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20.08.2025 à 17:12

Localiser ses activités dans une ville-monde : quelle incidence sur la performance financière des multinationales ?

Ana Colovic, Professeur de stratégie / Professor of Strategy, Neoma Business School
Helen Du, Professeure assistante en Stratégie, Neoma Business School
Paris attire des entreprises du monde entier, comme toutes les villes-mondes. Quelles sont les caractéristiques de ces dernières ? Quel type d’entreprise est le mieux à même d’en profiter ?
Texte intégral (1274 mots)

Ce n’est pas un hasard si Paris, outre les touristes, attire des entreprises venues du monde entier. La capitale de la France fait partie de ce qu’on appelle « villes-mondes ». Quels sont leurs atouts ? Ne sont-elles pas victimes de leur succès ? Quel type d’entreprises ont vraiment intérêt à s’y installer ?


Comme chaque année, au mois de juin dernier, le salon Vivatech s’est déroulé à Paris, attirant les entreprises tech du monde entier. Plusieurs entreprises étrangères du domaine de l’intelligence artificielle (IA) ont d’ailleurs récemment choisi de localiser leurs activités à Paris : Insider, une plateforme singapourienne d’expérience client, Avanade, leader mondial états-unien des solutions numériques Microsoft en IA, ou bien Tata Consultancy Services, géant indien des services informatiques. De fait, Paris fait partie du club privilégié des villes-mondes ou global cities, ces villes qui concentrent des volumes colossaux d’investissements directs étrangers.

Les villes-mondes comme New York, Londres, Paris ou Tokyo sont des centres de commande et de contrôle de l’économie mondiale. Elles possèdent des caractéristiques uniques. Le réseau de recherche Globalization & World Cities de l’Université de Loughborough en Angleterre propose un classement de ces villes dites mondiales en se basant sur les activités de 175 cabinets de conseil et d’audit (dont les plus connus sont les Big 4 : Deloitte, EY, KPMG et PwC) dans 785 villes à travers le monde.

Les chercheurs établissent trois grandes catégories de villes-monde : alpha, beta et gamma. Parmi les villes françaises, Paris se situe dans la catégorie alpha, Lyon dans la catégorie beta et Marseille dans la catégorie gamma.

Mais la localisation des activités dans ces villes-mondes a-t-elle des conséquences sur la performance des entreprises ? Dans notre recherche, nous répondons positivement à cette question et montrons que localiser une part importante des activités dans les « villes globales » conduit à une meilleure performance financière de l’entreprise multinationale. Toutefois, c’est surtout vrai pour les multinationales opérant dans des secteurs intensifs en connaissances (knowledge-intensive). Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène.


À lire aussi : L’attractivité économique du pays est aussi une question de fiscalité


Concentration de connaissances et de technologie

Premièrement, les villes-mondes concentrent des sources de connaissances et de technologies de pointe : universités et centres de recherche renommés, scientifiques, chercheurs, start-ups high-tech. Les entreprises peuvent ainsi accéder à ces talents et bénéficier des transferts de connaissances. Par exemple, Paris et sa région disposent de nombreuses universités, de grandes écoles d’ingénieur et de commerce, de centres de recherche et de pôles de compétitivité en hautes technologie rassemblant des milliers de scientifiques, d’étudiants, d’ingénieurs et de doctorants. Choose Paris Region, l’agence d’investissement d’Île-de-France, suit de près l’attractivité de Paris et publie des études disponibles gratuitement sur son site ainsi que les success-stories.

Une grande connectivité

Deuxièmement, les villes-mondes sont caractérisées par une grande connectivité. Elles ont des infrastructures leur permettant de réduire les temps et coûts de transports : elles disposent, par exemple, de plusieurs aéroports, gares ferroviaires internationales, réseaux de routes, etc. La connectivité est présente également au niveau des connaissances et de la technologie. Pour préserver leur compétitivité, les entreprises, notamment les multinationales, cherchent à avoir accès à de la connaissance et à des technologies de pointe, y compris les nouvelles technologies, dispersées dans les villes-mondes et ailleurs.

Les villes-mondes peuvent donc leur permettre d’atteindre ces ressources et d’y puiser des connaissances. Ainsi, en localisant une partie importante de leurs activités dans les « villes globales », les multinationales peuvent puiser les connaissances disponibles dans ces villes ainsi qu’à travers le monde. Par exemple, les universités et centres de recherche à Paris sont connectés à des centres de savoir partout dans le monde. L’École polytechnique a ainsi de nombreux partenariats internationaux avec des universités et des centres de recherche de pointe.

Troisièmement, les villes-mondes ont des concentrations très fortes de services spécialisés, en comptabilité, en affaires juridiques, en relations publiques et en services financiers. Des acteurs majeurs comme les Big 4, les grands cabinets d’audit et de conseil, sont localisés dans les villes-mondes et les entreprises peuvent donc facilement accéder à leurs services, indispensables à leur fonctionnement.

Un environnement cosmopolite

Quatrièmement, les villes-mondes jouissent d’un environnement cosmopolite qui attire les expatriés. Beaucoup de langues y sont parlées, de nombreuses personnes y passent, se rencontrent, échangent et fertilisent les idées. On y trouve également des écoles internationales, indispensables pour accueillir les familles des expatriés. Par exemple, à proximité de Paris, le lycée international de Saint-Germain-en-Laye (Hauts-de-Seine) propose 14 sections internationales : espagnole, italienne, néerlandaise, britannique, américaine, danoise, suédoise, norvégienne, russe, polonaise, chinoise, japonaise, portugaise et allemande.

France 24, 2024.

Ces atouts des villes-mondes ne semblent toutefois pas bénéficier à toutes les entreprises de la même manière.

En effet, notre recherche montre qu’ils sont particulièrement importants pour les entreprises évoluant dans les secteurs que l’on caractérise comme « intensif en connaissances » (knowledge-intensive). Pour les autres entreprises, localiser les activités dans ces villes est moins attractif.

Des atouts mais aussi des inconvénients

Car localiser ses activités dans les villes-mondes ne vient pas sans inconvénients. Les prix de l’immobilier sont généralement élevés et il y a une concurrence accrue pour les localisations centrales. Les salaires ont tendance à être plus élevés pour répondre à des coûts de la vie plus importants et il y a une forte concurrence pour attirer les talents.

À cela s’ajoute la difficulté à trouver de grandes surfaces pour installer des bureaux. Pour toutes ces raisons, il est plus judicieux pour certaines entreprises de chercher des localisations dans des plus petites villes ou même dans des zones rurales.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

20.08.2025 à 15:19

Swimming in the Seine: an old pastime resurfaces in the age of global warming

Julia Moutiez, Doctorante en Architecture et Enseignante à l’École d’architecture de Paris Val-de-Seine, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Swimming in the Seine River is often framed as a novelty of the 2024 Paris Olympics, but it revives an old tradition amid climate change.
Texte intégral (2587 mots)
Bathing on a hot day in Paris, 1932. Agence Rol / Gallica / BNF

As the 2024 Olympic Games drew near, the promise of being able to swim in the Seine turned into a media countdown: first as part of the official sporting events and then for the general public. As bids for the Olympic and Paralympic Games have become less and less popular due to the staggering costs involved and the difficulty of justifying them in terms of benefits for local communities, allowing Parisians to swim in the river flowing through Paris was heavily promoted ahead of last summer’s Games.

This kind of media framing, however, has overlooked current and historical realities. River bathing was widely practised over the last few centuries, and in the Seine, it has survived to the present day despite bans on swimming. Additionally, the practice does not only include recreational or sporting dimensions – it is also climate-related, at a time when rising temperatures suggest that compliance with the Paris Agreement will be a difficult, if not impossible task.

A centuries-old bathing tradition

While bathing in the Seine in 2024 was sometimes presented as a novel project, it is key to remember that swimming in Paris is a centuries-old practice. Traces of bathing facilities have been found in the capital dating back to the 13th century. However, the practice is difficult to document in detail as such traces are few, except in cases of major pieces of infrastructure. Over the centuries, swimming continued for hygiene, refreshment and leisure purposes, gradually spreading beyond the city limits.

It was not until the 17th century that the first documented boom in bathing practices in the Seine took place, as evidenced by the introduction of the first prohibitions on bathing and the emergence of the first facilities specifically designed for river bathers. Whether for washing, relaxing or socialising, these facilities were primarily set up to keep bathers safe from the current, and to conceal their nudity on the riverbanks. From the end of the 18th century onwards, these facilities became more complex: additional services were added to improve the comfort of swimmers and the first swimming schools appeared on the Seine.

At the end of the 19th century, floating baths became increasingly popular on the Seine and the Marne outside Paris, while the first-heated swimming pools were built in the capital.

A long-standing practice despite bans

Bans on swimming in the Seine have been numerous over the centuries, though they never completely eradicated the practice.

Historians Isabelle Duhau and Laurence Lestel trace the first restrictions back to the 17th century, when the provosts of merchants and aldermen expressed concern about public nudity on the banks of the river. Until the end of the 19th century, restrictions on swimming in the capital were always based on concerns about nudity. A second reason, that of hindering navigation, appeared in an ordinance of 1840. This was regularly amended until the prefectural decree of 1923, which is still in force today and prohibits bathing in rivers and canals throughout the former département (administrative unit) of the Seine.

However, these bans did not put an end to swimming. After 1923, bathing establishments continued to operate. They even experienced a boom in the interwar period, especially in the suburbs. Photos show that swimming was quite popular during heatwaves.

It was not until the second half of the 20th century that swimming in the Seine became less common, mainly due to the spread of public swimming pools, which offered a more artificial and controlled environment for this form of leisure.

And it was not until 1970, with the ban on swimming in the Marne, that the issue of water quality was raised, even though water quality was already being measured and questioned before then.

Indefatigable bathers

Even today, however, there are still occasional, activist, or even regular swimmers taking to Paris’s waterways. Sporting competitions have brought athletes to the Seine, for example in 2012 for the Paris triathlon, and in a more gradual way in recent years.

In amateur sports, cold-water swimmers also began training in the canals a few years ago, despite the ban. To deal with the risks posed by water temperatures, and possibly police surveillance, these swimmers set their own safety rules: they watch out for each other from the bank and wear life jackets and caps so they are always clearly visible. To date, none of these swimmers has ever been fined by the police.

In recent years, others have also taken a dip for more political reasons. In 2005, members of the Green Party (including its future leader Cécile Duflot) swam in the Seine on World Water Day to raise awareness about how polluted it was.

Diving in the Seine to raise awareness about river pollution also isn’t a new idea. It’s actually the trademark of the NGO European River Network, founded in 1994 and known for its Big Jump events, annual group swims calling for better water quality. Around the same period in the Paris region, the Marne Vive union was created to make the river swimmable again and protect its flora and fauna. In association with local elected officials, it has also been organising Big Jumps since the early 2000s.

In recent times, members of the Bassines Non Merci collective also took dips in Paris to protest against the appropriation of water resources, ahead of planned demonstrations against schemes for large agricultural water reservoirs in the Poitou region.

Other activists have also taken action to make Parisian waterways more suitable for swimming again. The Laboratoire des baignades urbaines expérimentales (Laboratory for Experimental Urban Swimming) organized collective “pirate” swims and shared them on social media and in the press to get local authorities to take up the issue.

Finally, despite the general ban on swimming throughout Paris, it should be noted that swimming is, once again, permitted under certain conditions in the Bassin de la Villette and the Canal Saint-Martin in the summer. For several years, the city has been organising its own collective swimming events, which are supervised and limited in terms of space and time. This is one of the paradoxes of urban swimming in Paris: on the one hand, public authorities are making efforts to improve water quality, in particular by opening sites where people can swim; on the other, they are reinforcing the general ban on swimming in the Seine, for example through more prominent signposting.

The many European versions of urban bathing

Looking at urban swimming practices in Europe, there are many cities where residents already bathe within city limits. These include Basel, Zurich, Bern, Copenhagen, Vienna, Amsterdam, Bruges, Munich and others. That said, putting together a comprehensive list remains tricky because of differences in how urban regulations are applied across Europe, where swimming might be allowed, tolerated, banned, or just accepted.


A weekly e-mail in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!


In these different cities, the widespread practice of swimming may have been a goal, or it may be a byproduct of water sanitation policies. Copenhagen, for example, isn’t crossed by a river but by an inlet. In the 1990s, the city renovated its aging sanitation system and restored the port, in particular to prevent overflowing. It is also building on national policies, implemented since the 1970s, aimed at preserving water quality and aquatic biodiversity.

These developments, carried out by separate departments and for sometimes different purposes, gradually improved the water quality in the Danish capital, which then sought to highlight the new environmental standards it had achieved. The initial focus was on developing water-based leisure activities. Ideas included areas for fishing and wildlife observation, and plans for an aquarium and the development of canoeing. Ultimately, the focus shifted to a swimming area inaugurated in the early 2000s called Harbour Bath. The site was initially intended as temporary but was made permanent due to its success. Some 20 years later, urban swimming has become an asset that Copenhagen is keen to promote, for example by distributing maps of swimming areas to tourists.

The links between open water swimming and improved water quality are varied. The practice may be used to raise awareness of the need to improve water quality, or to gain support from the general public and elected officials for sanitation projects.

In Europe, numerous directives aimed at preserving biodiversity and water quality have prompted municipalities to clean up the waterways running through areas under their jurisdiction. In this context, then Paris Mayor Jacques Chirac pledged in 1988 to swim in the Seine following reports of the return of numerous fish species, indicating an improvement in the river’s condition. In this video, however, Chirac was not claiming to make the Seine swimmable again for all Parisians. Rather, he was just trying to demonstrate that its water quality had improved.

River bathing in the age of global warming

Another motivation is becoming increasingly important in the creation of urban waterways: providing people with access to cool places in the face of increasingly frequent heatwaves.

Another motivation for allowing swimming in urban waterways is becoming increasingly important: providing people with access to cool places during frequent heatwaves. Paris is particularly vulnerable to climate change due to its dense landscape. A recent scientific study ranks it as one of Europe’s most dangerous cities in the event of a heatwave.

The urban heat-island effect is particularly strong in Paris, and the city’s housing is not well suited to cope with heatwaves. Waterways are seen as a potential solution to the problem of cooling off outside the home. But riverbanks are often very exposed to the sun, which means that only direct contact with water can effectively cool the body – at least to a certain extent. Paris has therefore set up temporary swimming areas, initially in the form of removable pools, before allowing direct access to canals. The Bassin de la Villette, for example, is part of the city council’s Parcours Fraîcheur (Cooling Route) plan, and is also included in its heatwave plan.

Swimming in the Seine was also mentioned in 2015 in the city’s adaptation strategy, in the context of a general overhaul of municipal water policies that was initiated with the decision to take over Eau de Paris, the company responsible for the city’s water supply and wastewater collection.

A decade later, and after the success of the Paris Olympics where swimmers competed in the Seine, the future of swimming in Paris is still uncertain. But one thing is clear: rarely has the subject of urban bathing generated so much discussion, interest, and media coverage.

The Conversation

Julia Moutiez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

19.08.2025 à 16:33

La toile d’araignée : merveille d’ingénierie naturelle depuis 400 millions d’années

Ella Kellner, Ph.D. Student in Biological Sciences, University of North Carolina – Charlotte
Les toiles d’araignées sont des merveilles d’ingénierie naturelle. Leur architecture répond à des fonctions précises : capturer des proies, protéger des œufs ou amortir une chute notamment.
Texte intégral (3703 mots)
Une araignée orbiculaire se repose au centre de sa toile dans un verger. Daniela Duncan/Moment/Getty Images

Elles peuvent inquiéter ou être balayées d’un revers de la main : les toiles d’araignées sont en réalité des merveilles d’ingénierie naturelle. Leur architecture, aussi variée qu’ingénieuse, répond à des fonctions précises : capturer des proies, protéger des œufs, amortir une chute ou fournir des repères sensoriels. Observer ces fils de soie, c’est plonger dans 400 millions d’années d’évolution et de créativité biologiques.


Vous êtes-vous déjà retrouvé nez à nez avec une toile d’araignée lors d’une promenade dans la nature ? Ou avez-vous déjà balayé des toiles d’araignée dans votre garage ?

Si oui, alors vous connaissez déjà les toiles orbitulaires, qui sont régulières, géométriques, et qui sont emblématiques d’Halloween ; et les toiles en réseau désordonné, qui sont celles que l’on trouve dans nos garages et dans nos caves. Ce ne sont là que deux exemples d’architectures de toiles d’araignées. Une toile est toujours spécialement adaptée à l’environnement de l’araignée et à la fonction qu’elle doit remplir.

Si de nombreuses araignées utilisent leurs toiles pour attraper des proies, elles ont également développé des façons inhabituelles d’utiliser leur soie, par exemple pour envelopper leurs œufs ou pour se créer des filins de sécurité qui les rattrapent lorsqu’elles tombent.

En tant que scientifique spécialiste des matériaux qui étudie les araignées et leur soie, je m’intéresse à la relation entre l’architecture des toiles d’araignées et la résistance des fils qu’elles utilisent. Comment la conception d’une toile et les propriétés de la soie utilisée affectent-elles la capacité d’une araignée à capturer son prochain repas ?

Aux origines des toiles

La soie d’araignée a une longue histoire évolutive. Les chercheurs pensent qu’elle est apparue il y a environ 400 millions d’années.

Ces araignées ancestrales utilisaient la soie pour tapisser leurs repaires, pour protéger leurs œufs vulnérables et pour créer des chemins sensoriels et des repères afin de se déplacer dans leur environnement.

Pour comprendre à quoi pouvaient ressembler les toiles d’araignées anciennes, les scientifiques s’intéressent à l’araignée lampadaire.

Cette araignée vit dans les affleurements rocheux des Appalaches et des Rocheuses, aux États-Unis. Elle est une parente vivante de certaines des plus anciennes araignées à avoir jamais tissé des toiles, et elle n’a pratiquement pas changé depuis.

Une araignée noire et brune camouflée sur un rocher recouvert de mousse, avec une toile circulaire et plate autour d’elle, collée au rocher
Une araignée lampadaire dans sa toile caractéristique, tissée dans les insterstices des rochers. Tyler Brown, CC BY-SA

Bien nommée en raison de la forme de sa toile, l’araignée lampadaire tisse une toile dont la base étroite s’élargit vers l’extérieur. Ces toiles comblent les fissures entre les rochers, où l’araignée peut se camoufler contre la surface rugueuse. Il est difficile pour une proie potentielle de traverser ce paysage accidenté sans se retrouver piégée.

Diversité des toiles

Aujourd’hui, toutes les espèces d’araignées produisent de la soie. Chaque espèce qui tisse des toiles crée sa propre architecture de toile, parfaitement adaptée au type de proie qu’elle mange et à l’environnement dans lequel elle vit.

Prenons l’exemple de la toile orbiculaire. Il s’agit d’une toile réalisée à partir d’un centre de manière circulaire, avec un motif régulier de rayons et de cercles concentriques. Elle sert principalement à capturer des proies volantes ou sauteuses, telles que les mouches et les sauterelles. Les toiles orbiculaires se trouvent dans les zones ouvertes, comme à la lisière des forêts, dans les herbes hautes ou entre vos plants de tomates.

Image d’une araignée noire tissant une toile irrégulière
Une veuve noire construit des toiles d’araignée tridimensionnelles. Karen Sloane-Williams/500Px Plus via Getty Images

Comparez-les à des toiles en réseau désordonné, une structure que l’on voit le plus souvent près des plinthes dans les maisons, dans les caves ou greniers. Bien que l’expression « toile en réseau désordonné » soit couramment utilisée pour désigner toute toile d’araignée poussiéreuse et abandonnée, il s’agit en fait d’une forme de toile spécifique généralement conçue par les araignées de la famille des Theridiidae.

Cette toile a une architecture en 3D complexe, donnant un aspect fouillis. Les fils sont collants et tendus dans toutes les directions, notamment vers le bas, où ils sont maintenus fixés au sol sous une forte tension. Ces fils agissent comme un piège collant à ressort pour capturer des proies rampantes, telles que les fourmis et les coléoptères. Lorsqu’un insecte entre en contact avec la colle à la base du fil, la soie se détache du sol, parfois avec une force suffisante pour soulever le repas dans les airs.

Regardez une araignée à dos rouge construire les fils à haute tension d’une toile d’araignée et piéger des fourmis qui ne se doutent de rien.

Les araignées bizarres

Imaginez que vous êtes un naïf scarabée, qui rampe entre les brins d’herbe, et que vous vous retrouvez sur un sol recouvert d’une toile de soie tissée de manière très dense. Alors que vous commencez à avancer sur ce paillasson d’un genre particulier, vous avez juste le temps d’apercevoir huit yeux braqués sur vous depuis un entonnoir de soie, avant d’être happé et avalé tout cru.

Ce type d’araignée à toile en entonnoir bâtit des constructions horizontales au sol, qu’elle utilise comme une extension de son système sensoriel. L’araignée attend patiemment dans son abri en forme d’entonnoir. Les proies qui entrent en contact avec la toile créent des vibrations qui alertent l’araignée : un mets délicieux est en train de marcher sur le paillasson, et il est temps de lui sauter dessus.

Une araignée brun clair face à l’appareil photo, entourée d’une toile en forme d’entonnoir
Une araignée à toile en entonnoir jette un œil hors de sa abri situé au niveau du sol. sandra standbridge/Moment via Getty Images

Les araignées sauteuses sont des tisserandes à part, puisqu’elles ne tissent pas de toiles. Elles sont connues pour leurs couleurs variées, vives ou iridescentes, et leurs danses nuptiales élaborées, qui en font l’une des arachnides les plus attachantes. Leur aspect mignon les a rendues populaires, notamment grâce à Lucas the Spider, une adorable araignée sauteuse animée par Joshua Slice. Dotées de deux grands yeux frontaux qui leur permettent de percevoir les distances, ces araignées sont de fantastiques chasseuses, capables de sauter dans toutes les directions pour se déplacer et de bondir sur leur prise.

Mais que se passe-t-il lorsqu’elles se trompent dans leur calcul ou, pis, lorsqu’elles doivent échapper à un prédateur ? Les araignées sauteuses attachent un fil à leur point de départ avant de s’élancer dans les airs, comme une sorte de corde de rappel. Si le saut rate, elles peuvent remonter le long du filin et réessayer. Non seulement ce filin de sécurité en soie leur permet de ressauter, mais il les aide également dans leur saut. Le fil leur permet de contrôler la direction et la vitesse de leur saut en plein vol. En modifiant la vitesse à laquelle elles libèrent la soie, elles peuvent atterrir exactement où elles le souhaitent.

Une araignée brune aux reflets verts en plein vol, attachée à une feuille derrière elle par un fin fil de soie
Une araignée sauteuse utilise un filin de sécurité en soie pour effectuer un saut risqué. Fresnelwiki/Wikimedia, CC BY-SA

Pour tisser une toile

Toutes les toiles, de la toile orbiculaire à la toile d’araignée d’apparence désordonnée, sont construites selon une série d’étapes fondamentales distinctes.

Les araignées à toile orbiculaire commencent généralement par construire une prototoile. Les scientifiques pensent que cette construction initiale est une phase exploratoire, pendant laquelle l’araignée évalue l’espace disponible et trouve des points d’ancrage pour sa soie. Une fois que l’araignée est prête à construire sa toile principale, elle utilise la prototoile comme échafaudage pour créer le cadre, les rayons et la spirale qui l’aideront à absorber l’énergie des proies qui se prennent dedans et à les capturer. Ces structures sont essentielles pour garantir que leur prochain repas ne déchire pas la toile, en particulier les insectes tels que les libellules, qui ont une vitesse de croisière moyenne de 16 km/h. Une fois sa toile terminée, l’araignée orbiculaire retourne au centre de la toile pour attendre son prochain repas.

Une araignée brun pâle au centre de sa toile orbulaire en spirale
Une araignée des jardins européenne construit une toile orbulaire en deux dimensions. Massimiliano Finzi/Moment via Getty Images

Un seul type de matériau ne permettrait pas de fabriquer toutes ces toiles d’araignée. En fait, les araignées peuvent créer jusqu’à sept types de fibre soie différente, et les araignées tisserandes les fabriquent toutes. Chaque type de fibre a des propriétés chimiques, physiques et mécaniques adaptées à la fonction recherchée, servant à un usage spécifique dans la vie de l’araignée (toile, cocon, câble d’ancrage, fil de détection, filet de capture, etc.). C’est dans les glandes séricigènes que sont produites les fibres de soie, et chaque type de glandes produit un fil de soie particulier avec une fonction spécifique.

Les araignées orbiculaires entament le tissage de leurs toiles par la fabrication d’un fil porteur très résistant. Quant à la spirale pour piéger les insectes, construite en partant du centre vers l’extérieur, elle est constituée d’une soie extrêmement élastique. Lorsqu’une proie se prend dans la spirale, les fils de soie se déforment sous l’impact. Ils s’étirent pour absorber l’énergie et empêcher la proie de déchirer la toile.

La « colle d’araignée » est un type de soie modifiée, dotée de propriétés adhésives. C’est la seule partie de la toile d’araignée qui soit réellement collante. Cette soie collante, située sur la spirale de capture, permet de s’assurer que la proie reste collée à la toile suffisamment longtemps pour que l’araignée puisse lui administrer sa morsure venimeuse.

Apprendre à observer les architectes arachnides

Les araignées et leurs toiles sont incroyablement variées. Chaque espèce d’araignée s’est adaptée à son environnement naturel pour capturer certains types de proies. La prochaine fois que vous verrez une toile d’araignée, prenez le temps de l’observer plutôt que de la balayer ou d’écraser l’araignée qui s’y trouve.

Remarquez les différences dans la structure de la toile et voyez si vous pouvez repérer les gouttelettes de colle. Observez la façon dont l’araignée est assise dans sa toile. Est-elle en train de manger ou y a-t-il des restes d’insectes qu’elle a peut-être empêchés de s’introduire dans votre maison ?

L’observation de ces architectes arachnides peut nous en apprendre beaucoup sur le design, l’architecture et l’innovation.

The Conversation

Ella Kellner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

19.08.2025 à 16:32

Face à la crise écologique, que peut la poésie ?

Sébastien Dubois, Professor, Neoma Business School
Et si la poésie permettait de repenser notre lien à la nature ? Face à la crise écologique, elle ouvre un espace d’action symbolique et collective.
Texte intégral (1824 mots)

Et si la littérature n’était pas un simple refuge face à la catastrophe écologique, mais un outil de transformation collective ? De l’épopée antique aux dizains de Pierre Vinclair, la poésie contemporaine explore un nouvel imaginaire. Une cérémonie poétique pour refonder nos catégories de pensée.


La littérature a, dès ses origines, voulu penser ensemble la nature et la politique. C’est notamment le cas du genre de l’épopée, comme l’Iliade, l’Odyssée ou, plus tard, l’Énéide. L’épopée cherche à travers les personnages qui représentent des choix politiques à fonder ou refonder la cité. Ainsi, dans l’Odyssée, le combat entre les prétendants qui veulent le pouvoir et Ulysse, le roi d’Ithaque qui doit faire valoir sa légitimité. L’épopée antique s’intègre dans une cosmologie, une vision de la nature, des dieux et des hommes, alors homogène. Le poète Frédéric Boyer a d’ailleurs intitulé sa traduction des Géorgiques, de Virgile, le Souci de la terre : pour les Anciens, la politique est dans la nature.

La poésie contemporaine renoue avec cette tradition, pour imaginer une autre vie politique face à la crise écologique. C’est le cas du poète Pierre Vinclair, dont je parlerai plus longuement dans cet article, mais aussi (par exemple) de Jean-Claude Pinson et Michel Deguy. Que peut dire, et faire, la littérature, la poésie, dans la grande crise écologique qui est la nôtre ? Deux choses essentielles : agir sur nos catégories de pensée, refonder un nouvel imaginaire, par exemple notre conception des relations entre nature et culture ; et inventer de nouvelles formes d’échanges et d’action collective pour donner vie à ce nouvel imaginaire. Il ne saurait donc être question de (seulement) célébrer la Nature ni de (seulement) dénoncer l’impasse actuelle, mais de (re)créer un ordre affectif et collectif.

Les sciences sociales ont assez montré combien nos représentations transformaient notre vie collective : les modèles d’action politiques (le capitalisme, le communisme, la social-démocratie, etc.) sont autant des idées que des pratiques sociales. Plusieurs livres de Pierre Vinclair, poète français né en 1982, tracent une voie pour créer du sens « face à la catastrophe ».

Le pouvoir de la littérature : changer les catégories de pensée

Pierre Vinclair a publié deux livres qui abordent directement la question écologique, un livre de poésie, la Sauvagerie (2020), et un essai, Agir non agir (2020).

La Sauvagerie est une série de 500 poèmes, inspirés sur la forme par l’œuvre d’un grand poète de la Renaissance, Maurice Scève, qui publia sa Délie en 1544. La Sauvagerie a paru dans « Biophilia », la collection que la maison d’édition Corti consacre « au vivant au cœur d’éclairages ou de rêveries transdisciplinaires ».

Une série de dizains (dix vers décasyllabiques rimés) se consacre aux espèces animales les plus menacées. Pierre Vinclair recourt à la métaphore de la cuisine, pour expliquer sa poétique : ses dizains qui rassemblent une vaste érudition littéraire et scientifique cherchent à faire déguster au lecteur un « plat vivant ». Pour entrer en cuisine, rien de mieux que de lire, et relire, un dizain ; par exemple celui consacré à une espèce d’albatros, Diomedea Amsterdamensis, qui vit dans l’océan Indien. La figure de l’albatros rappelle immédiatement Baudelaire, où l’oiseau symbolisant le poète plane dans le ciel (les albatros ne se posent presque jamais) mais une fois à terre ne peut rien contre la cruauté des hommes qui l’agacent avec un briquet. Voici le dizain de Pierre Vinclair :

« Souvent, pour s’amuser, trois hommes violent
un albatros, gros oiseau indolent
coincé dans les ralingues des palangres
où l’attire une fish facile (avec aplomb,
le poète semblable au pêcheur dont les lignes
piègent des vivants, en a lancé vers l’internet
et lu : albatros – the female proceeds to receive
anal, while jacking off sb with both hands)
l’oiseau sombre, comme un plomb dans la mer
acorant son poussin abandonné. »

Le poète est une espèce menacée comme toutes les espèces le sont, et un « pêcheur contre les pêcheurs » ; l’albatros, lui aussi une espèce menacée, est pareillement poète : la métaphore est réversible. Le poème joue sur les signifiants, puisqu’en argot américain l’albatros est une position sexuelle – le dizain porte le numéro 69. La pornographie est donc la menace qui écartèle Diomedea amsterdamensis, piégé en pourchassant les poissons dans les palangres de la pêche industrielle. Un drame se joue : l’oiseau sera-t-il sauvé ?

Dans le dernier vers, il sombre, et accuse d’abord ses tortionnaires, et le poète qui ne l’a pas sauvé mais donne à voir, à sentir, le drame ignoré d’un oiseau. En somme, l’oiseau invite les lecteurs à son procès, le nôtre, pour meurtre et pornographie ; notre désir viole l’ordre du monde, le viol de la femelle ne donnera naissance à rien, le poussin abandonné va mourir et l’espèce avec lui.

La poésie est une pensée non pas philosophique ou scientifique, avec des concepts, mais avec figures (ici l’oiseau, les pêcheurs, le poète, les navires-usines, le désir, la pornographie). Elle n’est pas sans ordre, elle est tenue par la versification, la prosodie, l’architecture de la langue.

La poésie, ou la cérémonie improvisée

La poésie (et Vinclair) pense aussi l’organisation de la vie collective face à la catastrophe. Le moyen poétique, c’est l’épopée parce que celle-ci cherche justement à faire vivre un changement politique, on l’a vu. La Sauvagerie est donc une épopée du monde « sauvage ». Mais nous sommes modernes ; l’épopée sera donc fragmentaire puisque nous n’avons plus de récit qui garantirait l’unité du monde comme en avaient les Anciens Grecs. La Sauvagerie est une épopée collective pour Gaïa, le nom que donne le philosophe Bruno Latour à la nature pour sortir de la dichotomie mortifère entre nature et culture. Gaïa englobe aussi bien humains que non-humains dont le destin est commun.

« La Sauvagerie » de Pierre Vinclair
_“La. Pierre Vinclair/Bibliophilia

Il faut alors d’autres modes d’action collective, et Vinclair a invité d’autres poètes qui écrivent aussi des dizains, se commentent, dans une sorte d’atelier de peintres de la Renaissance. La Sauvagerie est donc une œuvre collective, et Vinclair invite dans cet atelier tous ceux qui veulent contribuer à la refondation de notre vie imaginaire et sociale, des artistes aux scientifiques. La catastrophe en cours nous oblige à repenser, réorganiser, notre vie symbolique mais aussi nos moyens d’agir. Le poète ouvre les portes d’une maison (de mots, nous habitons le langage comme le langage nous habite) où le lecteur peut rencontrer le(s) poète(s), d’autres lecteurs, des albatros, Baudelaire, des pêcheurs, des navires-usines, dans une architecture (une forme), un théâtre commun parce que la vie sociale est une dramaturgie : c’est donc bien une « cérémonie improvisée », un rite, où le sujet « délaisse ses contenus propres, se laisse posséder par les gestes d’un mort servant de médium » pour recréer le sens.

Cette cérémonie convoque humains et non-humains dans un espace et un lieu commun pour célébrer justement ce que nous avons en commun, dont aussi, point capital pour Vinclair, les morts, afin de reconstruire la chaîne des générations et de la vie (pour tous les êtres vivants). Le poème organise cette cérémonie pour sortir ensemble de ce que l’anthropologue Philippe Descola appelle le « naturalisme » : l’idée, moderne, où le monde n’est que matière, et par là, matière à notre disposition, à l’exploitation, jusqu’à la catastrophe. Le grand poète romantique allemand Hölderlin interrogeait : « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » La réponse vient : à ça, justement.

The Conversation

Sébastien Dubois a reçu des financements du Ministère de la Culture.

19.08.2025 à 15:54

Lymphomes T cutanés : ces cancers de la peau méconnus, mais en augmentation

Adèle de Masson, Professeur en dermatologie, Université Paris Cité
Plaques, taches rouges, jusqu’à des nodules et des tumeurs… les lymphomes T cutanés se développent dans la peau. Une piste est explorée pour mieux contrôler ces cancers sur le long terme.
Texte intégral (1643 mots)

Rares mais en augmentation, les lymphomes T cutanés sont des cancers qui se développent initialement dans la peau. Si la majorité des malades peuvent gérer leurs symptômes à vie, d’autres souffrent de formes agressives. Des travaux de recherche explorent des pistes prometteuses pour permettre de mieux contrôler la maladie sur le long terme.


Les lymphomes à cellules T cutanés, couramment dénommés lymphomes T cutanés, sont un groupe hétérogène de cancers de la peau dérivés des lymphocytes T, une sous-catégorie de cellules du système immunitaire, le système de défense de l’organisme pour lutter notamment contre les virus, bactéries et autres pathogènes.

Contrairement aux lymphomes ganglionnaires (lymphome de Hodgkin et lymphomes non hodgkiniens) qui affectent principalement les ganglions lymphatiques, les lymphomes T cutanés se développent initialement dans la peau. Ils peuvent se manifester sous différentes formes cliniques, allant de plaques et de taches rouges jusqu’à des nodules et des tumeurs.

Les lymphomes T cutanés sont classés en plusieurs sous-types, le plus courant étant le mycosis fongoïde. Ces maladies évoluent souvent de manière indolente au début mais peuvent progresser vers des stades plus agressifs et systémiques si elles ne sont pas traitées de manière adéquate.

Une incidence faible mais en augmentation

Rares, les lymphomes T cutanés affectent environ 1 sur 100 000 adultes chaque année. Mais leur incidence a augmenté au cours des trente dernières années. Cela est possiblement en lien avec une meilleure connaissance de ces pathologies – et, donc, une augmentation du diagnostic – mais aussi avec le vieillissement de la population et de potentiels facteurs environnementaux, un rôle des pesticides ayant été suspecté sur le fondement d’études épidémiologiques.

Bien que la plupart des patients diagnostiqués à un stade précoce de la maladie puissent gérer leurs symptômes à vie, environ 20 % progressent vers un stade avancé qui est caractérisé par une maladie cutanée étendue, une atteinte des ganglions lymphatiques, des organes viscéraux ou une atteinte sanguine significative.

Des résistances aux traitements chez certains patients

Le diagnostic précis repose sur l’examen histopathologique des lésions cutanées (après biopsie), complété par ce que l’on appelle des tests immunophénotypiques et moléculaires. En résumé, après la biopsie, on regarde d’abord la forme des cellules au microscope. Ensuite, on effectue des « tests d’identité » pour voir quels marqueurs portent ces cellules et, enfin, on analyse leur ADN pour vérifier si elles viennent toutes du même clone anormal.

Le traitement des lymphomes T cutanés dépend du stade de la maladie, de sa sévérité et des caractéristiques individuelles du patient, et peut inclure des options telles que :

  • la photothérapie, qui repose sur l’utilisation des rayons ultraviolets en cabine avec des doses et longueurs d’ondes contrôlées ;

  • les chimiothérapies topiques, qui sont des gels contenant de la chimiothérapie, appliqués sur la peau ;

  • les immunothérapies, qui s’appuient sur des anticorps monoclonaux qui utilisent le système immunitaire pour lutter contre les tumeurs ;

  • les thérapies ciblées et les greffes de moelle osseuse, dans les cas avancés.

Les traitements actuels, y compris les immunothérapies par anticorps monoclonaux, peuvent entraîner des résistances, qu’elles soient primaires – absence de réponse dès le début du traitement, ou secondaires – perte de l’efficacité après une réponse initiale. Ces phénomènes ont été observés dans les essais randomisés MAVORIC (mogamulizumab) et ALCANZA (brentuximab vedotin).

La problématique concernant cette maladie réside donc dans la capacité à la contrôler sur le long terme.

Un nouveau candidat pour traiter les lymphomes T cutanés

C’est dans cette perspective que s’inscrit le projet SPRINT, pour « Synergie pour accélérer l’innovation thérapeutique dans les lymphomes T cutanés ». Mené par une équipe de recherche internationale, ce projet a permis de mettre en lumière un nouveau candidat prometteur pour le traitement des lymphomes T cutanés avancés : le récepteur CCR8.

Le récepteur CCR8 joue un rôle clé dans le microenvironnement de la tumeur et pourrait donc, de ce fait, représenter une cible thérapeutique stratégique. Il est en effet présent à la surface à la fois :

  • d’une sous-population spéciale de cellules lymphocytes T qui jouent un rôle essentiel dans la maintenance de la tolérance immunitaire (les lymphocytes T régulateurs intratumoraux, ou Treg).

Les lymphocytes T régulateurs jouent un rôle crucial pour prévenir les maladies auto-immunes en contrôlant et en réprimant les réponses immunitaires excessives ou non spécifiques contre les propres tissus de l’organisme. (Dans les maladies auto-immunes, le système immunitaire dysfonctionne et s’attaque aux constituants normaux de l’organisme, ndlr).

  • de cellules malignes des lymphomes T cutanés.

Dans le contexte de cancers comme les lymphomes T cutanés, les lymphocytes T régulateurs intratumoraux (Treg) peuvent être recrutés dans les lésions de cancer et contribuer à la création d’un environnement qui va favoriser la croissance et la survie des cellules tumorales.

La présence de ces cellules dans les tissus affectés par les cancers peut être associée à une progression plus rapide de la maladie et à une réponse moins favorable aux traitements.

Par conséquent, cibler les lymphocytes T régulateurs intratumoraux (Treg) – via le récepteur CCR8 présent à leur surface – et moduler leur fonction représente une stratégie thérapeutique pour renforcer la capacité du système immunitaire à reconnaître et à éliminer les cellules tumorales.

La découverte du rôle du récepteur CCR8 exprimé à la surface de ces cellules ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de traitements combinés visant à cibler à la fois les cellules malignes et le microenvironnement tumoral.

Des essais cliniques ciblant spécifiquement le récepteur CCR8 sont prévus prochainement pour évaluer leur efficacité dans la gestion des lymphomes T cutanés avancés résistants aux traitements existants.

Des résultats prometteurs aussi pour d’autres lymphomes et cancers

De façon intéressante, ces résultats pourraient permettre d’avancer dans le développement de ce médicament qui pourrait s’avérer utile non seulement dans les lymphomes T cutanés, mais également dans d’autres lymphomes T comme les lymphomes T ganglionnaires, ou même les cancers en général, du fait du rôle du récepteur CCR8 dans la régulation des réponses immunitaires contre le cancer.

En conclusion, la cible du récepteur CCR8 représente une avancée significative dans la compréhension et le traitement des lymphomes T cutanés avancés.

Les efforts continus dans cette direction sont essentiels pour développer des stratégies thérapeutiques plus efficaces et personnalisées, capables de surmonter les défis posés par la résistance aux traitements et d’améliorer les résultats pour les patients.


Le projet SPRINT (Synergie Pour Accélérer l’INnovation Thérapeutique dans les lymphomes T cutanés) est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui finance en France la recherche sur projets, au titre de France 2030 (référence ANR-23-RHUS-0009). L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

The Conversation

Adèle de Masson est membre du board du Groupe Français d’Etude des Lymphomes Cutanés, du conseil scientifique de la Société française de dermatologie, du Steering Committee de l’EORTC Cutaneous Lymphoma Group. Elle a reçu les financements suivants : RHU SPRINT de l’Agence Nationale de la Recherche (dans le cadre de France2030, ANR-23-RHUS-009) un projet coordonné par l’Université Paris Cité, bourses de recherche de la Société Française de Dermatologie, de l’INCa/ DGOS (PHRC-K 2014, 2019, 2024), de la Fondation de l’AP-HP, et de l’Association Robert Debré pour la Recherche Médicale.

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