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29.04.2025 à 17:22
Blackout dans le sud de l’Europe : une instabilité rare du réseau électrique
Texte intégral (2440 mots)

Lundi 28 avril, l’Espagne, le Portugal et une partie du Pays basque français ont été touchés par une coupure d’électricité majeure qui a perturbé l’ensemble de la région. Alors que la situation est presque rétablie moins de 24 heures plus tard, les causes de l’incident sont encore inconnues. Anne Blavette travaille sur l’optimisation de la gestion de l’énergie au sein des réseaux électriques avec un fort taux d’énergies renouvelables et répond à nos questions sur les instabilités des réseaux.
The Conversation : L’événement d’hier a surpris la population par son ampleur et ses conséquences sur le fonctionnement de pays entiers — des trains aux distributeurs de billets, en passant par l’accès à Internet perturbé jusqu’au Maroc — qui nous rappellent notre dépendance aux systèmes électriques. Quel est votre regard de spécialiste sur un tel événement ?
Anne Blavette : L’évènement qui s’est déclenché hier est assez incroyable, car un incident de cette ampleur géographique est très rare.
À l’heure actuelle, ses causes sont en cours d’investigation. Cependant, il est déjà impressionnant de voir que l’alimentation a presque entièrement été rétablie à 9h le lendemain matin, que ce soit au Portugal ou en Espagne, tandis que l’impact a été mineur en France (quelques minutes d’interruption).
On peut saluer l’efficacité des équipes des différents gestionnaires de réseau (espagnols, portugais et français) qui ont réalisé et réalisent encore un travail très important après les déconnexions et arrêts automatiques de liaisons électriques et centrales électriques, notamment avec des redémarrages zone par zone et le rétablissement progressif des connexions internationales. Ces opérations se font en parallèle des vérifications minutieuses de l’état du réseau. Cette procédure rigoureuse est nécessaire pour éviter que le réseau ne s’effondre à nouveau. Le travail ne sera pas encore achevé même lorsque l’ensemble de la population sera reconnecté, car les investigations sur l’origine de l’incident se poursuivront.
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Le Portugal et le Pays basque français ont aussi été touchés. Est-ce parce que les réseaux sont connectés localement ?
A. B. : Oui, le Portugal est connecté au réseau européen via l’Espagne, et des connexions existent entre l’Espagne et la France. Cela permet de mieux échanger de l’énergie et d’assurer en général une bien meilleure stabilité du réseau que des réseaux non interconnectés. D’ailleurs, la France participe à la réalimentation électrique de l’Espagne via les interconnexions.
Quelles sont les fragilités typiques d’un réseau électrique ?
A. B. : Un point important pour qu’un réseau électrique soit stable est que l’équilibre entre la consommation et la production d’électricité soit assuré à chaque instant (on parle d’équilibre production-consommation ou offre-demande).
Or, on a vu hier sur le réseau espagnol un brusque décrochage de la production/consommation de l’ordre d’une dizaine de gigawatts. Cela correspond à une perte d’environ 60 % de la consommation pour ce jour. Je cite le journal le Monde : « M.Sanchez a affirmé qu’il n’y avait “jamais” eu un tel “effondrement” du réseau électrique espagnol, précisant que “15 gigawatts” d’électricité avaient été “soudainement perdus"sur le réseau, le tout "en à peine cinq secondes” […] "Quinze gigawatts correspondent approximativement à 60 % de la demande" en électricité de l’Espagne à cette heure-là de la journée, a décrit le chef du gouvernement, qui a présidé une réunion de crise sur cette panne géante. »

Dans le cas d’un brusque décrochage de cet ordre, il y a une coupure électrique sur une grande région (qu’on qualifie de blackout), car le système devient instable. La raison du décrochage d’hier en Espagne semble encore inconnue et est en cours d’investigations par les gestionnaires de réseau et les autorités publiques.
Qu’est-ce qu’une instabilité du réseau électrique ? Qu’est-ce qui peut provoquer de telles instabilités ?
A. B. : Un réseau stable fonctionne dans des plages définies pour plusieurs grandeurs, notamment la fréquence et la tension électrique. En dehors de ces plages, le réseau peut être instable. Par exemple, si la tension en un point du réseau devient brusquement excessive, cela peut entraîner des déconnexions d’appareils qui se mettent en protection. Prenons, par exemple, le cas de panneaux photovoltaïques : s’ils se déconnectent, l’énergie qu’ils devaient produire peut manquer aux consommateurs, créant ainsi un déséquilibre entre la consommation et la production électrique. Sans opération de remédiation à ce problème, ce déséquilibre pourrait entraîner de graves conséquences pour le réseau électrique.
La seule opération à réaliser à ce stade est de délester très rapidement les consommateurs (c’est-à-dire réaliser une coupure électrique) afin de rétablir l’équilibre entre consommation et production, avant de pouvoir les réalimenter progressivement dans une configuration stable pour le réseau.
Si un incident peut provoquer un blackout, ce dernier peut aussi être provoqué par une succession d’éléments : on parle ainsi de « pannes en cascade ». Mais une panne, en cascade ou isolée, peut entraîner également une propagation à d’autres régions ou d’autres pays et accroître la sévérité de l’incident initial.
De nombreuses causes d’incident sont possibles : pannes de centrales électriques, phénomènes météorologiques extrêmes, etc.
Cependant, l’état du réseau électrique européen est contrôlé avec une grande vigilance par les gestionnaires de réseaux et bénéficie de systèmes automatisés permettant de réagir de façon de façon instantanée et adéquate dans l’urgence : cela a permis notamment de couper la propagation éventuelle vers la France en déconnectant la liaison de la France vers la Catalogne.

Comme la consommation électrique de chacun varie tout le temps, la consommation à l’échelle d’un pays est variable. De même, certains moyens de production d’électricité utilisés (éolien, photovoltaïque…) présentent une production variable avec la météo. Les déséquilibres entre la production d’électricité et la consommation sont donc permanents, et une des tâches des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité est d’équilibrer ce qui est produit et ce qui est consommé. Comment ces déséquilibres sont-ils gérés d’habitude ?
A. B. : Il y a tout d’abord un effet de foisonnement à l’échelle d’un pays qui permet de « lisser » les variations individuelles de chaque consommateur ou producteur : la consommation nationale est, par exemple, beaucoup plus lisse que les consommations individuelles. Cela la rend par ailleurs beaucoup plus prédictible, et l’équilibre offre-demande commence par un aspect de prédiction de la consommation, mais également des productions d’énergies renouvelables.
On vient ensuite compléter avec des moyens de production ou de stockage entièrement contrôlables (centrales thermiques, hydroélectricité…) qui permettront d’atteindre l’équilibre à chaque instant.
Bien entendu, certains déséquilibres imprévus peuvent exister et ils sont corrigés par de la réserve qui permet de maintenir la stabilité du réseau. Cette réserve est tirée par exemple d’une marge obligatoire de fonctionnement de centrales électriques (qui peuvent donc produire un peu plus ou un peu moins, selon les besoins). Or, dans le cas de l’Espagne, le déséquilibre était trop important pour réaliser cette compensation, étant plusieurs dizaines de fois supérieure aux réserves disponibles.
Mais il y a aussi d’autres moyens d’ajuster l’offre-demande en amont, notamment en déplaçant la consommation grâce à des tarifs incitatifs (par exemple des heures creuses lorsque la production photovoltaïque est à son maximum) ou par des informations citoyennes, comme ce qui est réalisé via EcoWatt. Dans ce dispositif géré par le gestionnaire de réseau de transport français RTE, les utilisateurs peuvent être alertés en cas de forte demande sur le réseau (généralement en hiver en France, à cause du chauffage électrique), afin de réduire leur consommation sur de courtes plages horaires qui peuvent être critiques pour le réseau ou nécessiter des moyens de production fortement émetteurs de CO2.

Anne Blavette a reçu des financements pour ses travaux de recherche de diverses agences et partenaires de financements, notamment l'ANR, l'ADEME, la région Bretagne, etc. et a collaboré/collabore avec divers partenaires publics et privés dont RTE, SRD, EDF, etc.
29.04.2025 à 16:37
Cyberattacks: how companies can communicate effectively after being hit
Texte intégral (1463 mots)
In its latest annual publication, insurance group Hiscox surveyed more than 2,000 cybersecurity managers in eight countries including France. Two thirds of the companies in the survey reported having been the victim of a cyberattack between mid-August 2023 and September 2024, a 15% increase over the previous period. In terms of potential financial losses, Statista estimated that cyberattacks cost France up to €122 billion in 2024, compared to €89 in 2023 – a 37% rise.

A weekly e-mail in English featuring expertise from scholars and researchers. It provides an introduction to the diversity of research coming out of the continent and considers some of the key issues facing European countries. Get the newsletter!
The main forms of cyberattacks on French businesses, the recommendations for how companies can protect themselves, and the technical and legal responses they can adopt are well documented.
However, much less is known about appropriate communications and public relations responses to cyberattacks. The issues at stake are critical. When a company is the target of a cyberattack, should it systematically accept responsibility, or can it instead claim to be a victim to protect its reputation? A wrong answer can aggravate the situation and undermine the confidence of customers and investors.
Positioning as a victim
Our recent research questions the assumption that accepting causal responsibility should be the norm after a cyberattack: we show that positioning oneself as a victim can be more effective in limiting damage to one’s image – provided claims of victimhood are deployed intelligently.
There is evidence that firms need a strategy to present themselves effectively as victims of cybercriminals. Some firms, such as T-Mobile and Equifax, have in the past paid compensation to consumers while refusing to accept any responsibility, essentially presenting themselves as victims.
Similarly, the large French telecommunications operator Free presented itself as a victim when communicating about the large-scale cyberattack that affected its operations last October, which may have had an impact on its image. The UK’s TalkTalk initially framed itself as a victim of a cybercrime but was later criticized for its inadequate security measures.
Victimhood and sympathy
Clumsily declaring itself as the sole entity to blame or the sole victim of a cyberattack – which is what interests us here – can be risky and backfire on a company, damaging its credibility rather than protecting its reputation.
When companies present themselves as victims of cybercrime, they can elicit sympathy from stakeholders. People tend to be more compassionate toward businesses that depict themselves as wronged rather than those that deny responsibility or shift blame. In essence, this strategy frames the organization as a target of external forces beyond its control, rather than as negligent or incompetent. It leverages a fundamental social norm – people’s instinctive tendency to support those they see as victims.
But claims of victimhood must align with public expectations and the specific context of the breach. They should not be about shirking responsibility, but about acknowledging harm in a way that fosters understanding and trust. The following approaches and choices can help.
- align with public perception
The reactions of stakeholders often depend on their understanding of the situation. If the attack is perceived as an external and malicious act, it is crucial for a company to adopt a consistent stance by emphasizing that it itself has been a victim. But if internal negligence is proven, claiming victim status could be counterproductive. The swiftness of a company’s response, the level of transparency and the relative stance taken are all part of a good strategy.
- express support for stakeholders
Adopting a position of victimhood does not mean denying all responsibility or minimizing the consequences of an attack. The company must show that it takes the situation seriously by expressing empathy and commitment to affected stakeholders. It must pay particular attention to those affected inside the organization: a claim of victimhood should be part of an apology or a message expressing concern. An effective message must be sincere and oriented toward concrete solutions.
- consider reputation
We find that it is easier for companies to claim victimhood persuasively if they are perceived as virtuous. This reputation can be due to a positive track record in terms of corporate social responsibility or because they are a not-for-profit institution (e.g. a library, a university or a hospital). Virtuous victims generate sympathy and empathy, and this is also reflected after a cyberattack.
- highlight the harmfulness and sophistication of the attack
The results of our study also show that public acceptance of victim status is more effective when the cyberattack is perceived to be the work of highly competent malicious actors. It is also important for a company to persuade the public that the attack harmed the company, while keeping the main focus of the response on the public.
- don’t complain
It is essential to distinguish between legitimate claims of victim status and communication that could be perceived as an attempt to exonerate oneself. An overly plaintive tone could undermine a company’s credibility. The approach should be factual and constructive, focusing on the measures taken to overcome the crisis.
- test reactions before communicating widely
Companies’ responses to a cyberattack can vary depending on the context and the public. It is best to assess different approaches before embarking on large-scale communication. This can be done through internal tests, focus groups or targeted surveys. Subtle differences in the situation can cause important shifts in how the public perceives the breach and what the best response might be.
Our study sheds light on a shift in public expectations about crisis management: in the age of ubiquitous cybercrime, responsibilities are often shared. Poorly managed communication after a cyberattack can lead to a lasting loss of trust and expose a company to increased legal risks. Claiming victim status effectively, with an empathetic and transparent approach, can help mitigate the impact of the crisis and preserve the organization’s reputation.
This article was written with Ilaria Baghi (University of Modena and Reggio Emilia).

Paolo Antonetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
29.04.2025 à 12:24
Une approche plus positive d’Alzheimer : identifier et préserver les capacités qui restent fonctionnelles
Texte intégral (2215 mots)

Le concept de « capacités intrinsèques », défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), se concentre sur les facultés – sensorielles, psychologiques ou motrices – restées intactes chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Une nouvelle approche prometteuse pour cette pathologie, comme pour le vieillissement en bonne santé.
En 1967, Marta Cinta était danseuse étoile au New York City Ballet. Près de cinquante ans plus tard, en 2014, elle est arrivée dans une maison de retraite à Alicante, en Espagne, avec un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Elle y a passé les dernières années de sa vie, jusqu’en mars 2020, date de son décès.
Lorsqu’elle est entrée en institution, de nombreuses personnes ont certainement pensé qu’il ne restait « plus rien d’elle ». Mais un jour, un thérapeute de l’initiative Música para Despertar (Musique pour l’éveil, en français, ndlr) a décidé de jouer la musique du célèbre ballet le Lac des cygnes, de Piotr Ilitch Tchaïkovski, et la réaction de Marta a ému toute l’Espagne.
Atteinte d’Alzheimer, l’ancienne ballerine Marta Cinta écoute le Lac des cygnes et la chorégraphie lui revient. Pierre-Louis Caron, France Info.
Vidéo tournée par Música para despertar (Musique pour l’éveil)
L’artiste d’origine espagnole a commencé à danser dans son fauteuil roulant, en bougeant ses bras avec une délicatesse qui semblait impossible pour une personne atteinte de sa maladie.

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La danse de Marta Cinta à un stade déjà avancé de la maladie a fait réfléchir à la possibilité de réorienter le traitement de la maladie d’Alzheimer : et si le cœur du problème résidait dans la manière dont nous comprenons les capacités dont disposent les personnes âgées qui souffrent de cette maladie ?
Définir les capacités intrinsèques
Pour apporter des réponses à cette question, nous nous référons d’abord au concept de capacités intrinsèques, introduit en 2015 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans son « Rapport mondial sur le vieillissement et la santé ». Selon les auteurs de rapport, le concept fait référence à l’ensemble des capacités physiques et mentales d’un individu à un moment donné, et non uniquement à ses déficits et à ses maladies.
À lire aussi : Qu’est-ce que la cognition ?
Depuis, l’OMS a identifié cinq dimensions principales autour des capacités intrinsèques : la locomotion, la cognition, l’état psychologique, la vitalité et les capacités sensorielles (définies par l’audition et la vision de la personne).
Une approche plus positive
À l’heure actuelle, les personnes âgées consultent un médecin quand un déclin évident de leurs capacités a déjà été constaté ou au moment où un événement indésirable survient. Cependant, des données scientifiques montrent que le déclin fonctionnel peut se manifester avant l’apparition de symptômes cliniques évidents de démence. De plus, nous savons que ce déclin peut être retardé, ou certains de ses aspects inversés, si des interventions appropriées sont mises en œuvre.
Dans cette logique, les capacités intrinsèques se concentrent sur l’évaluation des capacités qui sont maintenues (et non de celles qui sont perdues), ce qui peut se révéler particulièrement crucial dans les maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer.
L’anticipation comme stratégie
La maladie d’Alzheimer, qui est une pathologie neurodégénérative chronique et progressive, a traditionnellement été abordée dans une perspective qui se concentre uniquement et exclusivement sur la perte de mémoire. Cependant, cette conception peut être considérée comme réductrice, car elle minimise la détérioration de la personne et rend invisibles les capacités qui restent intactes, telles que les capacités sensorielles, psychologiques ou motrices.
L’approche fondée sur les capacités intrinsèques recherche précisément le contraire : observer, prévenir et préserver. De fait, la détection précoce de déficiences concernant certaines capacités ou d’autres peut aider à mettre en place des interventions individualisées et efficaces qui aident à maintenir des capacités intrinsèques adéquates plus longtemps.
De plus, une détérioration dans un des domaines de capacités intrinsèques peut entraîner une réaction en chaîne. Par exemple, une perte auditive non détectée peut conduire à un isolement social, ce qui peut affecter l’humeur et favoriser un mode de vie plus sédentaire.
Améliorer la vie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer
Selon le « Rapport mondial 2023 sur la maladie d’Alzheimer », environ 40 % des cas de démence pourraient être évités ou retardés en agissant sur 12 facteurs de risque tout au long de la vie, notamment l’éducation, la sédentarité, l’hypertension ou la santé auditive.
(Ce rapport est édité par Alzheimer Disease International, ou ADI, une fédération internationale d’associations consacrées à la maladie d’Alzheimer et aux démences partout dans le monde. ADI revendique des « relations officielles » avec l’OMS, ndlr.)
Ces facteurs sont présents dès les premiers stades de la vie. De ce fait, la prévention relève, non seulement, du système de santé, mais aussi des politiques publiques, des communautés et des établissements d’enseignement.
Agir à ces différents niveaux ne nécessite pas d’interventions cliniques complexes, mais plutôt des stratégies individuelles et communautaires qui contribuent à renforcer les capacités intrinsèques de ces personnes. On citera, par exemple, la promotion de l’activité physique, qui renforce la dimension locomotrice ; la mise en œuvre de thérapies cognitives et de stimulations sensorielles, qui contribuent à améliorer la cognition ; ou la création de lieux de rencontre pour les personnes âgées, en raison de leur importance pour la prise en charge de l’aspect psychologique.
À lire aussi : Pour booster son cerveau, quelles activités physiques privilégier après 60 ans ?
À terme, au-delà des essais cliniques et de la recherche de nouveaux biomarqueurs, les capacités intrinsèques pourraient devenir une arme puissante pour anticiper les effets de la maladie d’Alzheimer et améliorer la vie des malades.
Une étude longitudinale dans laquelle a été analysée la trajectoire en termes de capacités intrinsèques de près de 15 000 personnes a montré que le déclin dans des domaines comme la locomotion et la cognition est fortement prédictif de l’apparition de démence, d’invalidité et de mortalité.
Objectif : préserver l’autonomie
Nous avons vu l’utilité des capacités intrinsèques pour appréhender la maladie d’Alzheimer selon une nouvelle approche. Elles se positionnent également comme l’un des principaux concepts pour comprendre le vieillissement en bonne santé. C’est ce qu’affirme la Décennie pour le vieillissement en bonne santé (2020-2030), un document qui présente la stratégie de l’OMS en matière de vieillissement et de santé.
Ce rapport définit le vieillissement en bonne santé comme
« le processus de développement et de maintien des aptitudes fonctionnelles qui permet aux personnes âgées de jouir d’un état de bien-être. Les aptitudes fonctionnelles sont les capacités qui permettent aux individus d’être et de faire ce qu’ils jugent valorisant ».
Les auteurs soulignent également que la qualité de vie des personnes âgées et de leurs familles, ainsi que des communautés dans lesquelles elles vivent, est l’objectif principal du vieillissement en bonne santé.
À lire aussi : Vivre plus longtemps, mais moins bien ? Les inégalités qui pèsent sur le grand âge
Pour y parvenir, l’OMS propose quatre domaines d’action clé pour passer d’un modèle de dépendance à un modèle de participation active :
changer la façon dont nous concevons l’âge et le vieillissement ;
créer des communautés qui soutiennent les capacités des personnes âgées ;
fournir des soins intégrés et centrés sur la personne ;
garantir l’accès aux soins de longue durée lorsqu’ils sont nécessaires.
Connaître et comprendre les dimensions qui composent les capacités intrinsèques et les facteurs de risque qui influencent l’apparition et la progression de la démence permettrait de développer des stratégies visant à préserver les capacités physiques et mentales des personnes âgées. Par exemple, au moyen d’activités ciblées telles que l’entraînement fonctionnel ou la stimulation cognitive.
En outre, l’intégration d’évaluations des capacités intrinsèques tout au long de la vie pourrait améliorer la compréhension des liens entre les processus qui sous-tendent le vieillissement et l’adhésion à des modes de vie sains.
Encourager ces habitudes permettrait, non seulement, d’accroître les bénéfices apportés par leur pratique, mais aussi de favoriser leur maintien à long terme, en promouvant un vieillissement actif, sain et indépendant.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
28.04.2025 à 17:28
Sur Internet, des adolescents confrontés de plus en plus jeunes à des images pornographiques
Texte intégral (1965 mots)
Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles.
Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques.
Dans le cadre de l’étude Sexteens, menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries ont la particularité de mettre en scène des personnages principaux du même âge qu’eux, la plupart évoluant dans un cadre qu’ils connaissent bien, celui du lycée.
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Au cours de cette enquête, nous avons décidé de les interroger sur leur rapport à la pornographie seulement s’ils abordaient spontanément eux-mêmes le sujet au cours de l’entretien. La question n’était pas au cœur de notre recherche, nous ne voulions néanmoins pas l’éluder si les adolescents la soulevaient.
Nous avons ainsi recueilli les paroles d’une vingtaine de lycéennes et de lycéens sur leur confrontation à la pornographie. Ces témoignages sont précieux pour comprendre le choc ressenti et les ambivalences perçues face à ces images obscènes, alors que de plus en plus de mineurs sont exposés à ce type de contenus et que les éditeurs de sites pornographiques sont sommés de contrôler l’âge des internautes.
Un âge précoce d’exposition
Le premier enseignement de ce terrain concerne l’âge d’exposition à des images pornographiques. Celles et ceux, majoritaires, qui ont été confrontés à de la pornographie sans l’avoir désiré, l’ont été avant l’entrée au collège et l’ont particulièrement mal vécu.
Qu’il s’agisse de pop-ups qui s’ouvrent sur des sites de streaming ou d’images montrées délibérément par des élèves ou des enfants de leur entourage souvent plus âgés, les lycéens racontent leur stupéfaction, proche de l’incompréhension, puis la honte ou l’effroi qu’ils ont ressentis, comme le rappelle Marco :
« Depuis tout petit, je traîne sur Internet, parce que mon père est informaticien. J’ai eu un ordinateur très tôt à la maison. Je me rappelle qu’une fois, je cherchais soit des informations sur un jeu, soit à regarder un film en streaming. Je devais avoir au maximum 10 ans. Et il y a eu une fenêtre pop-up qui s’est ouverte. Je n’ai même pas compris. Ça m’a fait peur. Je ne sais pas comment expliquer… J’étais un petit peu dégoûté, c’était plutôt un sentiment de répulsion, mais en même temps un peu intrigué. »
Pour celles et ceux qui ont désiré consulter volontairement des sites pornographiques, ils étaient collégiens. La pression à la conformité peut jouer, les autres élèves en ayant discuté devant eux. Il faut pouvoir en parler, montrer qu’on a grandi. Ce visionnage s’apparente alors à un rite de passage, pour de jeunes adolescents autour de 13 ans :
Charlotte : « C’était volontaire. Un jour, je sais pas, c’était le matin et j’étais sur mon ordinateur. Je me suis dit, “Bah, je pense que je me sens prête, et c’est le moment de, de voir en fait”, on m’avait déjà proposé de regarder, etc. J’avais dit non. »
Qui te l’avait proposé ?
Charlotte : « Des amis garçons au collège.»
Pour des adolescents avides d’informations sur la sexualité, la pornographie paraît une possibilité plus accessible que d’aborder la question directement avec leurs parents, à une période de bouleversement pubertaire :
Claire : « Ça doit être à 13 ans. Je crois que c’est moi qui avais cherché. Y avait peut-être une scène dans un film ou quelque chose comme ça. Ou moi qui avais cherché. Je vous dis 13 ans, parce c’est l’âge où j’ai eu mes règles et c’était parti. Je pense que c’était sur Internet. On ne va pas dire que ça m’avait choqué, mais en tout cas ça m’avait dégoûtée. Vraiment j’ai vu ça… Et encore, c’était sur un truc connu pour être féministe ! Et vraiment j’ai vu ça et me suis dit : “C’est pas pour moi.” »
La sidération et le dégoût ne provoquent pas chez les enfants, même très jeunes, le réflexe d’en parler à leurs parents. Bien au contraire. L’épreuve est vécue seul, éventuellement entre pairs si le visionnage a été en duo ou en groupe.
Quels que soient les sentiments et les émotions suscitées, aucun d’entre eux n’en a parlé à des adultes. Ces derniers semblent les grands absents, tant les jeunes rapportent craindre leurs réactions. Amélie, qui a visionné de la pornographie de façon accidentelle avec sa cousine, évoque son incapacité à en discuter :
« C’est resté entre nous. Déjà, on avait peur de se faire engueuler. Et puis, on n’avait trop rien à dire dessus. On a vu et on a fait : “Bon.” Et après, il y a eu la curiosité parce qu’on ne savait pas du tout ce que c’était. Du coup, on est restées devant par curiosité. »
Des critiques argumentées
Pour autant, à l’exception d’un seul garçon qui a témoigné de son plaisir à regarder tous les jours « pour se branler », et dont les critiques portaient uniquement sur les performances mises en scène, tous les autres lycéens ont dénoncé des rapports de genre problématiques dans les films pornographiques, estimant qu’ils sont « dégradants » pour les femmes, « déshumanisants » et qu’il s’agit souvent de « représentations violentes de la sexualité ». Ils dénoncent des scripts sexuels et des corps irréalistes qui deviennent vecteurs de complexes.
Les filles jugent ainsi de manière très négative les rapports sexuels mis en scène, en ce qu’ils peuvent susciter des attentes irréalistes de la part des garçons dans la vraie vie, et critiquent des standards esthétiques très éloignés de leurs propres vécus corporels. Les garçons, quant à eux, évoquent les durées des rapports qui « mettent la pression » et déconnectés du réel.
Enfin, plusieurs adolescents ont rappelé le caractère addictif des images pornographiques, sans qu’ils ne puissent ou ne veuillent en expliquer la raison. Ils déclarent avoir des amis qui en ont besoin « de temps en temps ». Garçons et filles prêtent essentiellement aux garçons une appétence pour la pornographie, comme le résume laconiquement Coralie :
« Mes amis garçons et mon copain, ben eux ils approuvent hein, c’est des garçons hein… Mais moi, je trouve que c’est pas super. »
Ces représentations genrées des usages corroborent en partie des études récentes qui montrent une fréquentation plus assidue et un temps passé sur les sites pornographiques bien plus importants pour les adolescents que pour les adolescentes.
Un dialogue nécessaire
Le dialogue avec les adultes est-il impossible ou souhaité ? Nos enquêtés se sont tous déclarés favorables à l’introduction de cette thématique dans le cadre de l’éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité.
À lire aussi : Une nouvelle éducation à la sexualité dans les établissements scolaires ?
Si discuter avec ses propres parents de la sexualité paraît difficile, voire impossible ou tabou pour beaucoup d’entre eux, cela ne signifie pas qu’ils ne désirent pas être accompagnés par les adultes. Ils aimeraient que le consentement, le plaisir et la pornographie soient systématiquement abordés à l’école. À l’instar d’Emmanuel, qui a apprécié la discussion sur la pornographie en classe et en a gardé un souvenir très vif :
« On avait comparé ça à une cigarette, parce que la première, elle est bien, parce que c’est la première et tout ça, et puis après, on se sent obligé de recommencer, de recommencer, de recommencer ! Puis en fait, c’est nocif. C’est nocif à mort ! Ça fait baisser la confiance en soi, c’est, c’est du gros cliché ! Puis surtout, les actrices, elles doivent être… elles doivent être exploitées, violées des fois. »
Déconstruire les messages médiatiques, développer son esprit critique, repérer les discours discriminatoires et sexistes, éduquer au consentement font partie d’une éducation aux médias et à l’information au sens large, fondamentale pour pouvoir prendre du pouvoir vis-à-vis d’images qui imposent par leur puissance itérative des scripts sexuels et des rapports de genre qui posent question. Les adolescents ont besoin de leurs aînés pour y parvenir. Soyons au rendez-vous.
Les entretiens ont eu lieu dans quatre lycées différents, en filières générales et technologiques et professionnelles. Julie Brusq, Mouna El Gaïed, Aurélie Pourrez, chercheuses à l’Université de Lorraine, au Crem (Centre de recherche sur les médiations. Communication – Langue – Art – Culture), ont participé à cette enquête.

Laurence Corroy a reçu des financements de la Maison des Sciences de l'Homme de Lorraine.
28.04.2025 à 17:27
La décroissance impliquerait-elle le retour à l’âge de la bougie ?
Texte intégral (2272 mots)

Le « jour du dépassement » a été atteint le 19 avril dernier. Diminuer le produit intérieur brut (PIB) pour faire disparaître ce dépassement écologique n’impliquerait pas de retourner à l’âge de la bougie. C’est ce que conclut une étude appliquée à la France et à l’Allemagne. Le PIB par habitant soutenable d’aujourd’hui correspondrait à un niveau observé dans les années 1960. Tout en gardant les technologies actuelles.
En 2020, le président Macron balayait la demande de moratoire de la gauche et des écologistes sur le déploiement de la 5G en renvoyant ses opposants au « modèle amish et au retour à la lampe à huile ». En 2024, le premier ministre Attal estimait que « la décroissance, c’est la fin de notre modèle social, c’est la pauvreté de masse ». Au vu de ces citations, tout refus du progrès ou toute baisse volontaire de l’activité économique est assimilé à un retour en arrière, voire à un monde archaïque.
Pourtant, le 1er août 2024, l’humanité atteignait son « jour de dépassement » écologique. À cette date, celle-ci avait consommé l’ensemble des ressources naturelles que la planète avait produites pour satisfaire sa consommation et absorber ses déchets pour toute l’année.
Dans le cas de la France, le jour du dépassement était déjà atteint le 19 avril. Malgré ses limites, le jour du dépassement est un indicateur pédagogique très utilisé pour mesurer le degré de non-soutenabilité du « train de vie » moyen d’une population sur le plan environnemental. Plus ce jour intervient tôt dans l’année, moins ce train de vie est durable.
Afin de reculer le jour du dépassement (et idéalement de le ramener au 31 décembre), on peut schématiquement opposer deux grandes stratégies.
La première vise à découpler les activités humaines de leur empreinte environnementale, principalement par le progrès technique. C’est la posture « techno-solutionniste ».
La deuxième, promue notamment par les partisans de la décroissance, ne croit pas en la faisabilité de ce découplage. Elle prône une réduction volontaire et ciblée des activités humaines elles-mêmes.
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Une étude récente, appliquée en particulier à la France, réfute les citations du premier paragraphe. Elle montre que la baisse du PIB permettant de faire disparaître le dépassement écologique en France n’impliquerait nullement un retour à l’âge de la bougie (ou de la lampe à huile), mais à un PIB par habitant observé dans les années 1960.
Définition de l’empreinte écologique
Le point de départ de l’étude consiste à faire le lien entre empreinte écologique, PIB et population d’un pays, à travers l’identité suivante :
E = eyP
où :
E désigne l’empreinte écologique. Selon le Global Footprint Network (GFN), l’organisme qui produit les statistiques relatives à l’empreinte écologique, celle-ci mesure la surface de terre et d’eau biologiquement productive dont un individu, un pays ou une activité a besoin pour produire toutes les ressources qu’il consomme et pour absorber les déchets qu’il génère.
y = Y/P est le PIB par habitant, où Y et P désignent respectivement le PIB et la population du pays.
e = E/Y est définie comme l’intensité écologique du PIB. À titre d’illustration, considérons une économie qui ne produit que des denrées agricoles. L’intensité écologique est alors l’empreinte écologique liée à la production d’un euro de ces denrées. L’intensité est (entre autres) déterminée par la technologie, dans la mesure où elle est d’autant plus faible que les ressources sont utilisées efficacement par l’économie.
En résumé, l'empreinte écologique est le produit de la population, de sa consommation de richesses et de l'efficacité des moyens utilisés pour produire ces richesses.
Empreinte écologique en France et en Allemagne
Les graphiques ci-dessous illustrent les évolutions contrastées des différentes variables présentes dans la formule précédente pour la France et pour l’Allemagne.
On observe que, depuis 1970, l’empreinte écologique globale E est restée plus ou moins stable en France, avant de décroître, depuis 2010. En revanche, l’empreinte écologique est tendanciellement décroissante en Allemagne, depuis 1990. Cette évolution plus favorable s’explique notamment par la croissance sensiblement plus faible de la population de ce pays.
Les évolutions des composantes e, y, P de l’empreinte écologique sont similaires dans les deux pays. L’empreinte écologique est tirée vers le haut par la croissance du PIB/hab y et, dans une bien moindre mesure, par la hausse de la population P.
En revanche, l’empreinte écologique est tirée vers le bas par la baisse continue de l’intensité écologique e. Cette baisse de e est due à différents facteurs, notamment le progrès technique et la tertiarisation de l’économie – les services ayant une empreinte moindre que l’industrie par unité de richesses produites.
Dépassement écologique
La deuxième étape de l’étude consiste à définir le dépassement écologique d’un pays. Celui-ci est défini comme le rapport entre l’empreinte par habitant du pays et la biocapacité par habitant au niveau mondial. La biocapacité est la capacité des écosystèmes à produire les matières biologiques utilisées par les humains et à absorber les déchets de ces derniers, dans le cadre de la gestion et des technologies d’extraction en cours.
Si d désigne le dépassement d’un pays, alors celui-ci est en dépassement si d > 1. Le jour du dépassement de ce pays survient alors avant le 31 décembre, et ce, d’autant plus tôt que d est élevé. Le Global Footprint Network (GFN) interprète le rapport d comme le nombre de planètes Terre nécessaire pour soutenir la consommation moyenne des habitants du pays.

L’évolution au cours du temps du dépassement en France et en Allemagne est décrite par le graphique ci-dessus. Il montre que, si tous les habitants du monde avaient la même empreinte écologique moyenne que celle des Français ou des Allemands à l’époque actuelle, il faudrait à peu près les ressources de trois planètes pour la soutenir.
PIB soutenable
La dernière étape de l’étude concerne la notion de PIB/hab soutenable d’un pays, défini comme le rapport entre le PIB/hab observé et le dépassement écologique.
Le PIB/hab soutenable correspond au niveau de vie maximal moyen compatible avec l’absence de dépassement écologique. Le tableau suivant décrit le calcul du PIB/hab soutenable pour la France et l’Allemagne en 2022 – la dernière année disponible au moment de l’étude.
Pour expliquer ce tableau, considérons les chiffres pour la France. Les deuxième et troisième lignes renseignent respectivement le PIB/hab observé y et le dépassement d de ce pays en 2022. La quatrième ligne calcule le PIB/hab soutenable s, en divisant le PIB/hab observé y par le dépassement d (autrement dit s=y/d). Ce chiffre correspond au niveau maximal du PIB/hab compatible avec l’absence de dépassement.
En d’autres termes, si au lieu d’avoir été égal à 38 816 $, le PIB/hab avait été égal à 13 591 $, la France n’aurait pas été en dépassement en 2022.
Le PIB/hab soutenable étant approximativement égal au tiers du PIB/hab observé, ramener celui-ci à un niveau soutenable supposerait une décroissance de l’ordre des deux tiers. L’ampleur de cette décroissance fait écho à d’autres travaux visant à quantifier les impacts de politiques de décroissance.
La dernière ligne du tableau indique que le PIB/hab qui aurait été soutenable en 2022 en France (13 591 $) correspond à peu près au PIB/hab effectivement observé en 1964. En écho avec les citations évoquées au début de cet article, ce résultat suggère que la décroissance du PIB nécessaire pour faire disparaître le dépassement écologique en France n’impliquerait aucunement un retour à l’âge de la bougie.
Pas un retour aux années 1960
Les résultats de l’étude ne suggèrent pas pour autant un retour pur et simple aux années 1960. En effet, ils sont obtenus en neutralisant le dépassement au moyen de la seule réduction du PIB/hab, alors que l’intensité écologique (déterminée, en particulier, par la technologie) et la population sont fixées à leurs niveaux actuels. Si les résultats supposent une baisse sensible de la production globale de l’économie, ils n’impliquent pas de renoncer à la technologie actuelle.
Il importe de souligner que notre étude s’est limitée à des pays industrialisés, et ne concerne donc pas les pays émergents ou en voie de développement. Nombre de questions n’ont pas été abordées, à l’exemple de celle de la répartition de l’effort de décroissance entre habitants aux revenus très différents ou entre activités économiques.
Notre étude résumée ici doit donc être prise pour ce qu’elle est : un exercice simple visant à remettre en question certains discours dénigrant la décroissance en tant que stratégie de neutralisation du dépassement écologique, dans le cadre du débat autour de la nécessaire réduction des impacts des activités humaines.

Marc Germain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.