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01.04.2025 à 16:14

Lutte contre l’islamisme, laïcité : l’interdiction du voile dans le sport est-elle justifiée ?

Jean-François Loudcher, Professeur des universités en sciences historiques et sociales, Université de Bordeaux
Poussé par Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, le premier ministre François Bayrou s’est engagé à interdire le voile islamique dans les compétitions sportives. Entrisme islamique, respect de la laïcité : les arguments de la droite et de l’extrême droite sont-ils fondés ?
Texte intégral (1774 mots)

Le 18 février, une proposition de loi LR, adoptée par le Sénat, a marqué une étape importante en direction d’une interdiction du port du voile islamique dans les compétitions sportives. Poussé par Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, le premier ministre François Bayrou a promis d’accompagner la démarche des LR en proposant une loi à l’Assemblée nationale. Cette interdiction est-elle justifiée ? Le sport est-il soumis à l’entrisme islamiste comme l’affirment la droite et l’extrême droite et le voile en est-il son cheval de troie ?


Depuis la proposition de loi du LR Michel Savin sur l’interdiction du voile dans les compétitions sportives pour les fédérations ayant une délégation de service publique, le débat enflamme la classe politique et les réseaux sociaux. Si la droite considère que la neutralité s’impose dans le sport, la gauche dénonce une stigmatisation des sportives musulmanes et un dévoiement de la loi de 1905. Or, ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’examen de quelques articles de loi, mais plusieurs décennies de polémiques et de discussions autour d’une position particulière de la laïcité que la proposition LR cristallise.

Au sein du gouvernement, les clivages sont explosifs. La ministre des sports, Marie Barsacq, a mis en garde « contre les « confusions » et les « amalgames » entre port du voile et « radicalisation dans le sport ». Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur, s’est dit en « désaccord radical » avec la ministre des sports. Gérard Darmanin, ministre de la justice, favorable à l’interdiction du voile dans le sport, a fait pression sur le premier ministre, mettant sa démission dans la balance. François Bayrou inscrira bien cette interdiction dans un futur projet de loi.

Propositions de loi et enjeux politiques

La proposition de Michel Savin est la quatrième tentative du groupe LR. Il est l’aboutissment d’une longue offensive.

Dès 2019, Les Républicains ciblent la lutte contre le séparatisme et la « radicalisation islamiste » dans le sport suite à l’attentat de la Préfecture de police et l’assassinat de Samuel Patty l’année suivante en 2020. Ceci à travers la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République et celle du 2 mars 2022 « visant à démocratiser le sport en France ».

LR souhaite déjà interdire le voile dans les compétitions sportives mais l’opposition de Roxana Maracineanu, socialiste et ministre des sports de 2018 à 2022 (gouvernements d’Edouard Philippe et de Jean Castex) permet de repousser leurs offensives. La ministre propose le CER Contrat d’Engagement Républicain qui oblige les associations demandant des subventions à respecter certains principes de laïcité.


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Par ailleurs, les enquêtes initiées par la ministre relativisent la menace d’entrisme islamique. Sur 592 contrôles effectués par le biais des cellules de lutte contre l’islamisme radical et le repli communautaire (CLIR), seules 9 fermetures de clubs ont eu lieu.

Pourtant, en 2024, avec le soutien du gouvernement Attal, le groupe Les Républicains a l’opportunité de déposer une première proposition de loi en mars 2024, puis une seconde en juin. Le rapporteur, le sénateur LR Stéphane Piednoir, s’appuie sur les enquêtes de Roxana Maracineanu auxquelles il ajoute le résultat de 100 contrôles réalisés par le ministère des sports en 2022-2023. Ce dernier n’évoque pourtant que 6 cas de séparatisme.

Après la dissolution de l’AN de juin 2024, les députés d’Ensemble pour la république (EPR) tentent de récupérer l’initiative en déposant une troisième proposition de loi (le 29 octobre 2024) – sans succès.

La mission flash sur la laïcité dans le sport

Sous le gouvernement Bayrou, Les Républicains reviennent à la charge et déposent leur quatrième proposition de loi en février 2025.

Dans la foulée, le député Rassemblement national Julien Odoul prend l’initiative avec une « mission flash » qu’il co-dirige aux côtés de la députée EPR Caroline Yadan.

Le rapport est à charge, utilisant des informations parcellaires et orientées. Ainsi, il n’est pas mentionné la conclusion de l’enquête rendue par l’Institut des Hautes Etudes du Ministère de l’Intérieur qui précise que « les données collectées ne permettent pas de soutenir un rôle déterminé de la pratique sportive en soi ou de l’association sportive dans la radicalisation ».

Finalement, la mission flash envoie un message saturé de nombreux exemples et chiffres qui, mis bout à bout, font figure de démonstration. L’analyse du phénomène voile/entrisme est limitée mais la référence confuse au principe de laïcité fait figure de boussole.

Laïcité à la française et sport

Cette référence à la laïcité, régulièrement assénée dans les débats parlementaires et face aux associations défendant le port du voile, repose sur l’idée d’une neutralité existant en soi, inscrite dans le marbre de la loi de 1905. Or, l’analyse de cette loi montre une dynamique complexe. Cette législation se forme à partir de la proposition de Ferdinand Buisson, intransigeante, étendant la laïcité à tous les citoyens mais aussi avec celle d’Aristide Briand, plus tempérée, qui permet aux associations cultuelles (patronages, clubs de sport…) de fonctionner selon les règles de leur culte.

La laïcité « à la française » s’est construite sur un équilibre dynamique entre plusieurs tendances. On peut considérer qu’elle est désormais menacée par l’expression d’une neutralité plus radicale. En effet, la volonté de conciliation promue dans la loi de 2004, encore perpétuée dans la note de service sur l’abaya de 2023, ainsi que dans la proposition de l’Assemblée nationale d’octobre 2024 consistant à « saisir les organes disciplinaires compétents » à l’issue d’un « dialogue avec les intéressés », disparaît dans la proposition LR de Michel Savin.

Décrypter la proposition de loi de 2025

Finalement, la proposition de loi de février 2025 manque la cible de l’entrisme religieux pour deux raisons. D’une part, parce que, contrairement à la loi scolaire de 2004 dont elle s’inspire, la laïcité est à construire dans le sport, elle n’existe pas d’emblée. Il faut donc envisager la mise en œuvre de procédures pour y accéder sur le modèle du Contrat d’Engagement Républicain. D’autre part, la formulation de la proposition de loi est discutable. En effet, la notion de « signe » religieux renvoie à une « tenue » donc, et non à des attitudes ou démarches répréhensibles.

Le port seul du voile peut difficilement mettre en péril la République tant qu’il est du même ordre que « servir des repas sans porc dans les cantines aux élèves […] qui ne constitue évidemment pas une entrave au vivre ensemble dans le respect de règles de droit communes » selon les termes de Jean-Fabien Spitz. C’est bien l’intention de son affichage, par provocation, par choix personnel, par inadvertance ou par entrisme, dont on doit se saisir. Dès lors, la République doit montrer qu’elle sait faire ces différences et défendre les particularités.

Plutôt que d’interdire, il serait intéressant de légiférer sur les conditions d’autorisation du port du voile afin de construire cette « laïcité », laissant « saisir les organes disciplinaires compétents », autrement dit des structures spécialisées, « à l’issue d’un dialogue avec les intéressés » pour en juger la portée symbolique.

Rappelons enfin qu’en choisissant une interdiction du voile dans les compétitions sportives, la France serait particulièrement isolée parmi les nations du monde et d’Europe. Selon Amnesty International, il s’agirait du seul pays parmi 38 pays européens à le faire.

La proposition Savin liant port du voile et entrisme islamique et politique est à revoir. Indéniablement, des phénomènes de séparatisme et d’atteinte à la laïcité existent. Progressent-ils et dans quelle mesure sont-ils liés au sport ? Des études indépendantes fiables sur ce sujet doivent être menées.

The Conversation

Jean-François Loudcher ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

31.03.2025 à 19:44

« La condamnation de Marine Le Pen représente un progrès indéniable pour notre démocratie »

Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po
Marine Le Pen a été reconnue coupable de détournement de fonds publics et condamnée à quatre ans de prison et cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate. Cette décision de justice l’élimine probablement de la course à la présidentielle en 2027.
Texte intégral (1485 mots)

Marine Le Pen a été reconnue coupable de détournement de fonds publics et condamnée à quatre ans de prison et cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate. Malgré sa décision de faire appel, cette décision de justice l’élimine probablement de la course à la présidentielle en 2027. Le politiste Luc Rouban nous livre une analyse de ce fait politique majeur. Entretien.


The Conversation : La condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité avec application immédiate est une surprise et un choc. Certains juristes imaginaient une lourde peine mais doutaient que le juge, sous la pression, aille au bout de la logique d’inéligibilité – pourtant inscrite dans la loi

Luc Rouban : Oui c’est une surprise et je crois que le RN ne s’attendait pas à cette décision. C’est une forme de revanche de l’État de droit sur un certain style de vie politique qui fonctionnait à l’arrangement, à l’entre-soi pendant des décennies. C’est ce à quoi nous avaient habitués la période chiraquienne et la période mitterrandienne, faites de liaisons dangereuses entre le politique et certains membres de la classe économique. On pense aussi – bien sûr – à l’affaire Nicolas Sarkozy, plus récemment. Nous assistons aujourd’hui à un retournement historique. Marine Le Pen s’attendait sans doute à du sursis, à des peines un peu symboliques. Or cette condamnation n’est pas symbolique du tout. Elle ne s’inscrit plus dans cette vie politique à l’ancienne où l’on « s’arrange ».

Pour la démocratie, ce jugement est-il une bonne chose, avec une juge qui applique la loi sans trembler ? Ou est-ce un problème comme le disent Jordan Bardella, Eric Ciotti, Laurent Wauquiez, Jean-Luc Mélenchon, mais aussi Elon Musk, Viktor Orban, Geert Wilders, Matteo Salvini ou le Kremlin ?

L.R. : Ce jugement représente un effort pour que la démocratie aille mieux. La réaffirmation de l’État de droit est tout à fait indispensable et légitime. Le système démocratique français est très fragilisé, bien plus que dans d’autres pays européens. Le niveau de confiance des citoyens envers la classe politique et dans la justice est très bas, il doit être restauré. Cela passe notamment par le fait que la justice s’applique à des personnalités qui détournent des millions d’euros, et pas uniquement à des caissières de supermarché qui se font licencier et sont poursuivies au pénal pour le vol d’une barre chocolatée. Marine Le Pen condamnée, c’est un progrès indéniable de notre démocratie : c’est le signe que le rapport au politique change, que la politique est devenue une activité professionnelle comme une autre, soumise à des réglementations, à des lois.

Bien sûr, il y aura des attaques concernant la justice, on aura l’argument trumpiste du « gouvernement des juges ». Mais il faut rappeler que le juge n’a fait qu’appliquer la loi. Il faut aussi rappeler que ceux, dont Marine Le Pen, qui critiquent les peines d’inéligibilité avaient applaudi la loi Sapin 2, votée à l’unanimité en 2016 à la suite de l’affaire Cahuzac.


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Quel est l’avenir de Marine Le Pen et du RN ? Jordan Bardella est-il en capacité de remplacer Marine Le Pen ?

L.R. : Hors scénario incertain d’un jugement favorable en appel avant l’élection présidentielle, Marine Le Pen va certainement céder sa place de candidate du RN à Jordan Bardella. Mais Jordan Bardella est-il capable de remplacer Marine Le Pen ? C’est toute la question.

En interne, ce dernier n’a pas vraiment réussi à s’imposer vraiment au sein du parti, notamment pour renouveler les cadres et structurer le mouvement. Dès que Marine Le Pen s’est absentée – ce qui était le cas après le décès de son père – le parti semblait s’affaisser.

Par ailleurs, Jordan Bardella, c’est le dauphin et l’héritier de Marine Le Pen. Or la « normalisation » du parti pourrait passer par une forme de « délepénisation ». La famille Le Pen a totalement structuré ce parti, qui est très vertical, très organisé autour de sa personne, de son entourage immédiat. Il va y avoir une interrogation sur ce modèle oligarchique et sur cette verticalité, évidemment. Est-ce que Bardella va en faire les frais ? D’autres leaders du RN, comme Sébastien Chenu ou Jean-Philippe Tanguy, qui se sont imposés sur la scène médiatique, peuvent tenter de le devancer dans la course à la présidentielle. Cela supposerait pourtant une rupture avec Marine Le Pen dans un parti où les dissidents sont vite exclus. La probabilité d’une telle contestation reste donc faible.

Quid de Marion Maréchal ? Pourrait-elle prendre la relève ?

L.R. : Je n’y crois pas car elle joue la carte du trumpisme, elle met mal à l’aise au RN. L’électorat RN est trop attaché à la souveraineté de la France, il a évolué vers une forme de droite sociale éloignée du libéralisme pur et dur. L’électorat de Reconquête ! est plus bourgeois, plus âgé, plus diplômé, plus fortuné que celui du RN.

Le RN va-t-il tirer un bénéfice de ce procès ou perdre des électeurs ?

L.R. : Il est possible que certains abstentionnistes dont la sociologie est proche des électeurs du RN expriment leur mécontentement face à la condamnation de Marine Le Pen en choisissant de voter pour le futur candidat du Rassemblement national.

Mais du côté des catégories moyennes diplômées supérieures de droite qui ont voté RN au législatives de 2024, le vote pourrait se reporter sur Les Républicains.


À lire aussi : Droite et extrême droite : quand les idées fusionnent


Par ailleurs, quel que soit le candidat futur du RN, va se poser un problème de soutiens. Pour gagner une élection présidentielle, il faut avoir des appuis dans le monde économique. Or traîner un parti dont les principaux dirigeants ont été condamnés au pénal n’est pas une bonne carte de visite. Au fond, le RN était déjà isolé des élites sociales. Il pourrait l’être encore plus demain.

Comment l’opinion pourrait réagir à cet événement majeur qui prive des millions d’électeurs de leur candidate ? Doit-on s’attendre à des réactions populaires, éventuellement violentes ?

L.R. : Du côté de la société en général, il y aura peut-être des réactions épidermiques pendant un temps, des incidents isolés, mais je ne pense pas qu’il y ait des mouvements de masse comme dans les années 30. Le manque d’enthousiasme pour la vie politique est patent : qui va prendre des risques physiques et s’engager dans des actions violentes pour défendre un parti politique et sa représentante ? Pas grand monde je pense.


Entretien réalisé par David Bornstein.

The Conversation

Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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