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25.11.2025 à 11:19

Les plateformes de streaming, repaire d’une génération en quête de repères : le cas Twitch

Lucas Pithon, Maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie, Université d’Angers
Franck Rexand-Galais, Maître de Conférences en Psychologie clinique et Psychopathologie, Université d'Angers
Une analyse récente de Twitch montre comment les plateformes de streaming peuvent participer à la construction identitaire de jeunes adultes si elles sont suffisamment encadrées.
Texte intégral (1923 mots)

Les plateformes de streaming représentent un fait social qui ne se résume pas au drame de la mort en direct du streamer Jean Pormanove sur la plateforme Kick. Une analyse récente de Twitch montre en effet comment ces espaces en ligne peuvent participer à la construction identitaire de jeunes adultes, si la modération, la régulation, l’accompagnement et l’éducation numérique sont au rendez-vous.


La mort en direct du streamer français Jean Pormanove sur la plateforme Kick, après douze jours de diffusion en continu marqués par des humiliations et des violences encouragées par le public, a suscité une vive émotion.


À lire aussi : Décès de Jean Pormanove : pourquoi la régulation de la plateforme Kick a échoué


Si cet épisode tragique révèle une dérive inquiétante quant à la consommation en direct du spectacle de la souffrance, il met aussi en lumière un fait social, le rôle central qu’occupent désormais les plateformes de streaming dans la vie de ses principaux utilisateurs, les jeunes adultes.

Les plateformes de streaming, signe d’un malaise générationnel ?

Au-delà du fait divers, cette affaire semble signer le symptôme d’un malaise générationnel profond, qui plonge ses racines dans les circonvolutions d’un monde particulièrement instable. Les repères traditionnels – travail stable, éducation, couple, famille, trajectoire linéaire – s’effritent et les institutions politiques peinent à suivre le rythme des réalités sociales, dans un climat marqué par la montée des populismes et une incertitude climatique et géopolitique croissante.

Si ces métamorphoses ouvrent de nouvelles possibilités, elles participent aussi au sentiment de flottement qui accompagne l’entrée dans l’âge adulte.

L’individu porte, seul, la responsabilité de construire son avenir.

Dans ce contexte, certaines plateformes numériques prennent une place surprenante. C’est le cas de Twitch, espace en ligne où des vidéastes (streamers) diffusent en direct des parties de jeux, des discussions ou des émissions interactives sur des sujets aussi divers que variés. Des centaines de milliers de jeunes s’y connectent chaque jour. Mais au-delà du divertissement, que viennent-ils y chercher ? Selon nous, leurs usages de Twitch traduisent autant un besoin de lien social et de reconnaissance qu’une manière de se positionner dans un monde fragmenté.

Twitch : un lieu pour se construire

En effet, notre étude le montre : loin d’incarner, comme certains discours tendent à le soutenir, un temple moderne de l’addiction, Twitch apparaît au contraire, pour ses utilisateurs, comme un espace d’expérimentation, de partage et de découverte des différentes facettes de leur personnalité.

La plateforme fonctionne comme un lieu de socialisation et de construction de l’identité. Les jeunes adultes y trouvent un espace dans lequel leurs passions – parfois marginalisées dans la société, comme les jeux vidéo, l’informatique ou la culture Internet – deviennent des sources légitimes de reconnaissance et de valorisation. En outre, l’interactivité, les codes partagés ainsi que les références culturelles et générationnelles communes participent à la création d’un langage collectif et d’un sentiment d’appartenance.

Plus globalement, Twitch permet de s’exposer anonymement à une variété de sujets allant du divertissement aux débats politiques ou scientifiques, en passant par le militantisme, l’art, l’apprentissage, la spiritualité, ainsi que les questions de genre ou de sexualité, qui contribuent au développement personnel et social des utilisateurs.

Un « safe-space » disponible sur demande

Cette possibilité repose sur le fait que Twitch est une plateforme encadrée, à la fois par des règles internes et par des équipes de modération choisies par les streamers. Cela en fait un espace sûr, où l’on ne peut ni tout dire ni tout faire, contrairement à Kick. Ce cadre sécurisant offre un lieu de reconnaissance que les utilisateurs peuvent mobiliser à tout moment, notamment pour partager des moments difficiles avec d’autres.

Certains décrivent Twitch comme une « bulle sociale », où l’on se sent à l’aise, respecté, et parfois mieux compris que dans son entourage réel. La plateforme agit ainsi comme une zone tampon, capable d’apaiser les doutes, émotions et incertitudes du passage à l’âge adulte. Fait notable, le sentiment de connexion persiste même sans communication directe : la simple présence sur un live suffit à éprouver le plaisir d’appartenir à un collectif, d’être et de faire avec les autres.

C’est ce dont témoigne Clémence, 22 ans :

« Il y a un côté euh… rassurant, safe place un peu, un peu cocon rassurant. […] Enfin voilà c’est (le streamer, ndlr) quelqu’un que je connais bien et du coup le fait de pouvoir l’avoir à… à disposition d’un claquement de doigts, boom ! je peux le mettre sur mon écran à gauche là quand je veux pour qu’il… pour qu’il fasse le saltimbanque là… »

Dans la société contemporaine, cette possibilité revêt une importance capitale tant elle participe à briser « l’épidémie de solitude » qui fait rage chez les jeunes adultes. Twitch offre la possibilité de rencontrer (même passivement) un ou des autres, avec lesquels on a le sentiment de partager quelque chose.


À lire aussi : Réseaux sociaux : une hyper-conscience de soi qui amplifie le mal-être des jeunes ?


Cette notion de partage est d’ailleurs capitale pour la plupart des utilisateurs interrogés. Si l’on vient sur la plateforme, c’est d’abord pour investir une communauté dans laquelle on se reconnaît et avec qui on a le sentiment de partager le même univers, le même rapport au monde, qui s’exprime dans les centres d’intérêt, les valeurs, ou même les points de vue politiques convergents.

Le rôle central du diffuseur

Toutefois, cette dynamique collective ne prend sens qu’à travers celui ou celle qui l’incarne et la fédère. En effet, c’est autour du diffuseur que se cristallisent les affinités : sa personnalité, sa manière d’interagir, sa régularité et son authenticité donnent chair au collectif et comptent énormément dans l’attachement que les spectateurs développent à son égard. Pour beaucoup d’adultes en émergence, cette relation, bien qu’asymétrique, prend une dimension affective forte : le streamer devient une présence familière, réconfortante, voire même inspirante.

Dans une société où les figures tutélaires traditionnelles tendent à se raréfier ou à être en décalage avec les modes de vie et aspirations contemporaines, le créateur ou la créatrice incarne alors une figure d’idéal, une version possible de soi, qui encourage à s’épanouir et à oser être soi-même. C’est à la fois quelqu’un dont on a le sentiment qu’il nous ressemble mais c’est aussi, et peut-être surtout, quelqu’un à qui, sous certains aspects, l’on aurait bien envie de ressembler.

C’est ce qu’expliquent des spectateurs que nous avons rencontrés dans nos travaux de recherche :

« J’ai les mêmes délires que lui et tout, il aime bien tel jeu, ben l’avantage c’est que c’est un peu un sceau de validation pour moi. » (Alexandre, 25 ans)

ou encore

« Donc voilà, y a l’idée de pouvoir s’identifier au mec je sais pas… de pouvoir partager quelque chose avec lui au niveau de la personnalité, de pouvoir lui ressembler. » (Léo, 20 ans)

Dès lors, l’on comprend mieux le risque de l’absence de modération dans l’investissement de certains « modèles » : sans garde-fous, l’influence qu’ils exercent peut glisser de l’inspiration bienveillante à la promotion de conduites destructrices, faisant de la communauté non plus un bord protecteur, mais une chambre d’écho dangereuse pour les identités les plus vulnérables.

Au-delà du virtuel, de nouveaux rituels sociaux

Enfin, il nous semble important de situer Twitch au-delà de la sphère numérique du spectacle car la plateforme donne également lieu à des formes inédites de rassemblements collectifs.

Le Zevent, événement caritatif français en est peut être l’exemple le plus éclatant. Pendant tout un week-end, des dizaines de créateurs unissent leurs voix et leurs communautés autour d’une cause commune, récoltant chaque année des millions d’euros pour des associations.

Mais ce qui s’y joue excède de loin la performance financière. Ces rassemblements fonctionnent comme de nouveaux rituels sociaux, où l’exaltation partagée et le sentiment d’unité réintroduisent du commun dans un monde fragmenté.

La participation collective au bien commun rejoue, dans un langage contemporain, les logiques du fonctionnement démocratique : chacun, par sa présence, son don ou même son simple soutien symbolique, contribue à une œuvre qui dépasse ses intérêts individuels.

Twitch devient alors le support d’une réintégration des individus au tissu social, là où une génération parfois décrite comme égocentrée, isolée ou désabusée montre au contraire sa capacité à inventer de nouvelles formes de solidarité et d’appartenance.

L’affaire Jean Pormanove rappelle toutefois combien ces espaces demeurent fragiles, et combien la modération, la régulation, l’accompagnement et l’éducation numérique sont cruciaux pour préserver leur potentiel social. Car au-delà du divertissement, c’est bien une partie de la vie collective qui s’y joue : celle d’une génération qui expérimente, en direct, de nouvelles manières d’être au monde.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

25.11.2025 à 11:19

Est-ce une bonne idée d’utiliser des IA comme confidentes ou comme soutien psychologique ?

José Sánchez Santamaría, Profesor Titular de Equidad Educativa y Aprendizaje a lo Largo de la Vida. Coordinador de GRIOCE - UCLM. Vocal de FEAE-CLM, Universidad de Castilla-La Mancha
Gabriela de la Cruz Flores, Profesora e investigadora en Psicología, Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM)
Hilda Paredes Dávila, Académica de la Facultad de Psicología, UNAM, Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM)
Jesús Miguel Muñoz Cantero, Catedrático de Didácticas Específicas y Métodos de Investigación y Diagnóstico en Educación, Universidade da Coruña
Les chatbots entraînés par IA séduisent. Mais le « réconfort numérique » ponctuel qu’ils peuvent apporter ne doit pas être confondu avec une relation amicale ou un soutien psychologique.
Texte intégral (2325 mots)
De plus en plus de personnes, notamment des jeunes, ont recours à des chatbots entraînés avec des IA pour gérer leurs émotions. Mais ces outils numériques ne peuvent se substituer à une relation humaine ni, le cas échéant, à une prise en charge par un spécialiste. SeventyFour/Shutterstock

Ils offrent une écoute immédiate, sont toujours disponibles et répondent calmement sans porter de jugement. Les agents conversationnels entraînés par IA (chatbots) séduisent, notamment les adolescents. Mais le « réconfort numérique » ponctuel qu’ils peuvent apporter ne doit pas être confondu avec les relations que l’on peut entretenir avec un ami, ni avec le soutien psychologique proposé par un professionnel.


« Bonjour ! Je vois que tu cherches à être un peu au calme. Tu n’es pas seul(e). Je suis là pour t’aider à respirer, à comprendre ce que tu ressens et à trouver un peu de réconfort. Veux-tu me dire ce qui te préoccupe en ce moment ? »

Ceci est le « texte initial » d’un chatbot (agents conversationnels entraînés par IA, ndlr) de soutien émotionnel. Il y a peu, cela relevait encore de la science-fiction. Mais aujourd’hui, beaucoup de gens attendent de l’IA plus que des réponses rapides : ils veulent de la compréhension, de la compagnie et du réconfort.

Par exemple, Nora, 14 ans, utilise un chatbot lorsqu’elle se dispute avec ses amies, nous a-t-elle confié. Quel que soit notre âge, nous pouvons être tentés d’utiliser cette technologie pour améliorer nos relations professionnelles ou trouver quelqu’un qui est toujours « à l’écoute ».

Une machine peut-elle vraiment être à notre écoute ?

On a l’impression que l’IA peut nous écouter et nous comprendre. Mais l’IA est une machine : elle n’écoute pas au sens humain du terme, mais traite des données. Elle fonctionne comme un système de prédiction statistique qui génère des réponses mot à mot.

Cela soulève des questions importantes : une IA peut-elle être un véritable soutien émotionnel ? Peut-elle remplacer un ami ? Ou même un psychologue ? Et quel est l’impact de tout cela sur notre bien-être ?

C’est quoi un chatbot ?

Un chatbot est un programme informatique avec lequel nous interagissons par le biais de texte, de voix ou d’images. Son fonctionnement est le suivant : il reçoit, interprète, décide, consulte et répond. Imaginez que vous écriviez : « Je souhaite modifier mon vol de samedi ». Il effectue alors les opérations suivantes : « modifier vol » + « vendredi », vérifie votre réservation dans l’ API, vous propose des options et confirme la modification.

Il existe plusieurs catégories de chatbots :

  • Des chatbots avec des réglages fixes : ces chabots donnent des réponses prérédigées. Elles sont courantes dans les services à la citoyenneté ou à la clientèle : ISSA (qui est l’équivalent espagnol d’Amelibot de l’Assurance maladie en France, ndlr) ou Rufus d’Amazon.
  • Des chatbots généralistes alimentés par IA : ils répondent à presque toutes les questions à l’aide de texte, d’images ou de voix, et servent à de nombreuses finalités différentes : ChatGPT, Perplexity ou Deepseek.

  • Des chatbots spécialisés alimentés par IA : ils ressemblent aux précédents, mais sont entrainés sur des thématiques spécifiques comme la santé émotionnelle (Wysa), l’éducation (Tutor AI) ou pour vous tenir compagnie (Replika).

  • Des assistants virtuels alimentés par IA : ils aident dans les tâches quotidiennes. Ils sont capables de suivre des instructions et d’effectuer des actions très concrètes, et proposent des alternatives : Siri (Apple), Alexa (Amazon) ou l’Assistant Google.

  • Des assistants personnalisés alimentés par IA : il s’agit de chatbots personnels et individuels créés par soi-même. Vous pouvez adapter leur style de réponse, leur ton et leurs fonctions pour apprendre une langue, planifier des voyages ou même pour effectuer des recherches ou obtenir des conseils juridiques : Watsonx Assistant, le chat Watson, la fonction GPT de ChatGPT ou le Gem de Gemini.

Des chatbots spécialisés dans la gestion des émotions

Le premier chatbot dédié à la gestion des émotions est apparu en 1966 et s’appelait Eliza. Il simulait une thérapie psychologique « centrée sur la personne », une technique développée par le psychologue Carl Rogers. Il s’agissait d’un chatbot basé sur des règles : si l’utilisateur disait « Je suis triste », Eliza répondait « Pourquoi pensez-vous être triste ? »

Actuellement, une étude américaine indique que la moitié des adultes voient d’un bon œil l’utilisation des chatbots de soutien émotionnel, une tendance que l’on retrouve en Europe.

En Espagne, 24 % de la population interrogée (dans une enquête menée par Axa sur la santé mentale, ndlr) (reconnaît utiliser des chatbots pour obtenir un soutien émotionnel, dont 45 % ont entre 18 et 24 ans.

Une autre enquête montre la même chose et souligne le fait que les filles les utilisent davantage. De notre côté, nous avons pu observer que les adolescents utilisent les chatbots pour exprimer et gérer leurs émotions, aussi pour se sentir accompagnés et compris dans les moments de tristesse ou quand ils rencontrent des difficultés. Voici quelques extraits de ce qu’ils nous ont confié dans notre récente étude :

« Je parle beaucoup avec ChatGPT. Cela me donne l’impression d’être accompagnée, surtout quand je me sens triste et que je ne me comprends pas très bien. »

« Une fois, je me suis disputée avec mon petit ami, je me sentais très mal et j’ai fini par me confier à l’IA. »

Pourquoi sont-ils si attrayants ?

Les chatbots offrent quelque chose que certains jeunes peuvent avoir du mal à obtenir par ailleurs : une écoute immédiate et sans jugement. Ils sont toujours disponibles, répondent calmement et permettent de parler dans un anonymat apparent. Dans les moments de confusion ou de solitude, cela peut générer un sentiment de contrôle et de soulagement, en nous permettant de nous défouler. Leur ton amical et le langage empathique qu’ils utilisent renforcent cette dépendance émotionnelle.

Dans une autre étude que nous avons menée, certains adolescents ont déclaré qu’ils confiaient à l’IA « des choses qu’ils ne diraient à personne » et que cela les aidait « à se calmer lorsqu’ils ont des problèmes », car cela ne les fait pas se sentir « remis en question » ni mal à l’aise par rapport à ce qu’ils partagent.

Peuvent-ils se comporter comme des amis ou des psychologues ?

Mais un chatbot ne remplace pas une amitié ni une thérapie. Il peut servir de « soutien ponctuel » ou d’espace d’expression – avec quelques nuances. Mais il ne substituera jamais à une relation humaine ni au jugement clinique d’un professionnel. Il y a au moins 10 raisons à cela :

  1. Il n’a aucune responsabilité éthique ou légale.

  2. Il ignore notre histoire et notre contexte.

  3. Il offre des réponses logiques, mais il peut se tromper et il est limité.

  4. Il cherche à satisfaire, non à défier. Il peut toujours donner raison, créant ainsi un effet bulle.

  5. Il n’est pas neutre.

  6. Il manque d’empathie.

  7. Il ne sait pas réagir en cas d’urgence.

  8. Il peut créer une dépendance émotionnelle.

  9. Il ne garantit ni la confidentialité ni une transparence totale.

  10. Il ne prévoit aucun suivi thérapeutique. Il ne sait pas interpréter les changements émotionnels.

Comment tirer bénéfice des chatbots pour la santé

Les chatbots spécialisés ne sont ni des psychologues ni des amis. La clé réside dans une utilisation réfléchie et éthique de ces outils :

  1. S’interroger sur les raisons qui nous amènent à les utiliser. Pour se défouler, mieux se comprendre, se distraire, ou alors se sentir accompagné ou soutenu ? Ils ne devraient pas servir à remplacer ou à fournir une solution rapide et facile à des situations émotionnelles complexes.

  2. Se demander pourquoi nous en avons besoin. Ce que dit un chatbot nous aide-t-il à comprendre comment nous nous sentons ou à prendre des décisions ? Que la réponse soit oui ou non, nous devons la remettre en question et ne pas lui accorder une crédibilité absolue. Même si ce que dit le chatbot était correct, cela pourrait avoir des effets psychologiques négatifs à moyen et long terme, que nous ne connaissons pas encore.

  3. S’informer. Il est essentiel de savoir comment fonctionne le chatbot, ce qu’il peut et ne peut pas faire, et quelles sont ses erreurs les plus courantes.

Apprendre à utiliser les chatbots

L’utilisation d’une technologie numérique n’est pas négative. Les chatbots peuvent « accompagner », mais ils ne remplacent pas l’affection, l’amitié ou l’attention psychologique d’ordre professionnel. Même en psychologie, on utilise de plus en plus d’outils entrainés par l’IA, bien que leurs limites fassent encore l’objet d’un débat.

Il convient d’être prudent, car nous ne connaissons pas encore leur impact et les risques associés. Notre bien-être émotionnel dépend également de la sécurité face à l’IA. Il ne faut pas confondre le réconfort numérique et le soutien prodigué par des professionnels ou les relations humaines. C’est l’un des défis que pose la vie numérique actuelle.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

24.11.2025 à 16:33

La justice restaurative aide-t-elle les femmes victimes de violences sexuelles ?

Delphine Griveaud, Chargée de recherche au Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS), Université catholique de Louvain (UCLouvain)
Emeline Fourment, maîtresse de conférences en science politique et études de genre, Université de Rouen Normandie
La justice restaurative, appliquée aux violences de genre, est-elle un risque pour les victimes ou un espace de reconstruction ? Enquête auprès de celles qui en ont fait l’expérience.
Texte intégral (2479 mots)
Le film _Je verrai toujours vos visages_ (2023), de Jeanne Herry, restitue avec acuité la pratique de la justice restaurative en France. Christophe Brachet/Chifoumi Prod/Trésor Films/StudioCanal/France 3 Cinéma

La justice restaurative consiste à accompagner des victimes et des auteurs d’infractions qui souhaitent dialoguer. Ce type de rencontre ne prétend pas remplacer la justice pénale, mais offrir une option supplémentaire à celles et ceux qui y aspirent. Que sait-on aujourd'hui de ces mesures, de leurs effets, de leurs limites et des expériences de celles qui les vivent ?


Le film Je verrai toujours vos visages (2023), de Jeanne Herry, a permis au grand public de découvrir l’existence des mesures de justice restaurative prévues par le système judiciaire français. Fidèle à la réalité, cette fiction montre notamment le processus par lequel une jeune femme en vient à rencontrer son frère, qui l’a plusieurs fois violée enfant. Elle souhaite convenir avec lui d’une séparation des espaces de la ville dans laquelle elle et lui vont devoir cohabiter alors qu’il vient de sortir de prison. Ce cas a suscité des réactions critiques, soulignant les débats houleux qui entourent la justice restaurative dans le cas de violences de genre.

Peut-on traiter à égalité, dans le processus d’une médiation, les propos et attentes d’une victime d’inceste et de celui qui l’a violée ? Cela revient-il à minimiser les faits ? Ne serait-il pas dangereux, au moins psychiquement, pour une victime de violence sexuelle de rencontrer son agresseur ? Y a-t-il là un trop fort risque d’instrumentalisation du processus de la part de l’auteur des faits ?

Ces questions agitent les discussions sur la justice restaurative en cas de violences de genre, mais à l’aune de nos recherches en sciences sociales auprès des premières personnes concernées, elles tendent à réduire la complexité de la pratique.

Justice restaurative : de quoi parle-t-on ?

Depuis 2014, l’article 10-1 du Code de procédure pénale indique qu’une mesure de justice restaurative peut être proposée

« à l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, [à] la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus ».

Ces mesures sont mises en place si victimes et auteurs le souhaitent. Elles développent une approche différente de la justice pénale : il s’agit moins de punir l’auteur des faits que de créer un dialogue entre victimes et auteurs pour réparer les victimes et responsabiliser les auteurs.

Différentes pratiques restauratives coexistent en France aujourd’hui. Les plus répandues sont les médiations restauratives : des processus, longs, menés par des animateurs et animatrices formées à cet effet, qui offrent un cadre sécurisant à une victime ou un auteur de délit/crime pour revenir sur ce qu’il s’est passé, et se préparer à une rencontre avec l’autre (son auteur, sa victime) s’ils le souhaitent.

Ces mesures reposent sur la libre participation de celles et ceux qui le souhaitent, elles ne peuvent en aucun cas être imposées. Étant donné le peu de moyens alloués et le manque d’information des justiciables, elles sont peu nombreuses. En 2023, l’Institut français pour la justice restaurative, l’association prenant en charge la majorité des mesures de justice restaurative sur le territoire dénombrait 89 mesures terminées et 158 en cours, dont plus de 90 % de médiations restauratives. En agrégeant à cela les mesures restauratives de toutes les autres organisations, à l’activité quantitativement plus restreinte, on ne dépasse pas les 200 mesures terminées sur l’année 2023. Selon les estimations les plus récentes, les deux tiers de ces mesures concernent des violences de genre, cette proportion ayant progressivement augmenté depuis 2014.

La justice restaurative : un danger pour les victimes de violences de genre ?

Parce qu’elle s’appuie sur une approche relationnelle qui tend à (ré)instaurer une communication entre eux par un processus qui propose autant d’écoute et de considération à l’un qu’à l’autre, on peut considérer que la justice restaurative tend à symétriser les positions de victime et d’auteur.

Cette démarche égalitariste peut entrer en conflit avec la perspective des associations de lutte contre les violences sexuelles (et/ou conjugales, incestueuses, etc.) qui mettent l’accent sur le rapport de pouvoir existant entre auteur et victime et sur les risques que cette asymétrie engendre en cas de face-à-face. Elles craignent que cela réinstaure l’« emprise » de l’auteur sur la victime et accroisse le risque de « revictimiser » la victime.

Reposant sur une compréhension individuelle des violences, qui emprunte à des savoirs psychologiques très diffusés actuellement, une telle approche amène à considérer le pouvoir que prennent les auteurs sur les victimes en matière de violences de genre moins comme le produit d’un contexte social inégalitaire que comme une faculté individuelle des auteurs, qui leur permet de prendre l’ascendant psychique sur leur victime pour les déposséder de leur libre arbitre. Dans cette perspective, la source du pouvoir n’est pas un ensemble de mécanismes sociaux mais la personnalité de l’auteur lui-même.

Par ailleurs, certaines associations féministes voient dans les « médiations restauratives » une manière déguisée de contourner l’interdiction pour une autorité publique d’imposer une médiation dans les situations de violences dans le couple ; celle-ci a justement été posée pour couper court aux risques d’emprise des hommes violents sur leurs victimes par la Convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes, ratifiée par la France en 2014.

Pourtant, la médiation restaurative n’est pas une médiation obligatoire telle qu’interdite dans la Convention, elle ne peut pas être imposée, elle n’est pas un acte de procédure pénale et n’a pas les mêmes objectifs que celle-ci. Mais ces distinctions semblent floues pour beaucoup, et les pouvoirs publics prennent donc de grandes précautions au sujet de la justice restaurative en cas de violence conjugale.

Ce sont alors d’autres types de pratiques restauratives qui sont privilégiées, des pratiques indirectes, qui accompagnent auteurs et victimes à des rencontres avec d’autres auteurs et victimes qui ont commis ou subi le même type de délit/crime, mais qui ne se connaissent pas au préalable. Ces dispositifs sont appelés « rencontres détenus-victimes ».

Les réticences sont moins grandes du côté des pouvoirs publics dans les cas de violences sexuelles extérieures au couple, mais elles ont pu émerger du côté des associations : en 2022, la Fédération des CIDFF (centres d’information sur les droits des femmes et des familles) s’est ainsi opposée à la justice restaurative au niveau national, tandis que le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Civiise) de 2023 la rejetait catégoriquement dans les cas de violences incestueuses.

Ce que les victimes de violences de genre font de la justice restaurative

Les débats sur la pertinence de la justice restaurative dans les cas de violences de genre sont souvent théoriques, et détachés de l’analyse de ce qu’il se passe réellement quand des mesures de justice restaurative sont mises en place. Surtout, ces débats sont menés au nom du bien-être et de la protection des victimes, sans connaissance réelle de la méthode de travail des associations spécialisées et sans qu’on entende les voix de celles qui ont bénéficié ou sont engagées dans une mesure de justice restaurative.

Entre 2022 et 2023, notre terrain d’enquête nous a amenées à rencontrer 14 d’entre elles : neuf victimes de violences sexuelles et cinq victimes de violences conjugales (dont les violences étaient à la fois psychologiques, physiques et sexuelles). Certaines se sont lancées dans la justice restaurative après une mauvaise expérience avec la justice pénale, au cours de laquelle elles ne s’étaient pas senties écoutées. D’autres sont dans des situations beaucoup plus rares en France, mais qui tendent à se développer : elles ont été prises en charge par des associations qui, contrairement à celles travaillant sous financement du ministère de la justice, acceptent d’accompagner des médiations restauratives hors de toute reconnaissance judiciaire. Elles n’ont donc jamais déposé plainte. Cinq ont fait l’expérience d’une rencontre entre détenus et victimes ; neuf d’une médiation restaurative. Ce nombre de victimes est trop peu élevé pour que nos observations puissent avoir un caractère représentatif, mais il nous donne un aperçu de ce que peut être la justice restaurative en cas de violences de genre.

Tout d’abord, les raisons qui ont amené ces personnes à s’engager dans la justice restaurative sont multiples : souvent, elles saisissent une main tendue et l’opportunité, rare, d’une écoute gratuite et inconditionnelle, elles espèrent que cela leur permettra d’aller mieux, mais elles peuvent aussi vouloir poser des questions à un ou à leur auteur ou espérer que la démarche pourra transformer l’auteur et ainsi protéger d’autres femmes ou enfants. Ensuite, elles s’approprient de manières disparates les dispositifs. À rebours de l’image de passivité prêtée aux victimes, l’une d’entre elles nous a raconté avoir parlé sans discontinuer pendant une heure lors de la rencontre avec son frère qui l’avait violée enfant. Elle lui a dit tout ce qu’elle n’avait jamais pu lui dire dans le cadre familial qui, contrairement au cadre créé par la justice restaurative, ne légitimait pas sa parole.

Enfin, toutes les personnes que nous avons rencontrées ont souligné l’importance d’avoir été reconnues et écoutées par les praticiennes de la justice restaurative, sans remise en cause de leur récit ni injonction à s’expliquer, se justifier.

Témoignages de praticiennes de la justice restaurative.

Cette considération est racontée comme étant en elle-même réparatrice, et ce, aussi parce qu’elle contraste avec le peu d’attention apportée aux victimes par leur entourage. Les personnes rencontrées qui sont, ou ont été, engagées dans une procédure judiciaire opposent par ailleurs une justice pénale froide, technique et pragmatique à une justice restaurative chaleureuse, empathique, et laissant place aux émotions.

En pratique donc, les victimes de violences de genre avec qui nous avons échangé ne se sentent pas vulnérabilisées par les mesures de justice restaurative. Au contraire, elles se disent renforcées par elles. Ces expériences sont produites, selon les cas, à la fois par la considération et la reconnaissance accompagnant l’entrée dans les mesures, par le travail émotionnel des praticiennes, par la resocialisation permise par la mesure (sortie de l’isolement que connaissent de nombreuses victimes à la suite des violences, formation d’amitiés avec d’autres victimes rencontrées pendant le parcours, et même avec des auteurs participant aux cercles de parole) et par la revalorisation de soi qu’elle permet bien souvent également.

Ces résultats indiquent sans doute l’importance du contexte que la justice restaurative produit pour la rencontre entre victime et auteur : considérant auteurs et victimes à parts égales, il peut donner de fait plus de pouvoir aux victimes qu’elles n’en avaient dans les relations violentes qui les liaient à leurs agresseurs, d’autant plus que ce cadre s’éloigne de la figure de passivité attribuée aux victimes pour ouvrir la possibilité d’une prise en main de leur histoire. En revanche, si le cadre créé par la justice restaurative établit une égalité entre auteur et victime au moment de leur rencontre, il ne change pas les inégalités sociales qui ont permis la violence. En cela, selon nous, la justice restaurative ne constitue pas tant un moyen de lutte contre les violences de genre que la rustine d’une société qui tolère, et favorise, ces violences.

The Conversation

Delphine Griveaud a reçu pour cette recherche des financements du Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS), de l'Institut Robert Badinter (CNRS - Ministère de la Justice), de la Direction et l'Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, et du Service d'aide aux victimes et à l'aide juridictionnelle.

Emeline Fourment a reçu pour cette recherche des financements de l'Institut Robert Badinter (CNRS - Ministère de la Justice) et du Centre Rouennais d'Etudes Juridiques (CUREJ).

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