prétoires, les juges tranchent, au cas par cas, loin des slogans et des polémiques médiatiques.


Les mots et discours qui circulent dans l’espace public sont régulièrement au cœur de controverses autour des limites de la liberté d’expression. Ils soulèvent des interrogations récurrentes sur les droits des individus, figures publiques ou anonymes, à tenir certains propos. Parmi les sujets les plus sensibles figurent les discours critiques à l’égard des religions.

Si certains les considèrent comme l’expression légitime d’une opinion ou d’un désaccord avec une doctrine, d’autres y voient une forme de stigmatisation insidieuse visant les croyants eux-mêmes. Ainsi, ce qui relève pour les uns d’un simple rejet intellectuel d’une croyance peut apparaître, pour les autres, comme une attaque implicite contre ceux qui y adhèrent. Ces divergences reflètent des clivages idéologiques profonds, qui alimentent la virulence des débats dans l’espace public.

Sans prétendre trancher ce débat, il faut souligner que ces tensions se jouent également dans les salles d’audience. Comment les juges français tracent-ils la ligne entre la critique d’une religion et la stigmatisation de ses fidèles ? La justice reconnaît-elle que cette frontière peut parfois s’estomper, que la critique peut glisser vers la stigmatisation ?

Offense ou préjudice ? Une distinction juridique essentielle

En France, la liberté d’expression repose sur la loi du 29 juillet 1881, qui garantit une parole libre dans l’espace public tout en posant des limites : diffamation, injure, provocation à la haine ou apologie de crimes sont ainsi sanctionnées. Longtemps concentré à la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris, ce contentieux s’est largement diffusé sur le territoire français avec les réseaux sociaux, impliquant désormais des anonymes autant que des figures publiques.

Pour les juges, la méthode reste constante : identifier la cible des propos, puis en apprécier le sens selon le contexte. Ce cadre juridique repose sur une distinction essentielle : on ne punit pas une opinion, mais un discours portant atteinte à des personnes. Cela rejoint l’opposition formulée par le philosophe français Ruwen Ogien (1947-2017) entre offense, dirigée contre des idées ou des croyances, et préjudice, qui touche des individus ou des groupes identifiables.

Ainsi, critiquer une religion, même de manière virulente, relève de la liberté d’expression, alors que viser explicitement ses fidèles en excède les limites. Les tribunaux font la différence entre des propos sur « l’islam » ou sur « le catholicisme », qui désignent des dogmes religieux, et ceux visant « les musulmans » ou « les catholiques », assimilables à des attaques contre des personnes. Cette ligne de séparation permet d’expliquer certaines décisions judiciaires : Michel Houellebecq, par exemple, a été relaxé en 2002 après avoir qualifié l’islam de « religion la plus con », la justice estimant qu’il s’en prenait au dogme, non aux croyants.

Le blasphème n’est plus un délit en France depuis 1881

Cette distinction opérée entre croyance et croyants s’explique par le fait que, depuis 1881, le blasphème n’est plus un délit en France. La critique de figures ou de symboles religieux est donc légalement permise, même si elle choque. Mais cela n’empêche pas certains groupes de considérer ces critiques comme des atteintes aux croyants eux-mêmes. À intervalles réguliers, des associations saisissent les tribunaux pour tenter de faire reconnaître qu’une offense dirigée contre une religion constitue en réalité un préjudice infligé à ceux qui la pratiquent. La sociologue Jeanne Favret-Saada a bien analysé ce phénomène dans les Sensibilités religieuses blessées. Christianismes, blasphèmes et cinéma. 1965-1988 (2017), en montrant comment, dans certaines procédures, ces associations tentent de transformer une offense symbolique en une atteinte personnelle devant la justice.

La plupart des actions en justice liées à des offenses religieuses sont portées par des associations chrétiennes, notamment catholiques. En première ligne, l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif), qui multiplie les procédures pour dénoncer ce qu’elle considère comme de la christianophobie. Pour elle, critiquer un dogme ou un symbole religieux revient à attaquer les croyants eux-mêmes. Dès 2010, le chercheur Jean Boulègue (1936-2011) relevait déjà que 90 % de ces affaires étaient engagées par des chrétiens, avec l’intention de faire reconnaître juridiquement l’offense comme un préjudice réel.

Des associations musulmanes ont tenté d’emprunter la même voie, notamment lors des procès contre Michel Houellebecq, en 2002, ou contre Charlie Hebdo après la publication des caricatures de Mahomet, en 2007. Mais la justice a tranché systématiquement en faveur d’une relaxe, les juges estimant que la critique visait la religion, non les musulmans en tant que groupe. Une position réaffirmée régulièrement : tant que le discours cible le dogme et non les fidèles, elle reste protégée par la liberté d’expression. En 2006, la Cour de cassation a même annulé une condamnation contre une publicité pastichant la Cène, rappelant qu’un symbole religieux peut être détourné sans que cela constitue une injure.

Si le principe juridique semble clair, son application se heurte à certains discours qui le mettent à mal. Dès lors que le discours s’éloigne du sens littéral, par des procédés comme la métonymie ou la personnification, l’identification de la cible devient plus complexe. C’est dans ces zones grises que se joue aujourd’hui la frontière entre critique légitime d’une croyance et discours stigmatisant des croyants.

Quand le discours prend des détours : la métonymie et la personnification à l’épreuve du droit

Le sens littéral des mots ne suffit pas toujours à identifier leur cible. Le contexte, le ton, l’intention, et certaines figures de style peuvent en modifier la portée.

Parmi elles, la métonymie désigne un objet par un autre auquel il est lié : dire « boire un verre », c’est évoquer le contenu, non le contenant. Dans le vers de Paul Éluard, « Paris a froid, Paris a faim », Paris désigne les habitants, non la ville elle-même. Ce glissement, bien connu des linguistes, peut devenir source d’ambiguïté en justice, où l’interprétation précise des propos est cruciale. La métonymie permet de suggérer sans nommer, de contourner les interdits sans les enfreindre explicitement. Dans les prétoires, elle pose la question suivante : où s’arrête la critique d’une idée ou d’un dogme, et où commence l’attaque d’un groupe de personnes ?

Un premier exemple éclaire ces enjeux. Un arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2021 portait sur un tract diffusé après l’attentat de Magnanville (Yvelines), où figuraient les slogans « Islam assassin » et « Islam dehors », associés à un poignard ensanglanté. La question posée aux juges : ces slogans visaient-ils la religion ou, métonymiquement, ses fidèles ? Le tract, en attribuant à l’islam des intentions humaines (volonté de soumettre, violence), recourait à la personnification, ce qui ouvre la voie à une désignation implicite des musulmans.

Le tribunal correctionnel a vu dans ce procédé une attaque indirecte contre les pratiquants, renforcée par d’autres expressions stigmatisantes caractéristiques du discours raciste (« grand remplacement », « invasion »). La cour d’appel, au contraire, a opté pour une lecture littérale, jugeant que l’absence de mention explicite d’un groupe empêchait de qualifier les propos d’incitation à la haine. La Cour de cassation a cassé cette décision, rappelant qu’on ne peut faire abstraction du discours figuré ni de ses effets implicites. Ce cas oppose donc deux lectures : l’une, contextuelle et figurale, attentive aux procédés stylistiques ; l’autre, strictement littérale, limitée au sens des mots en dehors de leur usage en contexte.

Une autre affaire, liée à des propos tenus en 2013 à Belfort (Territoire de Belfort), met en lumière un autre aspect de cette frontière floue entre critique de la religion et stigmatisation des croyants. La même personne que celle du tract y déclare : « Oui je suis islamophobe, et alors ? La haine de l’islam, j’en suis fière. L’islam est une saloperie […], c’est un danger pour la France. » Contrairement au tract, ici la religion est explicitement visée, sans glissement apparent vers les fidèles. La prévenue assume une hostilité envers une religion, et non envers ceux qui la pratiquent. Elle est condamnée en première instance par des juges qui acceptent d’y voir un glissement entre haine de la religion et haine des croyants, mais relaxée en appel : les juges reconnaissent la violence du propos, mais estiment qu’il relève d’une opinion sur une religion, sans intention manifeste de stigmatiser un groupe. Ce raisonnement interroge. Peut-on vraiment dissocier des formules comme « haine de l’islam » ou « l’islam est un danger » de toute portée sociale sur les croyants ? Revendiquer son islamophobie comme l’affirmation d’une haine à l’égard d’une croyance peut à l’inverse être vu comme une manière de contourner l’interdit de la haine envers les personnes, sous couvert de critiquer une abstraction.

Ces deux affaires illustrent les limites d’une approche strictement littérale. Si les propos ne franchissent pas toujours le seuil de l’incitation légale, ils révèlent combien la frontière entre critique du dogme et attaque des croyants peut être instable, et parfois exploitée pour rester dans la légalité.

L’affaire Houellebecq, évoquée plus haut, en offre une nouvelle illustration. Dans une interview, l’écrivain affirme : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. » La justice y voit une critique de la religion en tant que telle, et non une attaque contre ses fidèles. Pourtant, lorsqu’il poursuit en déclarant : « L’islam naît avec la volonté de soumettre le monde […]. C’est une religion belliqueuse, intolérante, qui rend les gens malheureux », le discours glisse vers une personnification du dogme. Ce procédé ouvre la voie à une lecture métonymique, susceptible d’assimiler croyance et croyants. Là encore, l’interprétation littérale masque les effets de glissement potentiels du propos et l’ambiguïté de leur cible.

Les exemples étudiés montrent que la justice française s’efforce de maintenir une distinction délicate entre la critique du dogme et l’attaque dirigée contre les croyants eux-mêmes. Toutefois, cette frontière demeure instable, car elle peut facilement être contournée. Les mots, en contexte, peuvent glisser insidieusement de l’abstraction théologique à la stigmatisation implicite d’un groupe de fidèles. Ce glissement, souvent permis par les ressources mêmes du langage – métonymie, personnification, implicite – exige des juges une lecture fine et contextualisée des discours, attentive non seulement à leur contenu littéral, mais aussi à leurs effets, leurs sous-entendus, et à l’intention qui les anime.

Si la liberté de critiquer les religions constitue un principe fondamental en droit français, elle ne saurait servir de paravent à des propos qui, sous des apparences abstraites, ciblent en réalité un groupe identifiable. La langue, par sa richesse et sa souplesse, permet précisément ces déplacements de sens : les ignorer serait faire preuve d’un dangereux aveuglement.


Anna Arzoumanov est l’autrice de Juger les mots. Liberté d’expression, justice et langue, éditions Actes Sud, « La compagnie des langues », avril 2025.

The Conversation

Arzoumanov Anna a reçu des financements de l'ANR et du CNRS pour des projets de recherche sur la liberté d'expression.

29.09.2025 à 12:33

Le recours à l’intérim dans le travail social : opportunité ou fatalité ?

Laura Beton-Athmani, Attachée de Recherche IRTS PACA Corse - Chercheure associée LEST, Aix-Marseille Université (AMU)
Quelles réalités recouvre l’emploi intérimaire dans le secteur médico-social en 2025 ? Une recherche exploratoire auprès de professionnels permet de dresser un premier panorama du phénomène.
Texte intégral (1632 mots)
Le recours presque inévitable à l’intérim assure la survie des établissements concernés, notamment sur des périodes dites « de tensions ». UnaiHuiziPhotography/Shutterstock

Quelles réalités recouvre l’emploi intérimaire dans le secteur médico-social en 2025 ? Une recherche exploratoire auprès de professionnels permet de dresser un premier panorama du phénomène.


Depuis plusieurs années, l’emploi intérimaire émerge dans un secteur où on ne l’attendait pas. Pire ! Où on le redoutait : le secteur social et médico-social. Au cœur d’un paradoxe fort, entre accompagnement de longue durée et travail par essence temporaire.

Faisant grincer des dents, ce phénomène mérite un intérêt particulier : donner à voir la complexité de celui-ci, et surtout des individus qui sont au cœur de ce dilemme « éthique ».

Et si ce qui s’apparente initialement à un désengagement était finalement une forme de réappropriation d’un métier souffrant d’un manque d’attractivité ? D’une marge de manœuvre dans l’exercice de ses fonctions ? Finalement, prendre soin de soi pour « durer » auprès de ceux qui en ont besoin ?

La crise du travail social ne date pas d’hier

La crise que connaît le travail social n’est pas nouvelle. Dès la fin des années 1990, des auteurs témoignent du malaise des travailleurs sociaux, engendré par une déstructuration de ce champ professionnel. Le sociologue Marcel Jaeger souligne en 2013 cette double impuissance, symbolisée par le manque de moyens et la perte de sens.

Le contexte actuel exacerbe cette crise : difficultés de recrutement, diminution de candidats au sein des instituts de formation, nouveaux profils de stagiaires, abandon de certains déçus par les conditions de travail, complexité des situations des personnes accompagnées, contraintes financières et procédurales, obligation de résultat, bas salaires, libéralisation du travail social, etc.

Émergence de l’emploi intérimaire

L’emploi intérimaire interroge une large frange des travailleurs sociaux et des personnels en poste d’encadrement dans le secteur. Mon intérêt pour ce phénomène émergé d’échanges réguliers avec des étudiants en certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale (CAFDES) au sein de l’Institut Régional du Travail social (IRTS) Paca Corse.

À ce jour, peu d’études scientifiques évoquent ce phénomène, si ce n’est les travaux de Charlène Charles en protection de l’enfance. Ses résultats mettent en avant la « contrainte » du recours à l’intérim pour des professionnels précaires. Ils répondent principalement à des situations « d’urgence sociale », des missions de « contention sociale », souvent sollicités pour faire fonction de « renfort éducatif », pour des situations de « crises ».

Jusqu’alors, l’intérim a été justifié dans le secteur de la protection de l’enfance du fait de l’accroissement de situations complexes chez les jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance, nommés « les incasables ». Il touche d’autres champs, comme le handicap ou encore la lutte contre l’exclusion, champs enquêtés dans notre recherche.

Point juridique à ce sujet

Afin d’encadrer le recours à l’intérim, la loi Valletoux est promulguée le 27 décembre 2023. En application du décret du 24 juin 2024, elle fixe une durée minimale d’exercice préalable de deux ans pour certains professionnels avant leur mise à disposition d’un établissement ou service social ou médico-social par une entreprise de travail temporaire.

Rebondissement le 6 juin dernier. Le Conseil d’État annule cette mesure pour les professionnels expérimentés, eux aussi touchés par cette mesure.

Manque d’attractivité des métiers

Mais alors quelles réalités revêtent le recours à l’intérim en travail social en 2025 ? Notre recherche exploratoire auprès de deux organisations du secteur médico-social permet de dresser un premier portrait du phénomène.


À lire aussi : Agents d’entretien : la crise sanitaire révèle l'absurdité des stratégies d'externalisation


Elle permet de confirmer le manque d’attractivité des métiers ou la souffrance des professionnels du secteur face à des conditions de travail difficiles. Quelques lignes de notre carnet de chercheur font état d’un acte de violence d’un résident auprès d’une professionnelle :

Le 30 janvier 2025, arrivée à 09 heures 15. Je croise C., la [cheffe de service], et H., une [aide-soignante], dans les couloirs. H. a une poche de glace sur la joue. Elle vient de se faire frapper par un résident. Elle propose l’achat d’un sac de frappe pour les résidents. C’était le cas dans un ancien établissement où elle a travaillé.

Intérim contraint et choisi

Au-delà, le recours à l’intérim met en lumière un rapport de force inversé, désormais entre les mains des individus et non plus des organisations. Il entraîne un recours presque inévitable à l’intérim afin d’assurer la survie des établissements concernés, notamment sur des périodes dites « de tensions ». Force est donc de constater le glissement d’un intérim « contraint » à un intérim « choisi » pour les professionnels du secteur.

« Les agences non lucratives, ça fait partie de leur mission d’amener les intérimaires à l’emploi. Les agences non lucratives, c’est une perte de capital humain », rappelle un directeur d’une association.

La digitalisation des agences d’intérim facilite la mise en contact avec les intérimaires, ainsi que la présence de nouvelles agences d’intérim dites coopératives. Certaines d’entre elles ont justement vu le jour grâce à un travail interassociatif, les organisations du secteur souhaitant retrouver une forme de contrôle sur les embauches de ces professionnels.

Période d’essai du CDI

Du côté des organisations, l’usage de l’intérim peut paraître ambigu. Pour l’une des organisations enquêtées, l’intérim est clairement affiché comme une « période d’essai » du CDI. Cela permet aux managers de proposer des CDI à des intérimaires dont les compétences ont été reconnues.

« Oui, c’est une source d’embauche importante. Ça a été un moyen de permettre, en fait, de remplacer une période d’essai, on va dire comme ça, avec des conditions, pour être honnête, plus avantageuses et pour la personne en intérim, et plus souples pour nous » relève un directeur associatif.

Pour les organisations, les motivations exposées résident principalement dans le fait que les « intérimaires repérés » jouent un rôle de facilitateur. Le recours à l’intérim facilite une partie du travail administratif, notamment lorsque l’agence d’intérim s’occupe des plannings des intérimaires et des roulements.

Ce type d’intérimaires repérés sont porteurs d’une histoire, de connaissances d’un dispositif. De facto, ils facilitent la prise de poste de professionnels permanents, notamment de leur supérieur hiérarchique.

« Pour ne rien vous cacher, ça m’arrangeait aussi puisque c’était toujours les mêmes intérimaires. Elles maîtrisaient mieux le dispositif que moi. Et si je suis honnête, c’est elles qui m’ont plus formée quand je suis arrivée » souligne une cheffe de service éducatif.

Se confronter à la réalité du travail

Du côté des intérimaires, l’intérim est utilisé pour choisir l’établissement d’exercice, afin d’éprouver les conditions réelles de travail face à l’image et la notoriété d’un établissement ou d’une association.

Les intérimaires témoignent de plusieurs motivations à recourir à ce statut : moins de stress, plus de liberté, des avantages financiers et une meilleure conciliation vie privée/vie professionnelle.

« J’ai des parents vieillissants dont je suis seule à m’occuper. Et comme je disais à la [cheffe de service] : je ne pourrais pas accompagner les résidents ici comme j’ai toujours fait […] Et ne pas m’occuper des miens, ce n’est pas possible. »

The Conversation

Laura Beton-Athmani est vice-présidente de l'association MJF - Jane Pannier.

27.09.2025 à 11:20

Les prémices de l’État de droit au Moyen Âge : quand la loi s’impose au roi

Yves Sassier, professeur émérite, Sorbonne Université
Qui du peuple ou du prince est le plus légitime à faire la loi ? Au XIIe siècle, la découverte des œuvres de l’empereur Justinien et d’Aristote nourrissent de passionnants débats.
Texte intégral (2198 mots)

L’histoire intellectuelle et politique du XIIᵉ au XIVᵉ siècle est essentielle pour comprendre la transformation des royautés féodales européennes en États modernes et les prémices des idéaux démocratiques. À cette époque, la redécouverte du droit romain et de la philosophie d’Aristote produisent de passionnants débats sur les rapports du pouvoir et de la loi.


Après l’effacement de l’unité impériale romaine au profit de royautés plurielles (Ve siècle), les penseurs (presque tous membres du clergé) intègrent certaines réflexions des antiques sur les finalités de la loi. Il s’agit d’œuvrer en vue de l’utilité commune et d’éviter tout abus de pouvoir du prince. Ils héritent également de la pensée juridique du Bas Empire chrétien, selon laquelle la loi doit s’efforcer d’orienter l’action des princes vers une réalisation spirituelle. Le bon prince doit légiférer pour Dieu et se soumettre lui-même aux lois qu’il impose à ses sujets. Pourtant, la persistance des vieilles pratiques germaniques – vengeance privée et autorégulation sociale des conflits – débouche, vers la fin du IXe siècle carolingien, sur un profond affaiblissement des royautés comme de leur capacité à « faire loi ».

Mettre en œuvre ce qui est utile à tous

Le XIIe siècle marque un renversement de tendance. La conjoncture économique, démographique et sociale est très favorable aux détenteurs des plus florissantes cités, aux premiers rangs desquels figurent les rois. L’essor de la production et du commerce à distance profite aux princes. Il profite aussi à ceux qui, appartenant au monde clérical des cités, traversent l’Europe pour s’instruire, puis entrent au service des souverains comme conseillers. La démarche intellectuelle de cette élite pensante témoigne d’une lente prise de conscience de la complexité croissante du corps social. Et de la naissance, en son sein d’une forte exigence de sûreté juridique, de liberté et d’identité communautaire.

La réflexion sur le pouvoir, s’inspirant notamment des œuvres de Cicéron, s’oriente ainsi progressivement vers l’idée d’une nature sociale de l’être humain. On réfléchit aussi sur la justice et sur la règle de droit et l’on insiste sur le but ultime de cette justice : mettre en œuvre ce qui est utile à tous et, par-delà, assurer le bien-être matériel et spirituel de la communauté en son entier.

Absolutisme princier versus « certaine science » de la communauté politique

Cette époque est également marquée par la redécouverte de l’immense œuvre juridique de l’empereur romain d’Orient Justinien (VIe siècle). Cet événement considérable suscite la naissance d’une étude textuelle, très tôt mise à profit par les entourages princiers à travers toute la chrétienté occidentale. Dans ce cercle étroit, le débat est lancé entre tenants d’un « absolutisme » princier et partisans d’une capacité propre de toute communauté à émettre ses propres règles.

Les premiers s’appuient sur certains passages de l’œuvre justinienne qui mettent l’accent sur la relation du prince à la loi, notamment deux aphorismes en provenance d’un jurisconsulte romain du IIIe siècle, Ulpien. « Ce qui a plu au prince à la vigueur de la loi ». Ce passage est suivi d’une explication affirmant que par la « lex regia » (loi d’investiture de l’empereur), le peuple romain transmet au prince tout son imperium (pouvoir de commandement) et toute sa potestas (puissance). Et puis :« Le prince est délié des lois », une sentence contraire au modèle du gouvernant soumis à la loi diffusé par la pensée chrétienne du haut Moyen Âge. Tout prince peut alors se prévaloir de ces textes pour affirmer sa pleine capacité à émettre la règle de droit ou à s’affranchir de celle-ci. De telles thèses circulent dès le XIIe siècle dans les entourages royaux.

Cependant, les savants qui glosent le droit romain ont aussi trouvé chez Justinien tel texte par lequel le prince déclare soumettre son autorité à celle du droit et sa propre personne aux lois. Ou tel autre plaidant en faveur d’une fonction législative revenant au peuple, voire d’un droit du peuple d’abroger la loi ou d’y déroger.

CC BY

La théorie de la supériorité de la coutume générale d’un peuple sur la loi du prince, comme celle de la « certaine science » d’une communauté locale la rendant apte à déroger, en pleine conscience, à la règle générale, est un autre apport de ce XIIe siècle. Tout comme la réflexion, plus mesurée, de certains romanistes sur la nécessité, pour une communauté locale s’affranchissant d’une règle, d’agir avec sagesse et de se donner de nouvelles règles conformes à la raison. Ces exigences correctrices de la théorie première ouvrent la voie à la confirmation d’une capacité de suppression de la « mauvaise » coutume par le prince agissant lui aussi en vertu de sa propre « certaine science »

Aristote redécouvert

Jusqu’aux années 1250, c’est principalement dans le sillage de ces acquis que se situe la pensée juridico-politique. La réflexion très neuve sur le pouvoir normatif du prince est désormais un élément essentiel. Le XIIIe siècle est bien celui d’une montée en puissance des législations royales dans nombre de pays européens où semblent dans un premier temps prévaloir les aphorismes d’Ulpien.

La redécouverte, autour des années 1240-1260, de l’_Éthique à Nicomaque et de la Politique_ d’Aristote accélère l’évolution de la réflexion sur l’instrument du pouvoir que redevient la loi. La doctrine naturaliste d’Aristote (l’homme, voué à s’intégrer à une communauté, est par nature un « animal politique ») n’a pas pour conséquence immédiate une complète autonomie du politique vis-à-vis du théologique. Aux yeux des plus aristotéliciens des penseurs du temps, l’homme demeure un être voué à l’obéissance aux commandements divins. La vertu de charité qui lui est assignée implique cet amour du bien commun, vertu première du citoyen.

Il reste cependant que découvrir Aristote permet un remarquable enrichissement de la réflexion sur la communauté. Ici aussi le débat est vif entre juristes et théologiens-philosophes et débouche sur des visions contradictoires des droits de la multitude. Certains considèrent cette dernière comme ayant pleine capacité juridique à consentir aux actes du prince. D’autres persistent à la présenter comme l’équivalent juridique d’un mineur sous protection, son tuteur qu’est le prince disposant d’une plénitude de puissance.

Partager la confection de la loi avec le peuple ?

Si l’exigence du bien commun devient plus que jamais l’objet d’un discours rationnel, sa mise en œuvre, néanmoins, peut adopter deux voies bien différentes. La première s’appuie sur la lecture absolutiste de Justinien : elle insiste sur l’idéal du prince vertueux œuvrant au service de son peuple, apte à légiférer seul, mais en s’appuyant sur de sages conseillers ; apte aussi à ne jamais abuser d’une puissance qui ne connaît cependant d’autre frein que sa propre conscience.

La seconde est assurément nouvelle dans le contexte médiéval de cette fin du XIIIe siècle : mettre en œuvre les possibles alternatives qu’offrent deux éléments essentiels de la réflexion d’Aristote. L’un concerne les variantes qui peuvent modifier en profondeur chacun des trois régimes purs) que sont la monarchie, l’aristocratie et la démocratie ; l’autre porte sur sa préférence pour un régime privilégiant un droit de participation active aux affaires publiques accordé à une partie de la population, représentative d’un « juste milieu » social et garante d’un « juste milieu » éthique. Il s’agit ici d’empêcher toute dérive tyrannique provenant tant d’un monarque ou d’une oligarchie que d’un peuple sans vertu.

Le XIVe siècle verra ainsi croître les théories prônant le recours, par le monarque, au dialogue voire au partage de la confection de la loi avec son peuple. Certaines de ces théories iront même jusqu’à afficher l’idée d’une sorte de souveraineté de principe du peuple en matière législative (Marsile de Padoue, Nicole Oresme).

En cette fin de Moyen Âge, la pensée politique, progressivement mise à portée d’une élite plus large, s’est ainsi orientée vers certaines thèses qui préfigurent le « constitutionnalisme » moderne et aussi, à certains égards, vers ce que la doctrine politique occidentale appelle de nos jours « l’État de droit ». Il est cependant vrai que certaines conditions de cet État de droit (séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, pleine souveraineté de tout un peuple liée à une pleine égalité de droit de ses membres) ne seront guère acquises à la fin du XVe siècle.

La réflexion sur le politique, on le sait, s’orientera aussi vers l’autre thèse développée dès le XIIe siècle, celle de la toute-puissance d’un prince « absous des lois ». Elle débouchera au tournant des XVIe et XVIIe siècles sur des parenthèses absolutistes parfois courtes et vouées à l’échec comme dans l’Angleterre des Stuarts, parfois plus longues comme dans la France des Bourbons.


Yves Sassier est l’auteur du Prince et la loi en Occident. VIe siècle av. J.-C.-début XVe siècle, Presses universitaires de France, juin 2025.

The Conversation

Yves Sassier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

26.09.2025 à 17:31

La très longue feuille de route pour être un « bon patron »

Michel Offerlé, Sociologie du politique, École normale supérieure (ENS) – PSL
Sophie Louey, Sociologue chercheuse au Centre Emile Durkheim, membre du CSO Sciences Po Paris, du CURAPP-ESS et du CEET-CNAM, Sciences Po
Les attentes exprimées vis-à-vis du dirigeant d’entreprise sont nombreuses. À tel point qu’il n’est pas incongru de se demander s’il peut exister un « bon patron ». Revue des multiples attentes qui lui sont adressées.
Texte intégral (2171 mots)

« Patron », un terme qui a le plus souvent une charge péjorative. Que peut être alors un « bon patron » ? Les demandes adressées à celui qui préfère aujourd’hui être appelé « chef d’entreprise » ou « entrepreneur » sont multiples. Revue des principales qualités qui leur sont demandées.


Être patron, cela a-t-il à voir avec le ou la politique ? Jusqu’où la revendication de l’entreprise au « service du bien commun » (entre entreprise providence et « Laissez-nous faire nous-mêmes ») peut-elle impacter le métier ?

En France, le terme « patron » est plus souvent associé à des désinences fortement péjoratives : pas seulement mauvais (du point de vue gestionnaire) mais plutôt « salaud de », « pourri », « con », « voyou » ; quant aux adjectifs : « autoritaire » et « tyrannique » se le disputent à « hautain », « caractériel » ou « inabordable ».

Dans tous les cas, être patron suppose de se placer dans une relation de domination à l’égard de ses salariés qui sont, eux, dans un état de subordination économique et juridique à l’égard de leur employeur. L’employeur est le chef de l’entreprise et, comme tel, c’est lui qui peut se réserver les tâches les plus gratifiantes, et déléguer le travail, et notamment « le sale boulot » à ses « collaborateurs ».

Indispensables patrons

Cette présentation négative a été contrée depuis longtemps par un ensemble de dénégations argumentatives et de pratiques qui entendent montrer que le patron est indispensable dans une économie de marché, soit le système économique le plus efficace dans lequel se crée de la richesse et des emplois.

Et le mot « patron » tend à être refoulé dans des siècles antérieurs (le patron « à la Zola »). Le terme est entré en déshérence au profit de ceux de « chef d’entreprise », d’« entrepreneur » ou, dans un langage international, de « manager » voire de CEO (pour chief executive officer, dans la langue de Steve Jobs). En 1995, le changement du nom de l’organisation interprofessionnelle du Conseil national du patronat français (CNPF) en Mouvement des entreprises de France (Medef) marque aussi cet objectif de modifier et de moderniser les représentations patronales.


À lire aussi : « Patron incognito », ou quand la télé-réalité façonne une vision morale de l’entreprise


Par ailleurs, des techniques très différentes de mise au travail et d’acceptation ou d’assentiment de la subordination s’inventent tous les jours, de manière parfois cosmétique, pour établir ou rétablir un management qui peut être alors :

Paternalisme de proximité ?

Cela peut aller du réinvestissement du paternalisme de proximité (il vient dire bonjour tous les matins, il connaît les problèmes de ses salariés) à des expérimentations, comme l’entreprise libérée, en passant par des pratiques vertueuses que peuvent mettre en œuvre des patrons de l’économie sociale et solidaire ou certains innovateurs patronaux.

La question du ratio d’équité, soit le rapport entre le salaire médian ou moyen des salariés et celui des plus hauts dirigeants, reste un sujet relativement confidentiel. Certains rares patrons pratiquent le 1 à 4 quand d’autres acceptent un salaire mensuel à 7 chiffres, ce qui peut amener le ratio à plus de 200.

HEC Paris, 2016.

Un bon patron serait celui qui paye bien, qui embauche des CDI, comme, par exemple Axyntis qui assure des conditions de travail optimales à ses salariés, hommes et femmes, qui a de la considération pour eux et pour leur travail, qui les traite comme des co-équipiers, qui les associe à la réflexion voire à la décision, et, au-delà de toutes ces contraintes, qui sait assurer la rentabilité financière de l’entreprise, sa viabilité et sa pérennité.

Des marges de manœuvre vertueuses

En poussant au maximum les rapports sociaux dans un cadre de capitalisme de marché, les marges de manœuvre vertueuses sont possibles et encore à inventer. Quelques entreprises, mais beaucoup moins qu’aux États-Unis avant la nouvelle présidence de Trump, ont pris l’initiative de politiques de diversité (égalité entre femmes et hommes, diversité d’origine des salariés).

La taille de l’entreprise est parfois discriminante, mais pas toujours. Un grand patron pourrait arriver à une forme d’harmonie conjuguée aux pièces du puzzle d’une multinationale et un petit patron peut aussi se révéler tout à fait tyrannique, qu’il s’agisse d’une entreprise conventionnelle ou d’une start-up, une catégorie d’une fluidité exemplaire où le up or out ainsi que l’agilité et la flexibilité maximales peuvent mener à l’arbitraire et à la précarité.

Jugé par ses pairs… et par la société

Être un bon patron, c’est l’être aussi à l’égard de ses pairs, qui se jaugent et se reconnaissent entre eux, et qui peuvent à tous les gradins des patronats entrer en concurrence pour obtenir des prix et des trophées sur certaines scènes et défendre des causes communes sur d’autres. Mais être « un bon patron » ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise ou des clubs de sociabilité patronale.

Depuis plusieurs années, la thématique de l’entreprise a resurgi dans les débats socioéconomiques et politiques. Pour autant, on ne va plus jusqu’à prôner, comme cela a précédemment été fait, une « réforme de l’entreprise » ou encore la nécessité d’avoir un permis de diriger une entreprise (comme il existe un permis de conduire), ni même une nationalisation des moyens de production et d’échange qui serait couronnée par une autogestion.

Les propositions les plus audacieuses, en matière de transformation des directions d’entreprises, vont à l’instauration de conseils des parties prenantes et à l’introduction (partielle) de la Mitbesttimung (ou, cogestion paritaire) allemande, soit la présence des salariés dans les organes de direction des entreprises à quasi parité avec les porteurs de capitaux.

Loi Pacte

À la suite du rapport Notat-Senard (2018), la loi Pacte a entériné certaines modifications et a amendé l’article 1833 du Code civil en y définissant de manière dynamique le but d’une société commerciale étant gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Ainsi, le but n’est pas, comme l’écrivait Milton Friedman, de faire uniquement du profit.

Désormais il ne s’agit pas de satisfaire seulement les actionnaires (sans qui rien n’existerait, estiment les libéraux) en matière de rentabilité économique, mais aussi de tenir compte des parties prenantes que sont les salariés et, plus largement, la collectivité. Les entreprises sont désormais responsables des conséquences que leur activité produit sur la société et sur son environnement.

Exercices domestiques

Cette loi a donné lieu à des débats nombreux, dans le pas assez ou le beaucoup trop, et l’on a vu fleurir des raisons d’être entrepreneuriales qui sont allées des exercices purement cosmétiques jusqu’à une réflexion orchestrée sur les finalités de telle entreprise. De ce fait, les entreprises à mission, pour lesquelles des contraintes diverses de résultats selon l’exigence de certification ne sont pas très nombreuses, et encore moins parmi les très grandes entreprises.

Pourtant, certaines organisations, le Crédit mutuel Alliance fédérale et la Maif ont, par exemple, mis en place, en 2023, le dividende écologique et le dividende sociétal, qui ne sont pas suivis par d’autres grandes entreprises. Ces dividendes consistent à reverser une partie de leurs résultats à des projets écologiques ou sociaux.

Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (Fnege) médias, 2022.

S’arrêter là serait négliger une large partie du problème, car la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises est loin de ne renvoyer qu’à des initiatives isolées. Elle est désormais mesurée par un ensemble d’indicateurs (obligatoires ou facultatifs) parfois très sophistiqués et en concurrence, et doit aussi se conjuguer avec d’autres types d’implication.

Un « bon patron » est celui qui, idéalement, ne s’intéresse pas seulement à ses éventuels actionnaires, à ses salariés, à ses consommateurs (qualité/prix/utilité sociale et environnementale), mais aussi à ses fournisseurs et à ses sous-traitants pour lesquels il doit appliquer les mêmes règles et, pour les grandes entreprises, qu’il ne doit pas pressurer en matière de coûts (qui se répercutent obligatoirement sur la qualité du produit et sur les conditions de travail des salariés) ni jouer sur la trésorerie et les délais de paiement.

Un « bon patron » est aussi celui qui « tient » au travail dans des dimensions pratiques. Autrement formulé, il participe directement aux activités de l’entreprise qu’il s’agisse de la gérer quotidiennement, de créer des emplois, d’étendre son activité ou même de contribuer parfois directement à des activités de production.

Reste à ajouter la dernière responsabilité, à l’égard de l’État qui apparaît chez beaucoup d’entre eux comme un prédateur inefficace. Un « bon patron » devrait aussi avoir une politique fiscale transparente et éthique, mais elle est bien souvent en concurrence avec une saine gestion des utilités qui impliquent optimisations, voire exils fiscaux. Quant aux patrons catégorisés comme « exilés fiscaux » ou encore « surexploiteurs » des ressources de la planète, on retrouve là notre oxymore initial faisant d’eux des « mauvais » patrons plutôt que des « bons ».

On n’oubliera pas dans cette énumération à 360 degrés du métier patronal, le rôle que peut jouer « la femme du patron » dans la maisonnée économique que constitue l’aventure entrepreneuriale (héritée, achetée, créée ou assumée temporairement pour les patrons de grandes entreprises). On pourrait parler aussi du mari de la patronne car, si le métier de patron, bon ou mauvais, est encore masculin principalement, la féminisation très différentielle selon les secteurs est en marche.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

25.09.2025 à 19:44

Nicolas Sarkozy condamné à 5 ans de prison : une normalisation démocratique ?

Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Alliance Paris Lumières
Nicolas Sarkozy, condamné pour association de malfaiteurs dans l’affaire du financement libyen, sera incarcéré. Cette décision illustre l’indépendance croissante de la justice et l’application du principe d’égalité devant la loi.
Texte intégral (1758 mots)

L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a été jugé coupable d’association de malfaiteurs dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007. Condamné notamment à cinq ans de prison, il sera convoqué le 13 octobre pour connaître la date de son incarcération. Cet événement inédit dans l’histoire de France s’inscrit dans une évolution des pratiques de la magistrature qui s’est progressivement émancipée du pouvoir politique. Elle couronne le principe républicain, proclamé en 1789, mais longtemps resté théorique, d’une pleine et entière égalité des citoyens devant la loi.


Le 25 septembre 2025, Nicolas Sarkozy a été reconnu coupable d’association de malfaiteurs par le tribunal correctionnel de Paris, qui a considéré qu’il avait tenu un rôle actif dans la mise en place d’un dispositif de financement de sa campagne électorale de 2007 par les dirigeants libyens. Comme on pouvait s’y attendre, cette décision a immédiatement suscité l’ire d’une large partie de la classe politique.

Que l’on conteste la décision en soutenant qu’elle est injuste et infondée, cela est parfaitement légitime dans une société démocratique, à commencer pour les principaux intéressés, dont c’est le droit le plus strict – comme, d’ailleurs, de faire appel du jugement. Mais, dans le sillage de la décision rendue dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national, cette condamnation est aussi l’occasion, pour une large fraction des classes dirigeantes, de relancer le procès du supposé « gouvernement des juges ».

Certes, la condamnation peut paraître particulièrement sévère : 100 000 euros d’amende, cinq ans d’inéligibilité et surtout, cinq ans d’emprisonnement avec un mandat de dépôt différé qui, assorti de l’exécution provisoire, oblige le condamné à commencer d’exécuter sa peine de prison même s’il fait appel.

Toutefois, si on les met en regard des faits pour lesquels l’ancien chef de l’État a été condamné, ces peines n’apparaissent pas disproportionnées. Les faits sont d’une indéniable gravité : organiser le financement occulte d’une campagne électorale avec des fonds provenant d’un régime corrompu et autoritaire, la Libye, (dont la responsabilité dans un attentat contre un avion ayant tué plus de 50 ressortissants français a été reconnue par la justice), en contrepartie d’une intervention pour favoriser son retour sur la scène internationale…

Alors que la peine maximale encourue était de dix ans de prison, la sanction finalement prononcée ne peut guère être regardée comme manifestement excessive. Mais ce qui est contesté, c’est le principe même de la condamnation d’un responsable politique par la justice, vécue et présentée comme une atteinte intolérable à l’équilibre institutionnel.

Si l’on prend le temps de la mise en perspective historique, on constate pourtant que les jugements rendus ces dernières années à l’encontre des membres de la classe dirigeante s’inscrivent, en réalité, dans un mouvement d’émancipation relative du pouvoir juridictionnel à l’égard des autres puissances et, en particulier, du pouvoir exécutif. Une émancipation qui lui permet, enfin, d’appliquer pleinement les exigences de l’ordre juridique républicain.

L’égalité des citoyens devant la loi, un principe républicain

Faut-il le rappeler, le principe révolutionnaire proclamé dans la nuit du 4 au 5 août 1789 est celui d’une pleine et entière égalité devant la loi, entraînant la disparition corrélative de l’ensemble des lois particulières – les « privilèges » au sens juridique du terme – dont bénéficiaient la noblesse et le haut clergé. Le Code pénal de 1791 va plus loin encore : non seulement les gouvernants peuvent voir leur responsabilité mise en cause devant les mêmes juridictions que les autres citoyens, mais ils encourent en outre des peines aggravées pour certaines infractions, notamment en cas d’atteinte à la probité.

Les principes sur lesquels est bâti le système juridique républicain ne peuvent être plus clairs : dans une société démocratique, où chaque personne est en droit d’exiger non seulement la pleine jouissance de ses droits, mais d’une façon générale, l'application de la loi, nul ne peut prétendre bénéficier d’un régime d’exception – les élus moins encore que les autres. C’est parce que nous avons l’assurance que leurs illégalismes seront sanctionnés effectivement, de la même façon que les autres citoyens et sans attendre une bien hypothétique sanction électorale, qu’ils et elles peuvent véritablement se dire nos représentantes et représentants.

Longtemps, cette exigence d’égalité juridique est cependant restée largement théorique. Reprise en main et placée dans un rapport de subordination plus ou moins explicite au gouvernement, sous le Premier Empire (1804-1814), la magistrature est demeurée sous l’influence de l’exécutif au moins jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est pourquoi, jusqu’à la fin du siècle dernier, le principe d’égalité devant la loi va se heurter à un singulier privilège de « notabilité » qui, sauf situations exceptionnelles ou faits particulièrement graves et médiatisés, garantit une relative impunité aux membres des classes dirigeantes dont la responsabilité pénale est mise en cause. Il faut ainsi garder à l’esprit que la figure « du juge rouge », popularisée dans les médias à la fin des années 1970, vient stigmatiser des magistrats uniquement parce qu’ils ont placé en détention, au même titre que des voleurs de grand chemin, des chefs d’entreprise ou des notaires.

La donne ne commence à changer qu’à partir du grand sursaut humaniste de la Libération qui aboutit, entre autres, à la constitution d’un corps de magistrats recrutés sur concours, bénéficiant à partir de 1958 d’un statut relativement protecteur et d’une école de formation professionnelle spécifique, l’École nationale de la magistrature. Ce corps se dote progressivement d’une déontologie exigeante, favorisée notamment par la reconnaissance du syndicalisme judiciaire en 1972. Ainsi advient une nouvelle génération de juges qui, désormais, prennent au sérieux la mission qui leur est confiée : veiller en toute indépendance à la bonne application de la loi, quels que soient le statut ou la situation sociale des personnes en cause.

C’est dans ce contexte que survient ce qui était encore impensable quelques décennies plus tôt : la poursuite et la condamnation des notables au même titre que le reste de la population. Amorcé, comme on l’a dit, au milieu des années 1970, le mouvement prend de l’ampleur dans les décennies suivantes avec la condamnation de grands dirigeants d’entreprises, comme Bernard Tapie, puis de figures politiques nationales, à l’image d’Alain Carignon ou de Michel Noir, députés-maires de Grenoble et de Lyon. La condamnation d’anciens présidents de la République à partir des années 2010 – Jacques Chirac en 2011, Nicolas Sarkozy une première fois en 2021 – achève de normaliser cette orientation ou, plutôt, de mettre fin à l’anomalie démocratique consistant à réserver un traitement de faveur aux élus et, plus largement, aux classes dirigeantes.

Procédant d’abord d’une évolution des pratiques judiciaires, ce mouvement a pu également s’appuyer sur certaines modifications du cadre juridique. Ainsi de la révision constitutionnelle de février 2007 qui consacre la jurisprudence du Conseil constitutionnel suivant laquelle le président de la République ne peut faire l’objet d’aucune poursuite pénale durant l’exercice de son mandat, mais qui permet la reprise de la procédure dès la cessation de ses fonctions. On peut également mentionner la création, en décembre 2013, du Parquet national financier qui, s’il ne bénéficie pas d’une indépendance statutaire à l’égard du pouvoir exécutif, a pu faire la preuve de son indépendance de fait ces dernières années.

C’est précisément contre cette évolution historique qu’est mobilisée aujourd’hui la rhétorique de « la tyrannie des juges ». Une rhétorique qui vise moins à défendre la souveraineté du peuple que celle, oligarchique, des gouvernants.

The Conversation

Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

17 / 25

 

  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  Idées ‧ Politique ‧ A à F
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  Idées ‧ Politique ‧ i à z
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  ARTS
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
Fiabilité 3/5
Slate
Ulyces
 
Fiabilité 1/5
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
Regain
🌞