10.04.2025 à 09:44
Comment pour les architectes en leur nom propre résister quand un système administratif débile basé sur des critères absurdes empêche d’accéder à la commande ceux qui ont justement quelque chose à dire, notamment les jeunes saisis par l’urgence écologique et climatique ? Comment sauront-ils développer les compétences qui leur permettront de concourir face aux agences internationales qui trustent les projets prestigieux (et encore…) ?
Comment résister aux normes édictées sans rémission par le CSTB et autres bureaux de contrôle aux intérêts bien compris et validées pour le climat d’hier et non pour celui de demain ? Le confort d’été, ne s’agit-il pas enfin d’y penser ? Dans dix ou quinze ans, sous la canicule quatre mois dans l’année, l’étanchéité à l’air, un piège redoutable ? Mortel ?
Commet résister à l’appauvrissement du discours architectural désormais pollué par l’accessoire bien pensant, l’essentiel – architecte, c’est un métier n’est-ce pas ? – de plus en plus flou ?
Comment résister quand l’architecture, l’expression même de la société dans laquelle elle naît, est devenue une équation de bonnes intentions qui pavent l’enfer ?
Comment résister quand l’architecture, l’expression même de la société dans laquelle elle naît, est devenue une équation financière qui pave le paradis de mauvaises intentions ?
Comment résister à l’aggiornamento des grosses structures d’architecture mariées à de grosses structures d’ingénierie qui s’emparent de l’essentiel des marchés toujours plus hauts de villes en développement en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique ? Et s’apprêtent à s’emparer des marchés à venir de Riviera et autres luxury Ecolo lodges en pays chauds mal inspirés ? Comment résister à la pensée qu’il s’agira peut-être bientôt pour nombre de ces ouvrages d’éléphants blancs déshérités ou honteux légués à l’histoire ? Comment ne pas désespérer de La Défense ?
Comment résister à l’aura, parmi d’autres, d’un Gehry vieillissant qui impose encore, comme à Arles, ses tours anachroniques à grands roulements de tambour ?
Comment résister aux confrères et consœurs cyniques, procéduriers et sans autre intérêt général que le leur ? Comment résister à l’ambition hargneuse des moins doués ?
Comment résister à la vanité de maîtres d’ouvrage qui tiennent à laisser leur nom à une œuvre, comme s’ils en étaient les auteurs, tel André Santini à Issy-les-Moulineaux ? Mais Daniel Libeskind, vraiment ?
Comment résister à la pression de maîtres d’ouvrage privés aussi bienveillants qu’ils sont bien en cour ?
Comment résister à la pression des maîtres d’ouvrage privés malveillants qui financent la cour ?
Comment résister à l’incompétence de fonctionnaires pressés (au mieux) ou incultes (au moins pire) ou méchants (au pire) ?
Comment résister et garder son sang-froid face à l’impéritie politique et au déluge, l’une et l’autre inéluctables ? Prévoir sans doute dans chaque bâtiment l’arche de Noé des insectes…
Comment résister et construire pour 50 ou 100 ans tout en subodorant que d’ici dix ans à peine, les circonstances humaines, politiques et environnementales seront très éloignées des besoins et préoccupations du jour ? Comment garder la foi envers soi-même sans craindre le vertige ?
Comment résister au découragement quand, sous couvert de compétition équitable, le candidat concurrent gagne moins pour sa créativité, son talent et son expertise que pour son entregent, son réseau et sa capacité à épouser parfaitement l’air du temps non genré avec des bâtiments qui dureront le temps fugace de la mode ? No future, comme dirait Sid Vicious ?
Comment résister quand la crise, provoquée loin de sa rue, conduit à la mise en liquidation ou redressement judiciaire de l’agence locale ?
Comment résister à l’ignorance et la sottise ? Pourquoi cela est-il si difficile aux architectes, pourtant le plus souvent gens curieux, sensibles, cultivés et ayant fait au minimum cinq ans d’études ? Ils sont certes soumis au prince… Comment toutefois parler d’un futur technique et poétique à un maître d’ouvrage persuadé, avec son industrie de moutons à cinq pattes, que la terre est plate ?
Comment résister, pour les architectes distingués, à l’attrait pécuniaire et la célébrité des « rich and famous » pour loger trafiquants et pirates en pays exotiques ? Comment, pour les autres, résister à l’abîme du déclassement pour payer le loyer ?
Comment résister à l’emballement du monde ? Comment résister aux bombes physiques, chimiques et virtuelles dont l’humanité en général, notre civilisation en particulier, est assaillie ?
Comment résister aussi bien aux irresponsables non coupables qu’aux coupables irresponsables, comme se demandent des Français de sang dans les hôpitaux normands ?
Comment résister si Trump, avec une récession mondiale, devient le meilleur avocat de la décroissance et en conséquences le nouvel ami de la nature et des écolos ?
Humpty Dumpty était assis sur un mur,
Humpty Dumpty fit une grosse chute.
Tous les cavaliers et tous les fantassins du roi
Ne parvinrent pas à recoller Humpty Dumpty.
Ainsi va la comptine anglaise du XVIIesiècle ?
Il faudra pourtant bien reconstruire avec ceux qui seront encore-là. D’ailleurs le dernier couplet de la comptine indique.
Humpty Dumpty a compté jusqu’à dix
Humpty Dumpty a tout reconstruit
Tous les cavaliers et fantassins du roi
Sont heureux que Humpty Dumpty soit rétabli.
Il n’y a pas de fatalité. Quand les cons auront tout bien saccagé, la raison, qui comme la nature a horreur du vide, reprendra ses droits. Il faudra bien alors des architectes qui connaissent leur métier.
D’ici-là, l’architecture doit être, pour ceux qui s’en prévalent, un acte de résistance à la normalisation, un acte de foi envers l’avenir, une volonté d’affirmer que le monde reste régi par la gravité et qu’il revient aux architectes, en dépit des circonstances et difficultés qui leurs sont propres, d’envisager protection pour leurs semblables pour les décennies à venir. Dans les règles de l’art si possible.
Christophe Leray, le 14/04/2025 pour Chroniques d’architecture
Solitude et spleen de l’architecte français : comment résister ?
10.04.2025 à 09:30
Barthélémy Toguo, Roots XI & Roots VI, 2025 Linogravure, 50 × 36 cm chacun Courtesy de l’artiste et galerie Lelong & Co. Paris
En écho à ces nouvelles estampes, quelques pièces de la suite « Bilongue » complètent l’exposition. Ces bas-reliefs en bois, avec leur matérialité brute et leurs motifs incisifs, prolongent une réflexion sur les dynamiques entre mémoire collective et récits personnels. Issue d’un projet initié par Barthélémy Toguo en 2015 avec certains habitants de la banlieue éponyme de Douala au Cameroun, « Bilongue » rend hommage à ces personnes par une galerie de portraits qui vient commémorer leurs vies et leurs combats.
Présentées ensemble, ces deux séries dialoguent autour de l’idée d’empreinte — qu’elle soit imprimée ou sculptée — dans une mise en scène où tradition et expérimentation se rejoignent pour interroger les liens entre corps, nature et histoire.
Barthélémy Toguo - Roots I
Barthélémy Toguo est né à Mbalmayo au Cameroun en 1967. S’il s’installe en Europe, devenant citoyen français, il reste profondément enraciné au Cameroun où il retourne très régulièrement. Il y a créé Bandjoun Station, une fondation inaugurée en 2013 destinée à accueillir en résidence, dans des logements-ateliers, des artistes et des chercheurs du monde entier pour développer des propositions en adéquation avec la communauté locale.
L’art de Barthélémy Toguo a suscité beaucoup d’intérêt ces dernières années. Ses œuvres ont rejoint les collections de plusieurs institutions privées et publiques importantes au Royaume-Uni, en Europe et aux États‑Unis. Il est l’artiste invité du Musée de la BnF (site Richelieu, Paris) de la saison 2024-2025.
« Roots » est la septième exposition que la Galerie Lelong consacre à Barthélémy Toguo depuis 2010 à la suite de « The Lost Dogs’ Orchestra » (Paris, 2010), « Hidden Faces » (Paris, 2013), « Strange Fruit » (Paris, 2017), « Urban Requiem » (New York, 2019), « Partages » (Paris, 2021) et « Water is a Right » (Paris, 2023).
Amos Tutualo, le 14/04/2025
Barthélémy Toguo - Roots -> 30/04/2025
Galerie Lelong & Co 13, rue de Téhéran – Second espace au 38, avenue Matignon 75008 Paris
10.04.2025 à 09:21
Le numéro 8 nous donne à voir les photos que pris l'ami de Perec, Pierre Getzler, lors de deux des trois glorieuses journées d'octobre 1974, quand l'écrivain s'assit à une table de café et tenta de capter tout ce qui se passait et ne se passait pas place Saint-Sulpice. Chaque photo cadre un pan d'espace, plus ou moins habité, où souvent n'advient qu'un temps figé, souvent barré par une verticale (un arbre, un poteau, un panneau) comme si, telle une aiguille marquant un éternel midi, l'espace-temps était balisé par de concrets fuseaux horaires. Des voitures, des bus, des passants: une place qui ne laisse place qu'à elle-même, mais qu'il faut quand même décrire, c'est-à-dire, écrire, autrement dit déplier l'image en segments syntaxiques, tout comme les photos de Getzler réécrivent un ensemble en le sectionnant en parties.
Le numéro 9, signée Sophie Coiffier s'efforce de lire certaines images à la lueur de l'œuvre de Perec. En partant de la grille mi-conceptuelle mi-ludique qu'est le jeu de taquin (en gros un puzzle aux pièces carrées ménageant une case vide par où faire passer les autres pièces), l'auteure de L'éternité comme un jeu de taquin, opère donc des rapprochements – comme on fait coïncider des bords – afin que le sens, magnétisé, attire d'autres aventures formelles. Ce pourrait être un exercice, c'est en fait une quête, entre vide et plein, où Perec, de cavalier seul, devient arpenteur de cases.
Le numéro 10, qui s'intitule Le timbre à un franc, est signé par le pataphysicien Jean-Louis Bailly. Il égrène divers croisements avec l'œuvre et l'homme, entre autres comment le chapitre XXII de La Vie mode d'emploiI (qui était alors en cours d'écriture) lui est arrivé par la poste, suite à une démarche que Bailly avait faite auprès de GP, afin de publier un de ses textes dans une revue au titre rousselien, Nouvelles Impressions. C'est aussi, en creux (et en bosses, aussi) un portrait cubiste de Bailly, dont certains angles entrent en relation géométrico-affective avec les textes de Perec.
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Pierre Getzler, Place Saint-Sulpice les 18 & 19 octobre 1974
Sophie Coiffier, L'éternité comme un jeu de taquin
Jean-Louis Bailly, Le timbre à un franc
— tous trois parus à L'Œil ébloui, dans la série des 53 Perec.
Claro, le 14/06/2025