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25.06.2025 à 12:09
Les arbres savent-ils quand a lieu le solstice ?
Texte intégral (2232 mots)

Le solstice d’été semble jouer un rôle d’aide-mémoire arboricole. Les températures autour de cette période affectent le nombre de graines produites par les arbres.
Depuis la Préhistoire, les humains célèbrent le solstice d’été. Mais nous ne sommes pas la seule espèce à avoir remarqué que le 21 juin est un moment particulier. Des études montrent que c’est aussi un moment important pour les plantes.
Ainsi, des études récentes (dont une des miennes) suggèrent que les arbres puissent utiliser le jour le plus long de l’année comme un marqueur clé de leurs cycles de croissance et de reproduction. Comme si le solstice était un aide-mémoire arboricole.
Par exemple, les arbres qui poussent dans des régions froides ralentissent la création de nouvelles cellules de bois aux environs du solstice et concentrent leur énergie à finir des cellules déjà formées mais encore incomplètes. Ce qui permettrait d’avoir le temps d’achever la construction des cellules avant l’arrivée de l’hiver – dont les températures glaciales endommagent les cellules incomplètes, les rendant inutiles pour le transport de l’eau l’année suivante.
Le solstice initie-t-il le brunissement des feuilles avant l’automne ?
Il semble également que les arbres profitent du solstice pour préparer de l’automne, avec la « sénescence » de leurs feuilles. La sénescence permet à l’arbre de réabsorber les nutriments essentiels présents dans les feuilles avant qu’elles ne tombent. Ce processus doit arriver au bon moment : si la sénescence est trop précoce, la perte de feuille réduit la photosynthèse (et donc l’acquisition d’énergie qui sert à la croissance de l’arbre entier). Si la sénescence est trop tardive, les gelées d’automne détruisent les feuilles encore vertes, ce qui fait perdre à l’arbre les précieux nutriments qu’il y avait stockés.
Ainsi, des observations satellites des forêts et des expériences contrôlées dans des serres montrent que des températures élevées juste avant le solstice ont tendance à avancer le brunissement des feuilles à l’automne
À l’inverse, des températures élevées juste après le solstice semblent ralentir le processus de sénescence, ce qui allonge la période de transition entre les feuilles vertes et les feuilles entièrement brunes. Ce réglage fin permettrait aux arbres de prolonger la période de photosynthèse les années où les températures restent plus élevées et de ne pas manquer ces conditions favorables.
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Ces observations et leurs interprétations font cependant débat parmi les scientifiques.
En effet, du point de vue de l’évolution, le solstice ne serait peut-être pas le meilleur marqueur temporel de ces transitions dans le cycle annuel des arbres. Par exemple, dans les forêts du Grand Nord, les feuilles n’apparaissent pas avant le début du mois de juin, quelques jours seulement avant le solstice, et la saison de croissance peut se prolonger jusqu’en octobre. Dans ces forêts où certains arbres viennent à peine d’entamer leur croissance pour l’année, utiliser le solstice pour amorcer le processus de réduction progressive des activités ne semble guère avoir de sens.
Par contre, il existe un consensus plus large sur l’utilisation du solstice par les plantes pour synchroniser leur reproduction.
Solstice, dis-moi combien de graines produire cette année
Chez de nombreuses plantes, en particulier les arbres des latitudes moyennes tempérées, le nombre de graines produites varie considérablement d’une année à l’autre, ce que l’on appelle le masting. Par exemple, un grand hêtre européen peut produire des centaines de milliers de graines lors d’une année exceptionnelle (une « masting year ») et renoncer totalement à la reproduction d’autres années.
La réduction de la production de graines par les hêtres, qui leur permet d’augmenter l’efficacité de leur reproduction, se fait souvent à l’échelle continentale, et par étapes.

Un petit papillon, Cydia fagiglandana (ou le carpocapse des faînes, en français – le faîne est le fruit du hêtre), pond ses œufs dans les fleurs de hêtre. Lorsque les larves éclosent, elles mangent et détruisent les graines en développement. L’alternance entre des années fastes en faînes et années de disette contribue à protéger les populations de hêtres de ces papillons.
Au Royaume-Uni par exemple, les hêtres perdent moins de 5 % de leurs graines à cause de Cydia. En effet, les cycles affament les papillons et réduisent leur population, qui attend les années fastes. Si les arbres sont désynchronisés dans ces cycles de forte et faible production de fruits, la perte de graines peut atteindre plus de 40 %.
Nous savons depuis des dizaines d’années que les années d’abondance se produisent après un été particulièrement chaud. En effet, les températures élevées augmentent la formation des bourgeons floraux, ce qui entraîne généralement une plus grande récolte de graines à l’automne.
Comment les hêtres savent-ils que le solstice est le jour le plus long ?
Par contre, nous ne savons pas pourquoi ou comment les hêtres de toute l’Europe semblent utiliser la même fenêtre saisonnière (fin juin-début juillet) pour déterminer leur production de graines, quel que soit l’endroit où ils poussent en Europe. Comment un hêtre peut-il connaître la date ?
En 2024, en étudiant des dizaines de forêts à travers l’Europe, mon équipe a montré que ces arbres utilisent le solstice comme marqueur saisonnier : dès que les jours commencent à raccourcir après le solstice, les hêtres de toute l’Europe semblent percevoir simultanément la température.
Partout où les températures sont supérieures à la moyenne dans les semaines qui suivent le solstice, on peut s’attendre à une forte production de faînes l’année suivante, tandis que les conditions météorologiques des semaines précédant le solstice ne semblent pas avoir d’importance.
Comme le montrent les cartes météorologiques, les périodes de chaleur et de fraîcheur ont tendance à se produire simultanément sur de vastes zones.
Ceci permet aux hêtres de maximiser la synchronisation de leur reproduction, que ce soit en investissant dans une forte production (températures chaudes) ou en renonçant à la reproduction pendant un an (températures basses). L’utilisation d’un repère fixe comme le solstice est la clé de cette synchronisation et des avantages qui en découlent.
Désormais, nous collaborons avec une douzaine d’autres groupes européens pour tester cet effet sur différents sites, en manipulant la température de branches de hêtre avant et après le solstice. Les recherches en cours semblent indiquer que les gènes de floraison s’activent au moment du solstice d’été.
Enfin, des études sur les rythmes circadiens des plantes montrent que celles-ci possèdent des mécanismes moléculaires permettant de détecter de minuscules changements dans la durée du jour, et d’y répondre – ce serait la base de cette extraordinaire échelle de reproduction synchronisée.
Si le temps reste chaud au cours du mois qui vient, les hêtres de votre région produiront sans doute beaucoup de faînes à l’automne prochain – et il est bien probable que ce soit le cas dans le centre et le nord de l’Europe.

Andrew Hacket-Pain a reçu des financements de UK Research and Innovation, du Department for Environment, Food & Rural Affairs et du British Council.
25.06.2025 à 12:08
Maths au quotidien : pourquoi votre assurance vous propose un contrat avec franchise
Texte intégral (1031 mots)
Un contrat avec franchise incite à ne pas prendre de risques – une manière pour les assurances de se garantir que leurs clients ne se reposent pas complètement sur elles. Ce sont les maths qui le disent.
Nous avons tous un contrat d’assurance contre des risques précis : assurance auto, assurance multirisque habitation (45,9 millions de contrats en 2023 en France)… Vous avez signé ce contrat d’assurance afin de vous couvrir des frais en cas de sinistre. Ce qui est inhabituel, avec les assurances, c’est que vous achetez « un produit » (contrat), mais vous le récupérez (les indemnités) que si vous subissez un sinistre. De plus, il est courant que l’assureur vous propose un contrat « avec franchise », c’est-à-dire qu’en cas de sinistre, une partie fixe des frais reste à votre charge.
Pourquoi les contrats « avec franchise » sont-ils si répandus ? Il existe plusieurs réponses.
Franchise : un contrat idéal
Des chercheurs se sont intéressés au contrat optimal en modélisant mathématiquement la relation entre l’assureur et l’assuré. On dit qu’un contrat est optimal s’il n’existe pas d’autre contrat qui profiterait davantage à l’un (l’assuré ou l’assureur) sans détériorer la situation de l’autre.
Pour trouver le contrat qui maximise à la fois les préférences de l’assuré et de l’assureur, il faut résoudre un problème d’« optimisation ».
L’assureur est considéré comme neutre au risque, c’est-à-dire qu’il n’a pas de préférence entre une richesse dite « aléatoire » (impactée par un risque subi, mais incertain) et une richesse certaine égale à l’espérance de la richesse aléatoire.
Par contre, l’assuré est considéré comme risquophobe, c’est-à-dire que dans l’exemple précédent, il préfère la richesse certaine à la richesse aléatoire.
Dans ce contexte, des travaux de recherche ont montré que le contrat avec franchise est optimal. En effet, ce type de contrat permet à l’assuré risquophobe de réduire le risque puisqu’en cas de sinistre, il aura juste à payer la franchise. Si la franchise est nulle, le contrat neutralise alors complètement le risque puisqu’en payant juste la prime, l’assuré recevra une indemnité égale au dommage subi (potentiellement avec un plafond, mentionné dans le contrat) : on dit qu’il aura une richesse certaine.
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Franchise : incitation cachée et aléa moral
D’un point de vue pratique, la mise en place d’un contrat avec franchise représente plusieurs avantages pour l’assureur.
Tout d’abord, ce type de contrat réduit ses frais de gestion car les petites pertes (en dessous du montant de la franchise) ne sont plus traitées.
L’assuré est alors incité à faire un effort afin d’éviter les petites pertes qui resteraient à sa charge, ce qui permet de réduire le phénomène d’« aléa moral ». Ce dernier décrit une situation d’asymétrie d’information entre l’assureur et l’assuré. En effet, une fois le contrat d’assurance signé, l’assurance ne peut pas observer l’effort consenti par l’assuré pour éviter un risque (par exemple la vigilance au volant). Non seulement la mise en place de la franchise permet à l’assureur d’obliger l’assuré à faire un effort, elle lui permet aussi de détourner les individus à haut risque, qui cherchent souvent un contrat plus généreux que les individus à bas risques et qui sont prêts à payer une prime (même chère) afin de ne pas subir les petits risques.
Un autre problème d’asymétrie de l’information, connu sous le nom d’« antisélection » (ou sélection adverse) est alors soulevé. Dans ce contexte, l’assureur ne connaît pas le type (haut/bas risque) de l’assuré. Un individu à haut risque peut acheter un contrat destiné à un individu bas risque.
Si l’assureur ne propose que des contrats sans franchise, il risque d’avoir trop d’assurés à haut risque. L’assureur devra alors statistiquement faire face à un nombre important de sinistres (l’assureur par manque d’information se trouve avec les hauts risques alors qu’il aurait souhaité l’inverse), ce qui aboutit souvent à un déséquilibre entre le montant des primes perçues et le montant des indemnités versées. Il est donc important pour l’assureur de diversifier ses produits en proposant des contrats avec ou sans franchise.
Un contrat avec franchise est donc bien un optimum : l’assuré comme l’assureur a intérêt à éviter les petits sinistres. La franchise permet à l’assureur de faire des économies et en même temps de sélectionner ses clients. Le contrat choisi révèle votre « appétence au risque », que les assureurs classifient en types haut et bas risque !

Niousha Shahidi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
22.06.2025 à 17:30
L’eau gèle quand il fait froid - ce nouveau matériau gèle quand il fait chaud !
Texte intégral (2075 mots)
Une nouvelle étude montre qu’il est possible de geler les positions des atomes qui constituent un matériau…, en le chauffant.
Ce concept ouvre la voie au développement de dispositifs innovants, tels que des capteurs piézoélectriques capables de fonctionner à température ambiante, sans avoir besoin de recourir à de très basses températures.
Lorsque l’eau liquide passe en dessous de 0 °C, les molécules d’eau gèlent leurs positions les unes par rapport aux autres, pour former de la glace. Dans l’immense majorité des matériaux, les atomes et les molécules gèlent quand la température baisse.
Mais, contrairement à l’intuition, nous avons découvert un matériau présentant un changement d’état magnétique, pour lequel des mesures de cristallographie par rayons X ont démontré que les positions des atomes gèlent… en chauffant !
Ceci nous a d’abord surpris, mais nous avons trouvé une explication, que nous détaillons dans notre récente publication.
Certains dispositifs électroniques ne fonctionnent qu’à basse température
Les positions des atomes se gèlent habituellement quand on abaisse sa température – c’est le cas, par exemple, quand l’eau gèle au congélateur ou encore quand du sucre fondu cristallise en refroidissant.
Ce phénomène existe aussi à l’état solide dans de nombreux matériaux. Même dans un solide, les atomes vibrent entre des positions équivalentes par symétrie (par exemple entre gauche et droite) – ils ne se figent dans une de ces positions que quand la température diminue.
Pour certains matériaux, comme le sucre ou les piézoélectriques utilisés sur les sonars ou capteurs pour l’échographie, les atomes sont gelés à température ambiante. Mais pour de nombreux matériaux moléculaires, ceci ne se produit qu’à -20 °C, -100 °C ou -200 °C, par exemple.

Le changement de symétrie associé à la mise en ordre des atomes qui se gèlent suivant certaines positions est illustré sur la figure ci-dessus.
À droite, les atomes sont désordonnés et vibrent à haute température. Il y a ici une symétrie miroir et les positions des atomes d’un côté du miroir sont équivalentes à celles de l’autre côté.
À basse température, les positions des atomes se gèlent. Par exemple, les atomes rouges s’approchent d’atomes bleus à droite et s’éloignent des atomes bleus à gauche. Ceci modifie certaines propriétés physiques de matériaux et, par exemple, des charges (+ et -) apparaissent en surface.
Si on appuie sur un tel matériau, les charges changent, et c’est ce qui est à la base des capteurs piézoélectriques, par exemple. Une simple pression, comme un son, peut moduler ces charges et être alors détectée. C’est ainsi que fonctionnent les dispositifs pour l’échographie ou les sonars dans les sous-marins, par exemple : l’onde sonore qui est réfléchie sur un objet est détectée par le capteur piézoélectrique au travers d’un signal électrique.
À lire aussi : Des aimants légers et performants grâce à la chimie moléculaire
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D’autres matériaux sont aussi ferroélectriques. Il est alors possible de retourner les positions atomiques avec un champ électrique et donc d’inverser les charges. C’est ce dispositif qui est à la base des mémoires RAM ferroélectriques.
Malheureusement, pour de nombreux matériaux moléculaires, ce type de propriétés liées au changement de symétrie n’apparaissent qu’à basse température. Il faut alors refroidir les matériaux pour obtenir la propriété, parfois à -200 °C. Cette contrainte limite donc l’application de ces matériaux, car de nombreuses applications nécessitent des dispositifs fonctionnant à température ambiante, parce qu’il est trop complexe et coûteux d’intégrer des dispositifs de refroidissement.
Une découverte surprenante : un matériau qui gèle à haute température
Dans la majorité des matériaux, les atomes qui les constituent se mettent en mouvement avec l’élévation de température. Cette agitation thermique crée un désordre, qui se mesure par une grandeur thermodynamique appelée « entropie ».
Les lois de la physique stipulent que plus la température augmente, plus le désordre et donc l’entropie augmentent. Ainsi, le désordre est plus grand à haute température, avec les atomes agités, qu’à basse température où les atomes sont figés. À l’inverse, à basse température, le désordre et, donc, l’entropie diminuent, ainsi que la symétrie.
Dans notre étude, nous observons pourtant le phénomène inverse : le matériau que nous étudions est plus symétrique en dessous de -40 °C qu’au-dessus. En d’autres termes, les molécules sont sur des positions désordonnées droite/gauche à basse température et ordonnées à haute température et donc, ici, à température ambiante.
Plusieurs types de désordre en compétition
Ce phénomène est rendu possible grâce au « désordre électronique ».
En effet, dans le matériau étudié, les états à haute et basse température correspondent aussi à deux états magnétiques.
À basse température, le matériau est dans l’état appelé « diamagnétique », c’est-à-dire que les électrons vivent en couple et que leurs spins (leurs moments magnétiques) sont opposés – c’est une contrainte imposée par la mécanique quantique. Ceci correspond à un état électronique ordonné, car il n’y a qu’une configuration possible : un spin vers le haut, l’autre vers le bas.

À haute température, au contraire, le matériau est dans l’état « paramagnétique », c’est-à-dire que les électrons sont célibataires et leurs spins peuvent s’orienter librement, ce qui donne lieu à plusieurs configurations (quelques-uns vers le haut, les autres vers le bas, comme illustré par les flèches rouges sur la figure ci-dessus).
En chauffant, nous favorisons le désordre « électronique » (le grand nombre de configurations des spins). Ce désordre entre en compétition avec la mise en ordre des positions des atomes.
Le gain en entropie lié au désordre électronique (qui passe d’une seule configuration à cinq) est alors plus grand que le coût en entropie lié à la mise en ordre des atomes (de deux configurations à une seule). D’autres phénomènes viennent aussi contribuer à cette augmentation d’entropie.
Au final, l’entropie globale, incluant désordre atomique et électronique, augmente donc bien avec la température comme l’imposent les lois de la physique. C’est donc le désordre des électrons qui autorise de geler les positions des molécules.
Par conséquent, ce nouveau concept, combinant désordre électronique et ordre atomique, ouvre la voie au développement de nouveaux matériaux pour des dispositifs tels que des capteurs, des mémoires, des transducteurs ou des actionneurs fonctionnant à température ambiante, sans recours aux basses températures.

Eric Collet est membre de l'Institut Universitaire de France et de l'Academia Europaea
19.06.2025 à 18:07
Comment ce virus du riz a conquis toute l’Afrique
Texte intégral (1948 mots)

Une nouvelle étude retrace l’évolution du virus de la panachure jaune du riz et explique comment le commerce, les échanges de semences et même la Première Guerre mondiale lui ont permis de se répandre à travers tout le continent africain. Ce virus peut causer entre 20 % et 80 % de pertes de rendement.
Le virus de la panachure jaune du riz est une menace majeure pour la production rizicole en Afrique. Cette maladie, présente dans plus de 25 pays, peut causer entre 20 % et 80 % de pertes de rendement selon les épidémies. Retracer l’histoire de la dispersion du virus en Afrique permet de comprendre les causes et les modalités de l’émergence de la maladie, aide à mettre en place des stratégies de contrôle et contribue à évaluer les risques de propagation vers d’autres régions du monde. Par une approche multidisciplinaire intégrant données épidémiologiques, virologiques, agronomiques et historiques, nous avons exploré les liens entre l’histoire de la culture du riz en Afrique de l’Est et la propagation de ce virus à large échelle depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Ces travaux sur le RYMV (l’acronyme de son nom anglais : Rice yellow mottle virus) viennent d’être publiés dans la revue scientifique PLoS Pathogens.
Il s’agit de l’aboutissement d’un travail de longue haleine basé sur des collectes de feuilles symptomatiques sur le terrain, parfois difficile d’accès, menées par plusieurs équipes de virologues, co-auteurs de cet article. La détection du virus par diagnostic immunologique en laboratoire puis sa caractérisation par séquençage ont abouti à une collection représentative de 50 génomes entiers et de 335 séquences du gène de la capside virale (la coque protéique qui protège le génome) prélevés entre 1966 et 2020 sur deux millions de kilomètres carrés (Burundi, Éthiopie, Kenya, Malawi, Ouganda, République du Congo, Rwanda, Tanzanie). Une partie de ces échantillons avaient été caractérisée préalablement et conservée dans des herbiers et des congélateurs. C’est une collaboration multilatérale internationale basée sur la mise en commun de tous les résultats qui a abouti à cette étude globale de la phylodynamique du RYMV, c’est-à-dire de la dispersion et de l’évolution des différentes lignées génétiques virales. Les approches bio-informatiques utilisées pour analyser et visualiser les résultats ont nécessité des développements méthodologiques mis au point par plusieurs co-auteurs spécialistes de ces disciplines, et qui sont transposables à tous types de virus. Les résultats obtenus avec les séquences virales partielles ou entières convergent vers un même scénario. C’est en intégrant les connaissances des agronomes et des historiens, également co-auteurs de cet article que nous avons pu interpréter cette « remontée dans le temps ».
Une transmission bien particulière
Beaucoup de virus de plantes sont transmis exclusivement par des insectes vecteurs dit piqueurs-suceurs comme les pucerons, qui en se nourrissant sur une plante malade, acquièrent le virus puis les réinjectent dans des plantes saines. Le RYMV, lui, est transmis par de multiples moyens, notamment :
grâce à l’intervention de coléoptères, insectes broyeurs qui n’ont pas de système d’injection de salive mais qui peuvent tout de même se contaminer mécaniquement en s’alimentant et qui se déplacent à courte distance ;
par des vaches ou d'autres animaux qui en broutant dans les champs de riz produisent des déjections dans lesquelles le virus reste infectieux ;
de manière passive par contact des feuilles ou des racines de plantes infectées où il se multiplie fortement.
Ces différents modes de transmission et de propagation du RYMV ne sont pas efficaces pour la transmission à longue distance. Or, le virus est présent sur tout le continent africain. C’est ce paradoxe que nous avons cherché à résoudre.
Une histoire complexe
Le RYMV est apparu au milieu du XIXe siècle dans l’Eastern Arc Montains en Tanzanie, où la riziculture sur brûlis était pratiquée. Plusieurs contaminations du riz cultivé à partir de graminées sauvages infectées ont eu lieu, aboutissant à l’émergence des trois lignées S4, S5 et S6 du virus. Le RYMV a ensuite été rapidement introduit dans la grande vallée rizicole voisine de Kilombero et dans la région de Morogoro. Les graines récoltées, bien qu’indemnes de virus, sont contaminées par des débris de plantes, elles-mêmes infectées, qui subsistent dans les sacs de riz après le battage et le vannage du riz. Le RYMV, très stable, est en mesure de subsister ainsi pendant plusieurs années. La dispersion à longue distance du RYMV en Afrique de l’Est a été marquée par trois évènements majeurs, cohérents avec : l’introduction du riz le long des routes de commerce caravanier des côtes de l’Océan Indien en direction du lac Victoria dans la seconde moitié du XIXe siècle (I), avec les échanges de semences du lac Victoria vers le nord de l’Éthiopie dans la seconde moitié du XXe siècle (II) et, de manière inattendue, avec le transport du riz à la fin de la Première Guerre mondiale comme aliment de base des troupes, de la vallée du Kilombero vers le sud du lac Malawi (III). Les échanges de semences expliquent également la dispersion du virus de l’Afrique de l’Est vers l’Afrique de l’Ouest à la fin du XIXe siècle, et vers Madagascar à la fin du XXe siècle. En somme, la dispersion du RYMV est associée à un large spectre d’activités humaines, certaines insoupçonnées. Par conséquent, le RYMV, bien que non transmis directement par la semence ou par des insectes vecteurs très mobiles comme beaucoup de virus de plantes, a une grande capacité de dissémination. Ses paramètres de dispersion, estimés à partir de nos reconstructions dites phylogéographiques, sont similaires à ceux des virus zoonotiques très mobiles, des virus infectant les animaux qui peuvent créer des épidémies chez l’homme comme la rage.

En comparant la dispersion des trois lignées majeures présentes en Afrique de l’Est grâce aux nouveaux outils bio-informatiques développés dans cette étude, nous avons observé des dynamiques virales très contrastées. La lignée S4 a connu le plus grand succès épidémique avec une propagation précoce, rapide et généralisée. Elle a été découverte au sud du lac Victoria dans la seconde moitié du XIXe siècle puis a circulé autour du lac Victoria avant de se disperser vers le nord en Éthiopie, puis vers le sud au Malawi et enfin vers l’ouest en République du Congo, au Rwanda et au Burundi. La lignée S6, au contraire, est restée confinée à la vallée du Kilombero et dans la région de Morogoro pendant plusieurs décennies. Au cours des dernières décennies seulement, elle s’est propagée vers l’est de la Tanzanie, le sud-ouest du Kenya et les îles de Zanzibar et de Pemba. De façon inexpliquée, la lignée S5 est restée confinée dans la vallée du Kilombero et dans la région de Morogoro. Au cours des dernières décennies, on note un ralentissement des taux de dispersion de la plupart des souches virales issues des lignées S4 et S6 que nous n’expliquons pas encore.
En conclusion, notre étude multi-partenariale et multidisciplinaire met en évidence l’importance de la transmission humaine d’agents pathogènes de plantes et souligne le risque de transmission du RYMV, ainsi que celle d’autres phytovirus d’Afrique, vers d’autres continents. Nous étudions maintenant la dispersion et l’évolution du RYMV en Afrique de l’Ouest, en particulier de celle de lignées virales particulièrement préoccupantes car capables de se multiplier sur les variétés de riz, considérées résistantes au virus, compromettant ainsi les stratégies de contrôle.

Eugénie Hebrard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
18.06.2025 à 16:14
Votre chat peut-il vous reconnaître à l’odeur ?
Texte intégral (1628 mots)
Vous êtes-vous déjà demandé si votre chat était capable de vous reconnaître ? Et si oui, comment peut-il vous distinguer des autres humains ?
Des recherches ont montré que seulement 54 % des chats pouvaient reconnaître les humains à partir de leur seul visage. Une étude publiée le 28 mai 2025 dans la revue scientifique PLOS One suggère que les chats sont capables de nous reconnaître à notre odeur. Cette faculté n’avait jamais été étudiée et nous renseigne sur les liens qui se tissent entre les humains et les chats.
Les chats ont souvent la triste réputation d’être distants ou indifférents aux personnes qui les entourent, mais un nombre croissant d’études démontre le contraire. On sait désormais que les chats apprennent les noms que nous leur donnons et que la plupart d’entre eux préfèrent l’interaction sociale humaine à la nourriture, un choix que même les chiens ont du mal à faire.
L’étude, réalisée par Yutaro Miyairi et ses collègues de l’Université d’agriculture de Tokyo, a porté sur la capacité de 30 chats à différencier leur propriétaire d’une personne inconnue en se basant uniquement sur l’odeur.
Pour cette étude, les scientifiques ont présenté à des chats des tubes en plastique contenant des cotons-tiges frottés sous l’aisselle, derrière l’oreille et entre les orteils soit de leur propriétaire, soit d’un humain qu’ils n’avaient jamais rencontré. À titre de contrôle, on a présenté des cotons-tiges vierges (donc sans odeur humaine) aux chats.
Quand les chats nous acceptent dans leur groupe social
Les résultats ont montré que les chats ont passé plus de temps à renifler les tubes contenant l’odeur d’humains qu’ils ne connaissaient pas, par rapport au temps passé à renifler ceux de leur propriétaire ou du contrôle.
Un temps de reniflage plus court suggère que lorsque les chats rencontrent l’odeur de leur maître, ils la reconnaissent rapidement et passent à autre chose. En revanche, lorsqu’il s’agit de prélèvements effectués sur une personne inconnue, le chat renifle plus longtemps, utilisant son sens aigu de l’odorat pour recueillir des informations sur l’odeur.
Des comportements similaires ont déjà été observés : les chatons reniflent l’odeur des femelles inconnues plus longtemps que celle de leur propre mère, et les chats adultes reniflent les fèces des chats inconnus plus longtemps que celles des chats de leur groupe social. Les résultats de cette nouvelle étude pourraient indiquer que nous faisons également partie de ce groupe social.

L’étude a également révélé que les chats avaient tendance à renifler les odeurs familières avec leur narine gauche, tandis que les odeurs inconnues étaient plus souvent reniflées avec leur narine droite. Lorsque les chats se familiarisent avec une odeur après l’avoir reniflée pendant un certain temps, ils passent de la narine droite à la narine gauche.
Cette tendance a également été observée chez les chiens. Selon les recherches actuelles, cette préférence pour les narines pourrait indiquer que les chats traitent et classent les nouvelles informations en utilisant l’hémisphère droit de leur cerveau, tandis que l’hémisphère gauche prend le relais lorsqu’une réponse habituelle est établie.

L’odorat est d’importance pour les chats
Les chats s’appuient sur leur odorat pour recueillir des informations sur le monde qui les entoure et pour communiquer.
L’échange d’odeurs (par le frottement des joues et le toilettage mutuel) permet de reconnaître les chats du même cercle social, de maintenir la cohésion du groupe et d’identifier les chats non familiers ou d’autres animaux qui peuvent représenter une menace ou doivent être évités.
Les odeurs familières peuvent également être réconfortantes pour les chats, réduisant le stress et l’anxiété et créant un sentiment de sécurité dans leur environnement.
Lorsque vous revenez de vacances, si vous remarquez que votre chat est distant et agit comme si vous étiez un étranger, c’est peut-être parce que vous sentez une odeur étrangère. Essayez de prendre une douche en utilisant vos cosmétiques habituels et mettez vos vêtements de tous les jours. Les odeurs familières devraient vous aider, vous et votre chat, à retrouver plus rapidement votre ancienne dynamique.
N’oubliez pas que si votre chat passe beaucoup de temps à renifler quelqu’un d’autre, ce n’est pas parce qu’il le préfère. C’est probablement parce que votre odeur lui est familière et qu’elle lui demande moins de travail. Au lieu d’être nouvelle et intéressante, elle peut avoir un effet encore plus positif : aider votre chat à se sentir chez lui.

Julia Henning ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.