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09.06.2025 à 14:40

Pourquoi l’océan est-il si important pour le climat ?

Sabrina Speich, Professeure en océanographie et sciences du climat, École normale supérieure (ENS) – PSL
À l’heure où s’ouvre le Sommet de Nice sur l’océan (Unoc 3), il est urgent de pérenniser les moyens scientifiques de la surveillance de l’océan et de retisser les liens entre sciences et société.
Texte intégral (3067 mots)

Quand on parle de réchauffement climatique, on pense souvent à l’air qui se réchauffe. Mais c’est l’océan qui, grâce aux courants marins et aux propriétés exceptionnelles de l’eau, a jusqu’à présent absorbé frontalement une grande partie du réchauffement. Avec l’accélération du changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution omniprésente, les observations océaniques sont indispensables pour évaluer et préserver la santé des océans.

Au cours des trois dernières décennies, les développements technologiques et la coordination des observations de l’océan à l’échelle mondiale, sous l’égide de l’Unesco, ont révolutionné notre compréhension des processus océaniques, permettant des descriptions et des capacités de prévision robustes à l’échelle planétaire, régionale et côtière. Néanmoins, à l’heure où s’ouvre à Nice la troisième conférence internationale des Nations unies pour les océans (Unoc 3), il est urgent de pérenniser les moyens scientifiques de la surveillance de l’océan et de retisser les liens entre sciences et société.


Depuis les années 1960, le domaine de l’observation des océans a été transformé par d’importantes avancées technologiques et numériques. La transition vers une approche globale de surveillance de la santé de l’océan s’est fait grâce à l’émergence d’instruments in situ déployés en mer et de satellites qui permettent d’observer la Terre depuis l’espace, et grâce à l’amélioration des modèles numériques.

Progressivement, les scientifiques du monde entier ont su mettre l’océan à cœur ouvert. Aujourd’hui, les scientifiques sont unanimes : le changement climatique est bien en cours, et il a des conséquences dramatiques sur l’état de santé d’un océan qui a déjà absorbé 90 % de l’excès de chaleur et 26 % des émissions de CO₂ dus à nos activités humaines. Par exemple, une eau plus acide et plus chaude menace les écosystèmes marins comme les coraux, les coquillages et toute la chaîne alimentaire océanique.

Les scientifiques observent également que trois des neuf limites planétaires sont déjà franchies et que, parmi les dix principaux risques pour la décennie 2025-2035 à venir, quatre d’entre eux sont liés à l’environnement et à l’état de santé de l’océan.

infographie
Quatre des neuf limites planétaires impliquent l’océan. CGDD 2023

L’océan est le pilier de la machine climatique

Le système climatique, alimenté en énergie par le soleil, est principalement composé de réservoirs et de flux entre ces réservoirs. La planète Terre compte ainsi trois grands compartiments que sont l’atmosphère, les surfaces continentales et les océans. Les flux entre ces réservoirs sont principalement des flux de matières, d’énergie et de chaleur.

Les océans ne forment qu’un, connectés entre eux au pôle Sud par l’intermédiaire de l’anneau austral qui encercle le continent antarctique. Cet océan est l’unique enveloppe fluide de notre planète, couvrant plus des deux tiers de la surface du globe et représentant près de 96 % de l’eau disponible sur Terre. L’océan et l’atmosphère sont en contact permanent et les échanges air-mer se font principalement sur la base du cycle de l’eau, par exemple lors des précipitations ou de l’évaporation de l’eau de mer. Ces échanges continus permettent l’équilibre du système climatique par la redistribution des flux et l’installation des différentes conditions climatiques dans chaque région du monde.

En particulier, la chaleur et le CO2 atmosphériques sont absorbés par l’océan à l’interface air-mer, puis transportés et redistribués sur le globe grâce aux courants marins et à l’activité biologique marine. Cette circulation s’effectue dans chacun des bassins océaniques, du nord au sud et d’ouest en est. Mais elle est aussi verticale, entre la surface et les très grandes profondeurs marines. Sa profondeur moyenne de 3 800 mètres fait de l’océan un immense réservoir de chaleur doté d’une très forte inertie thermique, du fait des propriétés physiques de l’eau.

deux schemas pour indiquer la cuirculation océanique
La circulation océanique se fait à l’échelle du globe et sur la profondeur de l’océan. Plateforme Océan & Climat, CC BY

Par la capacité de ses courants marins à absorber, à transporter puis à stocker dans ses plus grandes profondeurs les signaux atmosphériques et les nombreux flux provenant des autres réservoirs, l’océan joue un rôle clé dans les mécanismes climatiques globaux et dans l’équilibre planétaire. Il est un des piliers du système climatique, de sorte que les scientifiques le qualifient de « thermostat de la planète ».

Un océan à cœur ouvert grâce au système global d’observation des océans, sous l’égide de l’Unesco

Pour comprendre le système climatique, les scientifiques se basent sur la combinaison de trois types d’observations océaniques :

  • les mesures in situ, collectées en mer et qui fournissent des données détaillées sur les couches sous-marines pour surveiller la variabilité des océans en profondeur et les changements à long terme ;

  • les observations par satellite, offrant une couverture spatiale étendue des premiers mètres de la surface océanique pour suivre l’élévation du niveau de la mer, la couleur des océans, la température et la salinité de surface ou encore la productivité primaire marine ;

  • les modèles numériques et l’assimilation des données qui synthétisent les observations afin de décrire l’évolution passée, présente et future des océans.

Aujourd’hui, les observations océaniques englobent un large éventail de paramètres physiques (température, salinité…), biogéochimiques (oxygène, carbone dissous…) et biologiques (phytoplancton, zooplancton…) essentiels à l’évaluation du climat, à la gestion des ressources marines et aux systèmes d’alerte précoce. Elles sont la seule source fiable d’informations sur l’état des océans et du climat, et viennent améliorer et valider les modèles numériques pour affiner leurs prévisions.

Le Global Ocean Observing System (GOOS), programme international créé au début des années 1990 après la deuxième Conférence mondiale sur le climat de Genève et le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, coordonne l’observation et la surveillance de l’océan à l’échelle de la planète. Son objectif est de mieux comprendre l’état de l’océan, prévoir son évolution et soutenir la prise de décisions face aux enjeux climatiques, environnementaux et sociétaux.

Il fonctionne comme un réseau mondial intégré d’observations océaniques, combinant des données issues de satellites, de bouées, de flotteurs profilants (comme le programme Argo), de navires et de stations côtières.

Les données collectées par le réseau d’observations coordonnées par GOOS sont gratuites et ouvertes, accessibles non seulement aux chercheuses et chercheurs, mais aussi aux actrices et acteurs de la société civile, aux entreprises, aux collectivités locales et à toute organisation impliquée dans la gestion ou la protection de l’océan. Ces informations sont essentielles pour surveiller la santé des écosystèmes marins, anticiper les événements extrêmes, soutenir les politiques climatiques et favoriser une économie bleue durable.


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Renforcer l’observation des océans pour éclairer les politiques climatiques et la gestion des écosystèmes marins

Un système complet d’observation des océans tel que le GOOS répond à de multiples besoins sociétaux.

Comme nous l’avons vu, l’océan modère le réchauffement climatique, atténuant par conséquent les phénomènes météorologiques extrêmes. En améliorant la prévision des vagues de chaleur marines, des ondes de tempête, des proliférations d’algues nuisibles et des tsunamis, le GOOS contribue à l’initiative « Alertes précoces pour tous », lancée en 2022 par les Nations unies. Son objectif est simple et ambitieux : que chaque personne sur Terre soit protégée par un système d’alerte précoce d’ici 2027, un système qui diffuse des alertes claires et accessibles pour donner le temps de se préparer à l’arrivée d’un événement extrême.

Alors que plus de 90 % du commerce mondial dépend du transport maritime, que la pêche et l’aquaculture font vivre des milliards de personnes, une surveillance renforcée soutient également une économie bleue durable. En particulier, la gestion écosystémique, la planification des usages des océans et l’exploitation durable des ressources marines garantissent la résilience des écosystèmes tout en favorisant la croissance économique – en miroir du quatorzième objectif de développement durable (ODD 14) des Nations unies, « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».

Le GOOS actuel constitue une infrastructure essentielle pour suivre l’état de l’océan et informer les politiques publiques. Mais il reste encore insuffisant pour répondre pleinement aux besoins liés à l’action climatique, aux prévisions opérationnelles, aux jumeaux numériques de l’océan ou à la gestion durable des océans et de leurs ressources.

Les efforts futurs doivent viser à maintenir et à renforcer les systèmes d’observation existants, tout en les étendant pour couvrir de manière plus complète l’ensemble des dimensions physiques, biogéochimiques et biologiques de l’océan.

En priorité, il s’agira de :

  • développer les observations dans les zones jusqu’ici peu couvertes, notamment les observations en eaux profondes et polaires ;

  • renforcer les observations biogéochimiques et biologiques jusqu’ici moins nombreuses et peu systématiques ;

  • améliorer l’intégration des observations océaniques avec les services de prévision océaniques et climatiques afin de fournir des informations utiles et exploitables aux décideurs, aux acteurs économiques et aux communautés côtières.

Enfin, la pérennisation des financements pour les réseaux d’observation à long terme représente un défi majeur de la prochaine décennie. Sans un engagement durable, il sera difficile de maintenir, d’adapter et de faire évoluer ces infrastructures clés face à l’accélération des changements océaniques et climatiques.

Retisser le lien entre sciences et société pour relever les défis du XXIᵉ siècle

Au-delà de la recherche et de la politique, il est essentiel de sensibiliser à l’océan pour que la société soit mieux informée et consciente des liens entre la santé des océans, la stabilité du climat et le bien-être humain.

Pour cela, des initiatives d’observation mondiale, par exemple Adopt-A-Float ou Ocean Observers, invitent élèves, étudiants et communautés à suivre les instruments océanographiques et à contribuer à la surveillance environnementale.

Plus globalement, ouvrir les portes des laboratoires et mettre la science à la portée de tous est urgent.

À ce titre, la collaboration entre experts-scientifiques et journalistes portant l’information auprès du grand public est un véritable enjeu, en particulier dans le contexte actuel d’une société à la fois surinformée, mal informée et parfois désinformée.

Alors que des milliers de scientifiques sont au chevet de la santé de l’océan 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, l’évolution continue du GOOS, guidée par les progrès scientifiques et par les besoins politiques, jouera un rôle essentiel dans la construction d’un avenir durable et résilient pour les océans. Un système d’observation véritablement mondial et inclusif, soutenu par une gouvernance collaborative et une allocation équitable des ressources, sera essentiel pour relever les défis et saisir les opportunités du XXIe siècle.


Cet article a été co-écrit avec Carole Saout-Grit, physicienne océanographe, directrice du bureau d’études GlazeO et directrice de publication du média Océans Connectés.


Les projets EUREC4A-OA et SAMOC sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Sabrina Speich, professeure à l'Ecole Normale Supérieure de Paris, a reçu des financements de l'ANR, de Europe Horizon 2020, Europe Horizon 2030, et de l'European research Council. Elle est co-présidente du comité d'experts Ocean Observations for Physics and Climate du Global Ocean Obsrving System et du Global Climate Observing System sous l'égide des Nations Unies, de l'International Science Council et de l'Organisation Météorologique Mondiale. Ce travail n'est pas rémunéré. Elle fait partie de plusieurs "scientific advisory boards" internationaux d'instituts de recherche.

08.06.2025 à 13:40

Climat : Pourquoi l’ouverture des données scientifiques est cruciale pour nos littoraux

Anaïs Schmitt, Ingénieur de recherche, cheffe de projet expertise en gestion des données, La Rochelle Université
Dans les zones côtières, les problèmes concernent souvent un grand nombre d’acteurs aux objectifs variés. Leur permettre d’accéder à un socle commun de connaissances est impératif pour trouver des compromis justes.
Texte intégral (2254 mots)

Dans les zones côtières – où les pressions sont fortes (érosion, submersion), les risques élevés (la majorité de la population mondiale y vit) et les enjeux de durabilité majeurs (ils abritent une biodiversité riche et unique remplissant de nombreuses fonctions essentielles à la vie) –, les problèmes concernent souvent un grand nombre d’acteurs aux objectifs variés. Leur permettre d’accéder à un socle commun de connaissances est impératif pour trouver des solutions efficaces pour tous et des compromis justes.

À l’heure de la Conférence des Nations unies sur l’océan, qui a lieu du 9 au 15 juin 2025 à Nice, les efforts en faveur de l’ouverture des données en France et en Europe sont d’autant plus urgents que les États-Unis, traditionnellement moteurs de la recherche mondiale, retirent de la circulation, sur exigence de l’administration Trump, des données importantes. Dans un monde confronté à des défis cruciaux, tels que l’adaptation au changement climatique ou la montée des extrémismes politiques, l’ouverture du savoir est une condition sine qua non de la coopération, du progrès et de la démocratie. La démocratisation de la science passe en premier lieu par l’accès aux connaissances, et il est aujourd’hui menacé.


La connaissance et sa diffusion sans limites sont fondamentales pour agir en faveur de la durabilité et la résilience de nos socioécosystèmes. Sans connaissances objectives, les préjugés prennent le pas sur la raison et mènent à des choix de développement généralement inefficaces, voire contre-productifs, ou injustes. Ce duel entre savoir et croyance, progressisme et obscurantisme, existe depuis longtemps mais il a certainement pris une nouvelle dimension avec l’essor d’internet et autres nouvelles technologies de télécommunication, et plus récemment de l’intelligence artificielle. Ces outils ont accéléré de manière exponentielle la production et la propagation aussi bien de la connaissance que de la désinformation. Et le combat est acharné.

Pour exemple, les récentes décisions de l’administration du président des États-Unis Donald Trump, qui en quelques mois a mis à mal la recherche américaine et par ricochet, la recherche mondiale, en coupant les financements sur des sujets jugés « sensibles », comme le changement climatique ou l’étude des genres. En particulier, des données associées à ces problématiques sont retirées progressivement de la circulation, notamment sur l’océan, et traditionnellement hébergées par les agences fédérales comme la NOAA (pour l’océan et l’atmosphère) et la NASA (pour l’espace).


À lire aussi : La destruction des données scientifiques aux États-Unis : un non-sens intellectuel, éthique mais aussi économique


Mais en termes d’accès à la connaissance, les États-Unis de Trump ne sont pas une exception, ni même les pays gouvernés par des régimes extrêmes. Même en France, de nombreuses affaires (sang contaminé, Mediator, chlordécone, tout récemment Nestlé, etc.) montrent que tout pouvoir peut être tenté, pour diverses raisons, de dissimuler des informations cruciales pour le bien commun.

Au-delà des scandales de désinformation, l’absence ou l’insuffisance d’information empêche toute prise de décision rationnelle et limite notre capacité à réduire notre impact sur les écosystèmes. Il est par exemple difficile de gérer durablement les pêcheries sans données sur l’évaluation des stocks de poissons et leur possible évolution avec le climat.

Dans ce contexte, la recherche scientifique a un rôle clé à jouer en tant que productrice de connaissances démontrées et objectives. Encore faut-il qu’elle adopte les bonnes pratiques pour rendre ces savoirs accessibles et utilisables.

Rendre les savoirs accessibles et réutilisables

Le mouvement de la science ouverte, initié au début des années 1990 par Paul Ginsparg et son archive ouverte arXiv, apparaît alors comme essentiel pour disséminer la connaissance et replacer la raison au cœur du fonctionnement de nos sociétés.

La science ouverte repose sur une idée simple : les connaissances issues de la recherche doivent être accessibles à tous, qu’il s’agisse de publications, données, outils, modèles ou méthodes. Cette transformation des pratiques scientifiques est une révolution silencieuse qui redéfinit les relations entre chercheurs, citoyens, entreprises et décideurs publics.


À lire aussi : La science ouverte : refaire circuler le savoir librement


En pratique, où en est-on aujourd’hui sur le terrain ?

Si on suit les plans de cloud européen pour la science ouverte (EOSC) et le Plan national pour la science ouverte, l’ouverture des données issues de la recherche financée sur fonds publics est obligatoire depuis 2016.

Pourtant, en 2023, seuls 25 % des publications françaises mentionnant des données produites signalent leur partage, 19 % pour les codes et logiciels. Plus généralement, 34 % des chercheurs ne publient jamais leurs données.

Si cette tendance est en légère hausse, une bonne partie des données produites dans les universités ne sont jamais archivées correctement et, trop souvent, dorment dans des disques durs.

Trop de données de la recherche dorment encore sur les disques durs

La cause ? Un mélange non savant d’obstacles techniques, juridiques, économiques et culturels, à la fois individuels et collectifs. On y retrouve notamment un système d’évaluation de la recherche valorisant davantage les publications que le partage des données, et un mode de fonctionnement compétitif sur projet qui pousse à l’autovalorisation et l’autoprotection, dans le but de s’assurer un emploi pérenne, plutôt qu’à l’ouverture de ses travaux.

Le partage des données a beau être une pratique destinée à favoriser le progrès scientifique collectif, son adoption reste progressive et variable selon les disciplines. Afin d’y remédier, la recherche et les instances qui l’administrent doivent mettre en place de nouveaux mécanismes alignant intérêts individuels et collectifs.


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À titre d’exemple, le projet Urban & Coastal Lab — La Rochelle, initiative de La Rochelle Université, met en lumière ces tensions et opportunités. En grande partie focalisés sur les territoires littoraux, nous mettons en place un outil de gestion mutualisée des données, modèles, méthodes de la recherche, afin de favoriser l’interdisciplinarité et faciliter les collaborations entre chercheurs, ainsi qu’avec d’autres acteurs du territoire comme les collectivités et les citoyens…

Ce travail se heurte toutefois à des contraintes bien réelles et souvent terre à terre : manque de temps, compétences limitées en gestion de données, absence de reconnaissance institutionnelle, ou crainte du plagiat. L’ouverture est souvent perçue comme une charge supplémentaire, rarement valorisée dans la carrière académique.

À cela s’ajoute une asynchronie entre recherche et décision opérationnelles, publiques ou privées : les acteurs ont besoin de réponses immédiates, quand la recherche produit des données sur le temps long.

Ainsi, ce n’est pas simplement le projet, ni seulement ses motivations ou sa conduite, qui révèlent ces tensions et opportunités, mais bien le contexte plus global dans lequel il prend forme.

Ouvrir les données, une question de moyens

Infrastructures informatiques, services en ligne, espaces de stockage, documentations, coûts logistiques, financiers et énergétiques (par exemple pour rendre interopérables des fichiers volumineux), et on en passe — ouvrir la recherche a un coût matériel et financier.

Qui paie pour les serveurs ? Qui maintient les plates-formes ? Et comment garantir la qualité et la lisibilité des données pour qu’elles soient réellement réutilisables ?

Derrière l’acronyme FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable), souvent cité comme donnant les principes fondamentaux de la science ouverte (trouvable, accessible, interopérable, réutilisable), se cache un travail complexe et conséquent d’annotation, de normalisation, de classification et de documentation.

C’est là qu’interviennent des outils comme les plans de gestion de données, devenus obligatoires dans certains appels à projets nationaux ou européens. Ils permettent d’anticiper les questions autour du cycle de vie des données, depuis leur collecte à leur partage en passant par leur formalisation et leur stockage. Cependant, ils sont souvent perçus comme une formalité administrative (pour ne pas dire contrainte), faute de formation et d’accompagnement adaptés, entre autres raisons.

Est-il temps de changer les règles du jeu ?

Plusieurs leviers sont identifiés pour accélérer le mouvement de la science ouverte : modifier les critères d’évaluation de la recherche pour considérer le partage de données comme un indicateur clé de performance scientifique ; développer des formations pour que les chercheurs soient mieux outillés ; former des spécialistes en science ouverte (ingénieurs, analystes, informaticiens, archivistes, etc.) ; financer des infrastructures pérennes de stockage et de diffusion, interopérables entre disciplines ; et surtout, repenser le lien entre science et société, en facilitant l’accès aux données pour les citoyens, les autorités publiques, les collectivités, les ONG, les entreprises, etc. — en somme, tous celles et ceux qui souhaitent en apprendre plus sur le monde.

Les données scientifiques sont certes le fruit des travaux de recherche, mais leur utilité et leurs possibles champs de réutilisation dépassent la sphère académique. Les données issues de financements publics ne doivent pas être considérées comme un bien privé, mais comme un bien commun… sachant qu’elles doivent en même temps être protégées.

À cet effet, ouvrir ses données et les déposer sur des entrepôts ouverts est bien un moyen de les protéger et de se protéger. Cela permet de rendre publique leur origine (le travail des chercheurs est ainsi notoirement reconnu) et de leur associer des licences conditionnant leur utilisation (ce qui empêche leur détournement) et un doi (numéro d’identification unique pour les produits digitaux).

Le changement de paradigme vers la science ouverte doit être porté par les universités, soutenu par les financeurs et impulsé par les chercheurs eux-mêmes. Il s’agit de rendre la science ouverte plus attractive et valorisante.


Cet article a été co-écrit par Benoît Othoniel et Marine Regien, ingénieurs membres de l’équipe du projet.

The Conversation

Anaïs Schmitt a reçu des financements du MERS (COMP 2023-2025) et soutenu par le département de la Charente Maritime (CD17). Cet article a été rédigé avec le soutien de l’ensemble de l’équipe du projet UCLR, que nous remercions chaleureusement pour leur engagement et leur collaboration.

03.06.2025 à 15:59

Etna : qu’est-ce qu’une « éruption strombolienne » ? Explications d’une volcanologue

Teresa Ubide, ARC Future Fellow and Associate Professor in Igneous Petrology/Volcanology, The University of Queensland
L’Etna, le plus grand volcan en activité d’Europe, situé en Sicile, est entré en éruption le lundi 2 juin, sans danger pour la population. Éclairages par une volcanologue.
Texte intégral (1636 mots)
En Sicile, une colonne de cendres s’élève de l’Etna, le plus grand volcan actif d’Europe. Fabrizio Villa/Getty Images

L’Etna, le plus grand volcan en activité d’Europe, situé en Sicile (Italie) et culminant à 3 324 mètres, est entré en éruption le lundi 2 juin 2025, heureusement sans danger pour la population selon les sources locales.

Lundi 2 juin matin (heure locale), le mont Etna, en Italie, s’est mis à cracher une énorme colonne de cendres, de gaz chauds et de fragments rocheux.

Un formidable panache de fumée exhalé par le plus grand volcan actif d’Europe, l’Etna en Sicile, s’est élevé sur plusieurs kilomètres dans le ciel.

Si l’explosion a produit un spectacle impressionnant, l’éruption n’a, à ce qu’il semble, fait ni victimes ni dégâts, et c’est tout juste si les vols en provenance ou en partance de l’île ont été perturbés. On a coutume de nommer les éruptions de l’Etna « éruptions stromboliennes » ; cependant, comme on le verra, ce terme ne s’applique pas forcément à ce récent événement.

Que s’est-il passé au mont Etna ?

L’éruption a commencé par une augmentation de la pression des gaz chauds contenus dans le volcan. Ce réchauffement a entraîné l’effondrement partiel d’un des cratères qui se trouvent au sommet de l’Etna.

Cet effondrement a déclenché ce qu’on appelle un « flux pyroclastique » : un panache de cendres, de gaz volcaniques et de fragments de roches qui jaillit des entrailles du volcan et se déplace à toute vitesse.

Deux images d’une caméra thermique montrant une montagne
Les images d’une caméra thermique montrent l’éruption et les écoulements de lave sur les flancs de l’Etna. National Institute of Geophysics and Volcanology, CC BY

Ensuite, la lave s’est mise à couler sur les flancs de la montagne, dans trois directions différentes. Ces écoulements sont désormais en train de refroidir. Lundi soir, l’Institut national de géophysique et de volcanologie italien a annoncé que l’activité volcanique avait pris fin.

L’Etna est l’un des volcans les plus actifs du monde, donc cette éruption n’a rien d’exceptionnel.

Échelle d’éruptions volcaniques

Les volcanologues classent les éruptions en fonction de leur puissance explosive. Plus elles sont explosives, plus elles sont dangereuses, car elles évoluent plus vite et couvrent une zone plus importante.

Les plus bénignes sont celles qui se produisent à Hawaï (États-Unis), dans l’océan Pacifique. Vous en avez probablement vu les images : la lave coule mollement, comme léthargique, sur les pentes du volcan. Certes, elle abîme ce qui se trouve sur son chemin, mais le rayonnement en est relativement restreint.

Quand les éruptions se font plus explosives, en revanche, elles essaiment de la cendre et des fragments de roche à de plus grandes distances.

Tout en haut de l’échelle, on a les éruptions pliniennes, les plus explosives de toutes. On peut compter parmi elles la célèbre éruption du Vésuve, en l’an 79 de notre ère, qui fut décrite par Pline le Jeune. C’est elle qui a enseveli les villes romaines de Pompéi et d’Herculanum sous des mètres de cendres.

Lors d’une éruption plinienne, les gaz chauds, la cendre et les rochers peuvent être expulsés avec une telle violence et à une telle hauteur qu’ils atteignent la stratosphère – et lorsque le panache d’éruption retombe, les débris s’abattent sur la terre et peuvent causer des dégâts monstrueux sur une zone assez étendue.

Qu’est-ce qu’une éruption strombolienne ?

Qu’en est-il des éruptions stromboliennes ? Ces éruptions relativement modérées empruntent leur nom au Stromboli, un autre volcan italien qui connaît une éruption mineure toutes les dix à vingt minutes.

Dans une éruption strombolienne, les éclats de roches et les braises peuvent parcourir des dizaines ou des centaines de mètres dans les airs, mais rarement davantage.

Le flux pyroclastique de l’éruption d’hier, sur l’Etna, s’est avéré doté d’une puissance explosive supérieure à cette moyenne – il ne s’agissait donc pas, au sens strict, d’une éruption strombolienne.


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Les éruptions volcaniques sont-elles prévisibles ?

Les éruptions volcaniques sont un peu comme le temps qu’il fait. Elles sont très difficiles à prédire avec précision, mais nous avons beaucoup progressé dans ce domaine. Pour comprendre le comportement futur d’un volcan, nous devons d’abord savoir ce qui se passe à l’intérieur à un moment X. On ne peut pas regarder dans le volcan directement, mais on dispose de mesures indirectes fiables.

Par exemple, que se passe-t-il avant que le magma d’éruption jaillisse des entrailles de la Terre ? En route vers la surface, le magma pousse des rochers et peut provoquer des tremblements de terre. En enregistrant les vibrations concomitantes, il nous est possible de suivre le trajet du magma jusqu’à la surface.

Le magma prêt à jaillir peut aussi provoquer un léger gonflement du terrain dans la région volcanique. Une affaire de quelques millimètres ou centimètres. L’observation attentive de ce phénomène, par exemple grâce à des satellites, nous permet de rassembler de précieuses informations sur une éruption à venir.

Certains volcans libèrent des gaz même en l’absence d’éruption stricto sensu. Il nous est possible d’analyser la composition chimique de ces gaz – si celle-ci se modifie, cela peut nous indiquer que le magma est de nouveau en route vers la surface.

Une fois qu’on a rassemblé toutes ces informations sur le fonctionnement interne d’un volcan, il est également indispensable de comprendre sa personnalité, pour savoir les analyser et comprendre ce qu’elles nous disent des éruptions à venir.

Les éruptions volcaniques sont-elles plus courantes que dans le passé ?

En tant que volcanologue, j’entends souvent dire qu’on a l’impression que les éruptions sont plus nombreuses de nos jours qu’autrefois. Ce n’est pas le cas.

Ce qui se produit, je l’explique à ceux qui m’interrogent sur le sujet, c’est que nous disposons désormais de meilleurs systèmes de mesure et d’un système médiatique mondialisé très actif. Donc on apprend systématiquement l’existence des éruptions – on en voit même des photos.

La surveillance est extrêmement importante. Nous avons la chance que de nombreux volcans – dans des pays comme l’Italie, les États-Unis, l’Indonésie et la Nouvelle-Zélande – soient équipés d’excellents systèmes de surveillance.

Cette surveillance permet aux autorités locales de prévenir la population en cas d’éruption imminente. Pour le visiteur ou le touriste venu admirer ces merveilles naturelles que sont les volcans, écouter ces avertissements est crucial.

The Conversation

Teresa Ubide ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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