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30.06.2025 à 12:17

Sans diplôme, quelle carrière en entreprise ?

Hédia Zannad, Associate professor, Neoma Business School

Loréa Baïada-Hirèche, Maître de conférences en management des ressources humaines, Institut Mines-Télécom Business School

Pour contourner la tyrannie du diplôme en France, une étude montre la possibilité de contourner l’absence de réseaux ou de titres académiques en misant sur son capital psychologique.
Texte intégral (2139 mots)

Pour les salariés sans diplôme ou les réfugiés sans qualification reconnue en France, l’intégration professionnelle peut être un chemin semé d’embûches. Une étude montre la possibilité de contourner l’absence de réseaux ou de titres académiques en misant sur son capital psychologique.


Si la centralité du diplôme dans le processus de recrutement est une affaire de bon sens, seules les compétences et les performances devraient être prises en compte par la suite. Or, c’est rarement le cas. Bienvenue en France, où prévaut la « tyrannie du diplôme initial ».

Notre article « Quand tout est à (re)construire : la dynamique des ressources de carrière en contexte préjudiciable » est le fruit hybride du croisement entre deux recherches menées et publiées indépendamment l’une de l’autre. La première s’intéresse à la carrière des salariés peu qualifiés d’une grande entreprise française de télécoms – que nous appellerons T par souci d’anonymisation. La seconde s’interroge sur le devenir professionnel des réfugiés en France en provenance de zones de conflit telles que la Syrie ou l’Afghanistan.

Ces deux populations ont en commun de souffrir d’un capital sociologique – ressources économiques, sociales et culturelles – déficient au regard de leur environnement professionnel. Les premiers sont désavantagés par l’insuffisance de titres dans un environnement qui valorise les diplômes d’excellence, les seconds par la disqualification de leur bagage culturel et la disparition de leurs réseaux sociaux dans l’exil.

Alors, comment comprendre que certains réussissent sur le plan professionnel malgré l’absence ou le manque de qualifications ?

Pour répondre à cette question, nous avons fait appel au concept de « ressources de carrière ». Cette notion est composée des ressources psychologiques et sociales – les réseaux de proches –, des ressources en capital humain – éducation, formation, expérience – et des ressources identitaires – conscience de son identité professionnelle – qu’un individu peut mobiliser au service de sa carrière. À la lueur de ce concept, nous nous sommes appuyées sur l’analyse de 42 entretiens menés auprès de 24 salariés et de 18 réfugiés, suivant la méthodologie des récits de vie. L’enjeu : comprendre comment ces individus parviennent à développer des ressources de carrière au service de leur réussite professionnelle, à partir d’un capital sociologique faible.

PsyCap ou capital psychologique

Nos résultats montrent que près de la moitié des personnes interrogées, peu diplômées – ou aux qualifications non reconnues en France –, sont parvenues à s’inscrire dans des trajectoires professionnelles plus ascendantes que ce qu’une analyse sociologique aurait pu laisser prévoir.

Comment ? En étant capables de transformer leurs ressources personnelles – capital psychologique et valeurs personnelles – en ressources pour faire carrière.

Ce que révèle notre étude, c’est la puissance du capital psychologique – également nommé « PsyCap » – pour initier ou relancer une carrière… même en l’absence de capitaux sociologiques traditionnels. Le PsyCap est défini dans le cadre de la psychologie positive comme l’ensemble des forces et capacités psychologiques qui peuvent être développées pour améliorer la performance professionnelle. Il est constitué de quatre dimensions selon le professeur de gestion Fred Luthans : la confiance, l’optimisme, l’espoir et la résilience.

  • La confiance se rapporte à la foi qu’a une personne en sa capacité à transformer ses efforts en succès pour relever un défi.

  • L’optimisme renvoie à une attribution positive à propos du succès présent ou à venir.

  • L’espoir signe l’orientation résolue en direction des objectifs fixés par l’individu et, si nécessaire, son aptitude à faire bifurquer les chemins qui y conduisent pour remplacer ceux qui ont été contrariés.

  • La résilience se réfère à l’aptitude à rebondir, et même au-delà, lorsque l’individu rencontre de l’infortune.

Qualités interpersonnelles

L’analyse des récits de salariés et de réfugiés interviewés révèle trois processus distincts pour faire carrière sans diplôme ou réseaux sociaux en France : la construction, l’activation et l’obstruction.


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La construction concerne des personnes sans diplôme qui s’appuient sur leurs ressources psychologiques – résilience, détermination, optimisme, confiance en soi – ainsi que sur leurs qualités éthiques – altruisme, gratitude, humilité – pour bâtir leur parcours. L’ensemble de ces ressources psychologiques et éthiques agissent comme autant de leviers pour se créer des opportunités et transformer des obstacles en tremplins professionnels. Samuel, entré chez T sans qualification, gravit les échelons grâce à des formations, une validation des acquis (VAE) et l’appui de son management, jusqu’à un poste de direction :

« Une de mes qualités, c’est d’être assez fiable et quelqu’un à qui on peut confier des choses. Des managers ont cru en moi au-delà de ce que j’avais montré. Ils m’ont ouvert des champs possibles. »

La trajectoire des personnes interviewées montre que leur engagement attire le soutien de leur entourage professionnel. Il leur permet de trouver un emploi stable, d’acquérir des compétences par l’expérience et de construire petit à petit un projet professionnel.

Travail de deuil

Le deuxième groupe de répondants, qui représente un tiers de notre échantillon, suit une autre forme de parcours. S’ils détiennent un bon capital initial – diplôme, expérience –, ils s’appuient sur leurs ressources psychologiques pour faire carrière, selon un processus que nous avons appelé « activation ». Par exemple, Sami, réfugié et ex-journaliste iranien, mobilise ses acquis et reprend des études après une période d’adaptation difficile en France :

« Je travaillais dans le journal le plus prestigieux d’Iran, au poste le plus prestigieux… J’étais reconnu dans mon domaine… Je suis arrivé ici et je n’ai été transféré vers personne, j’ai dû repartir de zéro. Je suis devenu professeur particulier pour deux enfants parce qu’on me rendait un service ! Après cinq-six mois, j’ai trouvé un emploi de journaliste… Après dix-neuf mois, ils m’ont proposé un CDI. »

Ce processus d’activation concerne notamment les réfugiés dotés d’un capital humain initial solide – maîtrise de la langue française, études supérieures dans le pays d’origine. Leur réussite professionnelle est fondée sur leurs ressources psychologiques qui les aident à alimenter des efforts soutenus dans le sens de leur intégration. Elles semblent faciliter le travail de deuil, préalable nécessaire pour redémarrer leur vie dans un nouveau contexte.

Focalisation sur les obstacles

Un quart de nos répondants éprouve un sentiment d’échec professionnel, alors qu’ils étaient pourtant dotés en capital sociologique.

Ils sont freinés par un état d’esprit négatif ou par un sentiment d’injustice, selon un mécanisme que nous avons appelé « obstruction ». Ils se focalisent sur les obstacles et refusent certaines opportunités. Certains réfugiés qui détenaient des positions privilégiées dans leur pays d’origine ne se résolvent pas à accepter un travail jugé trop sous-dimensionné par rapport à eux. On peut citer l’exemple de Néda, ingénieure, docteure et titulaire d’un MBA qui, malgré tous ses diplômes, perçoit sa carrière chez T de manière pessimiste, dénonçant des discriminations et rejetant le fonctionnement des réseaux internes :

« Ce ne sont pas les performances seulement : le réseau, la manière de se vendre, être au bon moment au bon endroit en discutant avec la bonne personne. À chaque fois que j’ai répondu à un poste ouvert sur Internet, il y avait toujours quelqu’un qui l’obtenait, cela me fait dire que tout le monde n’est pas égal. »

Pour le sociologue Pierre Bourdieu, l’institution scolaire contribue « à légitimer les trajectoires et les positions sociales » et à déterminer la place dans la division sociale du travail. Wikimedia commons

Peut-on conclure de cette recherche que la théorie du capital sociologique de Bourdieu pêche par excès de pessimisme ?

Sa théorie de l’espace social souligne l’importance des facteurs culturels et symboliques dans la reproduction des hiérarchies sociales. Si on s’en tient à cette lecture, la réussite est essentiellement liée à la détention de capitaux culturels (compétences, titres, diplômes) et symboliques, c’est-à-dire toute forme de capital culturel, social ou économique ayant une reconnaissance particulière au sein de la société. Cette vision réduit les chances de ceux qui en sont démunis.

Notre étude montre que si les inégalités de départ pèsent lourd, elles ne sont pas une fatalité. À condition de disposer ou d’acquérir de ressources psychologiques telles que la confiance en soi, l’optimisme, l’espoir, la résilience, il est possible de contourner l’absence de réseaux ou de diplômes en misant sur sa capacité à rebondir, à apprendre, à espérer. Et, parfois, à réussir là où rien ne le laissait présager.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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30.06.2025 à 12:17

Comment gérer l’isolement professionnel des travailleurs free-lance ?

Aneta Hamza-Orlinska, Professeure assistante en gestion des ressources humaines, EM Normandie

Jolanta Maj, Assistant Professor

Si les free-lances chérissent leur liberté, ils regrettent parfois les liens (très) faibles qu’ils entretiennent avec leurs donneurs d’ordre. Pourrait-on mieux les associer ? Comment ?
Texte intégral (1899 mots)

Beaucoup de travailleurs free-lance éprouvent ou disent éprouver un sentiment de déconnexion vis-à-vis de l’organisation qui les emploie et de leurs collègues. Cela génère chez eux des sentiments d’aliénation, de stress et de frustration qui relèvent toutefois davantage de l’isolement professionnel que social. Comment les entreprises peuvent-elles repérer ces signaux faibles et mettre en place des mesures pour mieux les intégrer ?


Le travail indépendant a connu un fort essor ces dernières années avec le développement de la « gig economy », ou « économie des petits boulots ». Apparues avec les plateformes collaboratives telles qu’Uber ou Deliveroo qui n’emploient pas de salariés, mais travaillent avec des micro-entrepreneurs, ces nouvelles formes de travail ont engendré un malaise de plus en plus important chez les personnes ayant choisi ce statut professionnel. Si l’indépendance présente des avantages, elle rime aussi souvent avec isolement.

Les travailleurs free-lance se retrouvent, tant physiquement que mentalement, déconnectés de leurs collègues et de l’organisation, cumulant souvent plusieurs emplois et travaillant à distance. Malgré les opportunités d’intégrer des communautés virtuelles, ils demeurent particulièrement vulnérables à l’isolement, plus encore que les salariés permanents ou ceux en télétravail. Par ailleurs, leurs interactions avec les managers, superviseurs ou prestataires de services tendent à se réduire à des échanges strictement transactionnels, accentuant ainsi leur sentiment de solitude, qui demeure essentiellement professionnel.

Les entreprises font de plus en plus appel aux travailleurs en free-lance, qui opèrent parallèlement aux salariés traditionnels. Cependant, les dispositifs mis en œuvre pour identifier et intégrer ces professionnels restent identiques à ceux employés pour les équipes permanentes, alors qu’une intégration véritablement inclusive devrait prendre en compte la nature autonome, asynchrone et transactionnelle de leur mode de travail.


À lire aussi : Le management des travailleurs indépendants nécessite une communication adaptée


Deux formes d’isolement

Les travailleurs en free-lance peuvent ressentir l’isolement professionnel sans forcément se sentir isolés socialement. En effet, la recherche établit une distinction claire entre ces deux concepts.

L’isolement social découle du fait que les besoins émotionnels ne sont pas comblés, notamment en raison de l’absence de liens spontanés et de relations de travail que l’on retrouve habituellement en présentiel, un phénomène exacerbé par le télétravail. À l’inverse, l’isolement professionnel se traduit par le sentiment d’être déconnecté des autres et privé d’informations essentielles, compromettant ainsi les interactions clés au sein de l’entreprise.

Bien que ces deux formes d’isolement soient liées à la séparation d’autrui, l’isolement social se caractérise par l’absence de proximité avec les autres, tandis que l’isolement professionnel se manifeste par une déconnexion perçue vis-à-vis des collègues ou par l’accès insuffisant aux ressources et à l’information nécessaires pour accomplir le travail.


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Des demandes paradoxales

Les travailleurs indépendants se trouvent souvent géographiquement éloignés et n’aspirent pas nécessairement à établir des liens sociaux dans leur environnement professionnel. Parfois, ils sont amenés à collaborer sur des projets avec des salariés permanents ou d’autres free-lances dans un même espace, en ligne ou en présence physique. Pourtant, malgré ces interactions, ils se perçoivent souvent comme des externes, peu enclins à créer des liens sociaux, leur mission étant généralement limitée dans le temps.

Notre recherche, menée entre 2022 et 2025, se base sur une cinquantaine d’entretiens et l’observation de travailleurs indépendants employés par des plateformes ou des entreprises, révèle que ces travailleurs peuvent éprouver un isolement professionnel sans pour autant se sentir socialement appauvris. Pourquoi ?

Les travailleurs indépendants adoptent une approche purement professionnelle de leurs relations. Ils n’ont pas d’attentes sociales élevées dans le cadre professionnel, car ils perçoivent leur mission avant tout comme une transaction plutôt que comme une opportunité de tisser des liens personnels. Les indépendants compensent leur manque de socialisation sur leur lieu de travail en se connectant avec leur entourage personnel, amical et familial.

Leurs besoins affectifs se trouvent souvent en dehors du cadre professionnel. La différence avec les employés permanents est qu’ils bénéficient, en plus de leur réseau personnel, d’une socialisation quotidienne avec leurs collègues, souvent par des interactions informelles (conversations autour de la machine à café) reconnues comme favorisant la coopération et le développement du réseau professionnel en entreprise – ce dont les travailleurs en free-lance sont généralement moins concernés.

L’un des travailleurs indépendants interviewés dans le cadre de notre recherche, un copywriter ( en marketing, rédacteur de contenu web) de 50 ans, a déclaré :

« C’est très limitant sur le plan professionnel lorsqu’il y a des ressources auxquelles on ne peut pas accéder à cause de l’endroit où l’on se trouve. Je trouve cela très isolant. »

À l’inverse, beaucoup d’autres affirment, à l’image d’un webdesigner freelance (35 ans) :

« Je ne me sens pas isolé socialement. Je suis tout à fait à l’aise avec cela. »

Pour certains, la distance physique et la flexibilité, inhérentes au travail indépendant, ne sont pas perçues comme des obstacles, mais plutôt comme des atouts. L’absence de contraintes sociales imposées par un environnement de bureau traditionnel peut être libératrice et permettre une meilleure gestion de leurs interactions sociales. Pour d’autres types de freelances, notamment pour ceux ayant auparavant exercé en tant que salariés permanents en entreprise, une période d’adaptation peut être nécessaire pour s’ajuster à ce nouveau mode de travail.

Un manque de reconnaissance professionnelle

Isolés d’un point de vue professionnel, ces travailleurs se retrouvent déconnectés. Ils n’ont pas de feed-back constructif de la part de leurs responsables de mission et se sentent négligés dans leur rôle professionnel. L’absence ou la nature négative du retour d’information empêche les travailleurs indépendants de sentir que leurs contributions sont reconnues, ce qui renforce leur sentiment d’isolement professionnel et limite leur capacité à ajuster et améliorer leur travail.

De plus, les échanges majoritairement transactionnels, souvent via des canaux numériques dépourvus de signaux non verbaux, rendent difficile l’établissement d’une véritable connexion avec les managers et l’accès aux informations nécessaires pour un travail efficace. Étant rarement intégrés aux processus décisionnels, ces travailleurs se retrouvent en marge des discussions stratégiques, accentuant ainsi leur déconnexion par rapport aux dynamiques organisationnelles et à l’évolution de leur rôle professionnel.

Une meilleure intégration serait-elle possible ?

Les pratiques traditionnelles d’intégration ou d’inclusion, qu’elles soient sociales ou formelles, reposent sur l’hypothèse que la cohésion d’équipe et le sentiment d’appartenance se construisent par des interactions sociales régulières et des dispositifs d’inclusion institutionnalisés au sein des organisations.

BFM Business, 2021.

Or, pour les travailleurs indépendants dont la relation avec l’organisation est essentiellement transactionnelle, ces mécanismes se révèlent inadaptés. Par conséquent, les dispositifs traditionnels, focalisés sur la socialisation, ne répondent pas aux enjeux spécifiques de ces travailleurs.

Il apparaît donc crucial de repenser l’intégration en adoptant une approche d’« inclusion professionnelle » qui privilégie une communication adaptée, la participation aux processus décisionnels et le renforcement des liens fonctionnels avec les acteurs organisationnels clés.

Pour les travailleurs indépendants, être intégrés dans la prise de décision concernant leurs tâches est particulièrement important, car ils sont recrutés pour leur expertise. Cela renforce le sentiment d’inclusion professionnelle, puisqu’ils peuvent voir les résultats de leur investissement et de leur travail.

Un autre élément clé est la communication : non seulement la diversité des outils de communication disponibles, mais aussi la capacité à transmettre efficacement les messages et à accéder aux informations nécessaires pour accomplir leurs missions, généralement fournies par le client ou un manager. Enfin, fournir un feed-back sur leur travail permet non seulement de les valoriser, mais aussi de leur faire comprendre leurs contributions et les attentes du manager.

Un aspect à garder en tête pour les responsables RH concerne la requalification des free-lances en CDI.

Cette possibilité se présente lorsque des travailleurs indépendants, jusque-là très autonomes et engagés dans une relation purement transactionnelle, commencent à s’intégrer davantage à l’équipe, à collaborer de façon rapprochée et à tisser des liens relationnels plus forts, ce qui réduit la distance physique et l’autonomie propres à leur statut initial. Les politiques RH ne soulèvent pas encore cette problématique, qui pourrait toutefois prendre de l’ampleur à mesure que le monde du travail évolue et se transforme.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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30.06.2025 à 12:16

Quand le cynisme mine l’engagement dans la fonction publique…

Youssef Souak, PhD - Assistant Professeur- INSEEC Business School, INSEEC Grande École

Khalil Aït Saïd, Maître de conférences / Associate Professor ISM-IAE, Institut Supérieur de Management – IAE de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Warda El Fardi, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Bordeaux

Les fonctionnaires sont-ils devenus cyniques ? Un management moins porté sur l’intérêt général que sur des résultats conduit certains d’entre eux à se désengager.
Texte intégral (1865 mots)

La rétention et la fidélisation des employés sont fréquemment citées comme des défis contemporains majeurs dans le monde du travail et la fonction publique n’est pas épargnée. Les nouveaux modes de management ont, en effet, ébranlé l’engagement de certains agents, convertis, malgré eux, à une forme de cynisme.


Une étude publiée par France Stratégie en 2024 soulignait une augmentation de la proportion des fonctionnaires démissionnaires au cours de la dernière décennie. Par exemple, la part des enseignants qui ont quitté volontairement les rangs de la fonction publique par rapport à l'ensemble des départs observés de ce métier est passée de 2 % des effectifs en 2012 à 15 % en 2022.

Ce phénomène ne serait certainement pas si inquiétant si les démissions ne concernaient que les stagiaires ou les jeunes recrues qui découvrent le métier. Désormais, même des agents chevronnés démissionnent après plusieurs années de service.

L’évolution du management public conduit les agents à ressentir un manque de soutien de leur hiérarchie qui peut conduire au développement progressif d’une posture cynique vis-à-vis de la fonction étatique. Alors que les organisations publiques étaient jusqu’alors épargnées par la concurrence intense, les restructurations et les changements de politique de gestion sont devenus une réalité dans la fonction publique. Parmi les principales évolutions, notons l’essor des systèmes de rémunération liée à la performance et le constat de licenciements croissants. La loi de transformation de la fonction publique de 2019 et le recours croissant à des agents contractuels ont effectivement multiplié les possibilités pour se séparer des fonctionnaires.


À lire aussi : Vers une fonction publique moins attractive ?


Nouvelle gestion publique, nouvelles préoccupations au travail

Cette réalité connue sous le nom de « nouvelle gestion publique » a pris forme depuis le milieu des années 1980. Sa mise en œuvre s’est intensifiée pour permettre aux organisations publiques de s’adapter à un environnement de plus en plus exigeant. Cette hybridation du modèle managérial public a entraîné une perte de repères des fonctionnaires et un niveau de stress ressenti plus élevé chez les travailleurs par rapport à leurs homologues du secteur privé. Les conséquences sur leur bien-être se manifestent alors de différentes manières : perception d’une ambiguïté des valeurs et des objectifs du service public, manque de reconnaissance, incertitude croissante, perte de sens.

Les recherches se sont intéressées aux leviers de mobilisation des fonctionnaires au travail, notamment grâce au concept de motivation du service public. Ce phénomène désigne la « prédisposition à répondre à des motivations enracinées principalement ou exclusivement dans les institutions et organisations publiques ». Les fonctionnaires choisiraient alors spécifiquement une carrière dans le service public pour des raisons altruistes, animés par le désir de contribuer au bien-être des autres et de la société.

Le cynisme comme modèle de réponse

La tradition philosophique attribue à Diogène de Sinope (v.413-v.323 av. n. è.) la conception du cynisme comme un modèle d’insolence et de protestation se manifestant par des actes délibérément provocateurs. Dans le champ de la gestion, le cynisme peut être considéré comme la réaction négative d’un individu envers son employeur en raison du manque d’intégrité de l’organisation. Il comporte à la fois :

  • une dimension cognitive fondée sur la croyance que l’organisation manque d’intégrité,

  • une dimension affective relevant des émotions négatives naissantes,

  • et une dimension comportementale liée à des attitudes réactives et progressives telles que le retrait, le désinvestissement ou le désengagement.


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Cynique. Et alors ?

Le cynisme devrait être une source de préoccupation majeure. Par exemple, une étude menée en 2019 par Dobbs et Do mettait en évidence l’inquiétude grandissante de l’armée américaine concernant les effets néfastes du cynisme sur le maintien de l’ordre et de la discipline dans ses rangs. Même constat en France, où une étude, menée par Sandrine Fournier en 2023 auprès d’enseignants, souligne la propagation du cynisme parmi les enseignants d’un établissement scolaire, qui mine leur attachement affectif, le sens donné à leur travail et finalement l’implication dans le suivi des résultats de leurs élèves.

Il faut alors comprendre comment une personne devient cynique ? Dans le secteur public, le cynisme trouve son fondement dans l’ambivalence et les paradoxes inhérents au discours réformateur. D’une part, on observe une rhétorique soulignant l’importance des valeurs républicaines d’entraide et de solidarité dans le service public, et d’autre part, on assiste à la mise en place d’une logique de rationalisation croissante pour sauver ce même service public.

Il devient particulièrement préoccupant lorsqu’il touche des fonctions vitales de la structure étatique. Une recherche menée en 2015 soulignait le rôle particulièrement important de l’inadéquation des valeurs et des discours dans le développement du cynisme et en particulier dans le secteur public. Cela s’expliquerait par le rôle du sens et de la vocation dans les choix de carrière des agents de la fonction publique. Certains évoquent la responsabilité des organisations publiques, dès lors, de promouvoir les politiques publiques avec un sens de la « mission » pour l’État et ses citoyens.

Fonctionnaire rationnel ou affectif ?

L’engagement des agents de la fonction publique repose à la fois sur une dimension axée sur la performance et sur le sens du dévouement. Dans cette perspective, il faut identifier le fonctionnaire rationnel et le fonctionnaire affectif. Ce dernier est attaché au sens et à la mission et se consacre à servir plutôt qu’à l’accomplissement de la tâche seulement. Or, l’intelligence émotionnelle et l’implication des fonctionnaires sont communément citées comme des leviers de qualité du service public.

France 24, 2023.

Alors, pour enquêter plus en profondeur sur les causes du cynisme organisationnel et sur ses effets sur l’engagement des agents du service public, nous avons mené en 2024 une étude quantitative impliquant 321 fonctionnaires français, opérant dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la recherche.

Dans cette étude à paraître, nous avons considéré la théorie du contrat psychologique comme une grille d’analyse pertinente pour étudier le cas des fonctionnaires. La notion de contrat psychologique renvoie à l’ensemble des engagements fondés sur des croyances partagées et des engagements mutuels et qui sont rarement explicités formellement. Cette grille de lecture trouve son intérêt dans le contexte du changement pour comprendre comment des mutations dans les attentes réciproques peuvent affecter les attitudes et les comportements individuels. Nous nous sommes intéressés plus particulièrement à l’impact de ces attentes informelles sur l’engagement et à l’intention de quitter l’organisation des fonctionnaires.

Partage de valeurs

Nos résultats montrent le rôle central du partage de valeurs. Les agents qui sont plus en phase avec les valeurs et le fonctionnement de l’organisation sont moins critiques à l’égard de ses échecs ou de ses lacunes. Les agents restent particulièrement attachés au sens, à la mission et à la vocation qu’à la volonté de faire carrière dans l’administration publique. Ainsi, lorsque leur conception du métier et leurs valeurs sont en phase avec ce qu’ils trouvent sur le terrain, les fonctionnaires développent un lien affectif fort avec leur institution. Ce lien pourrait expliquer la posture peu critique de ces agents, même lorsque leur employeur montre des défaillances ou une incapacité à tenir ses promesses.

D’un autre point de vue, nos résultats expliquent également les postures beaucoup plus critiques de ceux dont le contrat psychologique est rompu ou brisé. Il s’agit des agents qui ne comprennent pas les changements dans la logique institutionnelle parce qu’ils sont insuffisamment soutenus ou simplement incompris.

Notre recherche met en évidence différents profils :

  • les cyniques cognitifs ou affectifs qui resteront dans leur organisation, mais seront moins efficaces dans leurs tâches ;

  • et les cyniques comportementaux qui utilisent le dénigrement, la critique ou l’humour pour se distancier des ambiguïtés et des frustrations.

Pour les agents qui souhaitent rester fidèles et loyaux à leurs valeurs, ce désalignement entre imaginaire et réalité peut constituer une rupture de ce contrat psychologique. Il s’agirait alors pour eux de préférer la loyauté envers soi-même à la loyauté envers l’institution. Les salariés qui s’engagent en quête de sens au travail, en acceptant de faire des sacrifices en termes d’avantages matériels, peuvent revoir leurs conditions d’engagement lorsqu’ils ne sont plus convaincus que rester est un bon choix.

The Conversation

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30.06.2025 à 12:16

Immigration de travail : au-delà des idées reçues

Hippolyte d’Albis, Directeur de recherche au CNRS, Paris School of Economics – École d'économie de Paris

Au-delà des slogans politiques et des polémiques médiatiques, quelle est la réalité de l’immigration de travail ? Le retour à la raison s’impose pour appréhender ce phénomène circonscrit.
Texte intégral (1569 mots)

L’immigration de travail est devenue un sujet tellement passionnel que les réalités statistiques finissent pas en être oubliées. Or, loin des discours sur la submersion, l’immigration de travail reste un phénomène marginal et plutôt contrôlé. Si « grand remplacement » il y a, c’est celui de la raison par les affects.

Partenaire des Rencontres économiques d’Aix, The Conversation publie cet article. L’immigration sera le thème de plusieurs débats de cet événement annuel dont l’édition 2025 a pour thème « Affronter le choc des réalités ».


L’immigration suscite toujours des débats et controverses passionnés. Mais force est de constater que le cas spécifique de l’immigration pour raison professionnelle engendre des positions particulièrement polarisées. Ses partisans s’appuient sur sa longue histoire et mettent en avant tous ces « étrangers qui ont fait la France », des prix Nobel aux ouvriers des usines des Trente Glorieuses. Ses opposants avancent, quant à eux, l’idée qu’il est illogique de faire venir des étrangers pour travailler en France alors même qu’il y a tant de personnes sans emploi et que, facteur aggravant, le taux d’emploi des étrangers est inférieur à celui du reste de la population d’âge actif.

Du fait de son poids dans le débat politique, il est indispensable d’analyser l’immigration de façon rigoureuse. Les faits, souvent occultés par les passions, révèlent une réalité bien différente des discours convenus. L’immigration de travail en France, loin du raz-de-marée dénoncé, demeure un phénomène quantitativement marginal aux effets économiques bénéfiques à tous.

Tout d’abord, l’État français ne recrute plus de travailleurs à l’étranger depuis 1974.

Après avoir organisé pendant les Trente Glorieuses l’arrivée de six millions de travailleurs – d’abord d’Italie, puis d’Espagne, de Yougoslavie, du Maghreb et de Turquie –, la France a officiellement suspendu l’immigration de travail le 3 juillet 1974. Cette suspension a duré vingt-cinq ans avant d’être remplacée par un système de contrôle et de régulation des recrutements de travailleurs étrangers.

Ouverture européenne

Mais la construction européenne a transformé la donne. L’Union européenne forme aujourd’hui un gigantesque marché du travail de 220 millions d’actifs, dont seulement 15 % résident en France. Du fait de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le marché français est totalement ouvert à près de 190 millions de travailleurs européens. Paradoxalement, cette ouverture massive – qui rend ridicule l’idée d’une France fermée à l’immigration – génère des flux annuels inférieurs à 100 000 personnes, soit à peine 0,1 % de notre population.

La régulation par l’État ne concerne donc que les ressortissants des pays dits tiers, ceux dont les ressortissants sont soumis à une obligation de détenir un titre de séjour pour résider en France.

Avec Ekrame Boubtane, nous avons reconstitué l’évolution de cette immigration professionnelle depuis 2000 à partir des bases de données exhaustives du ministère de l’intérieur. Les chiffres sont sans appel : en moyenne annuelle, moins de 13 400 personnes ont obtenu un premier titre pour motif professionnel. Comparé aux 750 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, ce flux représente un phénomène quantitativement marginal.

Trois catégories distinctes

Cette immigration extraeuropéenne se décompose en trois catégories distinctes. La première concerne les personnes hautement qualifiées, baptisées « talents » par une terminologie révélatrice d’un certain mépris pour le reste de la population. Encouragée et mise en avant depuis la loi RESEDA de 1998, cette immigration, qui a la faveur de beaucoup de responsables politiques, a représenté 6 500 personnes en 2021.


À lire aussi : Rafles, expulsions… la gestion de l’immigration, illustration du tournant autoritaire de Donald Trump ?


La deuxième catégorie regroupe les salariés et saisonniers moins qualifiés mais disposant d’un contrat de travail français. Leur recrutement, soumis à un processus administratif lourd transitant par Pôle emploi (aujourd’hui, France Travail), a concerné 11 900 personnes en 2021.

La troisième catégorie, la plus importante, rassemble les régularisations de personnes en situation irrégulière. Ces procédures « au fil de l’eau », en constante progression depuis 2012, ont bénéficié à 12 700 personnes en 2021, soit 41 % de l’immigration professionnelle totale.


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Fausses évidences

Les craintes relatives à l’emploi et aux salaires sont souvent présentées comme les plus rationnelles. Le raisonnement paraît imparable : l’immigration accroît l’offre de travail, ce qui fait baisser les salaires ou augmente le chômage si les salaires sont rigides. Cette logique semble frappée au coin de l’évidence.

Pourtant, des décennies de recherches empiriques démontrent le contraire. Les études les plus célèbres ont analysé des « expériences naturelles » telles que l’expulsion par Fidel Castro de 125 000 Cubains vers Miami en 1980, ou l’arrivée de 900 000 rapatriés d’Algérie en France en 1962). Dans les deux cas, ces chocs migratoires considérables n’ont eu aucun effet significatif sur les salaires et le chômage des populations locales.

Ces résultats, confirmés par de nombreuses études dans différents pays, s’expliquent par trois mécanismes principaux. Premièrement, les étrangers subissent des discriminations sur le marché du travail, parfois pour des raisons objectives (moindre maîtrise de la langue), parfois par xénophobie. Ils ne peuvent donc « prendre la place » des nationaux qu’en cas de pénurie de main-d’œuvre, principe d’ailleurs institutionnalisé par les procédures d’autorisation de travail.

Deuxièmement, les étrangers se concentrent dans certains secteurs : 39 % des employés de maison, 28 % des agents de gardiennage, 27 % des ouvriers non qualifiés du bâtiment en 2017. Ces emplois, souvent délaissés, génèrent des externalités positives. L’exemple typique est celui des gardes d’enfants : leur disponibilité permet aux femmes nées localement de travailler davantage, augmentant ainsi leurs salaires).

France 24, 2025.

Troisièmement, les immigrés étant en moyenne plus jeunes, ils contribuent positivement au taux d’emploi de la population, marqueur crucial de la santé économique d’une société vieillissante. Cet effet démographique améliore l’équilibre des finances publiques et le niveau de vie générale).

Des discours privilégiant l’émotion à la raison

L’analyse factuelle révèle donc une immigration de travail d’ampleur modeste, sans effet délétère sur la situation économique des travailleurs français. Cette réalité statistique n’empêche pas le rejet persistant chez certains, alimenté par des discours politiques qui préfèrent l’émotion à la raison.

Le défi intellectuel et démocratique consiste à maintenir un débat rationnel sur ces questions sensibles. Car très vite, hélas, il n’y a plus de débat du tout : les positions se figent, les nuances disparaissent, et les préjugés l’emportent sur l’analyse rigoureuse.

L’objectif n’est pas de nier les préoccupations légitimes de nos concitoyens, mais de les éclairer par une connaissance précise des phénomènes en jeu. Car seule une approche factuelle permet de dépasser les postures idéologiques et de construire des politiques publiques efficaces. C’est à cette condition que nous pourrons enfin avoir un débat à la hauteur des enjeux de notre époque.


Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat de The Conversation avec les Rencontres économiques, qui se tiennent du 3 au 5 juillet d’Aix-en-Provence. Plusieurs débats y seront consacrés à l’immigration.

The Conversation

Hippolyte d’Albis a reçu des financements de la Commission européenne.

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29.06.2025 à 10:18

Des réseaux et des ailes : comment Boeing parvient-il à se maintenir en vol ?

Christine Marsal, Maitre de conférences HDR, Contrôle de gestion, gouvernance des banques, Université de Montpellier

Boeing semble traverser une série noire : crashs répétés du 737 Max, accident d’Air India… Et si la gouvernance de l’avionneur expliquait partiellement cette situation.
Texte intégral (2079 mots)

Mais qu’arrive-t-il à Boeing ? Le constructeur aérien, symbole de la puissance des États-Unis, traverse des turbulences depuis plusieurs années. Depuis les crashs du 737 Max et l’accident très récent du 787 d’Air India, les causes sont multiples. Reste une interrogation sur cette succession de difficultés. La gouvernance de l’entreprise pourrait livrer une partie de la solution.


Les déconvenues financières de Boeing n’en finissent plus de se creuser : après des pertes cumulées de près de 20 milliards d’euros perdus entre 2020 et 2023, l’exercice 2024 fait ressortir une perte de près de 11,345 milliards d’euros. La « descente aux enfers » semble inéluctable et pourtant l’avionneur a récemment remporté un important contrat militaire et de nouvelles commandes en provenance d’un loueur d’avions basé à Singapour. Si les raisons des déboires financiers sont connues, comment expliquer que l’entreprise conserve la confiance des investisseurs ? Tout d’abord, le poids de fonds de pension dans le capital de l’entreprise est-il passé de 47 % en 2020 à près de 68 % en 2025. Entre 1997 et 2019, les dirigeants décident d’augmenter progressivement le dividende de 0,56 dollar par action en 1997 à 8,19 dollars en 2019. Destinée à rassurer les actionnaires, cette politique de dividendes ne peut expliquer, seule, l’apparente stabilité des investisseurs.


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Alors que de graves problèmes de qualité ont émaillé l’actualité récente de l’avionneur, rien ne semble stopper Boeing. Au fil des ans, l’entreprise a su se constituer un solide réseau d’affaires, doublé d’un réseau d’influence qui la rendent aujourd’hui « intouchable ». Pour comprendre cette résistance aux aléas technologique et financier nous analysons la composition de son conseil d’administration sur plusieurs années.


À lire aussi : Boeing peut-il encore redécoller ? Retour sur une défaillance structurelle


Qui dirige ?

Dans les grandes entreprises cotées, le Conseil d’administration (CA) est censé représenter les actionnaires, qui sont les propriétaires des entreprises. Il nomme le président, valide la stratégie, surveille l’action du directeur général et peut même le révoquer. Ses membres sont élus en assemblée générale, souvent sur recommandation d’un comité de nomination, selon des critères de compétence, de diversité et d’indépendance.

Mais ce fragile équilibre peut être remis en cause quand le directeur général est aussi président du Conseil. Ce cumul des fonctions – le fameux PDG – fait de la même personne le stratège, l’exécutant… et le contrôleur de sa propre action. Ce qui pose la question du maintien de ce cumul. Le cas de Boeing illustre parfaitement les dérives de ce cumul à travers les résultats d’un article de recherche paru en 2023. Les données observées portent sur la période allant de 1997 à 2020. Il en ressort notamment que le manque de diversité au sein du conseil d’administration peut expliquer en partie les déboires rencontrés par l’entreprise.

Un Conseil d’administration dominé par son PDG

Ce cumul des fonctions – président du CA et directeur général – concentre les pouvoirs au sommet et réduit la capacité de contre-pouvoir interne. C’est d’autant plus vrai que le Conseil d’administration (CA) reste resserré, entre 11 et 13 membres seulement sur la période considérée.

La diversité progresse timidement. En 1997, seules deux femmes siègent au CA. Elles sont trois en 2020, soit à peine 23 % des membres (toujours 3 femmes en 2024). Sur l’ensemble de la période, on compte rarement plus de deux ou trois représentants des minorités ethniques (afro-américaine, hispanique, asiatique ou indienne), souvent des femmes issues de ces communautés.

Le CA s’organise autour de quatre comités classiques – audit, finance, rémunérations, nominations – auxquels se sont ajoutés en 2020 deux nouveaux comités. Le premier consacré aux « programmes spéciaux » réunit d’anciens PDG et des membres ayant une expérience militaire. Le second, centré sur la sécurité, est une réaction directe aux accidents du 737 Max.

En moyenne, les administrateurs rejoignent le Conseil à 56 ans et le quittent autour de 66 ans. Le taux de renouvellement est élevé : pas moins de 38 administrateurs différents se sont succédé au fil des années. Un renouvellement qui n’a pas toujours permis d’assurer un meilleur équilibre des profils ni une gouvernance plus indépendante.

Le Figaro 2019.

Ingénieurs en recul, financiers en force

Les profils techniques issus de l’industrie, les spécialistes des projets complexes sont évincés au fil du temps. Entre 2012 et 2014, ils disparaissent quasiment du Conseil d’administration. Leur place est désormais occupée par des experts en réduction des coûts, des directeurs financiers, d’anciens banquiers. L’arrivée de JimcNerney en 2005 marque la montée en puissance d’anciens collaborateurs du groupe General Electric.

Entre 2012 et 2016, le Conseil d’administration de Boeing se politise un peu plus. Plusieurs anciens hauts responsables rejoignent ses rangs un ex-secrétaire à la Défense, un ancien représentant des États-Unis à l’ONU, deux ambassadeurs, un ancien assistant à la Maison Blanche… Des figures influentes, républicaines comme démocrates, se succèdent au CA.


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Présence des militaires

La présence des militaires (anciens militaires ou militaires à la retraite) se renforce aussi. De 1997 à 2020 on identifie successivement un ancien « Marines », un ancien général ayant travaillé au secrétariat d’État à la défense, un général retraité des marines, un vice-amiral et un amiral à la retraite. Par ailleurs, plusieurs militaires ont exercé des fonctions au sein de l’OTAN. Cet aspect est toujours présent en 2024.

Ce virage confirme une tendance déjà amorcée : Boeing renforce ses liens avec les sphères du pouvoir, au moment même où il s’éloigne de ses racines industrielles. Le Conseil devient moins un organe de pilotage technique qu’un levier stratégique et politique.

Focus sur l’efficacité financière

Dans le même temps, Boeing taille dans ses effectifs : 231 000 salariés en 1997, 141 000 en 2020. Le ton est donné : priorité à l’efficacité financière, au détriment des compétences techniques et écologiques, reléguées au second plan.

Ce virage intervient pourtant à un moment clé pour le groupe. Le programme 787 « Dreamliner » est lancé avec son lot d’innovations : matériaux composites, nouveaux moteurs, nouveaux modes de collaboration avec les sous-traitants. Des projets de cette envergure nécessitent un pilotage éclairé. Mais paradoxalement, alors que la technologie prend de l’ampleur, le Conseil d’administration se vide de ses experts techniques.

Le même scénario se reproduit avec le 737 Max. Officiellement, l’appareil n’est qu’une mise à jour d’un modèle existant. Officieusement, les ingénieurs tirent la sonnette d’alarme : les choix techniques sont risqués, un nouvel avion serait plus sûr. Mais leurs avertissements restent lettre morte. Faute de relais au sein du CA, ils ne sont pas entendus.

France 24 2025.

Un CA trop homogène pour débattre

À force de privilégier les profils issus de la finance ou des milieux politiques, Boeing s’est privé de diversité de pensée. Moins de débats, moins de confrontations d’idées. Or, c’est souvent dans ces frictions que naissent les bonnes décisions. Dans le cas du 737 Max, le manque de dialogue a permis à des failles de sécurité de passer sous les radars.

Pire encore, une enquête du Sénat américain suggère que la proximité du groupe avec certains décideurs politiques aurait facilité une certification accélérée de l’appareil. In fine, cela pourrait paradoxalement ne pas avoir servi l’entreprise dont la réputation est ternie depuis des catastrophes aériennes ayant provoqué des morts. Dans les faits, les causalités sont sûrement plus complexes et cette proximité est un des facteurs qui peut expliquer mais il serait excessif d’en faire le seul facteur.

Pendant les déboires des programmes Dreamliner et MAX, plusieurs actionnaires tentent de tirer la sonnette d’alarme. La ville de Livonia (Michigan), ainsi que les géants de la gestion d’actifs Vanguard et BlackRock, demandent des comptes. Livonia dénonce un manque de transparence sur le programme 787. Vanguard, de son côté, interpelle la direction sur la sécurité du 737 Max et s’interroge sur l’implication réelle du Conseil d’administration.

Administrateurs accusés

Ces pressions aboutissent à une action en justice : les membres du CA sont accusés de ne pas avoir exercé leur devoir de surveillance, notamment sur les questions de sécurité. Le dossier se solde par un accord à l’amiable. Boeing accepte de verser 225 millions de dollars… non pas directement, mais via ses assureurs.

En clair : les administrateurs condamnés échappent à toute responsabilité financière personnelle. Début 2025, un autre accord a mis fin aux poursuites pénales ouvertes après les deux crashs du 737 Max en 2018 et 2019. L’entreprise évite ainsi un procès public potentiellement explosif, au prix d’un règlement négocié avec le gouvernement américain.

Ironie de l’histoire : lors du développement du Dreamliner, les dirigeants de Boeing avaient reconnu le rôle crucial des ingénieurs dans la coordination avec les sous-traitants. Mais cette prise de conscience n’a pas résisté à la logique financière qui s’est installée au sommet. Chez Boeing, ce n’est pas une crise technologique qui a précipité la chute du 737 Max, mais une crise de gouvernance. Une entreprise qui conçoit des avions sans écouter ses ingénieurs prend le risque, un jour, de ne plus savoir les faire voler.

The Conversation

Christine Marsal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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29.06.2025 à 10:05

Pourquoi l’environnement est (aussi) une affaire de sociologie

Maud Hetzel, Chercheuse associée au Centre Georg Simmel, EHESS, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)

Fanny Guillet, sociologue, chargée de recherche au CNRS, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Fanny Hugues, Post-doctorante en sociologie, Université Clermont Auvergne (UCA)

Gabrielle Bouleau, Chercheuse en science politique et ingénieure des ponts, des eaux et des forêts, Inrae

Stéphanie Barral, Sociologue, chargée de recherche à INRAE au LISIS (CNRS/INRAE/Univ. Gustave Eiffel)

Yoann Demoli, Maître de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

René Llored, professeur de sciences sociales en khâgne B/L

Les activités humaines sont à l’origine du changement climatique comme de la dégradation de la biodiversité. Cette réalité rappelle l’importance de la sociologie de l’environnement.
Texte intégral (3211 mots)
Trois ouvrages viennent de paraitre sur la sociologie de l'environnement The Conversation, CC BY

Les auteurs et autrices de trois ouvrages parus récemment et consacrés à la sociologie de l’environnement (Sociologie de l’environnement, de Yoann Demoli et René Llored, la Sociologie de l’environnement, de Stéphanie Barral, Gabrielle Bouleau et Fanny Guillet, et Introduction à la sociologie de l’environnement, de Maud Hetzel et Fanny Hugues) expliquent comment leur discipline s’est emparée de ce sujet, et pourquoi l’éclairage sociologique est fondamental pour penser les enjeux écologiques.


Pollution, effondrement de la biodiversité, réchauffement climatique… Alors que les enjeux environnementaux se multiplient, divers acteurs sont régulièrement consultés pour mieux les comprendre et répondre à ces problèmes globaux. Dans les sphères expertes, politiques et institutionnelles, certaines disciplines scientifiques sont particulièrement mobilisées, notamment les sciences du climat et de la biologie. D’autres apparaissent moins souvent, à l’instar de la sociologie.

La relative discrétion de cette discipline est d’autant plus surprenante que les problèmes en jeu sont liés aux activités humaines. C’est donc le fonctionnement de nos sociétés, objet premier de la sociologie, qui est avant tout responsable des pollutions et des dégradations des milieux biophysiques.

Utiliser les outils de la sociologie pour interroger les enjeux environnementaux apparaît donc primordial. On constate d’ailleurs une multiplication des événements scientifiques, des enquêtes et des publications en sociologie de l’environnement.

Ces travaux apportent des éléments inédits et originaux pour penser la question environnementale. Ils mettent au jour les logiques sociales inhérentes à la crise écologique, les inégalités face à celles-ci et la manière dont les pouvoirs publics la gouvernent.

Ils ont en commun de dépasser la seule analyse des dégâts environnementaux – sur le climat, sur la biodiversité – et de mettre au centre de l’analyse une diversité d’entrées thématiques, telles que les politiques publiques, les mobilisations, les modes de vie, les valeurs et les croyances face aux enjeux écologiques.

Ils portent également un regard critique sur l’ordre économique et social responsable de la crise écologique, ce qui n’est sans doute pas sans relation avec le peu de visibilité accordée à ces recherches.

Pour prendre la pleine mesure de ce que la sociologie peut apporter à notre compréhension des enjeux environnementaux contemporains, penchons-nous sur trois apports centraux de cette discipline en plein essor.

Quand l’environnement est pris en charge par les institutions

Depuis les années 1970, les États ont intégré la question environnementale dans leurs structures administratives, marquant l’émergence d’une responsabilité nouvelle, qui engage à la fois la puissance publique et les sociétés civiles.

Cette institutionnalisation repose sur un double mouvement : d’un côté, la montée en puissance des mobilisations sociales face à des dégradations de plus en plus visibles et fréquentes ; de l’autre, l’injonction internationale à se doter d’outils de régulation adaptés à l’urgence écologique.

Cette évolution a donné lieu à la création de ministères, d’agences, d’organismes de surveillance ou d’évaluation, autant de dispositifs visant à produire un savoir environnemental légitime et à organiser l’action publique. Pourtant, l’écologisation de l’État est loin de constituer un processus linéaire et consensuel.

Ces institutions sont prises dans des rapports de force permanents, où s’opposent visions du monde, intérêts économiques et impératifs écologiques. La protection de l’environnement devient ainsi un champ de lutte, où l’État joue un rôle ambivalent, tantôt garant de la régulation écologique, tantôt relais d’intérêts productivistes.

Dans ce contexte, les agences en charge des questions environnementales sont régulièrement déstabilisées, mises en cause, voire attaquées. Leurs marges de manœuvre se rétractent sous l’effet de critiques politiques, d’injonctions contradictoires et de campagnes de discrédit, sans que l’appareil d’État n’en assure systématiquement la défense. Leur fragilité institutionnelle n’est pas sans conséquence : elle affaiblit la capacité à faire face aux risques, à produire des normes, à contrôler les pratiques.

Cette institutionnalisation des enjeux environnementaux ne concerne pas seulement les administrations publiques : elle donne aussi naissance à de nouveaux marchés. Les politiques environnementales, en se déployant à travers des mécanismes de quotas, de subventions, de certifications, participent à la formation d’un véritable capitalisme vert. Ainsi, l’environnement devient un objet d’investissement, un domaine d’expertise, une opportunité économique. Ce faisant, la régulation écologique se trouve de plus en plus enchâssée dans des logiques de marché, qui peuvent certes produire de la norme, mais aussi déplacer les objectifs initiaux de la protection environnementale. À ce titre, le marché n’est jamais une simple solution technique : il est un instrument socialement construit, porteur d’intérêts et de hiérarchies.


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Des inégalités écologiques renforcées par les politiques publiques

Cette prise en charge publique des enjeux environnementaux peut également renforcer les inégalités sociales.

Alors que l’on constate une incitation grandissante des pouvoirs publics à modérer les pratiques quotidiennes consommatrices d’énergie et de ressources des citoyens et citoyennes par des « petits gestes » qui responsabilisent uniformément les individus, la sociologie de l’environnement démontre que les styles de vie sont inégalement polluants.

Trois caractéristiques sociales, qui se cumulent, font varier les émissions qui leur sont associées : le revenu, le genre et l’âge. Par exemple, toutes choses égales par ailleurs, les modes de vie des hommes sont plus polluants que ceux des femmes. Ces disparités tiennent par exemple à des pratiques alimentaires hétérogènes : les femmes consomment moins de viande que les hommes, sont plus attirées par les écolabels et les produits biologiques, et portent davantage attention à la santé de leur corps ainsi qu’à celle de leurs proches.

Ces mêmes politiques publiques valorisent également les styles de vie des ménages les plus aisés, associées à la « consommation durable » de biens onéreux, par exemple les voitures électriques. Elles moralisent du même coup ceux des classes populaires au nom de pratiques supposément plus polluantes, comme la possession de voitures diesel pourtant achetées d’occasion et peu utilisées.

À rebours de ce cadrage individualisant de la crise écologique, les styles de vie des classes populaires, plus économes en ressources et dont les marges de manœuvre sont plus contraintes, peuvent néanmoins être envisagés comme des écologies populaires en pratique, fondées sur la récupération, la réutilisation et l’attention aux dépenses.

Un exemple de campagne encourageant aux petits gestes de l’ADEME.

À l’échelle planétaire, la sociologie constate que les conséquences des dégâts environnementaux sont inégalement réparties. Les populations pauvres vivant dans les pays des Suds, et plus encore les femmes, sont les plus concernées par les catastrophes et les dégradations environnementales causées par les activités humaines, et par le prélèvement de ressources naturelles.

En France, ce sont les groupes sociaux les plus défavorisés – pauvres et racisés – qui vivent à proximité de lieux pollués et/ou polluants. Leur accès aux espaces verts, aux parcs, aux zones de loisirs et aux ressources naturelles est également limité, à l’instar du Parc national de Calanques.

Alors que le Parc est situé à proximité des quartiers populaires du nord de Marseille où vivent beaucoup de descendantes d’anciennes colonies françaises, ces habitants ont très peu de poids pour infléchir les politiques publiques en la matière. Leurs usages de ces espaces sont délégitimés, à l’instar de leur pratique du vélo tout terrain et de leurs sociabilités autour de feux de camp dans le cas du Parc National des Calanques.

Face à ces inégalités environnementales, certaines populations revendiquent une justice environnementale, c’est-à-dire défendent l’idée que chaque individu a le droit de vivre dans un environnement sain, sans discrimination ni inégalité dans l’accès aux ressources naturelles et aux bénéfices environnementaux.

Des critiques qui transforment le gouvernement de l’environnement ?

L’écologie est également un fait sociologique parce que la production et la mise en œuvre des politiques environnementales ne sont pas qu’une affaire d’État : elles visent à transformer les conduites d’acteurs et d’organisations économiques.

Les mesures écologiques prises par les gouvernements montrent une faible effectivité notamment parce qu’elles se heurtent à d’autres politiques publiques qui poursuivent des objectifs différents (énergie, agriculture, transports, logement, etc.) et qui contribuent à l’artificialisation des espaces naturels, à la consommation des ressources et l’émission de pollutions.

Ces politiques sont structurées par des grands compromis socio-politiques qui définissent les experts pertinents et les porte-parole légitimes de leurs publics cibles. Par exemple, les politiques agricoles prennent en compte la voix d’acteurs comme la FNSEA, syndicat majoritaire et productiviste, et s’appuient sur les réseaux territoriaux agricoles historiques pour les appliquer. Ces acteurs ont souvent des parcours individuels et institutionnels qui les conduisent à privilégier le statu quo social, économique et politique en négligeant la crise écologique et climatique. Ils cherchent aussi à préserver des intérêts électoraux ou de groupes socio-professionnels et des marges de manœuvre. Ceci tend à favoriser un « verdissement conservateur » qui opère souvent par dérogation et participe à notre mal-adaptation collective en renforçant la vulnérabilité des individus, des organisations et de la collectivité toute entière.

Ce statu quo conservateur suscite des contestations. La mise en œuvre de la réglementation environnementale repose depuis les années 1970 sur la mobilisation d’associations d’usagers ou de victimes ou d’associations de protection de la nature qui exercent un militantisme de contre-expertise et de dossiers, pour faire progresser la cause environnementale devant les tribunaux, même si encore très peu d’infractions environnementales sont effectivement repérées et encore moins sanctionnées. Les luttes pour la protection de l’environnement prennent aussi la forme de désobéissance civile, d’occupation de lieux et des marches pour contester l’accaparement des terres comme la lutte emblématique du Larzac dans les années 1970 et celle récente contre le projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, ou pour faire entendre des éléments de controverse sur des risques comme ceux liés à l’exploitation du gaz de schiste.

Toutes les critiques ne vont pas toutes dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’environnement. Face aux mobilisations environnementalistes, des contre-mobilisations s’organisent aussi de la part de groupes sociaux concernés par les contraintes engendrées par les décisions environnementales (on pense par exemple aux récentes mobilisations agricoles), pouvant prendre diverses formes comme des manifestations ou des opérations d’intimidation, un travail de réseau et de constitution de communautés favorisé par le développement des réseaux sociaux.

Le lobbying politique est aussi une voie de mobilisations anti-environnementales. Il porte généralement une critique libérale qui tend à euphémiser les crises environnementales et à disqualifier toute contrainte sur les activités de production. Cette pensée libérale est très influente sur les politiques environnementales et conduit à privilégier des instruments de marché (quotas échangeables, labels, marchés de compensation) pour gouverner les impacts sur l’environnement, ce qui offre une plus grande souplesse aux acteurs économiques.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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