ACCÈS LIBRE UNE Politique International Environnement Technologies Culture
30.04.2025 à 17:29
Médecins et enseignants dénoncent-ils les violences sur mineurs, comme l’exige la loi ?
Texte intégral (1696 mots)
Depuis le 24 février, le chirurgien Joël Le Scouarnec est jugé pour 299 viols et agressions sexuelles, essentiellement commises sur des mineures, entre 1989 et 2014. Condamné à une peine de prison avec sursis en 2005 pour possession d’images pédocriminelles, ce dernier est recruté par plusieurs hôpitaux et continue d’exercer malgré des alertes de collègues. En effet, comme ceux qui interviennent en milieu scolaire, les professionnels de santé ont une obligation de signalement à la justice en cas de violences sur des mineurs. Pourquoi n’est-ce pas toujours le cas dans la pratique ? Comment améliorer les dispositifs existants ?
Médecin et criminel pédophile, Joël Le Scouarnec a bien été dénoncé par certains collègues auprès d’établissements hospitaliers et du conseil de l’Ordre, mais ces alertes sont, pour la plupart, restées sans suite. Si certains établissements ont mis fin au contrat de travail du chirurgien d’autres, rencontrant des difficultés de recrutement, l’ont malgré tout embauché, arguant qu’aucune interdiction d’exercer n’avait été prononcée à son encontre et qu’aucune sanction disciplinaire n’avait été prise par le conseil de l’Ordre. Le chirurgien a continué d’exercer et de sévir auprès d’enfants pendant des années.
Lors du procès, un ancien collègue de Joël Le Scouarnec a rappelé que malgré les alertes lancées à l’hôpital de Quimperlé, aucune communication officielle n’a été faite par l’établissement et il a reconnu, à titre personnel n’avoir jamais alerté les autres intervenants du bloc : « je pensais qu’ils avaient été informés, et je ne pouvais pas non plus l’afficher dans tout le service ».
Face à une telle situation, on s’interroge : quelles sont les obligations légales des professionnels intervenant auprès d’enfants dans le signalement des violences ?
Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !
Alors que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, le professionnel de santé a une place importante puisqu’il a une obligation de signalement auprès des autorités judiciaires ou administratives lorsqu’il a connaissance de violences, y compris sexuelles, commises sur des mineurs. Cette règle, envisagée dans le code pénal, article 226-14 est également rappelée dans les différents codes de déontologie des professions médicales : médecin,article R4127-44 alinéa 2 Code de la santé publique, infirmier, sage-femme.
Ce devoir de signalement qui est donc à la fois d’origine légale et déontologique implique alors une possible levée du secret professionnel pour informer les autorités compétentes en cas de violences faites à l’égard des enfants. La loi précise alors l’auteur d’un tel signalement puisque celui-ci ne peut pas faire l’objet de poursuites pénales, civiles ou encore disciplinaires pour avoir révélé des informations à caractère secret.
Pour autant, l’énoncé des textes en la matière conduit à une incertitude quant à l’étendue de cette obligation de signalement. En effet, il est précisé que le professionnel doit alerter les autorités compétentes de violences faites aux enfants « sauf circonstances particulières » qu’il « apprécie en conscience ».
Ces références à l’appréciation concrète et circonstanciée peuvent amener le professionnel de santé, lorsqu’il y est confronté, à distinguer deux types de situations. Lorsque ce dernier a la certitude que des violences sont exercées à l’égard d’un enfant, il informe les autorités judiciaires ou administratives. Néanmoins, en cas de simples suspicions de violences, il semble y avoir un delta qui fait douter du caractère impératif du devoir qui lui incombe.
En ce qui concerne les enseignants et les professionnels en milieu scolaire, une obligation plus large est posée puisque tout fonctionnaire ou agent public qui acquiert connaissance d’un délit ou d’un crime, quel qu’il soit, doit en aviser sans délai le Procureur de la République article 40 Code de procédure pénale, alinéa 2 et L 121-11 Code général de la Fonction publique.
Cette obligation a été spécialement rappelée en cas de violences sur mineurs, dans le cadre de la loi du 14 avril 2016 relative à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs.
« 119, Allô enfance en danger »
En pratique, lorsqu’ils suspectent des violences, les professionnels intervenant auprès d’enfants font le plus souvent des signalements indirects auprès des services départementaux et de la Cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) qui est une cellule départementale qui centralise et facilite le repérage des enfants victimes de violences.
Cette cellule, qui peut être alertée par toute personne, notamment via le relais assuré par le numéro « 119, Allô enfance en danger », se charge de faire une évaluation pluridisciplinaire de la situation qui aboutit, dans un délai de trois mois au plus, à une décision d’orientation déterminant les éventuelles suites à donner aux signalements effectués.
Les pratiques observées en milieux hospitalier et scolaire montrent qu’il y a souvent une concertation en interne au sujet des violences suspectées avant que la structure concernée n’alerte la CRIP.
Le rôle prépondérant des enseignants et des professionnels de santé dans la détection des violences faites aux enfants est indéniable puisqu’ils sont respectivement à l’origine de 23 % et de 15 % des informations préoccupantes transmises à la Crip.
Des dispositifs à perfectionner
Les dispositifs existants restent cependant perfectibles. Concernant les professionnels de santé, ils sont certes protégés d’un engagement de leur responsabilité du point de vue du secret professionnel mais ils peuvent être sanctionnés disciplinairement pour violation d’autres obligations déontologiques en cas de signalement.
Cette absence d’immunité totale a été récemment confirmée par le Conseil d’État lors d’une décision du 15 octobre 2024 qui a validé la sanction disciplinaire d’un médecin qui avait établi un certificat médical mentionnant des « violences intrafamiliales extrêmes » qu’il n’avait pas personnellement observées manquant ainsi à son obligation déontologique de non-immixtion dans les affaires de famille et dans la vie privée des patients comme nous le rappelle l’article R 4127-51 CSP.
Conscient du frein que cette crainte de la sanction disciplinaire peut constituer aux signalements, le plan gouvernemental 2023-2027 consacré à la lutte contre les violences faites aux enfants préconise une modification des codes de déontologie pour « clarifier l’obligation du professionnel de santé quand il constate des violences ».
En outre, l’absence de formation continue obligatoire relative aux violences faites aux enfants pour les professionnels intervenant auprès d’enfants est également à regretter. En effet, des formations sont proposées mais demeurent souvent ponctuelles en raison du manque de moyens et restent avant tout à la discrétion de chaque structure. Là encore, le plan gouvernemental a pour ambition de revaloriser la formation des professionnels.
Parmi les mesures proposées, le plan envisage la formation de vingt référents par ministère concerné chargés de sensibiliser et de former les professionnels intervenant auprès d’enfants au repérage et signalements des situations de violences faites aux enfants. La réforme de la formation des enseignants amorcée il y a quelques jours dans le décret du 17 avril signé par la ministre de l’éducation nationale, Élisabeth Borne, et le premier ministre, François Bayrou, promet également un renforcement de la formation sur ces questions.
Reste à savoir si les moyens humains, matériels et financiers déployés seront à la hauteur de ces ambitions. Au-delà des seuls enseignants, la mise en œuvre d’une formation continue approfondie obligatoire pour l’ensemble des professionnels intervenant auprès d’enfants pourrait constituer une avancée importante dans la lutte contre ces violences.

Gwenaëlle Questel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.04.2025 à 17:28
Canonisation : être saint à l’heure d’Internet, le cas de Carlo Acutis
Texte intégral (3341 mots)

Carlo Acutis va bientôt devenir le premier saint catholique issu de la génération des millenials. Comment comprendre l’engouement que suscite la figure de ce jeune geek qui évangélisait sa génération sur Internet ? Et qu’est-ce que « devenir saint » signifie exactement du point de vue de la doctrine catholique ?
Carlo Acutis, un jeune Italien né le 3 mai 1991 à Londres et décédé d’une leucémie foudroyante à l’âge de 15 ans, devait être canonisé à Rome le 27 avril dernier. La cérémonie a été reportée à un peu plus tard à cause du décès du pape François.
Surnommé « le saint patron du Web », « le cyber-apôtre » ou encore « l’influenceur de Dieu », il deviendra le premier saint catholique ayant vécu au XXIe siècle à l’exception du pape Jean Paul II, mort en 2005 et canonisé en 2014.
Mais comment devient-on un saint ? Combien y a-t-il de saints ? Qui sont-ils et sont-ils tous populaires ? Que signifie devenir saint à l’heure d’Internet ou du numérique ? Enfin, Carlo Acutis est-il un modèle pour les jeunes ?
Le procès de canonisation
Une personne est reconnue officiellement comme « sainte » au terme d’une procédure juridique rigoureuse appelée « procès de canonisation ». La décision de canonisation relève de l’autorité du pape, qui l’inscrit officiellement sur le Canon des saints – communément appelé « Catalogue des saints » – et permet qu’un culte universel lui soit rendu une fois la canonisation officialisée.
Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !
Toutefois, l’apanage du souverain pontife dans la décision de canonisation n’a pas toujours existé. Pendant des siècles les personnes étaient désignées « saintes » par la vox populi. Leur sainteté était ensuite confirmée par l’évêque local. La première canonisation effectuée par un pape remonte au Xe siècle avec celle de l’évêque Ulrich d’Augsbourg, par Jean XV, le 4 juillet 993. Depuis le XIIIe siècle, la décision de canonisation est réservée au pape, avec la mise en place d’un vrai procès en canonisation.
Ce procès de canonisation – qui a connu différentes réformes au fil des siècles – se déroule en plusieurs étapes :
- Au service de Dieu
L’ouverture de la Cause de canonisation du futur saint – une personne ayant une solide renommée de sainteté – débute en principe au bout de cinq ans au niveau du diocèse où a vécu le futur saint, après l’accord d’une autorité ecclésiastique compétente. Une enquête diocésaine est alors menée afin d’évaluer la réputation de sainteté de ce futur saint. Témoignages et preuves documentaires sont recueillis. À cette étape, le futur saint est appelé « serviteur de Dieu ». Après la clôture de l’enquête diocésaine, le dossier est transmis au Dicastère des causes des saints – anciennement, « Congrégation pour les causes des saints » –, à Rome.
- La vénérabilité
Une fois le dossier parvenu au Dicastère, celui-ci examine le dossier de la Cause déjà instruite sur le fond et la forme. Puis il émet un jugement sur le fond de la Cause avant de la transmettre au pape. Si le pape reconnaît les vertus héroïques –- la foi, l’espérance, la charité, la force d’âme, la prudence, la tempérance et la justice – du « serviteur de Dieu », il signe le « décret d’héroïcité des vertus » et le déclare « vénérable ».
- La béatification
Après la reconnaissance d’un premier miracle – dont le caractère inexplicable est reconnu et validé par des experts médicaux – à l’intercession du « vénérable », ce dernier est déclaré « bienheureux » par le pape. Pour rappel, un chrétien martyrisé (tué en haine de la foi) peut être déclaré « bienheureux » sans l’exigence d’un miracle.
- La canonisation
L’attribution d’un second miracle à l’intercession du bienheureux ouvre la voie à la reconnaissance de sa sainteté après l’approbation du décret de sa canonisation par le pape. Celui-ci le proclame officiellement « saint » par un acte de canonisation qui a lieu au cours d’une cérémonie.
Notons que, sur les trois conditions requises pour être déclaré « saint » – l’héroïcité des vertus, l’ouverture de la Cause après cinq ans et l’accomplissement d’au moins deux miracles –, les deux dernières peuvent être exceptionnellement assouplies. En effet, l’ouverture de la Cause a été lancée avant la durée des cinq ans pour le pape Jean Paul II et Mère Teresa. L’exigence d’un premier miracle comme préliminaire à la canonisation n’a pas non plus été indispensable dans le cadre de la canonisation du pape Jean XXIII.
Par ailleurs, il faut rappeler qu’il existe une autre forme de canonisation dite « équipollente » (« par équivalence ») - bien qu’elle soit rare. Moins formelle, elle ne nécessite pas de « procès » préalable. La procédure s’appuie sur la renommée des grâces obtenues par l’intercession de la personne. Celle-ci est déclarée « sainte » seulement sur un décret du pape et sans cérémonie particulière.
Enfin, il est important de préciser que la canonisation n’a pas pour objectif de « faire » d’une personne un saint mais de « reconnaître » sa sainteté.
Nombre, panorama et popularité des saints
En 2000 ans, l’Église compte près de 10 000 saints dont : des papes ((Jean Paul II, Jean XXIII, 2014)) ; des religieux et des religieuses (Antoine de Padoue (1232), Rita de Cascia (1900), Thérèse de Lisieux (1925), Maximilien Kolbe (1982), Padre Pio (2002), Mère Teresa (2016), Charles de Foucauld (2022)) ; des rois (Louis IX, 1297) ; des couples (Zélie et Louis Martin, 2015) ; des enfants (Jacinthe et François, 2000).
Durant son pontificat, le pape François aura canonisé 929 personnes (dont les 800 martyrs italiens d’Otrante canonisés en une seule fois en 2013).

François d’Assise figure parmi les saints les plus populaires du monde entier. Né à Assise, en Italie, vers 1181, dans une riche famille de drapiers, il abandonne son ambition d’être adoubé chevalier à la suite d’un songe. Peu à peu, il change de vie. Il commence par aider les plus démunis, puis soigne les lépreux. Il ne comprend le sens réel de sa vocation qu’en 1208. En 1210, il fonde l’ordre des Frères mineurs, communément appelé ordre des Franciscains. François est également connu comme étant le premier saint à avoir reçu les stigmates de la crucifixion du Christ. Il est aussi considéré comme le précurseur du dialogue islamo-chrétien. Décédé en 1226, il est canonisé deux ans après sa mort par Grégoire IX. En 1979, Jean Paul II le proclame saint patron de l’écologie. Le pape François – de son vrai nom Jorge Mario Bergolio – avait d’ailleurs choisi « François » comme nom symbolique en référence à François d’Assise, connu comme le saint des pauvres.
Moins connue est la sainte Joséphine Bakhita. Née vers 1869 au Darfour (Soudan), elle est capturée durant son enfance en 1877. Vendue en tant qu’esclave à plusieurs reprises, elle finit par être achetée par le consul d’Italie qui l’emmènera avec lui à son retour au pays, en 1885, à sa demande. Elle y deviendra domestique dans une famille amie du consul. À la suite d’une action en justice intentée à son encontre par sa « maîtresse » à Venise – cette dernière prétendait détenir un droit de propriété sur sa personne –, Bakhita est officiellement affranchie grâce à une décision du 29 novembre 1889 rendue en sa faveur dans laquelle le Procureur du roi déclara :
« N’oubliez pas, Madame, que nous sommes ici en Italie où, Dieu merci, l’esclavage n’existe pas, seule la jeune fille peut décider de son sort avec une liberté absolue. »
Libre, elle embrasse la vie religieuse chez les Sœurs canossiennes à Venise. Décédée en 1947, elle est béatifiée en 1992 puis canonisée en 2000 par le pape Jean Paul II, devenant la première sainte soudanaise. En France, un livre poignant, Bakhita, de Véronique Olmi, a permis de mieux la connaître.
Carlo Acutis, le cyber-apôtre : le premier saint millénial
Sans doute plus connu que Joséphine Bakhita mais pas encore aussi populaire que François d’Assise, Carlo Acutis est né dans une famille catholique non pratiquante. Selon sa mère, son fils était engagé dans de nombreuses activités caritatives en faveur des plus démunis et était habité par une foi précoce et profonde.
Passionné d’Internet, il met, à l’adolescence, ses connaissances d’informaticien au service de l’évangélisation à travers la création d’expositions numériques sur les miracles eucharistiques – la réelle présence du Christ dans l’eucharistie selon les croyants – et les apparitions de la Vierge Marie. D’où les surnoms de « saint patron du Web », « cyber-apôtre » ou encore « influenceur de Dieu » qui lui ont été attribués.
En 2020, Carlo est déclaré bienheureux à la suite de la reconnaissance d’un premier miracle par son intercession : la guérison d’un enfant atteint d’une déformation du pancréas. En 2024, un deuxième miracle lui ayant été attribué ouvre la voie à sa canonisation. Une jeune femme grièvement blessée et dont le pronostic vital est engagé guérit rapidement après que sa mère est allée se recueillir auprès de la tombe de Carlo en Assise. Il deviendra le premier saint millénial (génération Y) après sa canonisation par le successeur du pape François.
Carlo Acutis : un modèle pour les jeunes ?
L’évangélisation conduite par Carlo Acutis à travers ses expositions virtuelles, traduites dans plus d’une vingtaine de langues et accessible partout dans le monde, l’a rendu célèbre. En 2019, le pape François a fait son éloge dans son exhortation apostolique Christus Vivit, l’érigeant en modèle pour la jeunesse. Son histoire est également relayée sur différents réseaux sociaux (Facebook, Tiktok, Instagram, etc.) et est racontée dans des livres pour enfants et jeunes adultes. Sa popularité s’est accrue depuis l’ouverture de son procès en canonisation. Dans ce cadre, son corps, préalablement transféré à Assise, lieu de pèlerinage pour les fidèles du monde entier, a été exhumé et exposé à la vénération des fidèles, vêtu d’un jean, d’un sweat de sport et de baskets, « uniforme » habituel des adolescents.

En faisant l’éloge de Carlo, le pape François a sans doute aussi voulu promouvoir une nouvelle figure de sainteté et dépoussiérer l’image des saints traditionnels de l’Église et ayant vécu à d’autres époques. Avec sa canonisation, la sainteté ne relève plus du passé mais du présent. En ayant eu une adresse mail, un portable ou encore un ordinateur, Carlo apparaît ainsi comme un (futur) modèle de saint moderne et accessible à la génération connectée.
Pour Clément Barré, prêtre du diocèse de Bordeaux, il ne faut néanmoins pas s’arrêter à sa modernité car cela risque de masquer l’essentiel : « son témoignage eucharistique radical qui transcende les catégories d’âge ». Par ailleurs, il souligne également qu’il est important de ne pas le cantonner au rôle de « Saint des jeunes », puisqu’un adulte ou un senior peut aussi être interpellé par le style d’évangélisation de Carlo…

Allane Madanamoothoo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.04.2025 à 17:27
Faire de l’école un « sanctuaire » : regard historique sur un leitmotiv politique
Texte intégral (1285 mots)
L’attaque au couteau qui a eu lieu dans un lycée nantais, le 24 avril, a reposé la question de la sécurité des établissements scolaires. Au gouvernement, on prône l’installation de portiques pour sanctuariser l’école. À quelles références historiques ce discours nous renvoie-t-il ?
Après l’attaque dramatique au couteau d’un lycéen contre ses condisciples jeudi 24 avril à Nantes, le premier ministre François Bayrou a formulé une « piste » centrale : installer des portiques de sécurité, insistant sur « tout ce qui peut aller dans le sens de la sanctuarisation de l’école », notion « défendue depuis longtemps ».
Effectivement, il y a une trentaine d’années, en février 1996, alors ministre de l’éducation nationale, il avait présenté en ces termes un plan de lutte contre la violence à l’école :
« L’école doit être un sanctuaire. Pendant des décennies, on a plaidé pour une école ouverte […]. Il faut prendre une position inverse, travailler à resanctuariser l’école. »
Et de préconiser alors l’installation de clôtures autour des établissements, en plaidant pour la restauration d’un article de la loi anticasseurs, permettant d’interdire l’entrée dans l’établissement scolaire.
Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !
Il s’agit désormais d’installer des portiques de sécurité à l’entrée des établissements scolaires – toujours dans la même ligne, selon laquelle le danger vient de l’extérieur de l’école.
Encore faudrait-il, d’un point de vue pragmatique, préciser s’il s’agit de dispositifs de reconnaissance d’identité (contre l’intrusion de personnes extérieures à l’établissement, mais qui auraient été impuissants en l’occurrence) ou de portiques détecteurs de métaux comme dans les aéroports.
Les portiques détecteurs de métaux, apparemment les plus sûrs, ne sont pas sans failles : ils sont de nature à créer des embouteillages qui ne sont pas exempts de troubles voire de dangers à l’entrée des établissements, et les couteaux en céramiques ne peuvent pas être détectés.
À lire aussi : Sécurité des établissements scolaires : toujours plus de dispositifs de contrôle ?
Par ailleurs, le coût d’installation d’un portique n’est pas négligeable. Il est estimé à au moins plusieurs dizaines de milliers d’euros, et atteint souvent les cent mille. Rapporté aux 58 000 écoles et établissements du second degré, cela ferait une belle somme au total pour une efficacité toute relative.
L’école comme sanctuaire : une image ancrée historiquement
À vrai dire, l’accent mis sur l’extérieur de l’école pour ce qui concerne les violences ayant lieu à l’école détourne le regard de ce qui est pourtant de loin le plus répandu, à savoir les violences entre élèves, les violences de certains élèves contre leurs encadrants voire les violences de certains encadrants contre les élèves. En 1996 comme actuellement…
À lire aussi : Violences à l’école : une longue histoire ?
On peut même soutenir que certaines de ces violences s’enracinent dans une certaine façon d’appréhender l’éducation, « catholique », voire « républicaine ». On peut citer par exemple (sinon en exemple) la valorisation unilatérale de l’obéissance pour ce qui concerne les « Frères des écoles chrétiennes » (issus de la Contre-réforme) qui ont été longtemps une congrégation enseignante phare pour l’Église catholique :
« L’obéissance est une vertu par laquelle on soumet sa volonté et son jugement à un homme comme tenant la place de Dieu. »
Avec toutes les dérives qui peuvent s’ensuivre et dont on a eu de nombreuses révélations ces derniers temps.
Encore convient-il de ne pas se focaliser unilatéralement sur cela, à l’invitation du grand sociologue de l’éducation Émile Durkeim qui attire notre attention sur un point crucial.
Selon Durkheim, l’Église a en quelque sorte « inventé » l’école sous une forme institutionnelle forte (à l’instar d’un « sanctuaire ») parce qu’elle avait « un projet d’emprise universelle sur les âmes ». Pour le sociologue, qui écrit à la fin du XIXe siècle, l’histoire de l’école est celle de la longue « laïcisation » de ce projet de « conversion » dont le contenu (Dieu et l’Église, ou la République une et indivisible) importe moins que la forme (celle du « sanctuaire »).
« Pour nous aussi, l’école, à tous les degrés, doit être un lieu moralement uni, qui enveloppe de près l’enfant et qui agisse sur sa nature tout entière […]. Ce n’est pas seulement un local où un maître enseigne ; c’est un être moral, un milieu moral, imprégné de certaines idées, de certains sentiments, un milieu qui enveloppe le maître aussi bien que les élèves. »
La mise en avant du « respect des valeurs de la République » qui met l’accent sur les devoirs civiques plutôt que sur les droits et responsabilités de la citoyenneté n’irait-elle pas dans ce sens : une version structurellement « catholique » d’une certaine éducation « républicaine » ?
On peut en effet s’interroger si on met cela en regard de la profession de foi républicaine de Ferdinand Buisson, personnellement – lui – dans la mouvance d’un protestantisme sécularisé. Directeur de l’enseignement primaire de 1879 à 1896 et fondateur de la Ligue des droits de l’homme, voici ce qu’il disait au congrès du Parti radical en 1903 :
« Le premier devoir d’une République est de faire des républicains […]. Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain si petit et si humble qu’il soit et lui donner l’idée qu’il peut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef quel qu’il soit, temporel ou spirituel […]. Il n’y a pas d’éducation libérale si l’on ne met pas l’intelligence en face d’affirmations diverses, d’opinions contraires, en présence du pour et du contre, en lui disant : “Compare et choisis toi-même !” »

Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
30.04.2025 à 11:01
Quand la mouche déploie ses ailes
Texte intégral (1681 mots)

Après des jours à se préparer patiemment dans son cocon, la mouche émerge et déploie ses ailes. En quelques instants, ces appendices, au départ pliés et froissés, forment des structures planes, translucides, résistantes et surtout… prêtes à décoller !
La vie des insectes est ponctuée par des phases de transformation impressionnantes, au cours desquelles leurs corps subissent des métamorphoses spectaculaires : de la larve à la nymphe protégée dans son cocon, jusqu’à l’insecte adulte.
Lors de la transformation finale, l’insecte émerge de sa nymphe et déploie ses ailes en seulement quelques minutes. À partir d’une structure compacte et pliée, semblable à un origami, les ailes s’étendent pour devenir des surfaces rigides et fonctionnelles, prêtes pour le vol, qui permettront à la mouche adulte d’échapper aux prédateurs, de rechercher de la nourriture et de se reproduire.
Ce déploiement se fait par une augmentation de la pression sanguine dans des ailes – un mécanisme que nous sommes désormais en mesure d’imager et d’étudier avec une précision sans précédent, comme nous l’avons rapporté récemment dans Nature Communications. Ces recherches éclairent la mécanique des structures souples capables de changer de forme – elles ouvrent ainsi de nouvelles perspectives pour des applications dans les structures déployables, utilisées aussi bien en aérospatiale qu’en chirurgie mini-invasive et en robotique flexible.
Les ailes se forment lentement et se déploient d’un coup
Aux stades larvaire et nymphal, les ailes se forment progressivement grâce à des processus de divisions cellulaires, d’élongation et de réarrangement de tissus. Ces étapes relativement longues s’étendent sur une dizaine de jours chez la drosophile, petite mouche du vinaigre et modèle privilégié des biologistes. Puis, en seulement quelques minutes, la mouche adulte déploie ses ailes.
Cette métamorphose spectaculaire intrigue les scientifiques depuis des siècles. Au XVIIIe siècle, le naturaliste français René-Antoine Ferchault de Réaumur observait que, durant cette phase d’expansion, « l’insecte boit l’air pour s’en bien remplir le corps ».
Un siècle plus tard, Georges Jousset de Bellesme observa, en piquant délicatement une aile de libellule en déploiement avec une aiguille fine, qu’elle était en réalité remplie de liquide, et non d’air, pendant cette phase.
Tous les quinze jours, de grands noms, de nouvelles voix, des sujets inédits pour décrypter l’actualité scientifique et mieux comprendre le monde. Abonnez-vous gratuitement dès aujourd’hui !
Imager l’expansion des ailes
On sait aujourd’hui que, pour générer cette pression de liquide dans les ailes, l’insecte active un ensemble de muscles situés à la base de la trompe, habituellement impliqués chez la mouche adulte dans l’ingestion de nourriture – Réaumur avait raison.
Ces muscles lui permettent d’avaler de l’air, ce qui gonfle son intestin comme un ballon. Simultanément, la contraction des muscles abdominaux réduit le volume de l’abdomen, augmentant ainsi efficacement la pression sanguine. Celle-ci atteint progressivement quelques kilopascals, environ un quart de la pression artérielle chez un humain adulte, et génère un flux sanguin dans la structure de l’aile – de Bellesme aussi était sur la bonne piste.
Dans notre étude, nous avons mesuré l’augmentation de pression du sang chez l’insecte, à l’aide d’une sonde reliée à un capillaire en verre inséré dans son abdomen.
De plus, en injectant des traceurs fluorescents dans le sang de l’insecte, nous avons pu visualiser le flux de sang dans l’aile. De façon surprenante, nous avons observé que lors de cette phase de dépliement de l’aile, le sang se diffuse dans l’ensemble de l’aile – ceci contraste avec le reste de la vie de la mouche adulte, où le sang reste confiné aux veines qui parcourent les ailes.
Des ailes comme un matelas gonflable
Pour mieux comprendre où va précisément le sang lors du dépliement, nous avons imagé les ailes par microtomographie aux rayons X. Cette technique permet de reconstruire en trois dimensions la structure interne de l’aile à partir d’un grand nombre de radiographies. Nous avons ainsi montré que l’aile est constituée de deux fines plaques séparées par des piliers espacés, se pressurisant comme un matelas gonflable. Contrairement aux structures artificielles, la surface de l’aile s’étire au cours du dépliement.
À une échelle plus fine, des observations au microscope électronique révèlent que chaque plaque est composée d’une monocouche de cellules recouvertes d’une fine couche rigide initialement plissée : la cuticule.
En observant le déploiement des ailes chez des mutants dont les contours cellulaires sont visibles grâce à un marquage fluorescent, nous avons découvert que les cellules s’étirent pendant l’expansion tandis que la fine couche se déplisse, mais sans s’étirer davantage, fixant ainsi la forme finale de l’aile. Une fois l’aile entièrement déployée, les cellules meurent et sont aspirées hors de l’aile, tandis que la fine couche se rigidifie, ce qui permet à l’aile de garder sa forme chez l’adulte.
Ainsi, nous avons montré que le déploiement des ailes de drosophile est un processus hiérarchique à deux échelles : un dépliage macroscopique à l’échelle de l’organe et un déplissage microscopique à l’échelle du tissu.
Un point de fonctionnement pour déployer sans effort
Le déplissage engendre également une propriété mécanique intéressante. Lorsqu’on tire sur l’aile, la force n’augmente pas de manière linéaire, comme ce serait le cas pour un ressort. Au début, c’est surtout les cellules qui résistent tandis que la fine couche plissée joue un rôle très faible. Mais au fur et à mesure que cette couche se déplisse puis s’étire, elle commence à participer à ce qui se traduit par une augmentation rapide de la rigidité globale du tissu.
Nous avons montré que cette propriété mécanique, combinée à la géométrie de la structure de l’aile, constitue une configuration efficace pour le déploiement – appelée « point de fonctionnement » – où une faible augmentation de la surpression exercée par la mouche entraîne une augmentation significative de la taille de l’aile. L’insecte exploite naturellement cette configuration pour déployer largement son aile dans le plan, sans avoir à générer de grandes variations de pression.
Dynamique de déploiement
Ainsi, l’essentiel du déploiement se produit pour une pression constante, maintenue par la pression sanguine de la mouche. Nous avons ensuite étudié les facteurs limitant la vitesse de ce déploiement.
Pour le savoir, nous avons déformé l’aile à des vitesses croissantes. Ce que nous avons observé, c’est que l’aile apparaît plus rigide à mesure que la vitesse augmente, ce qui montre que sa réponse est « viscoélastique ». Cela signifie que l’aile peut s’étirer comme un matériau élastique, mais à grande vitesse, elle se comporte aussi comme un matériau visqueux, offrant une résistance à la déformation et ralentissant le mouvement. Cette viscosité interne nous permet de prédire la vitesse du déploiement et de mieux comprendre la dynamique du processus.
Les changements de forme par actionnement hydraulique sont fréquents dans le règne végétal, comme on peut le constater lorsqu’on arrose une plante desséchée. Cependant, ces mécanismes restent encore peu explorés chez les animaux. Les insectes présentent une diversité remarquable de formes et d’échelles de taille d’ailes.
Dans notre laboratoire, nous explorons actuellement une question ouverte : dans quelle mesure les mécanismes mis en évidence chez la mouche sont-ils génériques et applicables à d’autres ordres d’insectes ? Chez la drosophile, certains aspects du processus de déploiement restent encore à éclaircir, notamment les mécanismes garantissant l’irréversibilité du processus (la forme de l’aile est fixée : celle-ci ne se replie pas après déploiement), ainsi que ceux garantissant la planitude finale de l’aile.

Joel Marthelot a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche, de la Fondation pour la Recherche Médicale et du CNRS.
Simon Hadjaje a reçu des financements de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM Fin de Thèse, FDT FDT202304016556).
30.04.2025 à 11:01
Humains, animaux, cellules, plantes : tous conscients ?
Texte intégral (1920 mots)
Nous sommes des êtres doués de conscience mais qu’en est-il des autres animaux ? De nos plus proches cousins, les primates, jusqu’aux mollusques, où placer la limite de la (non-) conscience ? Certaines théories vont jusqu’à reconnaître cette capacité à toute forme de vie. Faisons le tour de la question.
L’année 2024 a été riche en évènements autour de la question de la conscience. La « déclaration de New York sur la conscience animale », signée en avril par plus de 300 chercheurs, a proposé qu’une possibilité de conscience existe chez la plupart des animaux.
En juin, toujours à New York, a eu lieu la première présentation des résultats de la collaboration adversariale Cogitate, qui organise une collaboration entre des équipes qui s’opposent autour de deux théories de la conscience. Le but étant qu’ils définissent entre eux les expériences à mener pour prouver l’une ou l’autre des conceptions qu’ils défendent.
Cette confrontation regroupe des experts de neurosciences et des philosophes cherchant un consensus entre : la théorie de l’espace de travail global (GNWT), portée par Stanislas Dehaene, et la théorie de l’information intégrée (IIT), proposée par Giulio Tononi. La GNWT propose que l’interaction entre plusieurs régions et processus spécifiques du cerveau soit nécessaire à la conscience, celle-ci n’émergeant suite à un premier traitement automatique que si l’information est amplifiée par différents réseaux de neurones spécialisés. L’IIT propose que la conscience émerge d’un système qui génère et confronte des informations. Dans cette proposition la possibilité de conscience n’est pas réduite au cerveau.
Tous les quinze jours, de grands noms, de nouvelles voix, des sujets inédits pour décrypter l’actualité scientifique et mieux comprendre le monde. Abonnez-vous gratuitement dès aujourd’hui !
La revue Neuron, une des revues scientifiques les plus influentes dans la communauté des neurosciences, a proposé en mai 2024 un numéro spécial sur la conscience. Les articles montrent que si les substrats neurobiologiques de la conscience ont suscité de nombreux efforts de recherche au cours des dernières décennies, il n’en demeure pas moins que les neuroscientifiques ne sont pas d’accord. Ils analysent cinq théories différentes de la conscience. Malgré l’absence de définition commune du terme « conscience », utilisé à la fois comme une « expérience », incluant les perceptions sensibles du monde extérieur (vision des couleurs), et comme une expérience subjective, qui se construit a posteriori en intégrant différentes sources d’informations, le groupe élabore des convergences entre ces théories concurrentes et apparemment contradictoires.
Des bases biologiques de la conscience toujours inconnues
Sans rentrer dans les détails et les arguments concernant ces différentes, les travaux montrent qu’il n’existe pas de théorie unifiée de la conscience et que nous ne connaissons toujours pas les bases biologiques de la conscience. Les anciennes questions autour du dualisme, qui distinguent monde physique et monde psychique et du monisme soutenant l’unicité des deux mondes ne semblent toujours pas prêtes d’être tranchées.
Cependant, même sans théorie unifiée, la possibilité d’une expérience consciente n’est plus l’apanage des humains. Elle se diffuse à travers l’arbre phylogénétique, étant désormais reconnue chez de nombreux groupes d’animaux, y compris les insectes. Le dénominateur commun entre toutes ces approches semble être la présence d’un cerveau, caractéristique partagée par la majorité des animaux, même si celui-ci est petit et de structure simple. Les éponges dépourvues de cerveau et de systèmes nerveux ne sont pas incluses dans la famille des êtres conscients. Mais qu’en est-il des bivalves (huîtres ou moules par exemple) qui ne sont pourvus que de ganglions regroupant leurs neurones, rejoindront-ils prochainement la famille des êtres conscients ?
Mais la conscience pourrait-elle exister en dehors de ce fameux système nerveux ? Cette idée radicale a été notamment proposée il y a déjà quelques années par Frantisek Baluska, biologiste cellulaire, professeur à l’Université de Bonn, et Arthur Reber, psychologue, professeur à l’Université British Columbia.
Une conscience dans chaque être vivant ?
Ils ont proposé que la conscience aurait émergée très tôt au cours de l’évolution chez les organismes unicellulaires, et serait même coïncidente avec l’apparition de la vie. La conscience serait donc une propriété intrinsèque de la vie. Cette proposition repose sur l’observation que toutes les cellules, qu’elles soient isolées ou intégrées dans un organisme multicellulaire, possèdent une capacité impressionnante à percevoir leur environnement, à traiter des informations leur permettant de prendre des décisions basiques en réponse à des stimuli externes. Certains organismes unicellulaires peuvent par exemple libérer des molécules pour se signaler les uns aux autres.
Ces processus pourraient être considérés comme une forme de conscience primitive. Et si cette proposition fait fi de la présence d’un système nerveux, elle s’appuie toutefois notamment sur l’excitabilité électrique des cellules. Le neurone et le cerveau sont considérés comme des systèmes hyperoptimisés dans l’une des parties du vivant, permettant la conscience humaine.
Cette théorie reste bien sûr très controversée, notamment en raison de l’absence de définition partagée de la conscience. De nombreux scientifiques considèrent que cette « conscience cellulaire » serait simplement une métaphore pour décrire des processus biochimiques et biophysiques complexes, sans qu’il soit nécessaire d’y inclure une notion de conscience. Ils critiquent cette théorie, en utilisant une définition traditionnellement de la conscience impliquant un système neurobiologique et une expérience subjective, peu probable ? En tout cas difficile à démontrer au niveau cellulaire.
Des plantes conscientes ?
Poursuivant leurs réflexions, Frantisek Baluska et d’autres collègues ont proposé la théorie de l’IIT développée par Giulio Tononi comme cadre possible pour explorer la question d’une forme de « proto-conscience » chez les plantes.
Appliquer l’IIT aux plantes implique d’examiner comment les plantes perçoivent, intègrent et répondent à l’information dans leur environnement sans posséder de système nerveux central. Les plantes pourraient agir de manière consciente suivant l’IIT. Elles reçoivent et intègrent des signaux de diverses sources et y répondent de manière coordonnée grâce à un réseau de communication interne constitué de connexions cellulaires, de faisceaux vasculaires connectant toutes les parties de la plante notamment par des signaux électriques. Ils considèrent que ces caractéristiques et ces réseaux de communication hautement interconnectés pourraient correspondre à l’exigence d’intégration d’informations de l’IIT permettant aux plantes une réponse unifiée malgré l’absence d’un système nerveux centralisé. Bien que les auteurs considèrent qu’il ne s’agisse que d’un niveau de conscience minimale, ces données ont bien sûr étaient immédiatement récusées.
Les principaux arguments opposés sont que les théories de la conscience sont basées sur l’existence de neurones et l’impossibilité de prouver que les plantes aient une expérience subjective de leur environnement. L’IIT autorisant de plus la conscience dans divers systèmes non vivants, elle ne serait pas suffisante pour prouver la conscience des plantes. Même si cette hypothèse reste spéculative et nécessite certainement davantage de recherche pour mieux comprendre la relation entre la complexité biologique et la conscience, l’idée que les plantes puissent être étudiées à l’aide de la théorie de l’IIT pourrait permettre d’explorer d’autres formes de traitement de l’information dans des systèmes biologiques, qu’ils soient ou non dotés de cerveaux. Il n’est par contre pas certain que ces approches aident les tenants de l’IIT, celle-ci ayant été récemment controversée, et qualifiée de « pseudoscience non testable » dans une lettre rédigée par 124 neuroscientifiques.
À notre connaissance aucune tentative de démonstration d’une autre théorie de la conscience n’a été tentée sur des organismes sans cerveau. Par contre, faisant suite aux travaux de Claude Bernard qui indiquait, dès 1878, « Ce qui est vivant doit sentir et peut être anesthésié, le reste est mort », différentes équipes dont la nôtre, se sont intéressées aux effets des anesthésiques, un des outils importants de l’étude de la neurobiologie de la conscience, sur des organismes sans cerveau.
La théorie de la conscience cellulaire, tout comme l’exploration de la théorie de l’IIT chez des organismes sans neurones peuvent apparaître provocantes, elles offrent cependant une perspective fascinante et ouvrent de nouvelles voies pour comprendre les fondements de la conscience et l’émergence des comportements dans le règne vivant. Tout comme l’attribution progressive d’une conscience à des groupes d’animaux de plus en plus éloignés des humains dans l’arbre phylogénétique, qui relancent et étendent une épineuse question philosophique et scientifique.
Ces réflexions ouvrent évidemment aussi de nombreux questionnements éthiques concernant les organismes non humains et, bien sûr, les machines connectées à des intelligences artificielles, qui pourraient s’inscrire dans un continuum de conscience. De nombreux outils et protocoles sont encore à développer pour tester ce qui reste des hypothèses et, pourquoi pas, envisager une collaboration adversariale sur la conscience sans cerveau.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.