ACCÈS LIBRE UNE Politique International Environnement Technologies Culture
01.07.2025 à 16:51
BD : L’Héritage du dodo (épisode 10)
Texte intégral (749 mots)
La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, le 10e et dernier épisode de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Dans cet épisode final, on fait le point sur ce qu’il nous reste à faire.
L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…
On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !
Retrouvez ici le dixième et dernier épisode de la série !
Ou rattrapez les épisodes précédents :
Épisode 1
Épisode 2
Épisode 3
Épisode 4
Épisode 5
Épisode 6
Épisode 7
Épisode 8
Épisode 9
Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !
Merci d’avoir suivi L’Héritage du dodo. N’hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous. On a fait cette BD pour vous, on est curieux de savoir ce que vous en pensez.
Et pour continuer de nous suivre, abonnez vous sur :
Une BD de Franck Courchamp & Mathieu Ughetti
Qui sommes-nous ?
Republication des planches sur support papier interdite sans l’accord des auteurs
Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.

Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.
Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
01.07.2025 à 16:51
Israël–Iran : la guerre économique a déjà un vainqueur
Texte intégral (2056 mots)
Alors qu’un cessez-le-feu, fragile et incertain, est entré en vigueur entre la République islamique d'Iran et Israël, une autre guerre, moins visible mais tout aussi décisive, gagne en intensité : la guerre économique. Car, au-delà des frappes et des missiles, ce sont les finances publiques, la stabilité monétaire et la résilience industrielle qui façonnent les rapports de force.
Le 20 juin, les États-Unis frappent le site de Fordo, une installation hautement sécurisée construite à flanc de montagne près de Qom, conçue pour résister à d’éventuels bombardements. Ce site incarne l’avancée clandestine du programme nucléaire iranien et sa destruction – inachevée selon plusieurs sources –marque une nouvelle étape dans l’escalade militaire entre Israël et la République islamique d’Iran (RII).
Les guerres ne se décident pas seulement sur le terrain militaire. Elles reposent sur les capacités économiques des États qui les mènent. Une armée peut tirer, avancer, frapper, seulement si son pays peut financer ses armes, entretenir ses troupes, réparer ses infrastructures et maintenir sa cohésion interne. Sans ressources, sans capacité de production et sans marge budgétaire, l’effort de guerre s’effondre, quelle que soit la stratégie militaire.
C’est ce que plusieurs économistes, issus de traditions intellectuelles variées, ont souligné avec force. Kenneth Boulding affirmait dès 1962 qu’un pays économiquement affaibli voit sa puissance militaire s’éroder mécaniquement. Duncan Weldon rappelle que les Alliés ont gagné la Seconde Guerre mondiale non seulement sur le front, mais surtout par leur supériorité industrielle. Brigitte Granville, dans What Ails France ?, montre comment les déséquilibres macroéconomiques prolongés fragilisent la souveraineté de l’État. Mark Harrison quant à lui insiste sur le lien entre puissance économique, capacité étatique et efficacité stratégique. J. Bradford DeLong, enfin, observe que les régimes autoritaires du XXe siècle ont souvent été défaits non pas par manque de volonté politique, mais par l’incapacité structurelle de leurs économies à soutenir une guerre prolongée.
Tous ces travaux convergent vers un même enseignement : la force militaire dépend de la solidité économique. Une économie dégradée limite les capacités d’armement, désorganise les chaînes logistiques, fragilise la mobilisation de la population – et réduit, in fine, les chances de victoire.
Dans cette perspective, et au-delà du verdict militaire encore incertain, une question s’impose dès aujourd’hui : dans le conflit ouvert entre Israël et la RII le 13 juin 2025 et interrompu 12 jours plus tard par un cessez-le-feu fragile et incertain qui ne garantit point l'apaisement des tensions, qui gagne la guerre économique – celle qui conditionne toute victoire sur le terrain ?
État des forces économiques des belligérants au seuil de la guerre
Lorsque la guerre éclate le 13 juin 2025, l’économie de l'Iran est déjà exsangue. Selon le FMI, sa croissance réelle du PIB pour l’année est estimée à seulement 0,3 %, contre 3,7 % pour Israël au premier trimestre.
Le chômage illustre également ce déséquilibre. En 2024, il atteint 9,2 % en Iran, chiffre bien en-deçà de la réalité, contre un taux contenu entre 3,0 et 3,5 % en Israël. Ce différentiel traduit une dynamique socio-économique défavorable pour la République islamique, dont la population appauvrie est bien moins mobilisable dans la durée.
L’inflation accentue encore cette asymétrie. Elle est projetée à 43,3 % en Iran contre seulement 3,1 % en Israël. L’érosion rapide du pouvoir d’achat rend la mobilisation sociale difficile à maintenir pour le régime, tant sur le plan logistique que politique.
Côté finances publiques, le déficit budgétaire iranien atteint 6 % du PIB, alourdi par des subventions ciblées et des dépenses idéologiques. Israël, de son côté, parvient à contenir son déficit à 4,9 %, malgré une forte hausse des dépenses militaires. Là encore, le contraste signale une dissymétrie stratégique structurelle.
La situation monétaire renforce ce déséquilibre. Le rial s’est effondré, passant de 32 000 IRR/USD en 2018 à près de 930 000 IRR/USD en 2025. À l’inverse, le shekel reste stable autour de 3,57 ILS/USD. Une monnaie stable permet à Israël de maintenir ses importations critiques et de financer son effort de guerre dans des conditions soutenables. La RII, au contraire, voit sa capacité de financement militaire minée par une défiance monétaire généralisée.
Enfin, l’ouverture économique creuse davantage l’écart. L’Iran reste largement isolé du système financier international, frappé par les sanctions et déserté par les investisseurs étrangers, évoluant ainsi dans une autarcie contrainte. Israël bénéficie au contraire d’une intégration industrielle et technologique consolidée par ses alliances stratégiques.
Au total, la République islamique d’Iran entre dans le conflit dans une position structurellement défavorable : faible croissance, inflation galopante, déficit public incontrôlé, monnaie en chute libre, isolement économique, et population précarisée mécontente. Israël s’engage quant à lui avec un socle économique solide, des indicateurs de résilience et une profondeur stratégique qui lui permettent d’envisager un effort militaire prolongé.
Le coût quotidien de la guerre : une pression inégale sur les économies
Le conflit entre Israël et la RII s'est caractérisé par des campagnes aériennes intensives, des bombardements ciblés, des tirs de missiles longue portée et des cyberattaques. Les frappes israéliennes ont prioritairement visé des infrastructures militaires et logistiques.
Les dépenses engagées sont considérables : munitions guidées, missiles, drones, avions de chasse, radars, systèmes antiaériens, dispositifs de guerre électronique, salaires et primes militaires, ainsi que toute la logistique liée au front. Selon le Middle East Monitor, s’appuyant sur des données relayées par le Wall Street Journal, le coût quotidien du conflit s’élèverait à environ 200 millions de dollars pour Israël.
Pour la RII, aucune estimation indépendante n’est disponible à ce jour dans des sources reconnues. Toutefois, certains observateurs avancent, sans vérification rigoureuse, une fourchette allant de 150 à 200 millions de dollars par jour. Cette hypothèse doit être prise avec prudence, en l’absence de sources publiques confirmées.
Mais ces montants, similaires en valeur absolue, n’ont pas du tout le même poids économique selon les pays. Leurs effets, leur soutenabilité et leur impact sur la durée dépendent directement de la structure et de la santé économique de chaque État. Là où Israël peut absorber le choc, l’Iran semble déjà en tension.
Financer la guerre : entre ressources disponibles et épuisement des leviers
Israël soutient son effort de guerre grâce à un environnement financier solide, un accès complet aux marchés internationaux et un tissu productif performant. Il bénéficie aussi d’un appui logistique et stratégique direct des États-Unis (ravitaillements, batteries THAAD, intercepteurs, présence navale) et de renforts britanniques. L’OECD Economic Survey : Israel 2025 conclut qu’Israël conserve une stabilité macroéconomique robuste malgré les tensions géopolitiques.
La RII, en revanche, reste privée d’aide bilatérale et exclue des marchés de capitaux. Son financement de guerre repose sur :
1) Des exportations pétrolières résiduelles ;
2) Un endettement intérieur via des bons du trésor ;
3) Des collectes informelles religieuses (ṣadaqa maḏhabī, naḏr o niyāz) depuis l’été 2025.
Dans le budget 2025, l’augmentation des crédits alloués aux Gardiens de la Révolution et aux entités religieuses dépasse 35 %, tandis que les salaires publics grimpent de 18 à 20 %, dans un contexte d’inflation estimée à plus de 40 %. Ainsi, l’Iran oriente ses ressources vers la survie idéologique plutôt que la soutenabilité économique à long terme.
Conclusion : l’Iran mène la guerre dans une fragilité croissante – sans marges fiscales, sans soutien extérieur et dans un climat de défiance généralisée – tandis qu’Israël conserve pour l’heure une capacité d’action durable.
Une asymétrie stratégique à portée systémique
À l’issue de cette analyse, un constat s’impose : Israël est en train de remporter la guerre économique, indépendamment de l’évolution militaire immédiate.
Le pays s’appuie sur des alliances solides, des marges budgétaires substantielles et un environnement financier stable qui lui permettent de soutenir son effort de guerre dans la durée. Ce socle est consolidé par un soutien logistique et diplomatique direct des États-Unis – et, dans une moindre mesure, du Royaume-Uni – qui étend sa profondeur stratégique bien au-delà de ses frontières.
La République islamique d’Iran, en revanche, mène ce conflit dans un isolement quasi total, sans appui extérieur et avec des ressources internes de plus en plus fragiles : exportations pétrolières limitées, endettement intérieur peu soutenable, captation de fonds religieux. Cette situation ne reflète pas seulement deux modèles économiques distincts, mais deux trajectoires institutionnelles divergentes, désormais soumises à l’épreuve d’une guerre prolongée.
L’histoire récente – de la Yougoslavie des années 1990 à la Russie de 1917, en passant par l’Allemagne impériale en 1918 ou la Syrie après 2012 – montre que l’effondrement économique peut précipiter la défaite, même sans effondrement militaire immédiat.
Dès lors, la question centrale devient celle de la soutenabilité. La République islamique d’Iran peut-elle poursuivre son engagement militaire sans déclencher de ruptures budgétaires, monétaires ou sociales ? Israël, malgré sa solidité, pourra-t-il maintenir le soutien de sa population dans le cas d’un enlisement ou d’un choc stratégique externe ?
Dans ce face-à-face, l’économie ne joue pas un rôle secondaire. Elle est le révélateur du déséquilibre stratégique – et peut-être, à terme, le facteur décisif du basculement. Une stratégie comparable à la « guerre des étoiles » de Reagan, qui avait épuisé l’URSS en l’entraînant dans une course aux dépenses militaires insoutenables, semble aujourd’hui appliquée à la République islamique d’Iran.

Djamchid Assadi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
01.07.2025 à 16:51
Le nationalisme mène-t-il toujours au fascisme ?
Texte intégral (1649 mots)
Souvent associé à l’extrême droite, le nationalisme peut aussi servir des projets progressistes d’autodétermination. La spécificité du fascisme réside dans la réappropriation ethnique et autoritaire du nationalisme à des fins de domination et d’exclusion.
Le nationalisme est généralement considéré comme l’apanage de la droite politique, et il a longtemps été un pilier des gouvernements autoritaires et fascistes à travers le monde. Dans les pays démocratiques, le terme « nationalisme » est associé au chauvinisme national – une croyance en la supériorité inhérente de sa propre nation et de ses citoyens –, mais la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît.
Pour commencer, il y a peu de différence entre patriotisme et nationalisme, si ce n’est une question de degré d’intensité. La plupart d’entre nous reconnaissent cependant la distinction entre l’amour de son pays et les aspects plus durs, souvent exclusifs ou xénophobes, du nationalisme extrême. Le patriotisme est un nationalisme modéré, mais le nationalisme radical dérive souvent vers la xénophobie.
L’analyse devient encore plus complexe avec le nationalisme infra-étatique ou minoritaire, un phénomène tout à fait différent, souvent associé à des idéaux de gauche ou progressistes. De nombreux partis et idéologies – en Europe, dans les Amériques et ailleurs – utilisent le terme « nationaliste » sans connotation d’extrême droite. Ils présentent plutôt la nation comme une force d’émancipation visant l’autodétermination d’un territoire donné.
Ainsi, le National Party au Suriname, le Parti nationaliste basque, le Scottish National Party et le Bloc nationaliste galicien. Certains grands mouvements de gauche européens, comme le parti irlandais Sinn Féin, sont farouchement nationalistes, tandis que d’autres, comme le gallois Plaid Cymru, adhèrent à des principes éco-socialistes.
Cela ne signifie pas que les nationalismes minoritaires ou infra-étatiques soient à l’abri de l’influence de l’extrême droite. Le parti belge Vlaams Belang et l’Alliance catalane sont deux exemples contemporains de nationalisme minoritaire d’extrême droite. Si l’on remonte plus loin, l’Organisation des nationalistes ukrainiens et l’Union nationale flamande occupaient un espace politique similaire dans l’entre-deux-guerres.
Malgré ces nuances, l’idéologie nationaliste glisse souvent facilement vers le fascisme. La résurgence du nationalisme ethnique à la fin du XXe siècle a également renforcé cette association, souvent véhiculée par les concepts de nativisme et de populisme, donnant naissance à des mouvements aussi divers que le « Make America Great Again » de Trump, l’irrédentisme de Poutine ou le nationalisme hindou hindutva de Narendra Modi en Inde.
L’importance de la nation au sein du fascisme semble aller de soi, et le nationalisme constitue une base de toute idéologie fasciste. Cependant, la relation entre nationalisme et fascisme reste encore peu explorée. Mes recherches visent à combler cette lacune en étudiant de près le lien entre les diverses conceptions de la nation et le contenu idéologique du fascisme.
Nationalisme ethnique et naissance du fascisme
L’idéologie fasciste a souvent été comprise comme un prolongement inévitable des formes de nationalisme ethnique du XIXe siècle. Favorisé par l’impérialisme européen et la Première Guerre mondiale, le nationalisme est devenu de plus en plus chauvin, raciste et xénophobe.
Cette tournure ethnique du nationalisme a été déterminante pour en faire un instrument du fascisme, ainsi qu’un argument central pour diverses formes de droite radicale, allant d’un conservatisme « fascisé » à des régimes autoritaires plus affirmés.
Dans la plupart des théories sur le fascisme, le nationalisme est implicitement lié à une vision unifiée de la nation comme entité organique, avec des critères d’inclusion fondés sur des vérités « objectives » comme la langue, le sang et le sol, l’histoire et la tradition.
Cependant, des éléments comme l’ascendance, l’histoire et le territoire ne sont pas propres aux conceptions fascistes ou autoritaires de la nation. Beaucoup de ces composantes se retrouvent aussi dans des définitions libérales et républicaines de la nation, qui supposent l’existence d’une « communauté culturelle » au sein de laquelle la citoyenneté se construit.
En réalité, plusieurs mouvements progressistes en Europe – comme Sinn Féin en Irlande – s’enracinent dans un nationalisme radical au début du XXe siècle, et défendent aujourd’hui une vision tolérante et ouverte de la société, à l’opposé du fascisme.
Il est donc vrai que tout fasciste est nationaliste, mais tout nationaliste n’est pas nécessairement fasciste. Cela soulève la question suivante : comment le fascisme instrumentalise-t-il le nationalisme pour parvenir à ses fins ? À mon avis, il existe une conception et une utilisation spécifiquement fascistes du nationalisme.
Le nationalisme fasciste en cinq points
Les fascistes voient la nation comme une entité organique unique, unissant les personnes non seulement par leur ascendance, mais aussi par le triomphe de la volonté. Elle devient ainsi la force motrice et unificatrice des masses vers un objectif commun. Mais pour cela, les fascistes doivent réinterpréter le nationalisme à leur manière.
Pour servir le fascisme, le concept de nation doit s’aligner avec les principes fondamentaux de l’idéologie fasciste : l’idée de révolution, l’ordre social corporatiste, la pureté raciale (définie biologiquement ou culturellement) et la mise en avant de valeurs non rationnelles. La diversité des traditions nationalistes explique aussi la variété géographique du fascisme.
Bien que les éléments fournis par le nationalisme soient anciens, le fascisme les a recombinés pour créer quelque chose de nouveau. Cela a produit ce que l’on appelle une conception « générique » de la nation fasciste, qui peut être résumée en cinq points clés :
Une vision paramilitaire des liens sociaux et du caractère national : la nation vit dans un état de mobilisation militaire permanente, où les valeurs martiales comme la discipline, l’unité de commandement et le sacrifice priment sur les droits individuels. L’ordre social tout entier et la nature de ses liens sont intégrés à un schéma paramilitaire, ce qui signifie que toute l’organisation sociale devient une sorte de caserne. Cela explique aussi la tendance expansionniste du fascisme, sa quête d’empire et ses guerres – autant de causes servant à garder la nation mobilisée en permanence et unie.
Une vision darwinienne de la société nationale et internationale où survivent les meilleurs : cela entraîne l’exclusion des autres (définis selon la race, la langue, la culture, etc.), la croyance en la souveraineté absolue de sa nation, et la justification de la violence contre ses ennemis internes et externes. L’impérialisme devient la conséquence naturelle du nationalisme affirmatif.
La nation au-dessus de tout, y compris la religion : les régimes fascistes se sont généralement déclarés indépendants de la religion. Là où ils sont arrivés au pouvoir, la plupart ont passé un accord avec l’Église, pourtant, le fascisme place toujours la nation au-dessus de Dieu et de la foi, de manière explicite ou implicite.
L’unité de l’État, de la culture et de la nation : dans la vision fasciste, la nation ne domine ni ne sert l’État. Elle s’y identifie totalement tout en le dépassant : c’est ce qu’on appelle le national-étatisme.
La croyance absolue dans un leader charismatique : la nation fasciste repose sur la confiance inconditionnelle envers un chef unique et tout-puissant. Dans l’Allemagne nazie, c'était le Führerprinzip selon lequel la parole du Führer surpassait toute loi écrite. Cette figure du chef fasciste transcende celle du héros national du XIXe siècle ou « père fondateur » de la nation. Le leader fasciste assimile et incarne les qualités de tous les héros nationaux qui l’ont précédé.

Xosé M. Núñez Seixas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
01.07.2025 à 13:56
Consommation sobre : un défi culturel autant qu'économique
Texte intégral (1086 mots)

Pour rendre les modes de consommation sobres (durée de vie accrue des objets, réparation, réemploi…) plus désirables, il faut à la fois transformer leurs représentations sociales et mettre en place des dispositifs concrets pour mieux accompagner les consommateurs, expliquent Joël Ntsondé (ISTEC), Chloé Steux (Ecole polytechnique) et Franck Aggeri (Mines Paris - PSL).
Les Français se disent prêts à réduire leur consommation de biens matériels, selon une enquête de l’Agence de la transition écologique (Ademe). Ce qui n’a pas empêché sa campagne sur les « dévendeurs » de nourrir la controverse.
Ne pas associer sobriété et privation
Le marché de l’occasion, aujourd’hui considéré comme vertueux pour l’économie et l’environnement, montre comment l’évolution des représentations sociales peut favoriser de nouvelles pratiques de consommation. Une démarche à transposer à la sobriété, qui s’oppose à la possibilité d’une consommation et d’une production illimitée de biens matériels. La difficulté est aussi de ne pas associer sobriété et privation, sans parler des objectifs de croissance économique. Or, cela touche aux représentations individuelles, sociales et culturelles au fondement de nos sociétés.

Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ».
Pour rendre la sobriété désirable, on peut activer le levier des imaginaires sociaux. En effet, pour acheter moins et mieux, il faut un rapport différent au temps, à la possession et à l’accumulation de biens matériels. Il s’agit par exemple de réapprendre à entretenir les objets et les réparer. Il en va de même pour nos vêtements, dont les principales sources de séparation et de renouvellement sont l’usure et la lassitude. Les repriser ou les personnaliser nous aide à nous y attacher… et à les utiliser plus longtemps. C’est un changement systémique qui remettrait en cause les stratégies commerciales, renforcées par l’obsolescence esthétique et marketing, qui imprègnent nos imaginaires collectifs.
Pour cela, il faut renforcer la légitimité des pratiques de consommation sobres et agir sur les structures anthropologiques de l’imaginaire, les mythes, récits, symboles et croyances des acteurs. En ce sens, fabricants et distributeurs ont un rôle crucial à jouer, grâce à des offres commerciales détachées des logiques de volumes. Celles-ci peuvent être basées sur la réparabilité, la durabilité, ou encore l’économie de la fonctionnalité. Elles peuvent ainsi essaimer non seulement dans la tête des consommateurs, mais aussi chez les autres acteurs du marché.
Des « dispositifs de confiance »
Ce changement des imaginaires n’est toutefois pas suffisant : encore faut-il accompagner l’évolution des pratiques. Favoriser la réparation passe par le développement de ce que le sociologue Lucien Karpik appelle des « dispositifs de confiance », qui visent à rassurer les consommateurs sur la qualité de la réparation.
Ils peuvent prendre différentes formes : labels, guides, normes techniques… Nous pourrions envisager, à l’échelle nationale, la création d’un observatoire de la réparation. Il pourrait informer les consommateurs sur les acteurs qualifiés, la réparabilité des produits et des marques, les délais moyens ou les fourchettes de prix pratiqués. Cela améliorerait l’accès à ces activités sur le plan pratique, mais aussi leur image.

Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Joël Ntsondé (ISTEC), Chloé Steux (Ecole polytechnique) et Franck Aggeri (Mines Paris - PSL).
01.07.2025 à 12:35
Maladie d’Alzheimer et virus de l’herpès : que dit la science sur les liens possibles ?
Texte intégral (2343 mots)
Des études publiées dans des revues scientifiques de premier plan soutiennent l’hypothèse de liens entre la maladie d’Alzheimer et l’exposition au virus de l’herpès. Les travaux de recherche se poursuivent pour confirmer ou non ce scénario, sachant qu’Alzheimer est une pathologie complexe, très certainement déterminée par de multiples facteurs de risque.
La maladie d’Alzheimer est une pathologie neurodégénérative qui touche des sujets âgés dans sa forme la plus commune. On estime que 1 200 000 personnes souffrent de maladies neurodégénératives de type Alzheimer en France.
Découverte il y a un siècle, cette pathologie reste très largement énigmatique et les mécanismes exacts à l’origine de son déclenchement et de son évolution mal connus.
Parmi les hypothèses qui font l’objet de recherche, celle d’un lien entre Alzheimer et l’exposition au virus de l’herpès se voit renforcée par des publications récentes.
Des lésions cérébrales à l’origine d’un trouble cognitif majeur
La maladie d’Alzheimer est caractérisée par un ensemble de lésions microscopiques, initialement confinées dans certaines régions cérébrales. Les lésions se propagent ensuite, au fil de l’évolution de la maladie, dans de multiples aires du cerveau.

Chaque mardi, le plein d’infos santé : nutrition, bien-être, nouveaux traitements… Abonnez-vous gratuitement dès aujourd’hui.
Cette progression lente et stéréotypée des atteintes cérébrales s’accompagne de symptômes cliniques gradués (troubles de mémoire, perturbations du langage, difficulté à raisonner et planifier les actions, etc.). Les patients atteints de la maladie d’Alzheimer vont ainsi développer un trouble neurocognitif majeur (le terme de démence est parfois utilisé) menant à la perte d’autonomie, à l’isolement social et à la disparition des facultés mentales les plus complexes, évoluées et représentatives de l’espèce humaine.
Les lésions cérébrales qui entrainent ces manifestations cliniques dramatiques sont schématiquement de deux types :
1) Certaines lésions sont présentes à l’intérieur des neurones sous forme d’enchevêtrements fibrillaires (on parle de « dégénérescence neurofibrillaire ») constitués d’une protéine, la protéine tau, qui s’accumule sous une forme anormale.
2) D’autres lésions sont identifiées dans l’espace extracellulaire du tissu cérébral, sous la forme de plaques, dont la nature chimique est principalement composée d’une protéine (le peptide amyloïde-ß ou Aß) : les plaques amyloïdes.
Les dégénérescences neurofibrillaires et les plaques amyloïdes constituent la signature neuropathologique de la maladie d’Alzheimer. Toutefois, d’autres lésions sont observées dans les cerveaux des patients.
À ce jour, aucun traitement préventif ou curatif
Concernant les mécanismes à l’origine de la maladie, une avancée importante s’est produite au tournant des années 90 avec l’identification, chez certains patients, de mutations génétiques impliquées dans la production du peptide Aß.
Ces découvertes ont permis d’ébaucher l’hypothèse de la « cascade amyloïde » qui propose que l’accumulation de peptide Aß dans le cerveau est un événement princeps et fondateur qui va entrainer l’ensemble des autres lésions cérébrales et mener à la démence.
Cependant, les mutations responsables d’une surproduction d’Aß ne concernent qu’une très faible minorité de patients (moins de 1 %) et il est vraisemblable qu’une multitude d’autres facteurs causaux sont à l’œuvre dans la maladie.
Sans connaissance approfondie des mécanismes responsables de la maladie d’Alzheimer, il n’est pas illogique de constater qu’aujourd’hui aucun traitement préventif ou curatif efficace ne soit disponible, malgré l’effort de recherche thérapeutique très conséquent.
L’identification des déterminants causaux à l’origine de la maladie d’Alzheimer et des facteurs qui viennent moduler le risque de développer cette maladie ou qui en modifient la trajectoire est une priorité et mobilise de nombreuses équipes de recherche.
Des liens possibles entre Alzheimer et le virus de l’herpès
Récemment, un article scientifique publié dans la prestigieuse revue Neuron a rapporté des données inédites. Cette étude a analysé deux cohortes de plusieurs milliers de sujets finlandais ou anglais et montré qu’une encéphalite virale (une inflammation du cerveau consécutive à une infection virale) augmentait de 20 à 30 fois le risque de développer ultérieurement une maladie d’Alzheimer.
Ces travaux faisaient suite à d’autres études, dans différents pays, qui indiquaient un risque accru de développer une maladie d’Alzheimer après infection au virus de l’herpès (HSV-1), un virus hautement neurotrope (c’est-à-dire capable de pénétrer dans le cerveau). Ces mêmes études soulignaient l’effet protecteur (une réduction du risque de maladie d’Alzheimer) d’un traitement antiviral.
Plus récemment et de façon encore plus convaincante des études quasi expérimentales en population humaine ont montré, au Pays de Galles, en Australie et aux USA, que la vaccination contre le virus de la varicelle-zona (VZV), un virus de la même famille que le virus de l’herpès (HSV-1), réduisait de façon significative le risque de développer une démence.
Une hypothèse déjà défendue il y a 40 ans
L’hypothèse d’un rôle des virus, en particulier des virus de l’herpès, dans la maladie d’Alzheimer n’est pas nouvelle. Elle a été défendue, il y a plus de 40 ans, par un neurologue canadien, Melvyn Ball, qui suggérait que les réactivations du virus de l’herpès HSV-1 (le fameux bouton de fièvre) pourraient s’accompagner d’une neuroinvasion (c’est-à-dire une pénétration du virus dans le cerveau) et d’une dégénérescence des tissus cérébraux déclenchant une démence de type maladie d’Alzheimer.
Des travaux de recherche sont venus par la suite étayer l’hypothèse, en identifiant des « signatures virales » (correspondant aux protéines ou au génome du virus) qui marquent la présence de virus de l’herpès (HSV-1) dans les cerveaux des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, notamment au niveau des plaques amyloïdes.
Ces observations, ainsi que les premières études épidémiologiques, peuvent cependant être critiquées : mettre en évidence une association entre infection et maladie d’Alzheimer n’est pas suffisant pour établir un lien de causalité !
On pourrait même postuler, de façon provocatrice, que c’est la maladie d’Alzheimer qui rend l’organisme permissif aux infections virales (et non l’inverse !), expliquant ainsi la présence de matériel viral dans les cerveaux des patients Alzheimer.
Alzheimer et HSV-1 : pourquoi la recherche rebondit aujourd’hui
L’hypothèse infectieuse de la maladie d’Alzheimer s’est néanmoins trouvée renforcée, plus récemment, par deux séries de résultats expérimentaux :
1) la découverte que le peptide Aß qui précipite au cœur des plaques amyloïdes a des fonctions antimicrobiennes et pourrait ainsi participer à une réponse physiologique (immunitaire) en réaction à une infection virale,
2) le fait de réussir à induire, après infection par le virus de l’herpès (HSV-1) in vitro (dans des cultures de cellules) ou in vivo chez l’animal, d’une surproduction de peptides Aß et de protéines tau pathologiques (la protéine tau étant, on le rappelle, l’autre marqueur moléculaire de la maladie d’Alzheimer).
L’hypothèse d’un scénario à plusieurs étapes
La compréhension des relations entre infections virales et maladie d’Alzheimer a donc progressé ces dernières années et de nouvelles hypothèses émergent.
Concernant HSV-1, le virus le plus étudié, un scénario en plusieurs étapes peut être proposé :
1) l’infection au virus de l’herpès (HSV-1) est courante dans nos populations et le virus est capable d’entrer en sommeil (phase de latence) pendant plusieurs décennies dans certains ganglions nerveux,
2) au cours du vieillissement l’organisme fait face à différents stress qui, combinés à une baisse d’efficacité des défenses immunitaires du sujet âgé, vont favoriser la sortie de latence du virus et sa propagation dans le cerveau,
3) la présence de virus actifs dans le cerveau va engendrer une réponse Aß et tau locale, à bas bruit, dans les zones infectées,
4) ces lésions Aß et tau, associées à une inflammation cérébrale, vont initier un cercle vicieux d’autoamplification menant à l’intensification et à la propagation des lésions dans d’autres régions cérébrales.
Ce scénario hypothétique va nécessiter un important effort de recherche pour être validé (ou déconstruit, ainsi va la science !). Des travaux expérimentaux sont nécessaires chez l’animal ou sur des préparations tissulaires tridimensionnelles (organoïdes cérébraux) pour étudier finement la relation causale entre infection et marqueurs biologiques de la maladie d’Alzheimer.
Les études se poursuivent
Les études épidémiologiques, dans les populations humaines, se poursuivent également et cherchent à affiner l’impact des niveaux d’infection sur l’apparition ou l’aggravation des biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer.
Au final, c’est un ensemble de champs disciplinaires qui est convoqué et qui nécessite la communication et le partage de connaissances et d’idées entre virologues, neurologues, épidémiologistes, pathologistes, etc.
Confirmer le rôle d’agents viraux dans la maladie d’Alzheimer, mais aussi dans d’autres maladies neurodégénératives (comme la sclérose en plaques étroitement associée au virus Epstein-Barr, encore un herpès virus !) ouvrirait certainement la porte à de nouvelles pistes thérapeutiques préventives (vaccination) ou curatives (antiviraux).
Il faut néanmoins garder à l’esprit que la maladie d’Alzheimer est une pathologie extrêmement complexe et très certainement multidéterminée par différents éléments ou facteurs de risque, génétiques ou environnementaux.
Conclure à une cause unique de déclenchement de la maladie (comme celle d’une infection virale antérieure) est de toute évidence une ineptie. On rappellera à ce propos que bien qu’une grande partie (70-80 %) de la population humaine soit infectée par le virus de l’herpès (HSV-1), cette infection n’est pas une condition sine qua non pour développer la maladie !

Benoît Delatour a reçu une bourse de recherche de l'association France Alzheimer.