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24.04.2025 à 17:44

La mission Biomass, un satellite pour mieux comprendre comment les forêts stockent (et émettent) du carbone

Thuy Le Toan, Chercheuse principale de la mission BIOMASS, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Alexandre Bouvet, Ingénieur de recherche en télédétection de la végétation, Institut de recherche pour le développement (IRD)
La mission Biomass a décollé de Kourou (Guyane), le 29 avril. Elle permettra de cartographier la végétation à la surface de la Terre, notamment pour affiner les bilans carbone liés à la déforestation.
Texte intégral (2067 mots)
Le satellite Biomass a été lancé dans l’espace, le 29 avril 2025. Il pèse 1 250kg et son antenne possède un diamètre de 12 mètres. ESA/ATG medialab , CC BY-SA

Le 29 avril, le satellite Biomass a été lancé avec succès depuis le port spatial européen de Kourou, en Guyane, par le lanceur européen Vega C. Son orbite à 666 kilomètres d’altitude lui permettra de mesurer avec une précision sans précédent la quantité de carbone stockée dans les forêts et son évolution dans le temps, afin de nous aider à mieux quantifier le cycle du carbone et, ainsi, de mieux définir des mesures d’atténuation du changement climatique.


Alors que les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone atteignent des niveaux sans précédent, l’accord de Paris (2015) encourage à mettre en place des mesures visant à réduire les émissions et à accroître les absorptions par les forêts, un des leviers majeurs pour atténuer les émissions de carbone dues aux activités humaines. Il est essentiel que la mise en œuvre de ces mesures s’appuie sur une meilleure quantification des variables forestières clés, notamment les pertes et les gains de biomasse forestière, afin de mieux comprendre les processus anthropiques et naturels qui contrôlent les émissions et les absorptions de CO2.

C’est la mission que doit relever Biomass, un satellite de l’Agence spatiale européenne (ESA, en anglais), conçu spécifiquement pour répondre à des questions scientifiques cruciales sur le système terrestre, essentielles à la recherche sur le climat et à la surveillance de notre environnement.

Biomass embarque un instrument jamais envoyé dans l’espace : un radar à synthèse d’ouverture (SAR) en bande P. Grâce à sa grande longueur d’onde (environ 70 cm), la plus grande disponible pour l’observation de la Terre, le signal radar peut pénétrer toute la strate forestière pour mesurer la biomasse, c’est-à-dire la masse des troncs, des branches et des tiges ligneuses, où les arbres stockent la majeure partie de leur carbone.

Ainsi, Biomass va fournir des estimations à l’échelle de l’hectare des stocks de carbone et de la dynamique des pertes dans des zones forestières largement sous-observées et vulnérables du monde entier, comme les forêts tropicales. Outre ses capacités d’observation, Biomass permettra donc d'améliorer notre compréhension de la dynamique forestière, conduisant ainsi à une meilleure représentation de la mortalité, des perturbations et de la croissance, améliorant ainsi le pronostic des trajectoires futures du cycle du carbone terrestre.

De plus, grâce à sa longueur d’onde inédite, la mission doit fournir des données d’observation sans précédent sur les calottes glaciaires, les déserts, l’ionosphère (couche supérieure de l’atmosphère), la topographie sous la forêt, ainsi que, nous l’espérons, d’autres découvertes à venir.

Les forêts jouent un rôle crucial dans le cycle mondial du carbone

Les forêts jouent un rôle crucial dans le cycle du carbone et le climat. Elles agissent comme des puits de carbone, en absorbant, grâce à la photosynthèse, le dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère et en le stockant dans la biomasse et le sol.

La capacité des forêts à séquestrer le carbone est immense, puisque celles-ci retiennent environ 70 % du carbone total des écosystèmes terrestres. Les forêts tropicales humides, en particulier, détiennent les plus importants stocks de carbone sur Terre (environ 50 % du carbone total de la végétation).

L’importance de ces forêts rend leur conservation et leur gestion durable essentielles pour atténuer le changement climatique.

Les forêts sont également d’importantes sources de carbone. Par le biais de perturbations naturelles telles que les incendies de forêt, les ravageurs ou la mortalité due à la sécheresse, mais surtout par les processus de déforestation et de dégradation dus aux activités humaines, elles libèrent dans l’atmosphère le carbone stocké dans les arbres. Ces émissions de CO2 connaissent de fortes variations d’une année à l’autre. Par exemple, les conditions de sécheresse liées aux épisodes climatiques El Niño, comme en 2015-2016 ou 2023-2024, exacerbent les émissions dues à la déforestation et aux incendies de forêt, tout en entraînant une réduction de la capacité d’absorption de carbone des forêts.

La quantification de la biomasse sur Terre, et de ses variations dans le temps, est essentielle pour réduire les incertitudes sur les émissions de CO2 par les forêts.

Une contribution de la forêt au cycle du carbone encore mal quantifiée

Dans le bilan carbone mondial publié chaque année par le Global Carbon Project, les plus grandes incertitudes concernent les flux de carbone des écosystèmes terrestres, dont les forêts mais aussi les savanes ou les prairies : il est difficile de savoir précisément combien de CO2 les forêts et les autres systèmes terrestres émettent et absorbent.

En effet, aujourd’hui, on connaît mal les émissions des écosystèmes terrestres liées aux changements d’usage des terres (par exemple, la déforestation) : on les estime à 1,1 ± 0,7 gigatonne de carbone par an soit une incertitude de 63 % ! Pour obtenir ces chiffres, l’approche utilisée pour l’instant consiste à multiplier la surface des zones de déforestation par des estimations régionales de la quantité de carbone stocké sous forme de biomasse (de manière empirique, le carbone représente la moitié de la biomasse).

À l’échelle mondiale, la répartition de la biomasse est encore assez mal connue. Pour les forêts tropicales, dont la plupart ne font pas l’objet d’inventaires forestiers, les mesures de biomasse issues de placettes de recherche écologique (des surfaces délimitées dans lesquelles des inventaires de végétation sont effectués) sont transposées à l’échelle régionale. Il est reconnu que les lacunes dans la connaissance actuelle du cycle du carbone terrestre résultent majoritairement d’un échantillonnage clairsemé et biaisé dans ces régions tropicales à flux et stockage élevés.

Quant aux puits de carbone terrestre (le fait que les écosystèmes terrestres, dont les forêts, absorbent du CO2), les estimations sont issues de la modélisation, et les incertitudes publiées reflètent seulement la dispersion des résultats d’une vingtaine de modèles.

Biomass relève le défi de la mesure de biomasse des forêts tropicales

Les méthodes traditionnelles de mesure de la biomasse, telles que les inventaires forestiers, ne permettent pas de cartographier à grande échelle. Les images des satellites existants ont été utilisées individuellement ou en combinaison pour produire des cartes de biomasse mondiale. Bien que ces produits soient actuellement utilisés, ils ne répondent pas à l’ensemble des besoins exprimés par la communauté scientifique : les cartes obtenues ne sont pas assez précises spatialement, et ils ne permettent pas de caractériser la structure des forêts denses et de mesurer leur biomasse.

Biomass va fournir des mesures radar basse fréquence pour la première fois depuis l’espace. Celles-ci répondent aux besoins scientifiques, à savoir une grande sensibilité à la biomasse des forêts tropicales denses ; des estimations à l’échelle de l’hectare, qui est l’échelle effective de la variabilité forestière ; une couverture spatiale continue des régions forestières tropicales et subtropicales avec des mesures répétées sur plusieurs années ; une précision de 20 % des produits de biomasse et de hauteur, comparable aux observations au sol, afin de garantir la fiabilité des résultats scientifiques et de contribuer à l’élaboration de mesures d’atténuation du changement climatique.

Outre l’utilisation du radar à grande longueur d’onde, Biomass offre des avancées majeures dans l’utilisation de trois technologies complémentaires pour fournir des informations sur les propriétés 3D des forêts :

  • la polarimétrie (exploitation de la polarisation des ondes électromagnétiques dans une image),

  • l’interférométrie polarimétrique (utilisation de la polarimétrie et de la différence de phase entre deux images)

  • et la tomographie (reconstruction 3D en utilisant plusieurs images prises depuis différents points de vue, comme dans les scanners médicaux).

Ces techniques permettent des mesures innovantes pour maximiser la sensibilité à la biomasse tout en minimisant les effets perturbateurs, par exemple la topographie, l’humidité du sol, ou les effets parasites issus de la traversée de certaines couches de l’atmosphère.

Par exemple, pendant la phase tomographique, l’orbite du système sera ajustée pour collecter plusieurs acquisitions sur les mêmes sites, avec un intervalle de répétition de trois jours. Ceci permettra une reconstruction de la structure verticale de la forêt.

En effet, les travaux effectués pendant la phase de préparation avec des radars aéroportés en bande P ont montré qu’à partir des signaux en provenance des strates forestières identifiées par tomographie, il était possible d’estimer la hauteur de la canopée, la topographie sous-jacente et la biomasse aérienne (partie de la biomasse située au-dessus du sol, par opposition à la biomasse souterraine des racines). La densité de biomasse a pu ainsi être cartographiée jusqu’à 500 tonnes de masse végétale par hectare, soit approximativement 250 tonnes de carbone par hectare. À titre d’exemple, la biomasse des parcelles de pins maritimes dans la forêt des Landes n’excède pas 150 tonnes par hectare, et celle d’une forêt boréale en Suède ne dépasse pas 250 tonnes par hectare.

Nous attendons maintenant avec impatience les premières données de Biomass, à la fin de 2025. Les scientifiques prévoient de les utiliser pour réduire les incertitudes liées aux estimations des stocks et des flux de carbone forestier, et pour améliorer les modèles de prévision de la capacité des forêts à absorber du carbone, sous l’effet du changement climatique et des pressions anthropiques.

The Conversation

Thuy Le Toan a reçu des financements de l'Agence Spatiale Européenne (ESA), du Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) pour mener des recherches en tant que co-chercheuse principale de la mission BIOMASS

Alexandre Bouvet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

23.04.2025 à 16:33

Athlètes de haut niveau : prendre en compte leurs émotions pour gérer au mieux les périodes de transition

Jérôme Visioli, Maître de Conférences STAPS, Université de Bretagne occidentale
Une carrière d’athlète de haut niveau est jalonnée de périodes de transition, de la découverte de sa discipline jusqu’à sa retraite. Des évolutions qui peuvent produire des émotions complexes à gérer.
Texte intégral (2031 mots)

Une carrière d’athlète de haut niveau est jalonnée de périodes de transition, de la découverte de sa discipline jusqu’à sa retraite. Pour faciliter ces évolutions, il semble indispensable de mieux analyser toutes les émotions ressenties.


Dans les carrières sportives, les émotions jouent un rôle central. Au-delà de la joie intense associée à la réussite et au dépassement de soi, certains récits d’athlètes illustrent la fragilité psychologique qui peut émerger sous la pression constante du haut niveau. Par exemple, le footballeur Thierry Henry a révélé avoir souffert de dépression pendant sa carrière. Il s’agit d’une confession encore rare parmi les sportifs, même si d’autres témoignages marquants ont émergé dans les médias, comme ceux de la gymnaste Simone Biles ou du nageur Michael Phelps.

Les émotions sont un élément fondamental de l’expérience du sport de haut niveau, à tel point qu’elles façonnent les trajectoires des athlètes. Elles jouent un rôle particulièrement visible lors des périodes de transition. En 2022, Roger Federer met fin à sa carrière. Une photo devenue iconique le montre en larmes, main dans la main avec Rafael Nadal, tous deux submergés par l’émotion. Cette image illustre la puissance émotionnelle de ces moments charnières, même pour les figures les plus emblématiques du sport.

Pourtant, jusqu’à présent, les émotions restent souvent peu prises en compte dans l’accompagnement des sportifs de haut niveau, ce qui révèle un paradoxe et souligne la nécessité d’un changement d’approche. Les enjeux sont d’importance, tant en termes de performance que de santé.

Nos recherches s’inscrivent dans cette perspective, en cherchant à décrire, comprendre et accompagner les émotions des athlètes lors des transitions dans les carrières sportives de haut niveau.

Les émotions associées aux transitions dans les carrières sportives

Les carrières sportives de haut niveau ne sont pas linéaires, mais jalonnées de transitions qui influencent l’expérience des athlètes, leur rapport à soi, aux autres, plus globalement encore leur relation au monde.

Dans son sens général, la transition correspond au passage d’un état à un autre, d’une situation à une autre. Elle se situe à proximité des termes de changements, de mutations, de crise(s) et d’épreuves. Il est classique d’envisager six grandes étapes transitionnelles dans la carrière des athlètes : le début de la spécialisation, le passage à un entraînement intensif, l’entrée dans le haut niveau, la professionnalisation, le déclin des performances et l’arrêt de carrière.

Ces transitions, qu’elles soient normatives (prévisibles) ou non normatives (imprévues), ne sont jamais dénuées de résonance émotionnelle. Par exemple, l’entrée dans le haut niveau peut générer de l’excitation, de la fierté, tandis qu’une blessure peut susciter frustration, peur ou découragement. L’expérience de ces transitions est singulière à chaque athlète : les significations qu’ils attribuent à ces moments clés façonnent leur potentiel à surmonter les obstacles et à maintenir leur engagement. Cela nécessite de l’individu la mise en œuvre de stratégies d’adaptation plus ou moins conscientes.

Dans nos recherches, nous menons des entretiens approfondis portant sur le « cours de vie » des sportifs de haut niveau. En prenant appui sur une frise chronologique représentant les moments marquants de leur carrière, nous les accompagnons progressivement dans la mise en évidence de périodes charnières, puis dans l’explicitation de leur expérience. L’objectif est de reconstruire la dynamique de leurs émotions tout au long de leur parcours sportif, afin de mieux comprendre comment ils vivent, interprètent et traversent ces transitions.

Les émotions dans la carrière d’un pongiste de haut niveau

Nous avons réalisé une première étude avec un pongiste français de haut niveau, dont le témoignage met en lumière les émotions marquantes d’une carrière de plus de vingt ans. Après une progression rapide dans ce sport, l’intégration dans l’équipe de France constitue une source de grande fierté : « Je commence à avoir des rapports privilégiés avec le champion du monde », se souvient-il. Cette transition, de jeune espoir à membre reconnu de l’équipe suscite un optimisme débordant. Elle ouvre un large champ des possibles pour le pongiste, par exemple celui de pouvoir participer aux Jeux olympiques.

Toutefois, les transitions ne sont pas toujours vécues de manière positive. Après cette progression vers le haut niveau, le pongiste fait face à une blessure : « C’est une année pourrie à cause de ça », raconte-t-il. Plus tard dans sa carrière, après un départ à l’étranger, il vit une période de doute et de remise en question :

« Pendant trois mois, je ne gagne pas un set, et j’ai l’impression de ne plus savoir jouer. Tous les matins, je me lève pour aller m’entraîner et, dès qu’il y a un petit grain de sable, j’explose. Je ne suis plus sélectionné en équipe de France. Tu te dis, c’est fini. »

Avec l’aide d’un nouvel entraîneur, il reprend progressivement confiance, en acceptant d’abord de jouer à un niveau inférieur. Plus tard, conscient de l’élévation du niveau international, il réoriente ses ambitions :

« Je me dis que je vais essayer de vivre les belles choses qui restent à vivre, notamment des titres de champion de France. »

Le pongiste accepte de ne plus viser les compétitions internationales les plus prestigieuses, mais s’engage dans un projet plus personnel et accessible, nourrissant ainsi un épanouissement renouvelé jusqu’à la fin de sa carrière. Ces quelques extraits issus d’une étude de cas beaucoup plus large, illustrent au fur et à mesure des transitions successives l’émergence d’une passion, l’expérience du burn out, ou encore un fort potentiel de résilience.

Les émotions dans la carrière d’une planchiste de haut niveau

Nous avons réalisé une deuxième étude (en cours de publication) portant sur le parcours d’une planchiste de haut niveau en planche à voile. Après une non-qualification aux Jeux olympiques de Sidney, malgré son statut de première au classement mondial, elle vit une expérience difficile : « Tout le monde me voyait aux Jeux », confie-t-elle. Cet échec, difficile à accepter, permet une prise de conscience cruciale : sa stratégie était trop centrée sur elle-même, sans tenir compte de ses adversaires. Cela devient un moteur de sa progression : « Là, je me dis, les prochains Jeux, j’y serai. »

Quatre ans plus tard, elle remporte l’or aux JO d’Athènes, fruit d’une préparation méticuleuse. Mais cette victoire, loin de marquer la fin de son parcours, génère des questionnements sur la suite de sa carrière. L’épuisement physique et la diversification des aspirations personnelles la poussent à envisager une reconversion : « Pourquoi continuer ? », se demande-t-elle. Le changement de matériel (une nouvelle planche) est également problématique pour cette sportive. Cette période débouche sur un échec aux JO de Pékin qu’elle vit douloureusement. Mais simultanément, « c’est une véritable libération », affirme-t-elle, se rendant compte qu’elle était prête à quitter la compétition de haut niveau.

Elle choisit alors de se réinventer en devenant cadre technique, transmettant son expérience aux jeunes athlètes :

« Je veux qu’on me voie autrement, pas comme une athlète, mais comme quelqu’un qui transmet. Je vais reprendre rapidement du plaisir à accompagner les jeunes. Je vais pouvoir transmettre mon expérience, je vibre à travers les athlètes. »

Cette transition met en lumière un fort potentiel de résilience et une capacité à se réinventer en dehors de la compétition, ouvrant ainsi une nouvelle voie à l’épanouissement personnel et professionnel. Ces quelques extraits illustrent l’ambivalence des défaites et des victoires, l’alternance d’émotions positives et négatives au fur et à mesure des transitions, et un fort potentiel de résilience.

Prendre en compte les émotions pour accompagner les sportifs dans leurs transitions

Nos recherches actuelles sur les carrières sportives, principalement celles des athlètes ayant participé aux Jeux olympiques, visent à analyser les similitudes et différences en termes d’émotions dans l’expérience des transitions. Nous nous efforçons de multiplier les études de cas afin de mieux comprendre à la fois la singularité des trajectoires individuelles et les éléments de typicalité. Ces études permettent de mieux comprendre l’impact du contexte (social, culturel, institutionnel), des relations interpersonnelles (entraîneurs, coéquipiers, famille), des caractéristiques sportives (type de sport, exigences spécifiques), ainsi que des caractéristiques individuelles (sensibilité, culture) sur l’expérience des transitions.

Nos recherches offrent des points de repère précieux pour penser et ajuster l’accompagnement des athlètes. Il est intéressant de travailler en amont des transitions pour les anticiper, pendant cette période, mais aussi après. Des dispositifs reposant sur les entretiens approfondis, permettent aux sportifs de mettre en mots leurs émotions, de les partager, de donner sens à leur expérience des transitions, d’envisager des stratégies d’adaptation.

Également, lorsqu’un sportif écoute le récit d’un autre athlète, il peut identifier des situations similaires, des émotions partagées ou des stratégies communes, ce qui favorise la transférabilité de l’expérience et peut nourrit sa propre progression.

Enfin, sensibiliser les entraîneurs et les structures sportives à la dimension émotionnelle est essentiel pour favoriser l’épanouissement des athlètes à tous les stades de leur parcours. À ce titre, l’intégration de cette thématique dans les formations constitue un levier important.

D’ailleurs, cette réflexion gagnerait à être étendue à l’analyse des carrières des entraîneurs de haut niveau, eux aussi confrontés à de nombreuses transitions au cours de leur parcours. Mieux comprendre le rôle des émotions dans ces étapes charnières permettrait d’éclairer les enjeux spécifiques de leur trajectoire professionnelle, souvent marquée par l’instabilité, l’adaptation constante et des remises en question profondes.

The Conversation

Jérôme Visioli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

21.04.2025 à 08:11

La Voie lactée a-t-elle perdu les trois quarts de sa masse ?

François Hammer, Astronome, membre du laboratoire LIRA, labellisé Domaine d'Intérêt Majeur ACAV+ par la Région Ile-de-France, Observatoire de Paris
François Vannucci, Professeur émérite, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos, Université Paris Cité
Pour la première fois, on constate une décroissance des vitesses orbitales en fonction de la distance au centre galactique, ce qui implique une quantité de matière sombre beaucoup plus faible.
Texte intégral (2186 mots)
De nouvelles observations éclairent notre vision de la Voie lactée. Nathan Jennings/Unsplash, CC BY

Le satellite Gaia a mesuré les positions et les vitesses d’un grand nombre d’étoiles appartenant au disque de notre galaxie. Pour la première fois, on constate une décroissance des vitesses orbitales en fonction de la distance au centre galactique dans la région du halo sombre, ce qui implique une quantité de matière sombre (aussi appelée matière noire) beaucoup plus faible que ce qui était admis jusque-là.


Notre galaxie, classiquement appelée la Voie lactée, est formée d’une multitude d’étoiles, plus de cent milliards, que notre œil ne peut pas distinguer d’où son apparence « laiteuse ». C’est une grande galaxie spirale et la majorité des étoiles, en particulier notre Soleil, se répartissent dans un disque de près de 100 000 années-lumière de diamètre. Mais il y a beaucoup plus dans la galaxie.

Tout d’abord il existe des nuages de gaz où se formeront les nouvelles étoiles ainsi que des poussières. De plus, il faut aussi ajouter la très énigmatique masse manquante ou sombre qu’on retrouve à toutes les échelles de l’Univers.

L’observation du fond diffus cosmologique (en anglais Cosmic Microwave Background, CMB) apporte des contraintes physiques sur la présence de matière sombre dans l’Univers. La collaboration Planck fit une mesure précise de ce fond, qui a été comparé à un ensemble de données pour en faire un modèle très précis. La conclusion est que seulement 5 % du contenu de l’Univers est constitué de matière ordinaire, les 95 % inconnus se répartissant entre deux composantes invisibles : 25 % sous forme de matière sombre et 70 % d’énergie sombre encore plus mystérieuse.

La matière sombre est une composante insensible à toute interaction sauf la gravitation. Elle n’émet aucun rayonnement et n’interagit avec le reste de la matière que par les effets de sa masse.


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Les courbes astronomiques de rotation

Au niveau de la formation des galaxies, ce serait la masse sombre, qui n’étant affectée que par la gravitation, s’est structurée en premier dans ce qu’on appelle le halo sombre, plus ou moins sphérique, dont les dimensions dépassent de beaucoup celles de la masse visible. Cette dernière s’est accumulée par la suite dans ces halos de matière sombre.

Cette hypothèse a été confirmée, dans les années 1970, par l’astronome américaine Vera Rubin, et l’astronome franco-néerlandais Albert Bosma grâce à la mesure des courbes de rotation d’étoiles ou de gaz froid qui orbitent autour du centre. Ces courbes montrent la variation de la vitesse de rotation en fonction du rayon de l’orbite. Notons que, dans le disque, les orbites sont quasi circulaires. Un exemple typique est donné dans la figure ci-dessous.

La vitesse de rotation observée n’est pas en accord avec celle calculée en prenant en compte uniquement la matière ordinaire. Fourni par l'auteur

On y voit que les étoiles visibles se répartissent dans une région concentrée et leur vitesse de rotation décroît rapidement dès 30 000 années-lumière, en accord avec la gravitation de Newton.

C’est une vérification de la deuxième loi de Kepler : les vitesses de rotation décroissent comme l’inverse de la racine carrée de la distance au centre d’attraction. Cette loi se vérifie déjà dans le cas des planètes qui tournent de moins en moins rapidement à mesure qu’elles sont plus éloignées du Soleil. Mais si l’on examine la galaxie dans son ensemble, la masse sombre donne une composante qui s’étend bien au-delà. Les courbes de rotation semblent plates, on ne constate pas de décroissance de la vitesse jusqu’à des distances approchant 100 000 années-lumière.

Les vitesses de rotation se mesurent par l’effet Doppler qui se traduit par un décalage du rayonnement des objets examinés vers les fréquences basses (le rouge pour le spectre visible). Pour la Voie lactée, notre Soleil est à l’intérieur du disque et c’est un grand défi d’analyser des mouvements d’étoiles pour lesquels les lignes de visée sont transverses et changeantes. C’est ce qu’a su résoudre Gaia, un satellite lancé fin 2013 par l’Agence spatiale européenne (acronyme anglais, ESA).

Les données de Gaia

Gaia est un satellite astrométrique, c’est-à-dire qu’il mesure les mouvements dans le ciel de plus d’un milliard d’étoiles en les observant à diverses époques. Près de 33 millions d’étoiles ont été aussi observées en spectroscopie pour mesurer leurs vitesses radiales, c’est-à-dire leurs mouvements dans notre direction. Avec deux vitesses dans le plan du ciel et la vitesse radiale, cela donne en trois dimensions les vitesses et les positions de 1,8 million d’étoiles du disque galactique.

Connaître les mouvements dans toutes les directions apporte une mesure beaucoup plus précise de la courbe de rotation caractérisant notre galaxie.

Le résultat de Gaia est donné sur la figure ci-dessous. On y voit une décroissance qui suit la loi de Kepler, depuis le bord du disque visible à environ 50 000 années-lumière jusqu’à 80 000 années-lumière. C’est la première fois que l’on détecte un tel déclin képlérien pour une grande galaxie spirale.

Résultats obtenus par Gaia. Fourni par l'auteur

Avec ce profil mesuré, on peut déduire une masse totale de la galaxie d’environ 200 milliards de masses solaires, avec une incertitude de 10 %. La masse de la Voie lactée était auparavant estimée à 1 000 milliards de masses solaires, cinq fois plus.

Avec une masse de matière ordinaire (étoiles et gaz) de près de 60 milliards de masses solaires, le rapport masse invisible/masse ordinaire est à peine supérieure à 2, très inférieur à ce qui est connu pour les autres galaxies spirales où on trouve un rapport entre 10 et 20. Ceci est à comparer avec le rapport 5, indiqué en préambule, mesuré pour l’Univers global à l’aide du fond cosmologique.

Pourquoi notre galaxie aurait-elle une dynamique différente des autres galaxies spirales ? Les galaxies spirales ont une histoire compliquée. On a d’abord pensé qu’elles se formaient lors d’un effondrement primordial aux premières époques de l’Univers. On sait depuis les années 2010 que les galaxies actuelles n’ont pas pour origine la première structuration de la matière, mais qu’elles découlent d’une série de collisions entre galaxies plus jeunes, capables de former les grands disques spiraux observés.

La dynamique d’aujourd’hui dépend donc de l’histoire de ces collisions. Or, notre galaxie a connu une histoire relativement calme avec une grande collision il y a 9 milliards à 10 milliards d’années. Ceci explique que le disque externe, dans lequel les étoiles suivent des orbites quasi circulaires, soit à l’équilibre. Pour la grande majorité des galaxies spirales, la dernière collision est advenue beaucoup plus tardivement, il y a seulement 6 milliards d’années.

Finalement, on peut dire que non seulement la galaxie n’a pas perdu les trois quarts de sa masse, mais la nouvelle évaluation de la matière sombre présente donne un résultat qui remet en question certaines certitudes cosmologiques. La quantité locale de masse sombre s’avère très inférieure à ce qu’on trouve à d’autres échelles de l’Univers, peut-être du fait de l’histoire spéciale de notre galaxie.

Cela résonne avec un épisode du règne de Louis XIV. Il demanda à ses astronomes une nouvelle cartographie du pays à partir de données astronomiques, suivant une recette imaginée par Galilée. La méthode était beaucoup plus précise que celle fournie par les arpenteurs, mais la carte ainsi obtenue se révéla très surprenante. Elle montra un rétrécissement notable du royaume sur le flanc de la côte ouest et le roi, irrité, aurait déclaré : « Mes astronomes ont fait perdre à la France plus de territoires que tout ce qu’avaient gagné mes militaires. »

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

16.04.2025 à 10:14

Comment la Lune s’est-elle formée ?

Guillaume Paris, Géochimiste, chargé de recherche CNRS au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy, Université de Lorraine
La Lune serait née d’un immense cataclysme : la collision entre notre planète et une autre, aujourd’hui disparue, appelée Théia.
Texte intégral (1255 mots)

*La Lune serait née d’un immense cataclysme : la collision entre notre planète et une autre, aujourd’hui disparue, appelée Théia. *


La Lune est là, au-dessus de nous, toujours changeante, parfois absente et pourtant toujours présente. Saviez-vous qu’elle n’a pas toujours été là ? En effet, la Terre, à sa naissance, n’était pas accompagnée de son satellite. Comment s’est-elle formée ? Qui donc, en la regardant, pourrait imaginer le cataclysme qui est à son origine ?

Pour répondre à cela, il nous faut remonter loin, très loin dans le temps, peu de temps après la formation du système solaire, qui débuta voilà environ 4,567 milliards d’années. Des poussières, des gaz et des débris de glace tournent autour du Soleil, s’accrètent, s’agglutinent, commencent à former des petits corps qui grossissent peu à peu. Entre ces planétésimaux et autres embryons planétaires, c’est la guerre. Ils tournent autour du Soleil avec des trajectoires qui peuvent se croiser les unes les autres. Ils entrent en collision, explosent, fondent sous le choc, se reforment.

C’est dans ce contexte un peu chaotique que se stabilisent les futures Vénus, Mercure, Mars… proches du Soleil. Et, bien sûr, la future Terre, que les scientifiques imaginent dépourvue de Lune à sa naissance. Peu à peu, la Terre s’approche de sa taille actuelle.

Environ 60 millions d’années après la formation du système solaire, une autre planète, probablement de la taille de Mars, croise le chemin de la Terre et la percute brutalement. Ce corps céleste a été baptisé Théia, du nom du Titan mère de Séléné, déesse de la Lune dans la mythologie grecque. Sous le choc ce cet impact géant, Théia est pulvérisée, une partie de la Terre aussi.

Schéma de l’hypothétique impact géant entre la Terre et Théia
Schéma de l’hypothétique impact géant entre la Terre et Théia. Charlestpt/Wikipedia, CC BY

Instantanément, la surface de la Terre fond, probablement sur des centaines de kilomètres de profondeur, générant ainsi un nouvel océan de magma dont le refroidissement et la réorganisation chimique auraient peu à peu donné naissance au manteau terrestre, ainsi qu’aux océans et à l’atmosphère. Suite à ce cataclysme, les débris de Théia et des morceaux de la Terre auraient refroidi en se mettant en rotation autour de la Terre. Peu à peu, une partie d’entre eux se serait accrétée pour donner naissance à la Lune.


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Bien sûr, on ne peut pas être sûr, et il existe différentes théories. Des scientifiques ont suggéré que la Lune aurait pu se former indépendamment avant d’être « capturée » dans l’orbite de la Terre, ou bien s’accréter en même temps que la Terre. D’autres ont proposé que la Lune se serait « arrachée » d’une jeune Terre qui tournait trop vite sur elle-même. Mais ces deux hypothèses n’arrivent pas à expliquer un certain nombre d’aspects que nous connaissons des compositions de la Terre et de la Lune, comme le fait que cette dernière est plus pauvre en fer, ou encore l’orbite et les paramètres de rotation de la Terre et son satellite. À l’inverse, la théorie de l’impact géant permet d’expliquer la pauvreté en eau de la Lune par rapport à la Terre, même si elle est sans doute moins sèche que ce que les scientifiques ont longtemps pensé. Enfin, cette théorie permet aussi d’expliquer pourquoi la Lune s’éloigne peu à peu de la Terre de 3,8 centimètres par an.

Ainsi, initialement proposée en 1946, la théorie s’est imposée dans les années 1970, notamment suite au retour d’échantillons lunaires de la mission Apollo 11. Depuis, l’hypothèse de l’impact géant est celle qui fait le plus consensus, même si certaines observations résistent encore à cette théorie. Quel sera le mot de la fin ? Pour le moment, Lune ne le sait !

The Conversation

Guillaume Paris a reçu des financements de CNRS Terre et Univers et de l'ANR.

16.04.2025 à 10:13

70 ans après la mort d’Einstein, une horloge atomique sur la station spatiale internationale pour tester la relativité générale

Didier Massonnet, Chef de projet Pharao, Centre national d’études spatiales (CNES)
Martin Boutelier, Centre national d’études spatiales (CNES)
Soixante-dix ans après la mort d’Albert Einstein, les scientifiques travaillent toujours activement à vérifier les prédictions de la relativité générale, toujours aussi puissante, mais toujours en conflit avec la mécanique quantique.
Texte intégral (2314 mots)
L’horloge atomique Pharao sera accrochée sur la station spatiale internationale pour mesurer précisément comment le temps s’écoule quand elle est un peu plus lointaine de la Terre, donc soumise à une gravité plus faible. Programme Aces-Pharao de l’ESA, CC BY

Soixante-dix ans après la mort d’Albert Einstein, les scientifiques travaillent toujours activement à vérifier les prédictions de la relativité générale, toujours aussi puissante, et toujours en conflit avec la mécanique quantique.

La mission spatiale Pharao, qui doit décoller le 21 avril 2025, fait partie de ces efforts. Son horloge atomique va mesurer le temps très précisément, pour comparer comment il s’écoule à la surface de la Terre et à l’altitude de la station spatial internationale.


Soixante-dix ans après la disparition d’Albert Einstein, sa théorie de la relativité générale est l’un des deux piliers fondamentaux sur lequel s’appuie la science pour expliquer l’Univers. Les succès de cette théorie sont nombreux et elle a été largement vérifiée, en particulier appliquée à l’infiniment grand.

Son grand défaut ? Elle n’est pas compatible en l’état avec l’autre pilier fondamental sur lequel s’appuie la physique, la théorie quantique des champs, autrement appelée mécanique quantique. Alors, comment réconcilier ces deux théories ? Quelles modifications faut-il faire pour les rendre compatibles ? Y a-t-il une nouvelle physique encore inconnue qui pourrait surgir de cette incompatibilité ?

Pour progresser sur ces questions, il est essentiel de vérifier les deux théories actuelles à des niveaux toujours plus précis, afin d’identifier d’éventuelles déviations qui pourraient conduire à les retoucher à la marge, avec l’espoir que ces retouches ouvrent la voie vers une compatibilité entre elles, voire vers une théorie englobant les deux.


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Une horloge atomique dans l’espace pour vérifier la relativité générale

Une telle expérience de vérification sera lancée vers la station spatiale internationale (ISS) le 21 avril prochain. Cette expérience, appelée ACES (Atomic Clock Ensemble in Space), est conduite sous l’égide de l’ESA, l’agence spatiale européenne. L’élément principal est une horloge atomique d’une précision exceptionnelle, appelée Pharao et développée par l’agence spatiale française, le CNES.

L’objectif est de mesurer avec une précision inégalée une prédiction étrange de la relativité générale : la masse d’un objet modifie l’écoulement du temps dans son entourage. Plus vous êtes proche de cette masse ou plus la masse est grande, plus le temps s’écoule lentement. Cette prédiction atteint son paroxysme à la limite des trous noirs, où le temps… s’arrête !

Pour notre petite Terre, cet effet est moins spectaculaire : à 400 kilomètres d’altitude, soit l’altitude de l’ISS, un astronaute vieillit plus vite que son jumeau resté sur Terre d’une seconde tous les 300 ans. À l’altitude des systèmes de positionnement par satellite (Galileo, GPS, Beidou et Glonass volent à plus de 20 000 kilomètres d’altitude), cet effet est plus important. S’il n’était pas corrigé, la précision de positionnement de ces systèmes serait dégradée.

L’objectif de Pharao est de mesurer ce ralentissement très faible avec une précision inégalée. Pour ce faire, il faut que notre horloge ne se trompe pas de plus d’une seconde en 300 millions d’années, soit une dérive de deux dixièmes de seconde depuis la disparition des dinosaures ; ou de façon équivalente, de moins d’une minute depuis le Big Bang, le début du temps ! Traduit en termes de distances, cela reviendrait à mesurer une année-lumière au mètre près…

Vue schématique du refroidissement des atomes dans l’horloge atomique Pharao qui décolle le 21 avril pour la station spatiale internationale. CNES/ill./VOUILLON Jean, 2005, Fourni par l'auteur

Pour pouvoir vérifier que Pharao bat le temps moins vite dans l’espace que sur Terre, il faut pouvoir la comparer de façon très précise à des horloges restées au sol. Pour cela, elle est accompagnée de deux systèmes chargés de cette comparaison : un lien microonde qui permet de communiquer le temps au sol lorsque l’ISS survole un laboratoire métrologique abritant une horloge atomique, ainsi qu’un lien laser permettant de définir des « tops » de synchronisation entre le sol et l’espace.

L’horloge Pharao est une horloge très exacte mais également très complexe et qui a besoin de temps pour obtenir sa précision ultime. Pour remplir cette mission, elle est épaulée par deux autres horloges, moins exactes mais permettant d’initier et de garder le temps. D’une part, un oscillateur à quartz ultra stable est intégré à Pharao et permet d’initialiser grossièrement son heure, lui permettant d’interroger les atomes avec une fréquence déjà proche de leur fréquence de référence.

D’autre part, un maser utilisant l’atome d’hydrogène (une horloge atomique d’un autre type), maintient la référence de temps pendant les phases de réglage. L’effet de ces réglages peut alors être mesuré par rapport à cette référence.

Une horloge atomique sur la station spatiale internationale

Pharao volera accrochée à l’extérieur de l’ISS, sur un balcon du module européen Colombus. Même si les années de l’ISS sont désormais comptées avec une mise hors service suivie d’une désorbitation envisagées pour 2030, Pharao aura largement le temps de remplir ses objectifs.

Installer cette horloge à bord de l’ISS présente des avantages et des inconvénients : parmi les avantages, on trouve des occasions de transports fréquents, des niveaux de radiation modérés, des services de commandes et de communication éprouvés ainsi que des moyens de positionnement, d’attitude, de chauffage/refroidissement et d’alimentation électrique.

Parmi les inconvénients, on trouve le fait que l’ISS vole au final assez bas… si Aces avait été placée sur une orbite géostationnaire (à 36 000 kilomètres de la surface de la Terre), l’effet de relativité générale serait douze fois plus marqué, améliorant d’autant la précision obtenue avec la même horloge. Par ailleurs, la proximité des astronautes peut perturber l’expérience, en particulier à cause des vibrations de leurs machines d’entraînement musculaire.

Des horloges atomiques toujours plus précises

Depuis leur invention dans les années 1950, les horloges atomiques ont connu un rythme d’amélioration comparable à celui des systèmes électroniques (la fameuse « loi de Moore »).

Leur principe est de se caler sur une des nombreuses fréquences propres à un atome et qui reflètent son état d’excitation, un signal universel. Selon l’énergie de la vibration choisie, l’horloge peut être dans le domaine radio (10 giga Hertz), optique (visible et infrarouge), voire « nucléaire » (ultra-violet lointain).

Les fréquences plus basses des horloges radio sont les plus faciles à maîtriser et la définition officielle de la seconde (1967) est basée sur une vibration des électrons de l’atome de césium dans le domaine radio. Depuis quelques années, des horloges dans le domaine optique, plus performantes, sont apparues et sont disponibles au sol. Leur complexité les rend encore difficiles à envoyer dans l’espace. Enfin, des résultats prometteurs ont été obtenus en interrogeant des vibrations du noyau d’un atome, préfigurant peut-être des « horloges nucléaires » encore plus performantes.

L’horloge Pharao est quant à elle basée sur une amélioration décisive des horloges radio, obtenue par l’utilisation d’atomes refroidis par laser. Cette technique de refroidissement par laser a notamment valu le prix Nobel au physicien français Claude Cohen-Tannoudji en 1997. Les atomes ainsi refroidis à un millionième de degré absolu ont des vitesses résiduelles très faibles. Couplé à un environnement de microgravité, on obtient des durées d’auscultation importantes, paramètre clé de la performance des horloges. Les horloges au sol qui mettent en œuvre ce principe sont appelées « fontaines atomiques ».

Afin de préserver les atomes froids de toute interaction avec d’autres atomes, un vide très poussé, dit « ultravide » doit régner au centre de l’horloge Pharao. Ce vide est 1000 fois meilleur que l’environnement spatial autour de l’ISS. Seuls des métaux ou des verres peuvent être utilisés pour les éléments de la cavité et les joints qui les lient entre eux, tout autre matériau comme du caoutchouc ou des plastiques s’évapore dans le vide (phénomène de dégazage) rendant impossible l’obtention d’un ultravide. La conception de la cavité ultravide a donc été particulièrement complexe, notamment à cause des joints entre hublots de silice et pièces en titane (deux matériaux dont le contact étanche est difficile) ou encore la tenue à l’étanchéité des joints en acier.

En mesurant l’effet de la gravitation sur l’écoulement du temps, Pharao est capable de détecter d’infimes variations du potentiel gravitationnel équivalent à un changement d’altitude de 1 mètre. Les dernières horloges optiques au sol, encore plus précises, peuvent détecter un changement dans le potentiel gravitationnel équivalent à une variation d’un centimètre.

À ce niveau de précision, de tels changements peuvent être liés non seulement à des variations d’altitude de l’horloge, mais aussi à des variations dans la répartition des masses à la surface et à l’intérieur de la Terre : mouvement des nappes phréatiques, mouvements internes de la Terre, mouvement des masses d’air… C’est le domaine de la « géodésie chronométrique ».

Gageons que, dans un avenir pas si lointain, des horloges encore plus performantes que Pharao, connectées et comparées à une horloge de référence placée dans l’espace, pourraient bien mesurer à peu près tout… sauf le temps !

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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